Péguy a opposé la pauvreté à la
misère. Ce qui distingue ces deux états n'est pas parfaitement clair, mais on
peut induire des exemples concrets qu'il propose que la misère agresse les
conditions mêmes de la survie. Elle accélère le mouvement vers la mort, par le
froid, la faim et la maladie. C'est contre la misère que se sont levés aussi
bien saint Vincent de Paul, jadis, que de nos jours, Mère Teresa, et de
multiples acteurs des œuvres de charité. De cette misère Bernanos se souvient
dans la Nouvelle Histoire de Mouchette.
Dans cette œuvre Bernanos n'a pas
esquivé la description pathétique de cette pauvreté. On peut en reprendre, sous
quelques rubriques, la présence.
Par la thématique de l'eau, du
pourrissement, de l'engluement, de la disparition dans l'humide, la pauvreté
envahit le roman. Le paysage ruisselle sous la pluie incessante, qui pénètre
les vêtements [et le visage lui-même lors du suicide dans la mare].
« La simple pression de sa paume
suffisait à maintenir son corps à la surface de l'eau, pourtant peu profonde.
Un moment, par une sorte de jeu sinistre, elle renversa la tête en arrière,
fixant le point le plus haut du ciel. l'eau insidieuse glissa le long de sa
nuque, remplit ses oreilles d'un joyeux murmure de fête. Et, pivotant doucement
sur les reins, elle crut sentir la vie se dérober sous elle tandis que montait
à ses narines l'odeur même de la tombe » (Nouvelle Histoire de Mouchette, Plon, 1937, p.223).
Le bébé humide et poisseux qui emplit
de ses cris l'agonie de la mère accompagne en écho l'alcool qui éclabousse tous
les êtres. Sartre se souviendra de cette universelle humidité pour parler de la
nausée, cette humidité qui pénètre le corps maigre de Mouchette mal protégé de
la bourrasque par les taillis.
L'humiliation est la situation
permanente de Mouchette, entre l'institutrice qui la courbe violemment pour
qu'elle chante, les « raclées » reçues du père, les moqueries des
compagnes d'école, la charité maladroite de l'épicière qui lui offre un bol de
café au lait chaud.
L'alcool, la « goutte »,
désirée par l'agonisante et le contrebandier, est le thème permanent du livre,
celui qui est à la fois la source et le médicament ultime d'une population
abîmée dans son abrutissement.
L'épilepsie est le symptôme physique
et nerveux de cette misère du corps qui ne sait plus se contrôler
« Il est tombé tout d'une pièce,
terriblement, comme un arbre. Elle a entendu sonner son menton sur la terre ...
Comment peut-on s'abattre ainsi sans se tuer ? Puis elle a vu se creuser
ses reins, il s'est retourné face au plafond, les yeux blancs, le nez pincé,
plus blême que le reste de la figure. Et puis, voilà qu'il s'est raidi de nouveau, appuyé au sol de la
nuque et des talons, avec un soupir étrange comme d'un soufflet crevé. La large
poitrine, immobilisée dans le spasme, se dilate lentement, si fort que les
côtes ont l'air de crever la peau. la reste ainsi un moment, jusqu'à ce que de
sa bouche tordue sorte un flot d'alcool, mêlé d'écume. Aussitôt ses traits s'apaisent, et, dans le calme
retrouvé, gardent une telle expression de souffrance et d'étonnement qu'il
ressemble à un enfant mort » (ibid., p.70-71).
La misère c'est aussi d'être
étrangère dans son propre village.
« Dieu ! Voilà des années
que la fille de l’ancien contrebandier se sent étrangère parmi les gens de ce
village détesté, noirs et poilus comme des boucs, précocement bouffis de
mauvaise graisse, les nerfs empoisonnés de café — de ce café dont ils s'imbibent toute l'année, au fond de leurs
estaminets puants, et qui finit par donner sa couleur à leur peau » (ibid., p.44-45).
