samedi 23 avril 2011

En méditant... Pierre-Marie Delfieux, Samedi Saint


Devant ta Face
Tout au long de ce long Samedi Saint
nous contemplons, par-delà la pierre tombale,
le grand Enseveli.
Le Corps de Jésus est là,
étendu de toute sa longueur
sous le voile du grand Linceul.
Mais la lumière qui émane de sa mort
nous donne déjà de le voir,
comme en transparence.
Tant la clarté qui émane de ce grand Sabbat
est chargée de force tranquille et d'espérance.
Aujourd'hui, repose en notre mort, le Créateur de toute vie.
Aujourd'hui, sommeille au tombeau taillé dans le rocher,
Celui qui est en personne notre Roc et notre Rempart.
On l'a enseveli à la va-vite
dans la dernière heure du jour de la Parascève,
pour que tous puissent observer le saint Repos de ce grand Sabbat,
coïncidant cette année-là, justement,
en ce 14 Nisan de l'an 30, avec la fête de Pessah.
Il eût dû être jeté à la fosse commune,
ce condamné de droit commun !
Accusé par le sanhédrin de Jérusalem.
Repoussé par Hérode, Tétrarque de Galilée,
et condamné par Pilate, le gouverneur de Judée parlant au nom de Rome (Lc 3, 1).
Mais Joseph d'Arimathie avait intercédé (Jn 19, 38).
Une condamnation une fois expiée par l'exécution,
demeurait en effet le droit à la sépulture,
si toutefois quelqu'un la demandait.
Par dérision pour les juifs, Pilate l'avait permise.
Comme pointait déjà l'étoile du sabbat (Lc 23, 54), on l'ensevelit donc à la va-vite.
Selon la coutume juive, nous dit Jean :
couché de dos, coudes écartés, et mains croisées sur le bassin",
ainsi que nous l'indiquent les textes du Code de la Loi hébraïque
et que nous le confirment les récentes données de l'archéologie.
Pour un exécuté de droit commun,
on n'utilisait qu'un seul drap pour la sépulture (§ 364),
Voici donc le linceul propre et neuf dont nous parlent chacun des quatre Évangiles,
offert pour la circonstance par Joseph d'Arimathie.
Un long linceul de lin, dans lequel, nous est-il dit,
Jésus est placé, enveloppé, roulé ;
des bandelettes autour des chevilles, et autour des genoux
pour rendre au corps toute sa droiture, après le supplice de la croix ;
et autour du visage, comme une mentonnière,
conformément au « Code des lois du deuil » (§ 351-353).
Les grains d'aromates sont disposés le long du corps,
nous précise Jean, en témoin oculaire ;
En attendant d'être brûlés dans la coupe des parfums
avec ceux qu'apporteront aussi les saintes femmes
dès le lendemain du sabbat (Jn 19, 38-40 ; Lc 24, 1).
Car le corps de Jésus a déjà été oint par Marie, à Béthanie,
de son vivant, en présence de Lazare.
Et Jésus avait bien dit : C'est pour le jour de ma sépulture (Jn 12, 7).
Et l'on roula la lourde pierre à l'entrée du tombeau 
surveillée par la garde des soldats (Mt 27, 66).
Si nous sommes toujours un peu saisis en contemplant le Christ du Samedi Saint,
