1/ Homélie
pour la mort de son frère Satyre
Je viens de conduire à l'autel du sacrifice la victime qui m'a été demandée ; victime pure, agréable à Dieu : Satyre, mon guide et mon frère.
Certes, rien sous le ciel n'était plus précieux pour moi que ce frère, rien de plus aimable, rien de plus cher... Mais je n'avais pas oublié qu'il était mortel. Par un mystère ineffable de la religion, le corps de Jésus lui-même n'a pas été affranchi du tribut de la mort, et, bien qu'il fût le maître de la nature, le Christ ne s'est point soustrait à la loi imposée à la chair qu'il avait prise. C'est pour moi une nécessité de mourir, ce n'en était pas une pour Jésus-Christ. Mais sa vie, si elle eût toujours duré, eût été pour lui-même sans mérite, et pour moi sans sacrifice. Quoi donc de plus consolant pour nous que cette pensée : Jésus-Christ lui-même a bien voulu mourir selon la chair ?
Sans doute j'ai pleuré, mais le Christ aussi a laissé couler ses larmes. Il pleure, lui, un étranger ; moi, je pleure un frère. Dans une seule victime de la mort, le Sauveur a pleuré tous ceux qu'elle frappe ; moi, je vous pleurerai dans chacun de ceux qui tomberont sous ses coups.
Pourtant je ne dois pas m'abandonner à une affliction sans mesure, être ainsi infidèle à mon ministère et à la grâce divine.
Je prêterai la voix aux oracles sacrés :
2/ Homélie une semaine après la mort de son frère
Je viens de conduire à l'autel du sacrifice la victime qui m'a été demandée ; victime pure, agréable à Dieu : Satyre, mon guide et mon frère.
Certes, rien sous le ciel n'était plus précieux pour moi que ce frère, rien de plus aimable, rien de plus cher... Mais je n'avais pas oublié qu'il était mortel. Par un mystère ineffable de la religion, le corps de Jésus lui-même n'a pas été affranchi du tribut de la mort, et, bien qu'il fût le maître de la nature, le Christ ne s'est point soustrait à la loi imposée à la chair qu'il avait prise. C'est pour moi une nécessité de mourir, ce n'en était pas une pour Jésus-Christ. Mais sa vie, si elle eût toujours duré, eût été pour lui-même sans mérite, et pour moi sans sacrifice. Quoi donc de plus consolant pour nous que cette pensée : Jésus-Christ lui-même a bien voulu mourir selon la chair ?
Sans doute j'ai pleuré, mais le Christ aussi a laissé couler ses larmes. Il pleure, lui, un étranger ; moi, je pleure un frère. Dans une seule victime de la mort, le Sauveur a pleuré tous ceux qu'elle frappe ; moi, je vous pleurerai dans chacun de ceux qui tomberont sous ses coups.
Pourtant je ne dois pas m'abandonner à une affliction sans mesure, être ainsi infidèle à mon ministère et à la grâce divine.
Je prêterai la voix aux oracles sacrés :
Maintenant
donc réprimez l'excès de votre douleur, et supportez avec courage les malheurs
qui vous accablent. Car, si vous reconnaissez combien Dieu est juste dans tout
ce qu'il fait, vous vous soumettrez aux desseins qu'il a résolu d'exécuter dans
les temps marqués, et cette soumission sera votre véritable gloire.
Je mettrai donc fin à mes larmes, je recevrai
ces remèdes salutaires. Il doit, en effet, y avoir une différence entre ceux
qui croient et ceux qui ne croient pas. Laissons pleurer ceux qui ne peuvent,
par suite de la dureté de leur foi, s'attacher à l'espérance. Qu'il y ait entre
les disciples de Jésus-Christ et les idolâtres cette distinction : que
ceux-ci pleurent leurs morts, parce qu'ils les croient anéantis pour toujours.