La « souillure ineffaçable »
du viol s'ajoute à ce tableau presque complet de la misère humaine que brosse
le romancier. Mais c’est sans doute dans l'approche insupportable de l'enfance
malmenée, réduite à n'être qu'un paquet de chiffon humide d'urine et de lait
caillé, que Bernanos fait culminer la souffrance
de cette première misère :
« Surpris par la brusquerie de l'étreinte, l'enfant a
tourné lentement vers elle son visage mou avec une expression misérable de
vague crainte, d'immense ennui. Après quoi, il s'est blotti, jetant au hasard
ses lèvres toujours gluantes d'une salive intarissable. Ses mains tâtent
l'étoffe du pauvre corsage, et le regard de Mouchette les suit. À la faible
lueur de la veilleuse, posée dans un creux du mur, elle a vu sa maigre poitrine
qui est déjà celle d'une femme. Est-ce une ombre, là, un peu au-dessous du sein
gauche ? Les cinq petits doigts hésitants de l'enfant s'y posent et, aussitôt,
elle n'y tient plus, et pleure tout bas, à brefs sanglots. Les larmes coulent
sur la bouteille et les joues du nourrisson qui grimace sous cette pluie tiède »
(ibid., p.96).
Faut-il aller plus loin pour
rejoindre la misère humaine qui est la racine de toutes les autres ? Sans
doute, répond Bernanos : la pauvreté peut avoir une signification
anagogique.
Dans la méditation du suicide qui
marque les deux Mouchette — « à l'une et à l'autre, que Dieu fasse
miséricorde » — Bernanos réfléchit à la dimension non plus seulement pathétique, mais tragique de la pauvreté qui nous menace.
Par quelle pauvreté sommes-nous
menacés ?
On aimerait que la pauvreté qui nous
menace ressemble à celle qui dévaste les peuples dont la misère matérielle nous
émeut — car cette pauvreté-là, qui attire notre compassion, ne nous concerne
évidemment pas, sauf en des espaces et des populations que nos représentations
aiment à mettre en scène, pour exciter la mauvaise conscience et d'autant mieux
effacer de notre mémoire la pauvreté qui nous est destinée à nous, « hommes
du soir ».
La thèse de Bernanos — que l'on peut contester — est que la définition par le sens littéral de la pauvreté est une
manière de nous protéger de la pauvreté essentielle qui n'est même plus une
menace, mais une réalité évidente par laquelle nous sommes guettés : le « détournement
catégorique du divin » dont parle Hölderlin, la puissance du « Dieu
caché » de Pascal et le « Dieu est mort » de Nietzsche :
nous sommes pauvres d'un manque radical : l'absence de Dieu n'est
même plus vécue comme absence.
Alors quelque chose comme la vie, le
désir de vivre, déserte la conscience vidée de sa substance : il ne s'agit même plus, dans le personnage de Mouchette,
de mettre en place une négation : elle n'est plus protégée de la négation,
de l'humiliation, de la pauvreté, de la souffrance des coups et du viol, de
l'ostracisme et du mépris. Seul surnage l'orgueil pour la maintenir en vie, et
celui-ci s'épuise peu à peu, au profit d'une fascination pour le néant.
La pauvreté de Mouchette est qu'elle est complètement entre
les mains destructrices du
Diable qui conduit la conscience à désirer le Néant et la fin. Finir n'est plus
achever et mener à la perfection une œuvre — finir est disparaître.
Il existe une pauvreté dont une
culture peut se
protéger en fabriquant un divertissement que bénit la conscience collective quand celle-ci s'empare de la gentillesse, des sentiments de la
compassion pour en faire les valeurs dominantes. La pensée de Bernanos est
violente : le souci des pauvres peut être la manière de se protéger de
l'angoisse du Dieu caché.
Si la métaphysique cesse de penser
Dieu, la liberté et le mal, au seul profit d'une sagesse transformée en
compassion, gentillesse et souci des plus démunis, c'est non seulement parce
que la conscience collective s’est rendue peu à peu plus sensible à la figure
du pauvre, c'est également parce quelle rencontre là un adversaire à sa mesure, que l'on
peut vaincre par un accroissement de la productivité, une meilleure redistribution
des richesses et en jugulant le cynisme des puissants. Cet incontestable visage
des Évangiles s'est
emparé du champ social de l'Occident, sans d'ailleurs modifier en profondeur
les comportements collectifs. Il a fini par occulter les questions métaphysiques
— le salut, le sens de la création, la vocation à la sainteté, ce qui, en refoulant les interrogations
essentielles, laisse
la compassion dans un désert d'objectifs et laisse libre carrière au cynisme
inhumain des idéologies de la domination.
