samedi 31 mars 2018

En veillant... Paul Claudel, La Nuit de Pâques


À travers la fenêtre sans rideau, depuis longtemps je vois une petite étoile me luire.
Je ne dors pas. Mais entre le Samedi Saint et Pâques la nuit n'est pas faite pour dormir.
Les montagnes et les forêts attendent, elles m'entourent dans une émanation lumineuse.
La pleine lune pas à pas élève, suspend sa face pieuse.
La pleine lune sans un mouvement rayonne au milieu de l'éternité.
Heureuse nuit qui toute seule sait l'heure où Jésus est ressuscité !
Rien ne résiste à ce vainqueur : portes closes il passe de l'autre côté du mur.
C'est ainsi qu'à travers le temps il passe sans qu'il en rompe la mesure.
Nous ne savons qu'une chose arrive que si déjà elle est arrivée.
Nous apprenons tout à coup que le Seigneur est ressuscité !
Ce silence de tous les siècles avant Moi, il n'y avait pas moyen qu'il continue !
Il n'y avait pas moyen de la terre interrogée que l'on dise plus longtemps : elle s'est tue !
Les étoiles, ce qu'elles ont vu, l'une à l'autre en tumulte se sont mises à le raconter !
La terre a rompu le silence, tout à coup elle s'est mise à dire ce qu'elle sait !
Le soleil n'est pas levé encore : il y a une heure encore de cette immense solitude !
Il n'y a pour garder le tombeau que ces millions d'étoiles en armes, vigilantes depuis le Pôle jusqu'au Sud !
Et tout à coup dans le clair de lune les cloches en une grappe énorme dans le clocher,
Les cloches au milieu de la nuit comme d'elles-mêmes, les cloches se sont mises à sonner !
On ne comprend pas ce qu'elles disent, elles parlent toutes à la fois !
Ce qui les empêche de parler, c'est l'amour, la surprise toutes ensemble de joie !
Ce n'est pas un faible murmure, ce n'est pas cette langue au milieu de nous-mêmes qui commence à remuer !
C'est la cloche vers les quatre horizons chrétiennes qui campane à toute volée !
Les deux plus claires par-dessus l'une sur l'autre qui montent dans un dialogue infatigable !
Et les quatre plus graves à coups profonds par-dessous à leur tour qui se sont mises à table !
Après les siècles révolus, au milieu de cette éternité à la fin autour de nous lumineuse et étalée,
Parce que l'heure est venue tout à coup, surprise que l'on soit capable de parler !
Ce n'est point une parole humaine, c'est le triomphe, la vendange énorme de toutes les étoiles du ciel !
C'est la terre délivrée vers Dieu coup sur coup qui pousse cet aboiement solennel !
C’est l'âme à moitié déshabillée déjà qui pousse cette acclamation délirante !
C’est les morts de tous les cimetières à moitié vivants qui se mêlent à ces cloches énormes et bredouillantes !
C’est le chaos du monde avec le péché dans une étreinte inextricable
Qui sur son visage tout à coup a ressenti l'impression de ces lèvres ineffables !
Vous qui dormez, ne craignez point, parce que c'est vrai que J'ai vaincu la mort !
J'étais mort et Je suis ressuscité dans Mon âme et dans Mon corps !
La loi du chaos est vaincue et le Tartare est souffleté !
La terre qui dans un ouragan de cloches de toutes parts s'ébranle vous apprend que Je suis ressuscité !
Femmes, que cherchez-vous dans la tombe ? Mais non ! Vous n'avez plus rien à faire avec ceci !
Les linges sont roulés dans un coin. Jésus vit, Il n'est plus ici !
Mon âme à son tour de la tombe s'arrache avec un rire éperdu !
Moi aussi j'ai vaincu la mort et je crois en mon sauveur Jésus !
Au centre du monastère tout seul, il médite, le haut veilleur tout seul peu à peu il s'apaise en frémissant.
C'est le tour de toutes les églises là-bas de répondre dans le soleil levant !
Elles s'éveillent l'une après l'autre, tour à tour je les entends qui s'interrogent dans la nuit.
Pour chaque étoile qui s'éteint il s'éveille une brebis.

Paul Claudel, in Toi, qui es-tu ?
Abbaye Saint-Maurice-et-saint-Maur de Clairvaux
Pâques 1934