Il leur est permis, parce qu'ils n'espèrent point le repos après la vie, de ne
point donner de trêve à leurs larmes, ni de calme à leur douleur ; mais
nous, ne voyons dans la mort que la fin de cette vie, et non pas le terme de
notre existence. Puisque cette existence elle-même recevra un nouvel être,
opposons la mort elle-même à ses rigueurs.
Et certes, s'il est des hommes qui trouvent
quelque soulagement à la mort, dans la pensée qu'elle anéantit le sentiment et
termine l'existence, que sera-ce du chrétien à qui sa conscience promet, après
sa mort, de plus douces récompenses de ses bonnes actions ! L'espérance
des Gentils, c'est que la mort fasse cesser tous les maux ; et, comme leur
vie fut stérile, ainsi leur mort ne sera, disent-ils, que l'extinction de tout
sentiment et la sortie d'une carrière de souffrances auxquelles nous sommes
ici-bas enchaînés. Quant à nous, plus généreux par l'espoir de la récompense,
nous sommes plus résignés par les motifs de consolation ; nous ne croyons
pas avoir perdu, mais avoir envoyé devant ceux qui nous quittent, et donner,
non pas des victimes à la mort, mais des citoyens à l'éternité.
Ô mon frère, tout me ramène à votre
souvenir ; votre image, profondément gravée dans mon cœur, est sans cesse
présente à mes yeux. À tout moment je vous vois, je vous parle, je vous serre
dans mes bras ; durant le silence des nuits, sous la clarté du ciel, je
vous entends qui daignez m'adresser des paroles de consolation. La nuit, dont
l'approche m'était importune parce qu'elle allait nous isoler l'un de l'autre,
le sommeil lui-même, auquel je reprochais de rompre nos entretiens, me sont
devenus chers, parce qu'ils vous rendent à moi...
Je vous possède donc, ô frère si cher à mon
cœur ! et je vous possède pour toujours, bien qu'une mort prématurée vous
ait enlevé. Autrefois, quand vous aviez été obligé de vous éloigner, vous vous
empressiez de revenir près de moi pour consoler ma tristesse. Combien plus
aujourd'hui ne devez-vous pas mettre de zèle à vous rendre auprès de ce cœur
affligé ! Votre présence peut seule guérir la blessure que votre absence
m'a causée...
Précédez-nous au domicile commun, auquel nous
sommes tous réservés et où je dois désirer de me rendre avant tous.
Préparez-moi une place à vos côtés, et, comme tout fut commun entre nous sur
cette terre, qu'il n'y ait de même pour nous aucune séparation dans l'autre
vie. Entendez le vœu que je forme, d'être bientôt réuni à vous ; quelques
moments encore, et je vous aurai suivi ; aidez mes efforts, pressez mes
pas, et, si je vous semble un peu trop lent, portez-moi au terme du voyage.
Maintenant, ô mon Dieu, je vous recommande
cette âme pure ; recevez de mes mains la victime qu'elles vous présentent.
Agréez, avec bonté et miséricorde, le sacrifice que je vous offre aujourd'hui
comme frère, comme pontife. Recevez cette portion de moi-même que je dépose par
avance à vos pieds, comme un gage anticipé du payement que j'acquitte, non par
argent, mais par ma vie ; ne permettez pas que je reste encore longtemps
débiteur de l'autre moitié.
2/ Homélie une semaine après la mort de son frère
Nous voyons que la mort est un avantage, et la
vie un tourment, si bien que Paul a pu dire :
Pour moi,
vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage.
Qu’est-ce que le Christ? Rien d’autre que la
mort du corps, et l’esprit qui donne la vie. Aussi mourons avec lui pour vivre
avec lui. Nous devons chaque jour nous habituer et nous affectionner à la mort
afin que notre âme apprenne, par cette séparation, à se détacher des désirs
matériels. Notre âme établie dans les hauteurs, où les sensualités terrestres
ne peuvent accéder pour l’engluer, accueillera l’image de la mort pour ne pas
encourir le châtiment de la mort. En effet la loi de la chair est en lutte
contre la loi de l’âme et cherche à l’entraîner dans l’erreur. Mais quel est le
remède ? Qui me délivrera de ce corps de mort ? — La Grâce de Dieu, par Jésus
Christ, notre Seigneur.