« Après vingt siècles de
christianisme, tonnerre de Dieu, il ne devrait plus y avoir de honte à être
pauvre », rugit le docteur Delbende dans Le Journal d'un curé de
campagne (Gallimard , coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p.1095). Bernanos, obsédé par la tyrannie de l'argent, parle de
l'espérance qu'apporta jadis le christianisme naissant. Quelle espérance ?
« Celle d'une société où les pauvres seraient honorés, parce que Dieu
lui-même s'était fait pauvre et avait ainsi béatifié, non pas seulement, comme
le laissent entendre parfois certains théologiens simoniaques, la disposition
morale de la pauvreté, la pauvreté en esprit, mais la condition sociale du
pauvre » (Lettre
aux Anglais, Gallimard,
1989, p.44).
L'écrivain perçoit dans le monde
nouveau, qu'il pense dominé par l'argent, une fin de son espérance. Mais là où
il nomme l'argent comme cause de cette dégradation majeure, nous pouvons
percevoir une autre cause, celle que manifeste l'emprise de la technique,
elle-même à l'origine d'une exclusion des « misérables », incapables
de maîtriser les exigences intellectuelles et morales du royaume de la
technique.
Alors se lève une difficulté majeure :
à la racine du tri social, on ne trouve plus une coupable, maladroite et
immorale organisation socio-politique, mais l'école elle-même, vecteur de la
compétence technique justement évaluée, même si la conscience malheureuse et
les belles âmes peuvent encore discerner dans cette École des défauts
aménageables. Mais quand on aura corrigé ces défauts, modifié les horaires,
mieux formé les maîtres, comment pourra-t-on sauver du mépris de soi-même ceux
que l'on aura jugés incompétents ? C'est pourquoi Bernanos est sans doute
très lucide, et angoissé à juste titre, quand il s'alarme d'un monde sans salut
divin pour le « misérable ».
L'ancienne société — à peu près avant
la première moitié du XXe siècle — pouvait imaginer la pauvreté
comme la conséquence d'une malchance personnelle, d'un mauvais hasard de la
naissance, elle-même prisonnière d'une organisation sociale injuste et cruelle.
Le pauvre pouvait légitimement penser sa situation comme indépendante de son
mérite, lequel devrait être bientôt reconnu par un ordre politique qui aurait
su faire sa « révolution ». Le pauvre pouvait sauver son moi humilié
et méprisé par l'idée de l'Histoire dont il était une victime innocente, celle
destinée à être réformée. Il suffirait de mieux redistribuer les richesses
produites, de mieux éduquer à la modernité les classes sociales du prolétariat,
d'organiser l'ordre social en le libérant du joug de l'héritage culturel et
matériel.
Mais Bernanos est hanté par le
nouveau pouvoir de l'argent qui façonne un monde redoutable au pauvre d'esprit.
Le curé de Torcy du Journal d'un curé de campagne pouvait dire :
« Notre-Seigneur en épousant la
pauvreté a tellement élevé le pauvre en dignité, qu'on ne le fera plus
descendre de son piédestal » (ibid., p.1068).
Quelques années plus tard, il
constate que le « pauvre ne sera plus l'ami de Jésus Christ ».
L'homme privé d'éternité est non seulement sans défense contre sa propre mort,
mais contre l'humiliation. Bernanos voit clair quand il place au principe même
du suicide de Mouchette le vécu de l'humiliation.
On peut cependant sentir, dans le
dénouement, lors du suicide dans la mare, que le souci du romancier est attiré
vers un autre visage de la misère, que le dénouement ne parvient pas à décrire.
Le suicide fait signe vers une
pauvreté d'un autre ordre que Bernanos suggère en une formule : la
promesse dans la mort, « de l'imminente révélation d'un secret » qui « fascine
la mystique ingénue » (Sous
le Soleil de
Satan, Gallimard,
Folio, p. 182).