En vivant... Marie-Joseph Le Guillou, La Vigile Pascale



Saint Augustin dit que la veillée pascale est la veillée-mère de toutes les saintes veillées, c'est-à-dire la veillée par excellence.
Après que le diacre ait chanté l'annonce de la Pâque et que le prêtre ait béni le feu auquel s'allume le cierge pascal, les fidèles sont invités à se transmettre la lumière. On peut alors commencer la liturgie de la Parole au cœur de l'église embrasée par la lumière de tous les cierges. La liturgie de la Parole reprend sept grands textes de l'Ancien Testament depuis la Genèse jusqu'au prophète Ézéchiel annonçant au peuple en exil une eau pure, un cœur nouveau et un esprit nouveau. Toute l'histoire d'Israël est reprise au cours de ces lectures montrant bien l'accomplissement des prophéties.
Le texte principal est la lecture du livre de l'Exode au chapitre 14,15 à 15,1. C'est la libération d'Israël par le passage à pied sec de la Mer Rouge. Les eaux se fendent, les fils d'Israël passent. Les eaux se referment, les Égyptiens qui poursuivaient les Hébreux sont engloutis par la mer. L'essentiel est d'en saisir la signification profonde. Les Hébreux sont libérés de l'esclavage des Égyptiens. Cette libération symbolise la libération du péché et annonce la nouvelle naissance dans l'eau du baptême.
À travers tout son passage dans le désert, Israël découvre qu'il est vraiment le peuple de Dieu voué à lui seul. Les fils d'Israël sont libérés d'Égypte pour aller rendre un culte à Dieu sur le Sinaï. Le passage de la mer rouge nous renvoie en effet au chapitre 24 de l'Exode. Moïse annonce au peuple que Dieu a fait alliance avec lui et pour le montrer, Moïse fait un sacrifice en immolant à Dieu des jeunes taureaux en sacrifice de communion. « Moïse ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : « Ceci est le sang de l'Alliance que Dieu a conclue avec vous moyennant toutes ses lois » (Exode 24,8). Le peuple est pris dans la libération du Seigneur. C'est donc un texte cultuel. La libération du peuple est toujours vue en perspective cultuelle. Il est important de le souligner car on peut entendre parler de la théologie de la libération. Ne tombons pas dans l'erreur commise trop souvent : la libération n'est pas pour une libération humaine mais c'est une libération pour un culte en vue de rendre gloire à Dieu.
Une remarque encore. On parle souvent des genres littéraires, historiques ou poétiques des textes de l'Écriture. Il faut s'attacher au sens spirituel de la Parole de Dieu et savoir que le Seigneur utilise des procédés pour faire comprendre à son peuple ce qu'il porte au plus profond de lui-même et qui le libère. L'exode est une libération merveilleuse par le Seigneur mais il ne faut pas en rester aux images. Elles sont là pour nous faire comprendre le dessein du Seigneur et pour nous faire entrer dans son mystère d'amour.
La veillée pascale est centrée sur la libération des fils d'Israël et sur le don de l'Esprit. Si des catéchumènes sont baptisés dans la nuit de Pâques il y a la bénédiction de l'eau baptismale avec une insistance sur le don de l'Esprit puisque nous participons de manière tout à fait spéciale à la mort et à la résurrection du Christ avant de participer à l'Eucharistie. N'oublions jamais que dans la tradition ancienne, l'initiation chrétienne comprend toujours d'un seul tenant : le Baptême, la Confirmation et l’Eucharistie.
Israël n'a pas été fidèle à l'alliance. Dieu va promettre aux fils d'Israël de leur donner un cœur nouveau et un esprit nouveau et ainsi renouvelle son alliance avec eux. De la même manière, la liturgie nous invite, nous qui sommes baptisés, à renouveler les promesses de notre baptême. Par là même, en cette veillée pascale, Dieu réactualise notre baptême de façon solennelle et nous demande d'y correspondre chaque jour.
Puis la liturgie eucharistique se célèbre dans la joie de la résurrection.
Arrêtons-nous, autant que nous pouvons le faire, sur le contenu de la résurrection. Méditons pour commencer sur le texte de la lettre aux Romains de saint Paul au chapitre 1, v. 1 à 7 :
Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu que d'avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures, concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus-Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour prêcher, à l'honneur de son nom l'obéissance de la foi parmi tous les païens, dont vous faites partie, vous aussi, appelés de Jésus-Christ, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ.
La longueur de la phrase indique qu'il s'agit d'une affirmation extrêmement importante et solennelle ; elle s'organise autour d'un centre dont tout dépend : Jésus-Christ notre Seigneur. C'est une grande confession de foi dans laquelle saint Paul indique que le but de l'Écriture est contenu dans l'Évangile, que la foi, l'apostolat, l'envoi en mission, le salut universel nous sont donnés en Jésus-Christ.
Il y a un parallélisme remarquable entre « Fils, issu de la lignée de David selon la chair » et « Fils, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts ». L'antithèse entre les deux natures du Christ est la résurrection d'entre les morts. Celle-ci est la cause de la révélation de Jésus comme Seigneur. C'est le cœur de la théologie de Paul et de la théologie pré-paulinienne présente dans le message évangélique bien avant Paul. Nous avons cette même doctrine de la christologie dans les actes des apôtres et notamment dans le premier discours de Pierre au moment où il annonce, le jour de la Pentecôte, le mystère du Christ :
Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude : Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié.
Actes 2, 36
Nous trouvons la même proclamation dans le discours de Pierre chez Corneille :
