dimanche 3 avril 2011

En lisant... Claude Tresmontant, Le fait de la Création


Comme je l'ai déjà dit, nous connaissons aujourd'hui l'Univers sur une durée d'environ vingt milliards d'années [ndvi, ce texte date de 1980 : on estime aujourd’hui l’âge de l’univers à 13,7 milliards d’années]. Nous avons une idée de ce qu'il était dans ses premiers instants : matière et rayonnement ; des électrons et leurs antiparticules, les positrons, des photons, des neutrinos et des antineutrinos. Les astrophysiciens évaluent la température de l'Univers dans les tout premiers instants, dans les premiers centièmes de secondes, à environ cent milliards de degrés Kelvin1.
Très vite, l'Univers se détend et donc se refroidit.
Ce qui est d'ores et déjà certain, c'est qu'au cours du temps la matière, qui constitue ce que nous appelons aujourd'hui l'Univers, se trouve emportée dans un processus de composition croissante : en physique, les atomes les plus complexes sont aussi les plus récents. L'Univers est en régime de composition depuis environ vingt milliards d'années. Les étoiles, les galaxies, se sont formées progressivement, certaines étoiles sont encore aujourd'hui en régime de formation. Nous savons aujourd'hui que l'Univers est un gaz de galaxies, c'est-à-dire un gaz dont chaque molécule est une galaxie. Or une galaxie comme la nôtre, celle dans laquelle nous sommes, comporte environ cent milliards d'étoiles.
Notre étoile, c'est-à-dire celle que nous appelons le soleil, s'est formée sans doute il y a un peu plus de cinq milliards d'années. Notre système solaire a donc à peu près cet âge. Notre vieille planète est de formation un peu plus récente : environ quatre milliards six cents millions d'années. Mais tous ces chiffres sont susceptibles de révision.
Sur notre obscure planète, la Terre, dès qu'elle a été physiquement prête, la matière a continué son processus de composition. Des atomes arrangés avec d'autres atomes, cela donne des molécules. Des molécules arrangées avec d'autres molécules, cela donne des molécules géantes. Des molécules géantes arrangées avec des molécules géantes, cela donne des molécules qui sont des télégrammes, des bibliothèques, qui contiennent toutes les instructions ou informations nécessaires pour commander à la construction d'un être vivant, d'abord monocellulaire, puis plus complexe, composé ou constitué de millions puis de milliards de cellules différenciées, spécialisées.
C'est donc une loi générale de l'histoire de l'Univers et de la matière qui se découvre à nous en cette fin du XXe siècle.
Au cours du temps, la matière se trouve prise et emportée dans un processus de composition qui la porte vers des structures de plus en plus complexes et donc de plus en plus improbables, du point de vue statistique.
En un langage plus simple : Dans l'Univers, l'information augmente constamment au cours du temps. L'Univers est un système historique, évolutif, génétique, dans lequel l'information augmente d'une manière irréversible.
On trouve, dans tous les bons ouvrages de physique et de biochimie, des exposés sur la genèse et la complexification de la matière, la formation des noyaux lourds, etc.2; sur l'étude de la formation des molécules à partir des atomes, et des molécules géantes à partir des molécules antérieures qui sont plus simples3. En somme, aujourd'hui, nous pouvons étudier l'histoire de l'Univers et l'histoire de la matière.
Nous savons aujourd'hui que les premiers êtres vivants, les plus simples, sont apparus sur notre planète Terre il y a environ trois milliards et cinq cents, ou six cents millions d'années. Là encore, les chiffres peuvent être révisés.