c'est parce que, ce jour-là, il nous est proposé de regarder la mort en face.
De la regarder pour ce qu'elle est :
une interruption de notre marche sur les chemins de cette vie et l'abandon de notre corps,
pour qu'il soit rendu à notre Terre-Mère.
Et cela, c'est normal, nous fait toujours un peu peur.
Plus encore, le Samedi Saint nous révèle le visage de la mort assumée
par Celui qui l'a subie pour nous.
Et ce visage devient, par là-même, le reflet de notre propre refus.
Le refus posé par l'homme à l'encontre du Christ Verbe de Vie.
Comment, dès lors, regarder sans trembler
Celui-là même qui est mort pour nous et, qui plus est, à cause de nous ?
Retrouver, sans émoi, l'image du Premier-Né de toute créature
dans cette figure douloureuse du Premier-Né d'entre les morts (Col 1, 15-18) ?
Mais non !
Le Visage du Christ ne nous accuse pas.
Sur sa Sainte Face, pourtant labourée de coups,
pas la moindre trace de rancœur, de jugement, d'amertume.
Les yeux clos, pour ne pas garder idée du mal,
Il nous regarde du dedans par l'intérieur de notre cœur.
Car il n'est pas mort le grand Enseveli !
Il est simplement endormi.
Il est entré jusqu'au bout dans notre mort humaine,
pour nous ramener tous avec lui, doucement,
du plus profond de nos enfermements,
en nous rouvrant la Route de la Vie.
Même la mort n'a pas été bousculée
—"notre sœur la mort corporelle" — par le Prince de la Vie !
Contemplons donc, comme il nous l'est doublement demandé par les deux Testaments réunis, 
le Transpercé (Za 12, 10 ; Jn 19, 37b).
Le Saint Agneau pascal dont pas un des os n'a été brisé (Ex 12, 46 ; Ps 34, 21 ; Jn 19, 36).
On pourrait le croire allongé, et le voici debout !
On pourrait le dire couché sur le roc de sa tombe,
et le voici dressé en face du Prince de ce monde.
C'est celui-là, à présent, qui est jeté bas (Jn 12, 31-32) !
Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui (Jn 13, 31).
Nous contemplons au cœur de ce Samedi béni,
le Christ qui marche encore, par-delà la nuit du calvaire,
pour libérer les captifs de la mort
et s'en aller prêcher, comme dit Pierre, aux esprits emprisonnés (1 P3, 19).
N'ayons donc nulle crainte.
Ne vivons pas dans l'angoisse.
Moins que jamais, c'est le jour de la désespérance !
Le Maître du sabbat nous prépare déjà l'aube d'un Jour Nouveau.
Il est le Fils de Dieu dont les yeux sont une flamme ardente
et la flamme de ses yeux ne s'est pas éteinte (Liturgie byzantine).
Si Dieu a été glorifié en lui,
Dieu aussi le glorifiera en lui-même
et il le glorifiera bientôt (Jn 13, 32).
Le huitième Jour qui introduit mystérieusement l'éternité dans le linéaire de la durée, s'annonce déjà.
L'heure n'est pas loin où l'icône de la Résurrection remplacera l'empreinte de l'ensevelissement.
Nous pourrons voir alors, avec Pierre et Jean,
dans un rayon de Soleil levant, passant par l'ouverture du sépulcre, 
le Linceul affaissé (Jn 20, 5),