Dieu a envoyé sa parole aux Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c'est lui, le Seigneur de tous. Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée : Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean ; comment Dieu l'a oint de l'Esprit Saint et de puissance... Dieu l'a ressuscité le troisième jour... et il nous a enjoint de proclamer au peuple et d'attester qu'il est, lui, le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts.
Actes 10, 36-38, 40, 42
La filiation divine de Jésus est mise en relation directe avec la résurrection. Il est capital de retenir que la filiation divine de Jésus est manifestée, c'est-à-dire rendue visible par sa résurrection. La Résurrection ne crée pas la filiation de Jésus mais au contraire la révèle et souligne l'acte de Dieu.
Le Christ est le Fils de Dieu par excellence comme le souligne saint Paul dans la deuxième épître à Timothée : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts issu de la race de David, selon mon Évangile » (2 Timothée 2, 8). Issu de la race de David : c'est toute l'histoire d'Israël qui trouvera un jour son achèvement glorieux. Ressuscité d'entre les morts : la résurrection des morts a inauguré des temps où l'Esprit sera la marque d'une économie nouvelle. Jésus-Christ : Oint, le Messie, implique l'idée de l'Esprit Saint. L'ère qui s'ouvre recevra le don de l'Esprit qui emplit le Fils et qui est le déploiement de sa force. L'Esprit lui-même agira en puissance. Jésus notre Seigneur n'est pas seulement celui devant lequel on plie le genou mais il est la source de tout apostolat. L'ancien Israël a fait place au véritable Israël, le premier étant restreint. L'Église est universelle. Le premier Israël était lié à une race, désormais c'est un peuple qui est élevé au rang du Seigneur Jésus-Christ, souverain de tous les peuples. La résurrection n'est pas un fait statique, elle engage tout le mystère du salut et toute l'humanité. La résurrection n'est pas une doctrine extérieure à l'homme. Si celui-ci croit, l'évangile devient vivant et crée une relation de personne à personne. La résurrection est cette création de relations interpersonnelles. Il n'y a de foi que dans une rencontre en vertu de laquelle le sujet croyant participe à l'action libératrice de Dieu.
Alors qu'est-ce que la résurrection ? Le Christ reprend un corps, son corps qui n'a jamais cessé d'être uni à la divinité, qui a été séparé de son âme mais qui n'a pas été séparé de la divinité. Jésus a un corps glorifié, c'est-à-dire un corps véritable. Les Évangiles insistent beaucoup sur le fait de toucher le Christ : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai » (Luc 24,38). Le Christ est un vivant en relation personnelle avec chacun d'entre nous par la foi. C'est un vivant empli de l'Esprit Saint qui n'est là que pour donner la plénitude de l'Esprit à chacun d'entre nous. La résurrection du Christ n'est pas comme la résurrection de Lazare. Lazare est ressuscité selon la chair, il n'est pas ressuscité selon l'Esprit. Il est ressuscité et doit mourir de nouveau. La résurrection du Christ est un passage à un monde nouveau. Le Christ vit dans l'Esprit Saint et a un corps tout entier transfiguré par la présence de l'Esprit Saint. C'est un homme, issu de la lignée de David qui vit sous l'emprise de l'Esprit Saint.
Le Christ ne ressuscite pas le Vendredi Saint, ni au moment de sa mort. Il a été réellement mort trois jours au sens biblique du mot. C'est une formule qui marque l'action eschatologique de Dieu comme nous la trouvons déjà dans le prophète Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur, Il a déchiré, Il nous guérira ; Il a frappé, Il pansera nos plaies. Après deux jours, Il nous fera revivre, le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en Sa présence ». (Osée 6, 1-2). Ce texte dit la puissance de Dieu à l'œuvre dans le monde et dans nos vies.
Dans l'Église primitive, la profession de foi faisait dire aux chrétiens : « Je crois au Saint Esprit dans l'Église catholique pour la résurrection d'entre les morts ». Nous participons ainsi à ce qui a été le mystère du Christ. Saint Paul nous dit dans l'épître aux Colossiens :
Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire.
                                                                                                                                                                                                      Colossiens 13, 1-4
Notre vie est cachée en Dieu mais nous faisons déjà l'expérience de la résurrection de façon mystérieuse. Nous sommes marqués du signe de la résurrection pourtant non encore rendue présente visiblement. Cela se manifeste dans la charité fraternelle en attendant les embrassades du ciel.
Il faut voir le ciel de façon réaliste : c'est notre monde transfiguré. L'Esprit est à œuvre, il nous fait vivre de la Gloire de Dieu, de la Vie même de Dieu. La résurrection est l'affirmation de la Vie de Dieu pénétrant notre être jusqu’au plus profond de nous-même.
Le Christ agit dans son corps à travers les sacrements parce qu'il est empli de l'Esprit. Il n'y aurait pas de sacrements si le Saint Esprit n'était pas agissant dans le corps du Christ glorieux. On aurait pu imaginer que le Christ nous sauve sans contact avec lui. Il veut que nous le rencontrions dans sa mort, dans sa résurrection, dans le pardon des péchés, dans toute notre vie. Il s'agit d'annoncer au monde entier que le Christ est le Ressuscité. Voilà pourquoi l'Église chante le jour de Pâques : « Ô ma joie, Christ est ressuscité, oui, Il est vraiment ressuscité ». C'est le bonjour des chrétiens ce jour-là, ils se rencontrent dans le Ressuscité. Cela demande un regard de foi, il s'agit d'entrer dans ce mystère de résurrection, mystère de la vie du Christ.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons dans la Passion et la Gloire du Christ