Ce qui est certain, c'est que les premiers êtres vivants parus, j'allais dire publiés, - ont été les plus simples : des systèmes biologiques constitués d'une seule cellule. Le message génétique. nécessaire pour commander à la construction d'un tel système biologique est cependant déjà extrêmement riche en information, car il doit contenir toutes les instructions ou informations requises pour commander non seulement à la construction d'un système biologique déjà très complexe, capable de subsister en renouvelant tous les atomes qu'il intègre, mais, de plus, capable de se reproduire, de communiquer à d'autres l'information génétique qu'il contient, capable aussi de s'adapter au milieu, et capable, enfin, d'évoluer, de se transformer. Car, de fait, ces systèmes biologiques monocellulaires ont évolué et se sont transformés. Voir dans un bon ouvrage de biologie fondamentale la description de ces systèmes biologiques élémentaires, les premiers vivants, les plus simples4.
Après les systèmes biologiques les plus simples, sont venus des systèmes biologiques de plus en plus complexes : c'est l'histoire naturelle des êtres vivants.
Les traités de zoologie5 nous présentent cette histoire de l'invention progressive, depuis plus de trois milliards et demi d'années, de tous les êtres vivants qui ont peuplé notre planète. Certains de ces êtres sont encore autour de nous. La plupart sont disparus. Nous les connaissons par les fossiles.
Ce qui apparaît certain, lorsqu'on étudie cette longue histoire, c'est qu'au cours du temps des systèmes biologiques de plus en plus complexes apparaissent, constitués de cellules différenciées, d'organes spécialisés. Et donc, pour commander à la genèse ou à la formation de ces systèmes biologiques de plus en plus complexes, de plus en plus différenciés et spécialisés, il a bien fallu des messages génétiques de plus en plus riches en information et contenant toutes les instructions requises pour commander à la genèse de ces systèmes. C'est ce que les biologistes et les biochimistes nous disent en effet aujourd'hui : les messages génétiques, au cours du temps, augmentent en taille et en richesse, du point de vue de l'information.
Au cours du temps, la vie s'oriente vers la composition d'organismes de plus en plus mobiles, autonomes et pourvus d'un système nerveux de plus en plus développé. L'encéphale augmente continuellement en taille et en complexité au cours de l'histoire naturelle. L'histoire naturelle de la vie se présente à nous comme une montée irréversible vers des psychismes de plus en plus développés.
Les premiers êtres vivants parus sont des psychismes, élémentaires, rudimentaires, mais des psychismes quand même. Il n'existe pas d'être vivant qui ne soit un psychisme. Tout ce qui est biologique est aussi psychique.
La biologie et la psychologie, - la psychologie expérimentale s'entend, animale et humaine, - portent sur la même réalité : les êtres vivants, qui sont des systèmes biologiques, et qui sont des psychismes, d'une manière, indissociables.
Descartes s'est donc lourdement trompé sur ce point, lui qui pensait que les animaux sont des machines et ne sont pas des psychismes. Le même s'est d'ailleurs aussi lourdement trompé en croyant que notre organisme est une machine. Une machine ne se répare pas elle-même, ne se régénère pas, ne se développe pas, ne grandit pas, et ne renouvelle pas constamment et sans cesse tous les atomes qu'elle intègre.
Au cours du temps, avec le développement neurophysiologique, corrélativement au développement neurophysiologique, le psychisme se développe. Et avec l'Homme, un animal pourvu d'environ cent milliards de neurones (ce chiffre peut se modifier avec des découvertes à venir), apparaît un être pourvu non seulement de psychisme, mais de psychisme capable de réflexion, de connaissance, de prévision, de mémoire, de nostalgie, de regrets, de désirs conscients, de souvenirs charmants et de remords.
Au cours du temps, dans l'histoire naturelle des êtres vivants, le psychisme augmente d'une manière continuée et irréversible. Pour faire un être pourvu d'un cerveau constitué de plusieurs milliards de cellules nerveuses avec leurs connexions, il faut un message génétique d'une extraordinaire richesse du point de vue de la quantité et de la qualité d'information.
Les généticiens nous le disent, en effet : le message génétique de l'homme, celui qui est contenu dans le noyau du spermatozoïde et dans le noyau de l'ovule, c'est une immense bibliothèque, contenue dans une masse de matière infime, de quelques millionièmes de milligramme : de l'information presque sans masse.
