mardi 26 avril 2011

En méditant... Hans Urs von Balthasar, Lui qui est ressuscité des morts

« Si le Christ n'est pas ressuscité, vide est notre foi » (1 Co 15, 14). Sans la Résurrection il n'y aurait pas eu de témoignage évangélique. Toute la vie de Jésus, y compris sa Passion, a été écrite pour témoigner de cette résurrection, et à sa lumière. L'aveu par les disciples eux-mêmes qu'avant la Résurrection ils n'avaient pas compris l'essentiel, les récits de leur incrédulité même devant le fait de la Résurrection, le complet retournement d'une Madeleine, des disciples d'Emmaüs, d'un Paul, tout cela est lié à la proclamation de Pâques.
La Résurrection est un événement trinitaire. Le Fils de Dieu a, par sa mort sur la croix, rempli sa mission ; il a rendu au Père, avec son esprit humain, également l'esprit de sa sainte mission. Comme homme, il ne peut pas par lui-même ressusciter ; c'est le Père qui, comme « Dieu des vivants » (Rom 4, 17), réveille le Fils d'entre les morts afin que, de nouveau uni à son Père, il envoie dans l'Église l'Esprit de Dieu.
Sans la Résurrection, tout le décret de salut trinitaire serait incompréhensible, et l’œuvre commencée dans la vie de Fils resterait dépourvue de sens. Cette vie était pour le monde, et même pour l'Ancien Testament, une exceptionnelle provocation, car Jésus se plaçait au-dessus de la Loi, comme s'il était, de cette Loi, le but et le sens. Israël doit se laisser porter au-dessus et au-delà de lui-même, pour parvenir à sa plénitude. Qu'il s'y refuse, cela est clair dès le début de la prédication de Jésus. Jésus savait ce que sa mission provocatrice devait lui apporter, et il allait, sans détourner les yeux, au-devant de sa mort. Les disciples le suivent effrayés (Mc 10, 32). Et cette frayeur leur reste dans les membres, même après la Résurrection (Mc 16, 8 ; Le 24, 22 et 37). Ils ne sont aucunement préparés à comprendre ce que pourrait être une résurrection non « au dernier jour », mais en pleine actualité contemporaine. Que Jésus lui-même, dans sa passion, en a fini avec le monde et même avec l'avenir du monde, que pour lui c'est « le dernier jour » tandis qu'eux, disciples, séjournent encore dans le temps, c'est une vérité qui pour eux ne devait sortir que lentement des ténèbres. Et il sera encore plus difficile à comprendre que toute la vie de l'Église doit rester désormais marquée par l'événement un et double de la Croix et de Pâques. Pour comprendre cela, pour le vivre pleinement, il leur fallait recevoir en partage l'Esprit du Christ, qui est en même temps l'Esprit du Père, par qui toute chose est conçue et menée à bien.
Mais recevoir l'Esprit du Christ et du Père, c'est également accueillir le don essentiel de Dieu : le corps et le sang du Fils, que le Père présente au monde par la puissance opératrice de l'Esprit. Réception de l'Esprit et Eucharistie sont deux côtés d'une même chose. Là où Jésus souligne avec l'éloquence la plus pressante qu'on ne saurait rien abattre du principe de manger sa chair et boire son sang (Jn 6, 53), il ajoute : « C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Jn 6, 63). Depuis que l'Esprit a accompagné l'incarnation du Fils, et, en lui, a fait pour ainsi dire une expérience du monde, il reste pour toujours inséparable de la chair et du sang.
C'est pourquoi l'Église assemblée à Pâques rencontrera un Christ rempli de l'Esprit mais bien corporel. Il leur donne son Esprit en soufflant sur eux (Jn 20, 22), mais veut aussi être touché, pour qu'on ne croie pas qu'il est un « esprit » (Lc 24, 39). Et après l'Ascension, l'Église sera dans une double attente : de l'Esprit Saint promis, et du retour du Seigneur, dont elle anticipe l'arrivée dans la cérémonie prescrite de la fraction du pain. Le témoignage que les disciples ont reçu et doivent continuer n'est complet, d'après Jean, que lorsque l'eau (baptême), le sang (eucharistie) et l'Esprit sont réunis (1 Jn 5, 7). La rencontre du Seigneur à Pâques doit déboucher dans la réception de l'Esprit pour que le Seigneur soit reconnu et pour qu'il puisse envoyer celui qui le reconnaît, et la possession de l'esprit n'habilite à rien d'autre qu'à proclamer et témoigner que Dieu le Père nous a donné son Fils, mort pour nous et ressuscité.
Mais l'Église est désormais celle qui a été fondée sur la croix, l'assemblée des croyants autour de ceux qui ont reçu des fonctions, avec Marie au milieu d'eux. C'est à elle, comme semence de l'Église, que le Fils, sans aucun doute, est apparu en premier (Ignace, Exerc. n° 299). C'est elle qui, visitée avant tous par l'Esprit, a conçu le corps du Verbe. Groupée autour d'elle, l'Église prie pour qu'il lui arrive ce qui est arrivé en archétype à Marie. Et Marie elle-même prie de nouveau pour cela : elle prie comme étant l'Église, comme centre de la communauté des saints, pour que l'Incarnation du Verbe, parachevée dans la croix et la Résurrection, se communique à la communauté entière.
Si nous considérons comment cette prière est exaucée, comme le racontent les Actes des Apôtres, et le répète l'histoire de l'Église dans son ensemble, une chose devient claire : toujours à neuf l'Esprit vient, et toujours à neuf il replace l'Église confessante sous le signe de Jésus-Christ : humiliation, persécution, croix. L'histoire des apôtres est remplie simultanément par la persécution de l'Église (les apôtres sont flagellés, Pierre emprisonné, Jacques mis à mort, Paul spécialement élu pour la souffrance, qui est dépeinte en termes dramatiques vers la fin du livre des Actes) — et par la marche victorieuse de l'Église « de Jérusalem à Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre ». Les deux choses se tiennent, la première est à la seconde une marque d'authenticité et de crédibilité. Paul, finalement, suit d'une manière exemplaire le chemin du Christ : livré par les frères chrétiens aux Juifs, et par ceux-ci aux païens ; et sa route vers Rome mène à un violent naufrage. Et outre cela, l'Évangile de Paul est celui du Crucifié définitivement ressuscité. « Le Seigneur, c'est l'Esprit » (2 Co 3, 17). « La mort n'exerce plus de pouvoir sur lui » (Rm 6, 9).
Cela met en pleine lumière l'incompréhensible paradoxe de la vie chrétienne : que le chrétien doit chaque jour prendre sur lui sa croix, pour ressusciter chaque jour avec le Seigneur. « Sans cesse, en effet, quoique vivants, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre chair mortelle » (2 Co 4, 11). 
On ne peut dire de l'Église que dans son histoire terrestre elle ne fait que mourir pour ressusciter seulement dans l'au-delà, ni qu'elle avance dans une pure vie ressuscitée, où la croix ne serait plus qu'un moyen de développement. La première idée serait un désaveu de l'Incarnation, la deuxième serait une rechute dans une espérance sécularisée à la façon de l'Ancien Testament. Pâques est une réalité sur terre, Mais ne nous éloigne pas de la croix, nous y ramène au contraire. Tout dans la Pâque, dans le passage de la mort à la vie, reste pour toujours actuel.


Hans Urs von Balthasar, in Méditations sur le rosaire