vendredi 30 mars 2018

En entrant... Marie-Joseph Le Guillou, Vendredi Saint



L’Église nous donne aujourd'hui le quatrième chant du Serviteur à méditer en Isaïe 52,13 à 53,12. C'est certainement le texte le plus dramatique et le plus prophétique de la mort du Christ. En voici un extrait :
Comme un surgeon il a grandi devant lui, comme une racine en terre aride ; sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits ; objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face.
[...] Ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé.
[...] S'il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours et par lui la volonté du Seigneur s'accomplira.
Le deuxième texte majeur de ce jour est la lettre aux Hébreux. Nous citons le passage de cette lettre, lu le Vendredi Saint dans la célébration de la Passion du Seigneur :
Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a pénétré au-delà des cieux ; tenons donc ferme dans la profession de notre foi. En effet, le grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de comprendre nos faiblesses ; dans tous les domaines, il a connu l'épreuve, absolument comme nous niais non pas le péché. Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir en temps voulu, la grâce de son secours.
Le Christ, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu'il soit le Fils, il a pourtant appris l'obéissance par les souffrances de sa passion ; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu, pour tous ceux qui lui obéissent, la cause du salut éternel.
Hébreux 4, 14-16 ; 5, 7-9
Le Christ est cause de salut éternel parce qu'il a obéi. Il s'est livré à la mort et Dieu l'a rendu parfait pour que nous soyons parfaits. Le Christ a connu l'épreuve comme nous et comme il est vraiment homme, il a connu la souffrance mais il n'a pas péché. L'affirmation centrale est là : Il n'a pas péché.
Nous avons ensuite un récit de la Passion telle que saint Jean nous la relate. Après la prière sacerdotale, « Jésus s'en alla avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra, ainsi que ses disciples » (Jean 18,1). Puis le Christ est arrêté, jugé de façon inique et c'est la condamnation à mort et la mort elle- même.
Le fil d'or qui va de bout en bout de la Passion de Jésus est la proclamation de sa royauté. La proclamation de sa royauté de Messie et de Fils de Dieu est au cœur de tout le texte. Le titre de Rois des Juifs est annoncé par Pilate, un représentant des païens. Quand les juifs, plus tard, voudront éliminer l'inscription placée au-dessus du Crucifié INRI c'est-à-dire Jésus de Nazareth Roi des juifs, Pilate n'acquiescera pas à leur demande. Il se contentera de répondre « Ce qui est écrit est écrit ».
Souvenons-nous que le Christ affirme « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d'ici ». (Jean 18,36). L'interrogatoire de Pilate culmine dans la crucifixion et le don de Jean à Marie et de Marie à Jean :
Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère, avec la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère « Femme, voici ton fils ». Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». Et, à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Jean 19, 25-27
Chez lui, c'est-à-dire dans ses biens spirituels.
La phrase suivante est décisive, c'est pourquoi je la détache pour bien la faire comprendre :
Après cela, sachant que désormais toutes choses étaient accomplies pour que l'Écriture s'accomplisse jusqu'au bout, Jésus dit : « J'ai soif ».
(Jean 19, 28
L'accomplissement des Écritures est le don de Marie à Jean. C'est la maternité de l'Église dont Jean est le disciple. C'est avec raison que le centre de la phrase de Jean est « sachant que désormais toutes choses étaient accomplies pour que l'Écriture s'accomplisse jusqu'au bout »
La mort de Jésus suit le J'ai soif. L'ouverture du cœur du Christ sur la croix sera donnée à l'Église avec l'eau et du sang, symbole des sacrements de l'Église. L'Église commémore la Passion du Christ jusqu'à son ensevelissement et ensuite, elle va se recueillir dans une prière extrêmement solennelle pour tous les hommes. En effet, la Prière universelle prend toutes les catégories de personnes : la sainte Église, le Pape, le clergé et le peuple fidèle, les catéchumènes, l'unité des chrétiens, les juifs, ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, ceux qui ne croient pas en Dieu. C'est une affirmation de l'universalisme du salut.
À travers cette prière, nous sommes introduits dans la Vénération de la Croix (attention, ne pas penser adoration). On organise une procession pour vénérer la Croix sur laquelle le Christ est mort. Cette procession peut prendre des formes très glorieuses telle que la triple génuflexion avant la vénération.
À la fin de la célébration, l'Église, devenue en quelque sorte veuve, offre aux fidèles , dans sa bonté, la possibilité de recevoir l'Eucharistie mais comme en secret. La sainte réserve n'est ensuite gardée que pour les malades.
Un autre point important à souligner est qu'il ne faut pas séparer le Vendredi Saint de la Résurrection pas plus que du Samedi Saint. Ce dernier ne fait qu'un avec le Vendredi Saint. Nous avons cette formule dans le Credo « Il est descendu aux enfers » faisant écho à ce que saint Pierre nous dit dans sa première épître :
Mis à mort selon la chair, le Christ a été vivifié selon l'esprit. C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison, à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l'eau. Ce qui y correspond, c'est le baptême qui vous sauve à présent.
1 Pierre 3, 18-21
Voilà encore un accent sur la participation du Christ à toute la condition humaine. La descente au séjour des morts est l'humiliation la plus profonde qui soit pour le Christ mais qui marque d'autant plus l'ampleur de sa victoire. Un élément très important à souligner est que l'âme du Christ reste unie à sa divinité. Il y a séparation du corps et de l'âme mais la divinité reste unie à l'un comme à l'autre. Le corps du Christ reste le corps du Christ personnalisé, ce qui n'est pas notre cas lorsque nous mourrons. Notre corps devient une dépouille mortelle, qui deviendra poussière et ressuscitera à l'heure de la résurrection. Et l'Église médite tout le mystère de la Passion.