témoin d'une Mort qui n'était donc qu'une Dormition.
Je suis la Résurrection et la Vie. 
Qui croit en moi, fût-il mort vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais.
Crois-tu cela ? (Jn 11,24-26).
Notre Seigneur ne s'est pas comparé à un lion quand il a été conduit à la mort, mais il a été appelé un agneau, « il se taisait comme une brebis devant le tondeur ». Il n'a pas ouvert la bouche dans son humiliation. Et pour confirmer la parole de la prophétie, il garda le silence quand ils l'emmenèrent, il se tut quand ils le jugèrent, il ne se plaignit pas quand ils le flagellèrent, il ne discuta pas quand ils le condamnèrent, il ne s'irrita pas quand ils l'entravèrent, il ne murmura pas quand ils lui frappèrent les joues, il ne cria pas quand il fut dépouillé de ses vêtements comme une brebis de sa toison, il ne les maudit pas quand ils lui donnèrent le fiel et le vinaigre, il ne gémit pas contre eux quand ils le clouèrent sur le bois.
Philoxène de Mabboug

Du zéro à l'infini
Voyant qu'il était déjà mort,
un des soldats, avec sa lance, lui perça le côté
et aussitôt, il en sortit du sang et de l'eau (Jn 19, 33-34).
Quelle étrange paix a envahi la terre
depuis l'heure où Jésus est mort en poussant un grand cri (Mt 27, 50).
À la demande inquiète des grands prêtres et des pharisiens,
Pilate a fait sceller la pierre du tombeau et posté une garde (27, 66).
Le monde n'a plus à craindre, ainsi,
une nouvelle imposture de ce Christ imposteur (27, 64).
Dans les plis du grand linceul où sa mère et ses amis l'ont enveloppé,
son corps repose, comme il convient en ce jour du Grand Sabbat.
Celui qui n'a pas été jeté dans la fosse commune,
ni descendu dans la terre de notre mort commune,
est déposé dans le roc où personne encore n'avait été mis (Lc 23, 53).
Mais si le sabbat est fait pour l'homme,
cet homme-là, même mort, reste maître du Sabbat (Mt 12, 8).
Ce Lion qui dort est celui de la tribu de Juda
qui doit encore ouvrir le Livre et briser les sept sceaux
que nul jusqu'ici, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre,
n'a pu ni lire ni ouvrir (Ap 5, 5).
Or le ciel se tait.
Et sur terre tout est accompli (Jn 19, 30).
Mais, sous terre,
les morts ne restent-ils pas encore emprisonnés ?
Alors a commencé cette marche prodigieuse
du Fils de l'homme en plein Sabbat
jusqu'à l'aube du huitième jour qui, désormais,
supplantera l'ancien Sabbat,
pour devenir son Jour.
Le cœur de Jésus, Lui, n'est pas en repos pendant ce temps-là !
Au-delà de la mort qui garde son corps dans le tombeau scellé, 
le Premier-né d'entre les morts s'en est allé
prêcher le salut aux prisonniers de l'ombre (1 P3, 19),
prolongeant son incarnation jusqu'à la descente aux enfers
dont l'Église a fait un dogme pour notre foi.
Le mal est un abîme encore plus profond que nous ne savons,
et le Christ, en ce jour, est descendu l'arracher jusqu'à sa racine ultime.
Le désespoir, l'angoisse, l'écrasement de certaines douleurs humaines
sont souvent plus lourdes encore que nous ne pouvons l'imaginer,
et le Christ qui le sait, a voulu,
en poussant son amour jusqu'à l'extrême,
descendre au plus bas pour les racheter.
Pour oser dire un jour comme au staretz Silouane :
« Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas »,
il faut y être allé. Et le Christ y est descendu.
En nous révélant ce mystère, l'Écriture a perçu ici quelque chose
de l'immensité incommensurable de son amour
et nous convie aujourd'hui à le contempler.
À cœur ouvert, nous pouvons contempler le Transpercé.
Abaissement extrême,
kénose ultime qui dépasse jusqu'à l'entendement !
Le Christ du Samedi saint a parcouru un tracé vertical
qui est le chemin le plus droit et le plus long
entre le Très Haut et le tréfonds.
Il fallait qu'il obtînt en tout la primauté (Col 1, 18),
 
le grand pèlerin de la Vie.
L'agonie du calvaire, ce n'était pas assez !
Parce qu'il y a des goulags, des ghettos, des cancers,
des famines, de noires solitudes,
le coup de lance n'a pas arrêté la course de son amour fou :
C'est par la folie du message (et du messager)
qu'il a plu à Dieu de sauver les croyants ( I Co 1, 21).
Celui qui, par nature, a la première place, dans l'au-delà,
est donc descendu, par miséricorde, en-deçà de la dernière.
Depuis le premier mort, comme Abel, dont nous savons le nom,
jusqu'au plus grand pécheur, dont nul ne sait le nom,
vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau,
par sa plongée dans la ténèbre,
le Christ vous a relevés (Mt 11, 28).
Comme s'il avait voulu goûter quelque chose de l'équivalent de la peine éternelle,
il est allé prêcher jusqu'aux esprits en prison (1 P3, 19),
combattre Satan jusqu'au fond de son repaire et de sa fuite,
afin d'étendre le salut à tout l'univers visible et invisible (Col 1, 16),
(au point que des mystiques se plaisent à penser que les démons eux-mêmes peuvent être sauvés).