Il ne s'agit plus d'une pauvreté
pathétique, mais de la pauvreté tragique qui obsède Bernanos. Le romancier
prévoit le moment contemporain qui offre à une manière de dire très usée, mais
riche de signification, « pauvre d'esprit », des horizons nouveaux
qui nous concernent évidemment.
Quand on essaie de faire une analyse
un peu froide de ce qui
provoque la pauvreté, en société technicienne, on découvre très vite que le
groupe humain agressé par la pauvreté est celui des « pauvres d'esprit » :
ceux qui ne peuvent, ni ne savent, s'insérer dans un ordre dominé par la
technique. Le pauvre d'esprit de l'ancienne société pouvait dormir dans la
paille, entre les pattes des chevaux, et se nourrir des miettes tombées de la
table des riches ou des graines échappées aux moissonneurs, et recueillies par
les glaneurs. ancienne société n'avait pas mesuré la faiblesse d'esprit du
pauvre d'esprit par l'école qu'il n'avait jamais fréquentée, parce quelle
n'existait pas, ou presque pas. Sa pauvreté était la conséquence pathétique
d'une malchance, d'une malformation, d'une production collective inefficace,
maladroite ou injuste. Le pauvre d'esprit de la société technicienne est pauvre
parce qu'il ne vaut rien, parce que sa valeur d'échange est proche de zéro. Sa
pauvreté matérielle est le reflet de la nullité dévoilée par l'école
obligatoire : il n'a plus de place dans un ordre du monde par ailleurs puissant et riche, mais où sa
faiblesse lui a interdit de s'insérer. La société technicienne a établi une
corrélation entre la pauvreté matérielle et la faiblesse d'esprit, là où l'ancienne
société établissait entre le pauvre et son état une relation marquée par un
mauvais hasard ou une perversité de l'ordre politique incarné dans un ordre
économique tyrannisé par une organisation, par exemple capitaliste. L’ordre
moderne place le pauvre au cœur de son état dont il est le seul auteur par son
impuissance intellectuelle mesurée avec justesse et justice, par l'École républicaine et laïque.
Le pauvre de l'époque technicienne est non seulement pauvre, mais aussi un
humilié.
La pauvreté a toujours été un
malheur, elle est devenue une honte. Elle dénonce visiblement une imbécillité
(comme dit Bernanos en faisant sonner une étymologie) publique et avouée à
laquelle même la honte de la mendicité est interdite. L'essentiel des pauvres
de la société technicienne est sorti prématurément de l'École, sans diplôme,
sans « employabilité », comme dit pudiquement le jargon
administratif.
Alors la « conscience
malheureuse » accuse l'école, ses méthodes, ses critères de sélection, ses
erreurs ou son impuissance pédagogique. Mais le pauvre sait bien que c'est
lui-même, dans sa fragilité intellectuelle ou morale qui a été de fait, rejeté.
L’idéologie dominante vole au secours de ce
pauvre, en montrant que la responsabilité est celle d'un
investissement financier insuffisant au service de l'École, ou des méthodes
fausses, ou inadaptées de transmission du savoir. Il s'agit alors de sauver le
pauvre de l'idée humiliante qu'il se fait de lui-même. Mais cette ruse
charitable est évidemment comprise comme telle par le pauvre, qui souvent veut
bien faire semblant d'adhérer à ce discours
qui le disculpe : mais au fond de lui-même il sait bien avoir été jugé, et
exclu, de manière exacte et techniquement justifiée. Quand la pensée du salut
et d'une identité profonde de l'homme échappaient aux mesures sociales, le
pauvre était maintenu dans son identité d'être humain, car celle-ci
n'appartenait pas à l'ordre social. Elle était garantie par une transcendance.
Quand celle-ci a été niée, je ne suis que ce que le monde a reconnu en moi. Et quand le monde n'a
rien vu en moi que cette guenille qui ne sait rien faire, et qui est même
incapable, par ses seuls moyens, de survivre, alors « je ne suis rien ».