Quel est le cœur du Vendredi Saint ? C'est la signification de la Croix. Nous avons, pour nous aider à méditer ce mystère, des paraliturgies c'est-à-dire des célébrations qui ne sont pas le cœur de la liturgie proprement dite. Il s'agit des Sept paroles du Christ en croix et du Chemin de la croix. À travers l'ensemble des célébrations, nous proclamons la victoire du Christ alors qu'il apparaît véritablement dans son anéantissement suprême. Pourtant, nous proclamons et nous chantons la royauté du Christ.
L'Église offre aux fidèles ces célébrations pour que nous nous souvenions de ce qui est à l'origine de son existence. Oui, l'Église se remémore sa propre naissance. Elle est née à la croix lorsque le Christ dit à Marie : « Femme, voici ton Fils ». C'est un des moment les plus solennels du souvenir de Dieu : le souvenir de la croix doit devenir, en quelque sorte, permanent en nous. D'ailleurs si nous récitons notre rosaire, nous savons que ce faisant, nous méditons la vie du Christ et spécialement la croix du Christ.
L'important est de découvrir que la puissance de l'amour de Dieu se manifeste à travers la faiblesse et que Dieu passe à travers notre faiblesse. Nous méditons sur un amour qui se livre librement, qui n'est pas obligé. Le Seigneur donne sa vie parce qu'il le veut. C'est un don total qui demande de nous un don en pure perte de nous. Il faut s'abandonner jusqu'au bout. C'est ce que l'Église médite aujourd'hui, c'est ce qu'elle nous demande.
Ceci ne peut se faire que dans la prière et le jeûne. Je souligne le jeûne non pas comme une invitation à des exploits spirituels (cf. les Pères du désert). Je le souligne parce qu'il est inséparable de la prière. Le jeûne est une façon de se priver (manger sobrement mais pieusement), de se priver pour être plus près de Dieu. Il faut nous donner nous-mêmes pour pouvoir entrer dans la prière. Prendre la prière en elle-même comme si elle était, si je puis dire, le tout de la vie est une vue fausse. Il faut que ce soit toute notre vie qui devienne prière, c'est en vérité tout l'inverse. Notre vie doit être transformée en prière comme la vie du Christ l'a été à travers les événements les plus humbles.
Saint Jean voit la croix dans une perspective de Gloire ; pourtant c'est lui qui est le plus sensible aux souffrances du Christ, à son agonie, à son abaissement. Quand on parle de la Gloire, il ne faut pas voir le Christ comme s'il ne souffrait pas, c'est une erreur. C'est une souffrance illuminée par l'amour le plus grand qui soit, c'est-à-dire celui de son Père. Le Christ dévoile l'amour de son Père, il dévoile la vérité de son Père. En saint Jean, le mot vérité veut dire amour. La vérité, c'est l'amour. Faisons la vérité et nous viendrons à l'amour. Faire la vérité dans sa vie est le thème de saint Jean. C'est le thème de la vie de l'Église qui sait que tout son être se joue dans ce mystère de salut.
Voilà ce qui se passe le Vendredi Saint pour l'Église. Marc nous dit : « Tant qu'ils ont l'époux avec eux, ses compagnons ne peuvent pas jeûner Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront en ce jour-là. (Marc 2, 19-20). Le Christ retourne auprès de son Père, nous ne restons pas orphelins ; cependant il y a une certaine absence et nous sommes dans cette absence. Cela suppose un certaine jeûne au sens spirituel du mot, c'est-à-dire une certaine perte de nous-mêmes jusqu'à ce que nous soyons pris dans le mystère de Dieu.
Et l'Église attend. Le thème de l'attente est capital pour comprendre la résurrection. L'Église attend car même lorsqu'au matin de Pâques le Christ ressuscitera, nous aurons de nouveau à l'attendre. Il est venu mais il viendra, il est venu mais tout n'est pas encore donné. Nous sommes baptisés, c'est vrai, mais nous avons à être baptisés dans la mort du Christ à chaque instant de nos vies. Nous sommes déjà pris dans la mort du Christ et pourtant nous avons à nous plonger dedans toujours davantage. Cela peut paraître paradoxal : nous sommes ressuscités avec le Christ et nous avons à ressusciter chaque jour. La vie du chrétien est un paradoxe inouï, elle n'est pas une vie fermée sur elle-même. Notre vie doit s'ouvrir puisque nous devons être dans l'attente du retour du Seigneur. Même lorsqu'il vient à nous dans l'eucharistie, c'est sous le voile de la foi ; nous avons à l'attendre jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il vienne dans la gloire. La gloire, l'amour sont vraiment le cœur de l'évangile de Jean. Lorsque le Christ dit :
Père je t'ai glorifié sur la terre, en menant à bonne fin l'œuvre que tu m'as donné de faire. Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la Gloire que j'avais auprès de toi, avant que fût le monde. J'ai manifesté ton Nom aux hommes.
Jean 17, 4-6
Le Christ nous dévoile qui est son Père.
Le Vendredi Saint est le jour du dévoilement de Jésus qui va jusqu'au dépouillement symbolisé par le dépouillement des autels. L'Église n'a plus rien. Elle attend dans la patience et dans l'amour.
Royauté, gloire, descente aux enfers, abaissement jusqu'au bout sont les thèmes qui doivent revenir en nous. À nous de nous arrêter sur celui qui paraît le plus important, sur celui qui, à ce moment précis de notre vie, résonne davantage. Nous sommes créés par Dieu avec des affinités ; il faut suivre les affinités bonnes que Dieu nous donne. Il faut se laisser faire par le Seigneur. Nous sommes plus sensibles à tel aspect du mystère du Christ qu'à tel autre mais cela peut changer au cours de notre vie qui s'approfondit sans cesse.
Un dernier point semble important à souligner : le mystère de la Croix est incompréhensible sans le mystère de la Résurrection. Si il y a la Gloire, c'est parce que déjà la résurrection est à l'œuvre dans le corps du Christ. La Gloire n'évacue pas la Croix. Il faut tenir les deux à la fois. Tenir sérieusement, c'est-à-dire croire que la résurrection est impensable sans la croix et que la croix est impensable sans la résurrection. Si le Christ n'était pas livré à la Gloire par son Père, il n'y aurait pas de triomphe. Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans la Gloire. « Il fallait » signifie une nécessité divine, une nécessité de l'amour de Dieu. La croix est nécessaire pour nous faire entrer dans le mystère de Dieu car connaître la Gloire de Dieu est le but de toute vie humaine.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons dans la Passion et la Gloire du Christ


