vendredi 31 janvier 2020

En bénissant... Charles Baudelaire, Je sais que la douleur est la noblesse unique



Bénédiction

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :

« Ah ! que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! »

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'Enfant déshérité s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques :
« Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer ;

Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins !

Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main ;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dédain ! »

Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le Poète serein lève ses bras pieux,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux :

« Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés !

Je sais que vous gardez une place au Poète
Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête,
Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
À ce beau diadème éblouissant et clair ;

Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! »

Charles Baudelaire, in Les Fleurs du mal

mardi 28 janvier 2020

En testant... Mère Teresa, J'ai soif !



Mes très chers enfants, sœurs, frères et pères,
Cette lettre étant très personnelle, j’aurais voulu l’écrire de ma propre main, mais il y a tant de choses à dire que j’ai renoncé… si elle n’est pas de ma main, elle sort de mon cœur !
Jésus veut que je vous dise encore combien Il a d’amour pour chacun d’entre vous, au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Je m’inquiète de ce que certains d’entre vous n’aient pas encore vraiment rencontré Jésus, seul à seul : vous et Jésus seulement. Nous pouvons certes passer du temps à la chapelle, mais avez-vous senti – avec les yeux de l’âme – avec quel amour Il vous regarde ? Avez-vous vraiment fait connaissance avec Jésus vivant, non pas à partir de livres mais pour L’avoir hébergé dans votre cœur ? Avez-vous entendu Ses mots d’amour ? Demandez Sa grâce : Il a l’ardent désir de vous la donner. Tant que vous n’écouterez pas Jésus dans le silence de votre cœur, vous ne pourrez pas l’entendre dire « J’ai soif » dans le cœur des pauvres. N’abandonnez jamais ce contact intime et quotidien avec Jésus comme personne réelle vivante, et non pas comme pure idée.
Comment pourrions-nous passer un seul jour sans écouter Jésus dire « Je t’aime » ? C’est impossible ! Notre âme en a besoin autant que notre corps a besoin de respirer. Sinon, la prière meurt et la méditation dégénère en simple réflexion. Jésus veut que chacun de nous L’écoute, Lui qui vous parle dans le silence du cœur. Soyez attentifs à tout ce qui pourrait empêcher ce contact personnel avec Jésus vivant. Le diable essaiera de se servir des blessures de la vie, voire de vos propres fautes, pour vous persuader qu’il n’est pas possible que Jésus vous aime réellement. Attention : ceci est un danger pour nous tous ! Mais le plus triste est que cela est complètement contraire à ce que Jésus voudrait  vous dire : Jésus ne fait pas que vous aimer, Il vous désire ardemment. Vous Lui manquez quand vous ne vous approchez pas de Lui. Il a soif de vous. Il vous aime en permanence, même quand vous ne vous en sentez pas digne. Lorsque vous n’êtes pas acceptés par les autres – ou même parfois par vous-mêmes – Il est celui qui, toujours, vous accepte.
Mes enfants, vous n’avez pas besoin d’un masque pour que Jésus vous aime. Croyez simplement que vous Lui êtes précieux. Apportez vos souffrances à Ses pieds et ouvrez seulement votre cœur pour qu’Il vous aime tels que vous êtes. Et Lui fera le reste.
Chacun de vous sait, en sa conscience, que Jésus l’aime, mais, avec cette lettre, je voudrais plutôt m’adresser à votre cœur. Jésus désire remuer nos cœurs pour ne pas perdre notre premier amour, spécialement à l’avenir, quand je vous aurai quittés.
C’est pourquoi, je vous demande de lire cette lettre devant le Saint-Sacrement, là même où elle est écrite, afin que Jésus Lui-même puisse parler à chacun de vous.