Lorsqu'un homme et une femme qui s'aiment sont unis, l'homme communique à la femme des messages. L'un de ces messages va se combiner avec le message qui est contenu dans l'un des ovules que la femme garde en elle, et de la combinaison de ces deux messages, va résulter un nouveau message, un message original, tellement original et tellement nouveau que, – tous les biologistes sont d'accord sur ce point,
– l'enfant qui est ainsi conçu sera totalement et absolument original, unique dans toute l'histoire de la nature et de la vie. L'enfant qui est conçu est comme un poème unique et inouï, un poème inédit. Mais alors, me direz-vous, pour étudier le catéchisme, c'est-à-dire la doctrine chrétienne élémentaire, il faut s'initier à l'histoire de l'Univers, à l'histoire de la matière, à l'histoire de la vie, à l'histoire de l'Homme ? Dans le catéchisme de ma grand-mère, il n'y avait pas tout cela.
C'est vrai, mais nous, en cette fin du XXe siècle, nous avons besoin de voir, de comprendre et de savoir comment le christianisme s'insère dans l'histoire de l'Univers et de la nature, quelle est la place et la fonction du christianisme dans l'histoire de la création que nous découvrons par les sciences expérimentales. Car unique est l'auteur de la nature et de la grâce. Nous allons voir que tout ce que les savants découvrent et vont découvrir va nous servir pour mieux comprendre et connaître l'œuvre de la création.
De tout ce que les sciences expérimentales ont découvert depuis un siècle et plus, il apparaît que l'Univers est un système évolutif, historique, génétique, dans lequel l'information augmente d'une manière continue et irréversible, depuis les débuts jusqu'aujourd'hui.
Or, il est tout à fait évident que l'Univers, à un moment donné quelconque de son histoire, ne peut pas se donner à lui-même une information nouvelle qu'il ne possédait pas, précisément parce qu'il ne la possédait pas. Il faut donc bien reconnaître objectivement que l'Univers est un système historique, évolutif, génétique, qui reçoit constamment, au cours du temps, de l'information, de l'information créatrice, qui constitue des systèmes physiques et biologiques nouveaux.
Or l'athéisme est une philosophie qui prétend que l'Univers est seul : Il est le seul être, ou encore l'Être purement et simplement, ou encore l'Être absolu.
Si l'Univers est seul, le seul être, comme le prétend l'athéisme, alors il ne peut pas se donner à lui-même ce qu'il n'a pas, et il ne peut pas non plus le recevoir d'ailleurs ou d'un autre, puisqu'il est seul. L'Univers devrait donc rester ce qu'il est, ce qu'il était de toute éternité, et ne pas évoluer, ne pas s'enrichir en information.
Or l’Univers n’est pas aujourd’hui ce qu’il était il y a dix ou douze milliards d’années. Il y a dix ou douze milliards d’années, l’Univers était matière relativement simple. La vie n’était pas encore apparue, dans notre système solaire du moins. Et si d’ailleurs elle est apparue un peu plus tôt, ou peu plus tard, il reste certain qu’elle est apparue il y a quelque temps et l’Univers d’il y a dix ou douze milliards d’années ne pouvait comporter de systèmes solaires prêts physiquement à recevoir ces systèmes biologiques complexes que sont les êtres vivants.
Il faut donc bien reconnaître que l’Univers évolue au cours du temps et dans une direction très précise : vers la constitution de systèmes physiques et biologiques de plus en plus complexes. C’est-à-dire que l’information augmente au cours du temps.
L'athéisme est une philosophie qui assure que l'Univers est seul. Il ne peut donc pas recevoir d'information nouvelle. Et il ne peut pas non plus se la donner, puisqu'il ne l'a pas. Il devrait donc rester ce qu'il est, stagnant, fixé à ses formes initiales. Or de fait il évolue et il s'enrichit. C'est donc que l'athéisme est une philosophie fausse.