jeudi 29 mars 2018

En rencontrant... Marie-Joseph Le Guillou, Jeudi Saint



Pour vivre profondément ce que nous dit le Seigneur à travers la liturgie du Jeudi Saint, il faut lire et méditer les quatre chants du Serviteur en Isaïe 42,1, 49,1, 50,4 et 53,1. Ces textes sont sous-jacents à toute la réflexion de l'Église. Ils sont comme un miroir dans lequel se reflète par avance le visage du Christ qui se présente en tant que Serviteur qui aime, qui se livre, qui souffre, qui meurt dans des conditions infâmes : il n'aura plus de visage.
Relisons le premier chant du Serviteur (Isaïe 42,1-9) :
Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit, il présentera le droit aux nations. Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue ; il ne brise pas le roseau froissé, il n'éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement il présente le droit ; il ne faiblira pas ni ne cédera jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur la terre, et les îles attendent son enseignement. Ainsi parle le Seigneur Dieu, qui a créé les cieux et les a déployés, qui a affermi la terre et ce qu'elle produit, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite, et l'esprit à ceux qui la parcourent.
Moi, le Seigneur, je t'ai appelé dans la justice, je t'ai saisi par la main, et je t'ai modelé, j'ai fait de toi l'alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres. Je suis le Seigneur ; tel est mon nom ! Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre, ni mon honneur aux idoles. Les premières choses, voici qu'elles sont arrivées, et je vous en annonce de nouvelles, avant qu'elles ne paraissent, je vais vous les faire connaître.
Cette prophétie nous présente le visage du Seigneur tel qu'il se révèle dans l'Évangile. Si nous lisons le quatrième chant du Serviteur, nous prenons conscience de toute la souffrance que le Seigneur va endurer et offrir à notre place à Dieu son Père. « Ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé... Il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes » (Isaïe 53, 4-5). Tous ces textes prophétiques sont vécus par le Seigneur dans la perspective que Jérémie annonçait lui aussi : « Et moi, comme un agneau confiant qu'on mène à l'abattoir ; j'ignorais qu'ils tramaient contre moi des machinations : détruisons l'arbre dans sa vigueur ; arrachons-le de la terre des vivants, qu'on ne se souvienne plus de son nom ! » (Jérémie 11, 19). Le prophète qui a parlé de la part de Dieu est voué à la mort pour tous. Ces textes ont fait comprendre à l'Église combien Jésus-Christ avait conscience d'être le serviteur, serviteur envoyé à la mort pour le salut du monde.
Dans la célébration eucharistique, le prêtre, in persona Christi dit au moment de la consécration des saintes espèces ce texte de Marc : « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude » (14, 24). L'Église voit bien à travers les textes des prophètes l'image de son propre destin préfiguré par le Christ pour elle. L'Église annonce le Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. Les prophètes indiquent le choix d'Israël par Dieu pour annoncer au monde le salut. C'est un choix à la fois collectif et personnel, puisque le Christ, le Messie, accomplira les Écritures.
Il convient également d'avoir en mémoire et de méditer le deuxième chapitre de l'épître de saint Paul aux Philippiens. C'est une hymne très ancienne datant d'avant Paul que les communautés chrétiennes naissantes chantaient. Ce texte nous dit l'humiliation et l'exaltation du Christ :
Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : Lui de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais Il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, Il s'humilia plus encore, obéissant jusqu' à la mort et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l'a-t-Il exalté et Lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom.
Philippiens 2, 5-9
Tous ces jours saints se vivent sur un fond de résurrection. Dans l'Évangile, accomplissement des Écritures, nous n'avons aucune annonce de la Passion sans mention de la Résurrection. La croix n'est pas nue. La croix est une croix glorieuse à condition de bien voir que la Gloire est une entrée dans le mystère du Christ qui nous entraîne dans une lumière que nous ne pouvons pas imaginer parce que c'est la lumière de la croix exaltée, transformée, transfigurée, donnée au monde.
Le cœur du Jeudi Saint est la Messe chrismale célébrée par l'Évêque du diocèse entouré du plus grand nombre possible de ses prêtres. Après la rénovation des promesses sacerdotales, il y a la bénédiction des huiles qui serviront aux catéchumènes d'une part, et d'autre part aux personnes qui recevront le sacrement des malades. Puis après avoir versé du parfum très odorant dans l'huile destinée au chrême, l'évêque consacre le chrême destiné aux sacrements du baptême, de la confirmation et de l'ordre sacerdotal.
Le Jeudi Saint, jour de l'institution de l'eucharistie et du sacerdoce, est le jour où le Christ se livre à la mort. En célébrant l'eucharistie de façon solennelle, l'église locale veut manifester ainsi son unité.
C'est pourquoi nous avons le texte de saint Jean au chapitre 13 v. 1 à 15 qui nous retrace l'événement du lavement des pieds. Il est certain aujourd'hui qu'au temps de Jésus, lors des grandes cérémonies pascales, le président lavait les pieds des membres de l'assemblée. Voilà pourquoi, reprenant ce rite, Jésus se met aux pieds de ses apôtres et leur lave les pieds pour leur donner part à sa vie. C'est un texte dont la méditation est inépuisable.
C'est le jour, rappelons-le, où le Christ offre sa vie pour nous et va se livrer à la mort. L'Église veut revivre le même mystère. À la fin de la célébration de l'eucharistie, les prêtres emportent les saintes espèces et sont suivis des fidèles. Ils sortent solennellement du chœur de l'église et vont les déposer dans un tabernacle placé dans une chapelle latérale afin de pouvoir prier en présence du Seigneur tout au long de la nuit. Ce que l'Église veut signifier ainsi, c'est l'absence du Christ : le Seigneur s'en va à la mort. Tout est joué dans la conscience du Christ : « Levez-vous ! Partons d'ici » (Jean 14, 31). Le Christ décide de partir au jardin des oliviers et l'Église adorera la présence du Seigneur pour s'associer au mystère de l'agonie du Christ et se plonger dans cet immense acte d'amour. Toute l'idée de l'Église est de nous faire vivre dans le mystère du Christ.
Voilà pourquoi il n'est pas nécessaire d'avoir de grandes idées. L'Église nous invite à demeurer dans la méditation toute simple des textes qu'elle nous propose : Jean, chapitres 13 à 17. Les textes sont suffisamment nombreux pour nous donner la nourriture dont nous avons besoin. N'allons pas chercher ailleurs. Le mystère du Christ est là, il se dévoile, à nous d'être présents. De plus ces textes centrent tout sur l'unité qu'il y a entre le Père et le Fils, cette unité qui repose dans l'Église.
Demandons au Seigneur de méditer le mystère du Christ comme Marie l'a médité avec cette humilité, cette tranquillité, cette sérénité qu'elle a manifestées au plus profond de sa souffrance atroce.
Ce jour nous révèle le mystère d'un amour trahi, bafoué, rejeté mais qui par delà tout cela est vainqueur. L'Église sait qu'à travers ce poids de souffrance, c'est le mystère de la Gloire du Père qui s'exprime c'est-à-dire le mystère de son amour.
Enfonçons-nous dans le silence plein d'amour et demeurons dans la paix. Allons à la rencontre du Seigneur.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons dans la Passion et la Gloire du Christ