Pourquoi vous dis-je cela ? La lettre du Saint-Père sur J’ai soif 1 m’a tellement frappée que j’aurais du mal à vous dire ce que j’ai ressenti. Cette lettre m’a permis de découvrir encore davantage la beauté de notre vocation. Combien est grand l’amour de Dieu envers nous pour qu’Il ait choisi notre congrégation afin d’étancher cette soif de Jésus – soif d’amour, soif d’âmes – en nous donnant une place spéciale dans Son Église.
Et en même temps, nous rappelons au monde cette soif, en passe d’être oubliée. J’ai écrit au Saint Père pour le remercier. Cette lettre du Saint Père est un signe pour cette grande soif qu’éprouve Jésus pour chaque être humain.
C’est aussi un signe pour moi, signe que le temps est venu de parler ouvertement du don fait par Dieu le 10 septembre : d’expliquer – autant que je le puis – ce que signifie pour moi la soif de Jésus.
La soif de Jésus est une chose si intime, que, jusqu’à présent, la prudence m’a empêché de vous parler de ce qui arriva à ce sujet un 10 septembre. Je pensais imiter ainsi Notre Dame qui « gardait toutes ces choses dans son cœur ». C’est pourquoi je n’ai pas tellement parlé du J’ai soif, en particulier en public. Pourtant mes lettres et instructions la désignent toujours, montrant les moyens d’étancher cette soif par la prière, l’intimité avec Jésus et le respect de nos vœux, surtout le quatrième.
Il est très clair que tout chez les Missionnaires de la Charité vise à étancher la soif de Jésus. Ses paroles, écrites sur le mur de toute chapelle des Missionnaires de la Charité,  ne sont pas du passé, elles sont vivantes, ici et maintenant, et elles ont été dites pour chacun d’entre vous. Le croyez-vous ? Si oui, vous entendrez et vous sentirez sa présence.
Laissez-Le devenir aussi intime en vous qu’Il l’est en moi ; ce sera la plus grande joie que vous puissiez m’offrir. J’essaierai de vous aider à comprendre, mais c’est Jésus lui-même qui est seul à pouvoir vous dire J’ai soif !
Écoutez votre propre nom. Et pas seulement une fois. Chaque jour. Si vous écoutez avec votre cœur, vous entendrez, vous comprendrez.
Pourquoi Jésus dit-Il J’ai soif ? Quel en est le sens ? c’est très difficile de l’expliquer avec des mots. Pourtant, si vous deviez retenir une seule chose de cette lettre, que ce soit ceci : J’ai soif est une parole beaucoup plus profonde que si Jésus avait simplement dit : « Je vous aime ». Tant que vous ne saurez pas, et de façon très intime, que Jésus a soif de vous, il vous sera impossible de savoir qui Il veut être pour vous ; ni celui qu’Il veut que vous soyez pour Lui.
Le cœur et l’âme des Missionnaires de la Charité consiste exclusivement en ceci :
La soif du Cœur de Jésus, caché dans les pauvres.
Voilà la seule source de tout ce qui fait la vie des Missionnaires de la Charité.
Cela vous donne, et notre but et notre quatrième vœu, et l’esprit de notre Congrégation. Étancher la soif de Jésus vivant parmi nous est sa seule raison d’être et son unique objectif. Pouvons-nous en dire autant de nous-mêmes : est-ce notre seule raison de vivre ? Posez-vous donc la question suivante : si la soif de Jésus n’était plus notre but et n’était plus inscrite au mur de notre chapelle, est-ce que cela entraînerait une quelconque différence dans ma vocation et dans ma relation avec Jésus et dans mon travail ? Cela changerait-il quelque chose dans ma vie ? En ressentirai-je une quelconque perte ? Posez-vous ces questions honnêtement et que, pour chacun, ceci soit un test pour découvrir si la soif de Jésus est une réalité vivante (dans sa vie) et pas simplement une belle idée…
« J’ai soif » (Jean 19, 28) et « C’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25, 30) : rappelez-vous toujours qu’il faut lier ces deux paroles, c’est-à-dire le moyen avec le but. Que nul ne sépare ce que Dieu a uni.
Ne sous-estimez pas nos moyens si concrets – le travail pour les pauvres, aussi petit ou humble qu’il soit – qui font de nos vies une chose si belle aux yeux du Seigneur. Ce sont les dons les plus précieux de Dieu à notre Congrégation, à cause de cette présence cachée mais si proche de Jésus, si capable de nous toucher.