Si l'athéisme est vrai, alors l'Univers est seul, et il ne saurait donc s'enrichir en être nouveau, en êtres nouveaux. Or l'Univers est un système qui s'enrichit constamment en réalités nouvelles, originales, au cours du temps. Donc l'athéisme est faux.
L'athéisme, aujourd'hui, et compte tenu de ce que nous savons de l'histoire de l'Univers, est absolument impensable. On peut bien entendu continuer à l'enseigner, dans les universités, dans les lycées et même dans les écoles communales, mais on ne peut plus le penser, si toutefois on appelle penser : intégrer dans l'unité d'une synthèse qui n'implique pas de contradictions, l'ensemble des informations que nous recevons de l'Univers et de la nature par les sciences expérimentales.
Au fond, l'athéisme sera de plus en plus une philosophie pour les littéraires, pour ceux qui ignorent quelle a été l'histoire, l'aventure de l'Univers, de la matière, de la vie et de l'Homme.
La découverte de la création, du fait de la création, s'effectue parce que nous connaissons de mieux en mieux l'histoire de l'Univers, de la matière et de la vie. Nos aïeuls se représentaient plus ou moins la création comme une opération située exclusivement au début, au commencement. Ils se représentaient aussi la création comme une opération quasi instantanée, ou effectuée dans le cadre d'une semaine. En cette fin du XXe siècle, nous savons que la création, commencée il y a peut-être vingt milliards d'années (plus ? ou moins ? nous verrons) se continue depuis lors, par l'invention ou la composition de nouveaux systèmes physiques, de nouveaux atomes, de nouvelles étoiles, de nouvelles galaxies, de nouvelles molécules qui n'existaient pas auparavant, de nouveaux systèmes biologiques, qui n'existaient pas avant leur invention, - et cela jusqu'à nos jours, puisque l'Homme vient d'apparaître. L'Homo appelé sapiens par les paléontologistes (ils sont bienveillants...) est apparu il y a quelques dizaines de milliers d'années. Qu'est-ce que cela auprès des durées cosmiques ?
C'est parce que nous connaissons de mieux en mieux l'histoire de la création que nous découvrons de mieux en mieux le fait de la création, le fait de la création continuée, depuis environ vingt milliards d'années. Nous assistons, si j'ose dire, - et je l'ose, - à la création en train de se faire. Nous la voyons surgir. Nous assistons à la composition, à l'improvisation géniale qui suscite les nouveaux systèmes physiques, les nouveaux systèmes biochimiques, les nouveaux messages génétiques et donc les nouveaux systèmes biologiques.
L'Univers est comparable à une symphonie inachevée, en train d'être composée.
Dire qu'une symphonie se compose elle-même, cela n'a aucun sens. C'est parler pour ne rien dire. C'est bruiter une apparence de parole. Or l'Univers est une symphonie inachevée dans laquelle les compositions sont des êtres et même parfois des êtres vivants et pensants.
Dire que cette composition se fait seule, c'est énoncer une proposition dépourvue de signification. Car la multiplicité des notes de la symphonie ne se compose pas elle-même. Elles sont composées, intégrées dans des ensembles qui sont des formes. Aucune multiplicité, quelle qu'elle soit, ne peut se donner à elle-même une information qu'elle n'a pas.
L'athéisme est une philosophie impensable, si toutefois l'on veut rester rationaliste. On peut, bien entendu, continuer à professer l'athéisme, mais à la condition de renoncer à l'usage de l'analyse rationnelle et aux informations fournies par les sciences expérimentales.
Une philosophie irrationnelle et littéraire, tel est bien en effet l'athéisme contemporain, qui se détourne avec horreur des sciences de l'Univers, des sciences de la nature. L'athéisme contemporain, chez les philosophes qui règnent (Nietzsche, Heidegger, Sartre) a horreur de la nature. II la fuit, il l'ignore délibérément.