lundi 26 mars 2018

En intériorisant... Marie-Joseph Le Guillou, Comment vivre la Semaine Sainte


Voici quelques points de réflexion à intérioriser avant d'entrer dans la liturgie des jours saints que sont le Jeudi Saint, le Vendredi Saint et la Vigile Pascale.
Le mystère pascal est la traduction française de Sacramentum pascalae, au sens où le mystère nous engage en lui et fait de nous des transfigurés. Les célébrations de la Semaine Sainte sont très éclairantes et nous aident à comprendre, au sommet de l'année liturgique, toute la réflexion de l'Église pendant le Carême. Ne séparons pas la Semaine Sainte du Carême.
Soyons disponibles à l'action de l'Esprit Saint en nous. La Semaine Sainte est une semaine de grâces et même de joie car au cœur du Vendredi Saint, nous savons que la joie éclatera au matin de Pâques. La plénitude du don du Seigneur nous met dans un climat d'action de grâces car le mystère pascal du Christ nous atteint, nous transforme et fait de nous des êtres nouveaux. Voilà pourquoi la joie peut jaillir dans nos cœurs : c'est une joie grave et sereine. Le Seigneur peut nous rendre disponibles et faire de nous ce qui lui plaît.
Centrons-nous sur le don de Dieu. Nous allons participer à la mort et à la résurrection du Christ. Laissons-nous emporter par ce mouvement même qui mène à la vie. Le visage du Christ nous apparaîtra comme le visage même de Dieu. Notre Dieu est, en vérité, le Dieu de la croix et de la résurrection. La révélation de la Trinité s'est faite sur la croix. La réalité la plus extraordinaire est que le Christ, Fils de Dieu, se soit fait homme et qu'il soit mort sur une croix. Voilà pourquoi, la Pâque, du Jeudi Saint au dimanche de Pâques est si importante. Nous ne nous appartenons plus : notre vie est au Christ, notre mort est au Christ. Tout lui appartient, nous pouvons donc tout lui donner.
Ces trois jours saints sont décisifs pour l'histoire de l'humanité. L'action liturgique que nous allons suivre pas à pas est le don total fait par Dieu à tous les hommes. Le seul souhait à faire est celui de saint Paul : « Entrez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu » (Éphésiens 3, 18). C'est vraiment la Pâque qui nous fait passer dans le mystère de Dieu et nous y intègre.
Si vous le pouvez, certains textes de l'Écriture sont à lire avant d'aborder les jours saints :
― La lettre aux Hébreux. Elle sera commentée inlassablement, soit pour nous présenter le Christ, soit pour nous appeler à persévérer dans la foi. Le Seigneur nous a parlé une fois pour toutes et il s'est offert pour nous une fois pour toutes.
  L'évangile de saint Jean. Sa lecture qui se fait dans la liturgie tout au long du Carême sera reprise le Vendredi Saint avec une magnificence et une sobriété étonnantes.
Les quatre chants du Serviteur se trouvent dans le prophète Isaïe à partir du chapitre 42 jusqu'au chapitre 53. Ils sont comme le résumé de tout l'ancien testament et ont une place extraordinaire dans la vie de l'Église. Le Christ lui-même se présente comme le Serviteur souffrant et l'Église le reconnaît sous les traits de ce Serviteur. C'est le cœur de la Parole de Dieu : toutes les prophéties trouvent ici leur accomplissement fondamental. Ce texte nous parle du Christ : il est personnellement celui qui rassemble les hommes et étant tous les hommes, ce qui se passe en lui doit se passer dans ses membres. Ces textes nous donnent la plénitude du sens que l'Église place au cœur de la liturgie, le Vendredi Saint, car il nous dit tout le mystère du Christ : « Il offre sa vie en expiation...il s'est livré lui même à la mort...il portait le péché de la multitude » (cf. Isaïe 53, 10-12)
Comment lire ces textes de l'Écriture ? La Parole de Dieu doit être relue, remâchée, reprise inlassablement. Il convient de ruminer tous les textes et de les voir dans l'unité. Nous avons à nous laisser prendre par cette parole qui nous est proposée par l'Église et qui, à cause de cela, devient source de salut. Le salut de Dieu se manifeste : nous devons écouter les paroles du Serviteur souffrant comme les prophéties que le Seigneur reprend à son propre sujet. Il en va de même pour les évangiles. Ce que le Seigneur veut, c'est que nous y découvrions son exégèse, et son exégèse est celle qui prend tout l'Ancien Testament et l'éclaire par la réalité de la Résurrection. « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa Gloire ? » (Luc 24, 26). Nous sommes des ressuscités qui écoutons le Ressuscité. Dans l'Église, la Parole de Dieu est une parole vivante qui pénètre notre cœur, nous met en question et nous invite à aller au plus profond de nous-mêmes. Le Christ nous parle personnellement, nous avons à tendre l'oreille, à l'écouter comme le Serviteur ; cette parole nous concerne tous puisqu'il s'agit de la vie de l'Église et que la vie de l'Église est nôtre.
Les célébrations de la Semaine Sainte n'ont qu'un but, celui de nous introduire davantage dans notre vocation d'enfants de Dieu en participant à la croix et à la résurrection du Christ. Se préparer à la Semaine Sainte, c'est préparer son cœur à recevoir le mystère de Dieu. Si l'Église prend trois jours pour méditer sur la Passion et la Gloire du Christ, c'est parce que le cœur de sa vie est là. Tout est donné dans ce mystère : le passé et l'avenir sont dans le présent de Dieu. Il s'agit pour nous d'être sacramentellement contemporains de la Passion du Christ. Nous sommes pris dans ce mystère dans lequel le Christ entre librement. Notre attitude principale doit être une écoute active parce que très consciente, très lucide et très disponible.
À travers tout le mystère célébré, Dieu va se faire plus proche que jamais, pourtant à travers l' intériorité de sa présence, le sens de sa transcendance nous sera donné. Le visage de Dieu se dévoile comme un visage plein de pitié, de compassion, d'ouverture à tous les hommes. Dieu se révèle au matin de la résurrection comme celui qui a transformé le monde à tout jamais, qui attend le don de notre liberté pour une coopération fructueuse et qu'ainsi se manifeste sa Gloire.
Comme le Christ est mort pour tous les hommes, nous avons à vivre le mystère pascal pour tous les hommes. La liturgie est un don de Dieu pour que nous nous donnions à lui. Nous recevons les dons du Seigneur, le plus grand est celui de l'Eucharistie. Nous avons à suivre le chemin du Christ, c'est-à-dire à entrer dans son mouvement par lequel Il rend grâces à son Père et se livre tout entier à nous. Le visage de Dieu transparaît dans ce mystère qui est vraiment la clé de toute l'Écriture qui s'accomplit. Pour accueillir ce mystère, il faut demander au Saint Esprit qu'il mette en nos cœurs le don de sagesse et le don d'intelligence. Saint Paul le demande sans cesse pour ses propres disciples.
Le don de sagesse nous permet de tout voir dans le mystère de Dieu et de tout reprendre dans ce même mystère. Alors ne nous laissons pas impressionner par les choses extérieures et en conséquence, nous pouvons garder notre liberté intérieure comme le Christ garde sa liberté en entrant dans sa Passion. Nous avons à être dociles au Christ en le laissant nous mener par les chemins qu'il veut, là où il veut, de la manière qu'il veut.
Remercions l'Église de nous avoir donné une telle liturgie qui est un don de Dieu auquel il faut répondre de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de toutes nos forces.