Dans notre travail pour les pauvres, notre but disparaîtrait, et la soif de Jésus se réduirait à des mots vides de sens et de réponse. Mais en unissant les deux, notre vocation de Missionnaires de la Charité restera vivante et réelle, telle que Notre Dame l’a demandé.
Soyez aussi avisés dans le choix des prédicateurs de retraite. Tous en effet ne comprennent pas bien notre esprit. D’ailleurs, même s’ils étaient savants et saints, cela n’impliquerait pas pour autant qu’ils perçoivent forcément bien notre vocation. S’ils venaient à vous dire quelque chose de différent de ce que j’écris dans cette lettre, je vous supplie de ne pas les écouter, ni de les laisser vous plonger dans la confusion. La soif de Jésus est le foyer, le point de convergence, le but de tout ce que sont et font les Missionnaires de la Charité.
L’Église l’a confirmé plusieurs fois : « notre charisme est d’étancher la soif de Jésus, soif d’amour pour les âmes, en travaillent au salut et à la sanctification des plus pauvres parmi les pauvres ». Cela, et rien que cela. Rien d’autre. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger ce don de Dieu à notre Congrégation.
Chers enfants, faites-moi confiance et soyez très attentifs à ce que je vous dis maintenant : seule la soif de Jésus, accompagnée de notre écoute, de notre recherche et de notre réponse très attentive ; seule cette soif gardera notre Congrégation vivante après que je vous aurai quittés. Si elle constitue le fond de votre vie alors tout ira bien pour vous. Un jour je vous aurai quittés, mais la soif de Jésus ne vous quittera jamais. Jésus assoiffé dans les pauvres, vous l’aurez toujours avec vous.
C’est pourquoi je veux que les Sœurs actives et les Frères actifs, les Sœurs contemplatives avec les Frères et les Pères s’aident mutuellement à étancher la soif de Jésus au moyen de leurs dons respectifs : en se soutenant, en se complétant les uns les autres, de sorte que vous formiez une famille unie autour de cet objectif unique.
Veillez à ne tenir ni les Coopérateurs, ni les laïcs Missionnaires de la Charité, à l’écart de cette demande, car cette vocation est aussi la leur. Aidez-les plutôt à la connaître.
Le premier devoir du prêtre étant le ministère de la prédication, j’ai demandé, il y a quelques années à nos Pères de commencer à prêcher sur ce thème : J’ai soif ! afin d’entrer plus avant dans le don que Dieu nous a fait le 10 septembre. Et comme je sens bien que Jésus désire beaucoup cela d’eux, dans les temps à venir, priez donc Notre Dame de les garder attentifs à cet aspect important de leur quatrième vœu. Notre Dame nous aidera tous à demeurer fidèles puisqu’elle fut – avec saint Jean, et, j’en suis sûr, Marie Madeleine – la première personne à entendre ce cri de Jésus : J’ai soif !
Au Calvaire, elle connut l’intensité et la profondeur de cet ardent désir de Jésus pour vous et pour les pauvres. Mais nous autres, le connaissons-nous ? Le sentons-nous comme elle ? Demandez-lui de vous l’apprendre car vous, et toute la Congrégation, êtes à elle. Sa mission est de vous amener à regarder en face l’amour du Cœur de Jésus crucifié comme cela arriva à Jean et Madeleine.
Auparavant, Notre Dame me le demandait mais maintenant c’est moi qui, en son nom, vous le demande, vous en supplie : écoutez la soif de Jésus.
Que cela soit pour chacun ce que le Saint-Père dit dans sa lettre : une Parole de Vie.
Comment vous approcher de la soif de Jésus ?
Un seul secret : plus vous viendrez à Jésus, mieux vous connaîtrez sa soif. « Repentez-vous et croyez en l’Évangile » nous dit Jésus. De quoi faut-il nous repentir ? De notre indifférence, de notre dureté de cœur.
Et que faut-il croire ? Que Jésus a soif, dès maintenant de votre cœur et des pauvres. Lui qui connaît votre faiblesse, désire néanmoins seulement votre amour : il veut simplement que vous Lui laissiez une chance de vous aimer.
Il est le Maître du temps. Chaque fois que nous nous approchons de lui, il nous associe à Notre Dame, à Saint Jean, à Marie-Madeleine.
Écoutez-le. Écoutez-le prononcer votre propre nom.
Et ainsi faites que ma joie, et la vôtre, soient complètes.
Prions. Et que Dieu vous bénisse.
Mère Teresa, Testament spirituel


1. Message de sa sainteté Jean-Paul II pour le carême 1993 « J’ai soif ».