Dans le cas de Marx et de ses disciples, la situation est plus compliquée. Marx et Engels, son ami, ont bien élaboré une philosophie de la nature. Ils ont professé que la Nature est l'Être même, et qu'à cause de cela elle ne peut comporter ni commencement ni fin, ni usure ni vieillissement. Elle est un système cyclique6.
Toutes ces thèses métaphysiques, les sciences expérimentales, depuis un siècle, nous ont montré qu'elles sont fausses. Il faut donc fuir l'enseignement des sciences expérimentales pour pouvoir continuer à professer l'athéisme.
Dans cette analyse, et pour cette analyse, nous ne nous sommes pas appuyé sur les découvertes les plus récentes qui conduisent les astrophysiciens à nous décrire, fraction de seconde par fraction de seconde, les premiers instants de l'Univers. Nous avons laissé de côté le premier ou les tout premiers commencements de l'Univers. C'était trop facile : si l'Univers a commencé, comme nous le disent les astrophysiciens, alors il ne peut pas être le seul être, ou l'Être purement et simplement. Car l'Être, ou la totalité de l'être, ne peut pas surgir du néant absolu, ou négation de tout être. Le néant absolu est stérile. Cela, les philosophes athées le concèdent depuis vingt-cinq siècles. Du néant absolu, ou négation de tout être quel qu'il soit, rien ne peut surgir ou venir à l'être. Si donc l'Univers est seul, ou le seul Être, comme le prétendent les philosophes athées, alors il ne peut pas avoir commencé. Il doit être éternel dans le passé, comme il doit être éternel dans l'avenir, puisqu'il est l'Être, le seul Être ou encore l'Être absolu.
- Si l'athéisme est vrai, alors l'Univers ne peut pas avoir commencé.
- Si l'astrophysique établit, ce qu'elle est en train de faire, que l'Univers a commencé, alors l'athéisme n'est pas vrai.

La question de l'âge de l'Univers est aujourd'hui un problème qui relève de la compétence de la physique cosmique. Les analyses, les calculs et les évaluations se font à partir de trois domaines distincts.
1/ L'âge des étoiles a été déterminé : dans notre galaxie on parvient à des chiffres qui se situent entre dix et quinze milliards d'années.
2/ La formation des noyaux lourds comme les différents Uraniums, formés à l'intérieur des étoiles au dernier stade de leur évolution, par exemple lors de l'explosion des supernovae, est aujourd'hui datée : il y a environ sept ou huit milliards d'années. Les éléments radioactifs nous permettent de supposer que les premières fusions chimiques, dans notre galaxie, remontent à environ huit milliards d'années ou plus.
3/ Les théories de l'expansion de l'Univers, qui sont toujours en discussion, fournissent un âge probable assigné au commencement de l'expansion qui est du même ordre : environ vingt milliards d'années. Comme le souligne justement Paul Couderc, ces trois résultats précédents conduisent à des chiffres du même ordre pour l'âge des plus vieilles étoiles, pour le début des activités chimiques et pour le début de l'expansion. Or ces trois évaluations sont fondées sur des données tout à fait distinctes les unes des autres7.
Notre bon vieux soleil est une étoile qui transforme son stock d'hydrogène en hélium d'une manière irréversible. Si le soleil était éternel, alors il aurait transformé son stock d'hydrogène en hélium depuis une éternité ; et donc, depuis une éternité, il n'y aurait plus de soleil. La proposition : le soleil est éternel, - est une proposition qui est physiquement dépourvue de sens.
Même raisonnement pour chacune des cent milliards d'étoiles de notre galaxie, et pour chacune des étoiles des milliards de galaxies qui constituent l'Univers.
Si notre galaxie était éternelle, alors les étoiles qui la constituent auraient transformé chacune son stock d'hydrogène depuis une éternité et donc, depuis une éternité, il n'y aurait plus de galaxie.