Vigile Pascale
Saint Augustin dit que la veillée pascale est la veillée-mère de toutes les saintes veillées, c'est-à-dire la veillée par excellence.
Après que le diacre ait chanté l'annonce de la Pâque et que le prêtre ait béni le feu auquel s'allume le cierge pascal, les fidèles sont invités à se transmettre la lumière. On peut alors commencer la liturgie de la Parole au cœur de l'église embrasée par la lumière de tous les cierges. La liturgie de la Parole reprend sept grands textes de l'Ancien Testament depuis la Genèse jusqu'au prophète Ézéchiel annonçant au peuple en exil une eau pure, un cœur nouveau et un esprit nouveau. Toute l'histoire d'Israël est reprise au cours de ces lectures montrant bien l'accomplissement des prophéties.
Le texte principal est la lecture du livre de l'Exode au chapitre 14,15 à 15,1. C'est la libération d'Israël par le passage à pied sec de la Mer Rouge. Les eaux se fendent, les fils d'Israël passent. Les eaux se referment, les Égyptiens qui poursuivaient les Hébreux sont engloutis par la mer. L'essentiel est d'en saisir la signification profonde. Les Hébreux sont libérés de l'esclavage des Égyptiens. Cette libération symbolise la libération du péché et annonce la nouvelle naissance dans l'eau du baptême.
À travers tout son passage dans le désert, Israël découvre qu'il est vraiment le peuple de Dieu voué à lui seul. Les fils d'Israël sont libérés d'Égypte pour aller rendre un culte à Dieu sur le Sinaï. Le passage de la mer rouge nous renvoie en effet au chapitre 24 de l'Exode. Moïse annonce au peuple que Dieu a fait alliance avec lui et pour le montrer, Moïse fait un sacrifice en immolant à Dieu des jeunes taureaux en sacrifice de communion. « Moïse ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : « Ceci est le sang de l'Alliance que Dieu a conclue avec vous moyennant toutes ses lois » (Exode 24,8). Le peuple est pris dans la libération du Seigneur. C'est donc un texte cultuel. La libération du peuple est toujours vue en perspective cultuelle. Il est important de le souligner car on peut entendre parler de la théologie de la libération. Ne tombons pas dans l'erreur commise trop souvent : la libération n'est pas pour une libération humaine mais c'est une libération pour un culte en vue de rendre gloire à Dieu.
Une remarque encore. On parle souvent des genres littéraires, historiques ou poétiques des textes de l'Écriture. Il faut s'attacher au sens spirituel de la Parole de Dieu et savoir que le Seigneur utilise des procédés pour faire comprendre à son peuple ce qu'il porte au plus profond de lui-même et qui le libère. L'exode est une libération merveilleuse par le Seigneur mais il ne faut pas en rester aux images. Elles sont là pour nous faire comprendre le dessein du Seigneur et pour nous faire entrer dans son mystère d'amour.
La veillée pascale est centrée sur la libération des fils d'Israël et sur le don de l'Esprit. Si des catéchumènes sont baptisés dans la nuit de Pâques il y a la bénédiction de l'eau baptismale avec une insistance sur le don de l'Esprit puisque nous participons de manière tout à fait spéciale à la mort et à la résurrection du Christ avant de participer à l'Eucharistie. N'oublions jamais que dans la tradition ancienne, l'initiation chrétienne comprend toujours d'un seul tenant : le Baptême, la Confirmation et l’Eucharistie.
Israël n'a pas été fidèle à l'alliance. Dieu va promettre aux fils d'Israël de leur donner un cœur nouveau et un esprit nouveau et ainsi renouvelle son alliance avec eux. De la même manière, la liturgie nous invite, nous qui sommes baptisés, à renouveler les promesses de notre baptême. Par là même, en cette veillée pascale, Dieu réactualise notre baptême de façon solennelle et nous demande d'y correspondre chaque jour.
Puis la liturgie eucharistique se célèbre dans la joie de la résurrection.
Arrêtons-nous, autant que nous pouvons le faire, sur le contenu de la résurrection. Méditons pour commencer sur le texte de la lettre aux Romains de saint Paul au chapitre 1, v. 1 à 7 :
Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu que d'avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures, concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus-Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour prêcher, à l'honneur de son nom l'obéissance de la foi parmi tous les païens, dont vous faites partie, vous aussi, appelés de Jésus-Christ, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ.
La longueur de la phrase indique qu'il s'agit d'une affirmation extrêmement importante et solennelle ; elle s'organise autour d'un centre dont tout dépend : Jésus-Christ notre Seigneur. C'est une grande confession de foi dans laquelle saint Paul indique que le but de l'Écriture est contenu dans l'Évangile, que la foi, l'apostolat, l'envoi en mission, le salut universel nous sont donnés en Jésus-Christ.
Il y a un parallélisme remarquable entre « Fils, issu de la lignée de David selon la chair » et « Fils, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts ». L'antithèse entre les deux natures du Christ est la résurrection d'entre les morts. Celle-ci est la cause de la révélation de Jésus comme Seigneur. C'est le cœur de la théologie de Paul et de la théologie pré-paulinienne présente dans le message évangélique bien avant Paul. Nous avons cette même doctrine de la christologie dans les actes des apôtres et notamment dans le premier discours de Pierre au moment où il annonce, le jour de la Pentecôte, le mystère du Christ :
Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude : Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié.
Actes 2, 36
Nous trouvons la même proclamation dans le discours de Pierre chez Corneille :
Dieu a envoyé sa parole aux Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c'est lui, le Seigneur de tous. Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée : Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean ; comment Dieu l'a oint de l'Esprit Saint et de puissance... Dieu l'a ressuscité le troisième jour... et il nous a enjoint de proclamer au peuple et d'attester qu'il est, lui, le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts.
Actes 10, 36-38, 40, 42
La filiation divine de Jésus est mise en relation directe avec la résurrection. Il est capital de retenir que la filiation divine de Jésus est manifestée, c'est-à-dire rendue visible par sa résurrection. La Résurrection ne crée pas la filiation de Jésus mais au contraire la révèle et souligne l'acte de Dieu.
Le Christ est le Fils de Dieu par excellence comme le souligne saint Paul dans la deuxième épître à Timothée : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts issu de la race de David, selon mon Évangile » (2 Timothée 2, 8). Issu de la race de David : c'est toute l'histoire d'Israël qui trouvera un jour son achèvement glorieux. Ressuscité d'entre les morts : la résurrection des morts a inauguré des temps où l'Esprit sera la marque d'une économie nouvelle. Jésus-Christ : Oint, le Messie, implique l'idée de l'Esprit Saint. L'ère qui s'ouvre recevra le don de l'Esprit qui emplit le Fils et qui est le déploiement de sa force. L'Esprit lui-même agira en puissance. Jésus notre Seigneur n'est pas seulement celui devant lequel on plie le genou mais il est la source de tout apostolat. L'ancien Israël a fait place au véritable Israël, le premier étant restreint. L'Église est universelle. Le premier Israël était lié à une race, désormais c'est un peuple qui est élevé au rang du Seigneur Jésus-Christ, souverain de tous les peuples. La résurrection n'est pas un fait statique, elle engage tout le mystère du salut et toute l'humanité. La résurrection n'est pas une doctrine extérieure à l'homme. Si celui-ci croit, l'évangile devient vivant et crée une relation de personne à personne. La résurrection est cette création de relations interpersonnelles. Il n'y a de foi que dans une rencontre en vertu de laquelle le sujet croyant participe à l'action libératrice de Dieu.
Alors qu'est-ce que la résurrection ? Le Christ reprend un corps, son corps qui n'a jamais cessé d'être uni à la divinité, qui a été séparé de son âme mais qui n'a pas été séparé de la divinité. Jésus a un corps glorifié, c'est-à-dire un corps véritable. Les Évangiles insistent beaucoup sur le fait de toucher le Christ : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai » (Luc 24,38). Le Christ est un vivant en relation personnelle avec chacun d'entre nous par la foi. C'est un vivant empli de l'Esprit Saint qui n'est là que pour donner la plénitude de l'Esprit à chacun d'entre nous. La résurrection du Christ n'est pas comme la résurrection de Lazare. Lazare est ressuscité selon la chair, il n'est pas ressuscité selon l'Esprit. Il est ressuscité et doit mourir de nouveau. La résurrection du Christ est un passage à un monde nouveau. Le Christ vit dans l'Esprit Saint et a un corps tout entier transfiguré par la présence de l'Esprit Saint. C'est un homme, issu de la lignée de David qui vit sous l'emprise de l'Esprit Saint.
Le Christ ne ressuscite pas le Vendredi Saint, ni au moment de sa mort. Il a été réellement mort trois jours au sens biblique du mot. C'est une formule qui marque l'action eschatologique de Dieu comme nous la trouvons déjà dans le prophète Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur, Il a déchiré, Il nous guérira ; Il a frappé, Il pansera nos plaies. Après deux jours, Il nous fera revivre, le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en Sa présence ». (Osée 6, 1-2). Ce texte dit la puissance de Dieu à l'œuvre dans le monde et dans nos vies.
Dans l'Église primitive, la profession de foi faisait dire aux chrétiens : « Je crois au Saint Esprit dans l'Église catholique pour la résurrection d'entre les morts ». Nous participons ainsi à ce qui a été le mystère du Christ. Saint Paul nous dit dans l'épître aux Colossiens :
Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire.
Colossiens 13, 1-4
Notre vie est cachée en Dieu mais nous faisons déjà l'expérience de la résurrection de façon mystérieuse. Nous sommes marqués du signe de la résurrection pourtant non encore rendue présente visiblement. Cela se manifeste dans la charité fraternelle en attendant les embrassades du ciel.
Il faut voir le ciel de façon réaliste : c'est notre monde transfiguré. L'Esprit est à œuvre, il nous fait vivre de la Gloire de Dieu, de la Vie même de Dieu. La résurrection est l'affirmation de la Vie de Dieu pénétrant notre être jusqu’au plus profond de nous-même.
Le Christ agit dans son corps à travers les sacrements parce qu'il est empli de l'Esprit. Il n'y aurait pas de sacrements si le Saint Esprit n'était pas agissant dans le corps du Christ glorieux. On aurait pu imaginer que le Christ nous sauve sans contact avec lui. Il veut que nous le rencontrions dans sa mort, dans sa résurrection, dans le pardon des péchés, dans toute notre vie. Il s'agit d'annoncer au monde entier que le Christ est le Ressuscité. Voilà pourquoi l'Église chante le jour de Pâques : « Ô ma joie, Christ est ressuscité, oui, Il est vraiment ressuscité ». C'est le bonjour des chrétiens ce jour-là, ils se rencontrent dans le Ressuscité. Cela demande un regard de foi, il s'agit d'entrer dans ce mystère de résurrection, mystère de la vie du Christ.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons dans la Passion et la Gloire du Christ