C'est par ces mots que Modiano commence un de ses romans, Rue des Boutiques
obscures, (Gallimard,
1978, p.7).
Le dénouement de la Nouvelle
histoire de Mouchette est une méditation en acte de ce rien qui aspire
Mouchette dans la mort (p. 217).
Autant la pauvreté comme misère peut
être l'objet d'une lutte qui n’est pas perdue d'avance, autant la pauvreté liée
à l'humiliation vécue par le « pauvre d'esprit » est une malédiction
absolue : mais c'est justement là que la pensée chrétienne affirme son
essence même, suggère François Cheng lorsqu'il médite l'héritage spirituel de
saint François d’Assise, le saint marqué par « l'élan sans cesse renouvelé
vers l'amour absolu ». Et François Cheng ajoute :
« Pour cela, il fut prêt à payer
le prix fort en se dépouillant de tout, en renonçant à toute possession. La
pauvreté n'est nullement une simple acceptation de la misère matérielle ;
elle est un engagement dans la donation totale. Il comprit, comme son Maître le
lui avait enseigné, que c'était là la seule manière pour l'homme de réaliser
pleinement les vertus dont il est virtuellement doté, de s'élever à une
dimension où il serait à même de rejoindre le divin. Il vérifia par la suite
que c'est bien en se faisant don qu'on reçoit les vrais dons de l'amour » (Assise, Albin-Michel,
2014, p. 38).
L’homme sans Dieu est un désespéré,
non seulement parce que sa mort, comme dit Pascal, « met le point final à
tout ». Mais nous sommes sur le point de découvrir que la société de la
technique, qu'on ne saurait supprimer ou accuser, produit des hommes, qui,
parfois, et dans une histoire prochaine, souvent, n'ont plus aucune estime d’eux-mêmes,
et pour lesquels la seule issue est de s'effacer, doucement, sans cri, sans
révolte, comme Mouchette. La mort exerce sur Mouchette une fascination que
Bernanos décrit en trois instants essentiels :
1. « Fut-ce à ce moment que Mouchette subit le deuxième assaut de la force
obscure qui venait de s'éveiller au plus profond, au plus secret de sa chair Il
fut si violent qu'elle se mit à piétiner sur l'étroite plate-forme en
gémissant, ainsi qu'une bête prise au piège. La pensée de la mort n'achevait
pourtant pas de se former, le regard qu'elle fixait malgré elle sur la mare qui
miroitait sous ses pieds restait vague. Elle ne voulait pas mourir » (Nouvelle histoire de Mouchette, p. 214-215).
2. « Et aujourd'hui voilà
qu'elle songeait à sa propre mort, le cœur serré non par l'angoisse, mais par
l'émoi d'une découverte prodigieuse, l'imminente révélation d'un secret, ce
même secret que lui avait refusé l'amour » (ibid p.205).
3. « La
même force de mort, issue de l'enfer, la haine vigilante et caressante qui
prodigue aux riches et aux puissants les mille ressources de ses diaboliques
séductions, ne peut guère s'emparer que par surprise du misérable, marqué du
signe sacré de la misère » (ibid p.217).
Ce qui rend le « misérable »
désespéré et le précipite dans le suicide, chez Bernanos, est la fin en lui de
l'Espérance portée par le Ressuscité. Sa pauvreté d'esprit est le résultat de
cette fin de l'Espérance : il n'est pas un miséreux parce qu'il est
pauvre, comme les foules de Calcutta, du Caire ou de Mexico, mais parce que
l'Espérance en lui a coulé, a « démâté » comme on dit dans la marine.
Bernanos est le poète qui voit, dans
l'avenir de la culture occidentale, apparaître une difficulté majeure.
Pierre-Alain Cahné, in Communio 2015-4 Les Pauvres
Pierre-Alain Cahné, marié, trois enfants, onze petits-enfants,
membre du comité de rédaction de Communio, est professeur émérite de langue et
littérature française de l'université de Paris-IV-Sorbonne, et recteur émérite
de l'Institut catholique de Paris. Dernière publication : Lectures lentes : linguistique
et critique littéraire, PUF, coll. Formes sémiotiques, 2011.