La proposition : notre galaxie est éternelle, - est une proposition qui est physiquement dépourvue de sens.
Même raisonnement pour l'ensemble des galaxies, c'est-à-dire l'Univers. Dans l'Univers, les éléments, à savoir les étoiles, ont un âge ; les sous-ensembles, à savoir les galaxies, ont un âge ; - comment l'ensemble, à savoir l'Univers, n'aurait-il pas d'âge ?
La question de l'âge de l'Univers est distincte de la question de l'expansion de l'Univers. Même si l'expansion de l'Univers se trouvait critiquée, il reste que l'Univers est un système historique, évolutif, génétique, dans lequel tout a un âge.
Nous avons donc constaté que l'histoire de l'Univers, c'est l'histoire d'une série de commencements, autant de commencements que de degrés de réalité, ou de degrés d'être nouveau. La création s'effectue aussi bien il y a trois milliards d'années et un peu plus, avec l'invention des premiers systèmes biologiques, ou il y a trois cents millions d'années, avec l'invention de nouveaux groupes zoologiques, ou il y a quelques dizaines de milliers d'années, avec l'invention, la composition du cerveau de l'Homme nouveau, qu'avec les premières compositions physiques, il y a quinze ou vingt milliards d'années. Chaque instant est commencement dans l'histoire de l'Univers.
L'existence de Dieu est connue, à partir de la création, à partir de l'histoire de la création, exactement comme l'existence de Jean-Sébastien Bach est connue par ses Cantates. La différence, c'est que les Cantates de Bach sont des compositions, ce ne sont pas des êtres, ce ne sont pas des substances.
Et puis, les Cantates de Bach ont été composées, au XVIIIe siècle. Elles prouvent, aujourd'hui, l'existence de leur compositeur, car une cantate ne saurait se composer toute seule. Mais elles ne sont pas actuellement en régime de composition. Tandis que l'Univers, lui, est une composition qui est actuellement et toujours, et encore, en régime de composition, et les compositions les plus récentes sont des êtres, des substances, ce sont même des psychismes, et parmi les plus récentes, des personnes, vous et moi.
La démonstration de l'existence de Dieu à partir du monde est donc beaucoup plus forte que la démonstration de l'existence de Jean-Sébastien Bach à partir de ses Cantates, et pourtant cette dernière démonstration était parfaitement valide et irréfutable. D'ailleurs, personne ne s'est encore risqué à prétendre que les Cantates de Bach s'étaient composées toutes seules et que Jean-Sébastien Bach n'a jamais existé.
En revanche, pour cette composition actuelle qui est l'Univers, il y a des gens, qui se font appeler eux-mêmes philosophes et qui le prétendent. Mais, comme disait un très vieux philosophe d'autrefois, tout ce qu'on dit, il n'est pas nécessaire qu'on le pense. On peut même dire ce qui est impensable.
L'existence de Dieu n'est pas une question de croyance, ni de foi au sens où l'on entend aujourd'hui le terme de foi, c'est-à-dire dissociée de la raison et de l'intelligence. L'existence de Dieu relève de la compétence de l'intelligence humaine, de la raison humaine, de l'analyse rationnelle fondée sur et dans l'expérience universelle. Elle est objet de connaissance, et de connaissance certaine. Cette connaissance est fondée sur le fait de la création, sur le fait de la révélation, et sur le fait de l'incarnation. Et aussi sur le fait de l'Église. Nous examinerons ces faits l'un après l'autre.
L'existence de Dieu ne saurait être une question de croyance ou de foi, au sens contemporain de ce terme, pour une raison simple : c'est que, faire porter la foi sur l'existence d'un être, quel qu'il soit, n'a aucun sens.
Je prends un exemple simple. Supposons que je veuille apprendre à nager à un enfant. Je lui explique tranquillement que l'eau étant ce qu'elle est, et la densité de son corps étant ce qu'elle est, l'eau va le porter et qu'il ne peut pas couler. Il est très difficile d'aller au fond de l'eau ; il y faut faire de gros efforts.