Nous avons le médecin, adoptons le remède.
Notre remède, c’est la Grâce du Christ, et le corps de mort, c’est notre corps.
Alors, soyons étrangers au corps pour ne pas être étrangers au Christ. Si nous
sommes dans le corps, ne suivons pas ce qui vient du corps ; n’abandonnons pas
les droits de la nature, mais préférons les dons de la grâce.
Qu’ajouter à cela? Le monde a été racheté par
la mort d’un seul. Car le Christ aurait pu ne pas mourir, s’Il l’avait voulu.
Mais Il n’a pas jugé qu’il fallait fuir la mort comme inutile, car Il ne
pouvait mieux nous sauver que par Sa mort. C’est pourquoi Sa mort donne la vie
à tous. Nous portons la marque de Sa mort, nous annonçons Sa mort par notre
prière, nous proclamons Sa mort par notre sacrifice. Sa mort est une victoire,
Sa mort est un mystère, le monde célèbre Sa mort chaque année.
Que dire encore de cette mort, puisque
l’exemple d’un Dieu nous prouve que la mort seule a recherché l’immortalité et
que la mort s’est rachetée elle-même ? II ne faut pas s’attrister de la mort,
puisqu’elle produit le salut de tous, il ne faut pas fuir la mort que le Fils
de Dieu n’a pas dédaignée et n’a pas voulu fuir.
La mort n’était pas naturelle, mais elle l’est
devenue ; car, au commencement, Dieu n’a pas créé la mort : il nous l’a donnée
comme un remède. L’homme, condamné pour sa désobéissance à un travail continuel
et à une désolation insupportable, menait une vie devenue misérable. Il fallait
mettre fin à ses malheurs, pour que la mort lui rende ce que sa vie avait
perdu. L’immortalité serait un fardeau plutôt qu’un profit, sans le souffle de
la Grâce.
L’âme a donc le pouvoir de quitter le
labyrinthe de cette vie et la fange de ce corps, et de tendre vers l’assemblée
du ciel, bien qu’il soit réservé aux saints d’y parvenir ; elle peut chanter la
louange de Dieu dont le texte prophétique nous apprend qu’elle est chantée par
des musiciens :
Grandes et
merveilleuses sont tes œuvres.
Seigneur, Dieu tout-puissant: justes et véritables sont tes chemins.
Roi des nations.
Qui ne te craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ?
Car toi seul es saint.
Toutes les nations viendront se prosterner devant toi.
Et l’âme peut voir tes noces, Jésus, où ton épouse est conduite de la terre jusqu’aux cieux, sous les acclamations joyeuses de tous — car vers toi vient toute chair — ton épouse qui n’est plus exposée aux dangers du monde, mais unie à ton Esprit.
Seigneur, Dieu tout-puissant: justes et véritables sont tes chemins.
Roi des nations.
Qui ne te craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ?
Car toi seul es saint.
Toutes les nations viendront se prosterner devant toi.
Et l’âme peut voir tes noces, Jésus, où ton épouse est conduite de la terre jusqu’aux cieux, sous les acclamations joyeuses de tous — car vers toi vient toute chair — ton épouse qui n’est plus exposée aux dangers du monde, mais unie à ton Esprit.
C’est ce que le saint roi David a souhaité,
plus que toute autre chose, pour lui-même, c’est ce qu’il a voulu voir et
contempler :
La seule
chose que je demande au Seigneur, la seule que je cherche, c’est d’habiter la
maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et de découvrir la douceur du
Seigneur.
Saint Ambroise (vers 375)