L'enfant peut me croire ou ne pas me croire. Il peut avoir confiance ou non. S'il se fie à ma parole, il va s'allonger sur l'eau, calmement, la tête dans le prolongement du corps, et il va constater que, sans faire aucun mouvement, il flotte. Il va donc vérifier que ce que je lui ai dit était vrai. S'il ne me croit pas, il va se raidir, se contracter, s'agiter, boire de l'eau, crier : l'expérience est manquée.
Mais, qu'il me croie ou qu'il ne me croie pas, qu'il ait confiance ou non, dans tous les cas sa foi en moi, ou sa défiance, ne porte pas sur mon existence. Celle-ci est présupposée connue et d'une manière certaine. Je lui demande de croire à la vérité de ce que je lui dis, en ajoutant qu'il va vérifier par lui-même la vérité de ce que je lui ai dit.
Demander à quelqu'un de croire en l'existence d'un être n'a aucun sens. Vous pouvez vous fier en l'un de vos amis, ou ne pas vous y fier. Mais, dans tous les cas, votre foi ou votre défiance ne portent pas sur son existence.
Il en va de même dans la Sainte Écriture, comme nous le verrons plus loin.
La foi en Dieu ne porte pas sur l'existence de Dieu, laquelle est connue d'une manière certaine à partir de la création, de toutes les créations de Dieu et à partir des œuvres de Dieu dans l'histoire, de même que l'existence de Jean-Sébastien Bach est connue par ses Cantates. La foi, dans la Bible hébraïque et dans les livres de la Nouvelle Alliance, porte non pas sur l'existence de Dieu, mais sur la vérité de la parole de Dieu, vérité qui peut et qui doit d'ailleurs être vérifiée par l'intelligence comme nous le verrons aussi.
Autrement dit, la manière dont aujourd'hui les chrétiens utilisent le terme de foi, en l'appliquant à tout et n'importe comment, en l'appliquant en particulier à l'existence de Dieu, cette manière de faire est absolument aberrante et incohérente. D'abord la foi est un acte de la pensée, de la pensée intelligente. C'est un assentiment de l'intelligence et non pas de l'affectivité. C'est un jugement de vérité. Et de plus la foi en la parole de Dieu présuppose la connaissance certaine de l'existence de Dieu, connaissance possible et réelle à partir de la création.
L'existence de Dieu n'est donc pas l'objet d'une foi irrationnelle ou dissociée de l'intelligence, comme un grand nombre de chrétiens le répète aujourd'hui. L'existence de Dieu est l'objet d'une connaissance, et d'une connaissance certaine, par l'intelligence humaine qui réfléchit sur l'œuvre de la création. La création est la première manifestation de Dieu.
C'est la doctrine de l'Église depuis toujours. C'est la doctrine de l'Écriture sainte, c'est-à-dire du peuple hébreu qui a légué l'expression de sa pensée dans cette bibliothèque que nous appelons la Bible. C'est la doctrine de saint Paul. Par conséquent, les chrétiens qui rejettent ou repoussent la possibilité d'une connaissance certaine de l'existence de Dieu à partir de la création, au nom de la révélation, ou qui rejettent la possibilité d'une connaissance de Dieu à partir de la création, et qui disent s'en remettre à la révélation, - ces chrétiens-là se mettent eux-mêmes dans une situation déplorable, car ce sont les livres de la révélation eux-mêmes qui enseignent et professent que Dieu est connu par la création, sa première manifestation.
Texte de saint Paul, Lettre aux chrétiens de Rome, écrite sans doute pendant l'hiver 56-57, à Corinthe.

Romains 1, 18: Car elle se manifeste, la colère de Dieu, du ciel, sur toute impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité prisonnière dans l'injustice. Car ce qui est connaissable de Dieu est manifeste parmi eux. Car Dieu le leur a manifesté. Car ses propriétés invisibles, à partir de la création de l'Univers, par ses œuvres, sont discernées par l'intelligence, et sa puissance éternelle, et sa divinité, en sorte qu'ils sont inexcusables. Car ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ni ne lui ont rendu grâces, mais ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, et leur cœur sans intelligence s'est enténébré. Se vantant d'être intelligents ils sont devenus stupides, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible pour la ressemblance d'une image d'homme corruptible et d'oiseaux et de quadrupèdes et de reptiles.
C'est pourquoi Dieu les a livrés aux passions de leurs cœurs en eux-mêmes, eux qui ont changé la vérité de Dieu pour le mensonge, et qui ont adoré et servi l'être créé au lieu du créateur, lui qui est béni pour les durées éternelles. Amen.

Cette doctrine - à savoir la possibilité de connaître Dieu à partir de la création - est constante chez les Pères grecs et les Pères latins, chez les grands Docteurs du Moyen Age. Elle a été solennellement définie par l'Église au premier Concile du Vatican, en 1870 :
La même sainte mère l'Église tient et enseigne que Dieu, qui est le principe et la fin de tous les êtres, peut être connu d'une manière certaine à la lumière naturelle de la raison humaine à partir des réalités créées.
Canon : Si quelqu'un disait que Dieu unique et véritable, le créateur et notre seigneur, ne peut pas être connu d'une manière certaine à la lumière naturelle de la raison  humaine, - qu'il soit anathème.

Dans ce chapitre, nous n'avons donné que quelques brèves indications concernant la démarche de l'intelligence qui, à partir du monde réel, physique, va jusqu'à découvrir l'existence de Celui sans lequel ce monde serait impensable. Nous avons développé ces analyses dans quelques livres8.

Claude Tresmontant, in Les premiers éléments de la théologie

1 Sur cette question, cf. par exemple Steven WEINBERG (Prix Nobel de physique 1979), Les trois premières minutes de l'Univers, trad. fr. éd. du Seuil, 1978 ; ou bien : Jean HEIDMANN, Au-delà de notre Voie lactée, Un étrange Univers, éd. Hachette, 1979. Voir aussi, du même auteur, le chapitre : Évolution de l'Univers et des galaxies, dans La Nouvelle Astronomie, sous la direction de Jean-Claude PECKER, éd. Hachette, 1971.
2 Cf. par exemple, pour débuter : Jean Audouze et Sylvie VAUCLAIR, L'Astrophysique nucléaire, coll. Que Sais-je ? Presses Universitaires de France, 1972.
3 Par exemple : A. LEHNINGER, Biochimie, trad. fr. éd. Flammarion, 1973, ou Jacques KRUH, Biochimie, éd. Hermann, 1978.
4 Par exemple : Pierre - P. GRASSÉ, Précis de Biologie générale, éd. Masson, 1966.
5 Cf. par exemple Pierre-P. GRASSÉ, Précis de Zoologie, éd. Masson. Lire aussi : Max de CECCATY, La Vie de la cellule à l'Homme, éd. du Seuil. Joël de ROSNAY, Les Origines de la vie, éd. du Seuil.
6 Sur ce point, cf. notre étude : Les Problèmes de l'athéisme, éd. du Seuil, 1972, pp. 143 et sq.
7 Paul COUDERC, Astronome titulaire de l'Observatoire de Paris, L'Expansion de l'Univers : les faits, apud La Nouvelle Astronomie, éd. cit.
8 Claude TRESMONTANT, Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, Paris, éd. du Seuil, 1966. Le même ouvrage, édition augmentée, en livre de poche, éd. du Seuil, 1970. Les Problèmes de l'athéisme, éd. du Seuil, 1972. Sciences de l'Univers et problèmes métaphysiques, Paris, éd. du Seuil, 1976. L'Histoire de l'Univers et le sens de la création, O.E.I.L., 1985.