La descente aux enfers du Samedi Saint,

est la dernière marche d'un escalier sans fond
où l'amour irrésistible du Dieu fait homme s'est lancé au-delà des verrous de la mort,
jusqu'à la racine des montagnes (Jon 2, 6).
Anéantissement extrême qui plonge
le Christ comme en une sorte d'exil, loin des hommes et loin de Dieu,
sous un ciel muet et derrière la tombe fermée.
"Inanimation ultime", dit la mystique orientale,
en face de quoi nous ne pouvons que demander avec saint Paul
la joie de comprendre la profondeur de l'amour du Christ
qui surpasse toute connaissance (Ep 3, 18).
Situation limite.
Suprême abaissement.
Aujourd'hui, le zéro rejoint l'infini.
Celui qui s'est fait péché pour nous (2 Co 5, 21),
Dieu l'a fait aussi malédiction pour nous (Ga 3, 13).
Solidaire jusqu'à être en ce jour le plus enfoui des solitaires
et, littéralement, le substitut des réprouvés.
En vérité je vous le dis :
de même que Jonas fut dans le ventre du monstre marin,
durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme

sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits (Mt 12, 40).
C'est ainsi que le Nouvel Adam est descendu vers le premier Adam
et, se penchant vers lui, pour le prendre par la main, il lui parla ainsi :
"Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton fils.
Lève-toi, toi qui dormais car je ne t'ai pas créé
pour que tu séjournes ici enchaîné dans la mort !
Relève-toi d'entre les morts, je suis la vie des morts !
Lève-toi, œuvre de mes mains, toi qui as été créé à mon image.
Lève-toi, partons d'ici, car tu es en moi et je suis en toi...
À cause de toi, moi ton Seigneur, je suis devenu esclave.
Moi qui demeure au-dessus des cieux
je suis descendu sur la terre et sous la terre...
Lève-toi, Adam, et partons d'ici !
Allons ensemble, de la mort à la vie,
de la corruption à l'immortalité,
et des ténèbres à la Lumière éternelle !" (saint Épiphane)
Mais quelle immense espérance pour tout homme désormais, 
puisqu'en marchant sur les pierres mortes de l'enfer noir,
le Christ y a laissé la trace de ses pas de Lumière !
Et par la porte de son cœur ouvert, tout homme peut désormais entrer.
L'enfer a été frappé d'effroi parce qu'il a été réduit à rien ; il a été frappé d'effroi parce qu'il a été joué. Il a été frappé d'effroi parce qu'il a été mis à mort, il a été frappé d'effroi parce qu'il a été anéanti. Il avait saisi un corps et il s'est trouvé devant un Dieu ; il avait pris de la terre et il a rencontré le ciel ; il s'était emparé de qui était visible et il est tombé à cause de l'invisible.
« Mort, où est ta victoire » ? (1 Co 15, 55). Christ est ressuscité et te voici terrassée. Christ est ressuscité et le prince de ce monde a été jeté dehors. Christ est ressuscité et les anges sont dans l'allégresse. Christ est ressuscité et voici que la Vie déploie son règne.
Saint Jean Chrysostome

Libération pour Barabbas !

La nuit est maintenant définitivement tombée.
Un grand silence envahit toute la ville.
Nicodème et Joseph d'Arimathie
viennent de s'en retourner gravement chez eux (Jn 19, 38-42).
Après un dernier regard vers la pierre du tombeau,
les femmes, restées jusqu'à la fin près de sa croix,
ont fini aussi par rentrer pour observer le repos prescrit (Lc 23, 56).
Pierre n'arrive pas à admettre qu'il n'ait pas eu la force de suivre jusqu'au bout celui qu'il aimait tant.
Jean a lentement accompagné Marie, chez lui,
et cherche à comprendre pourquoi
ainsi a jailli de son côté ouvert, avec le sang,
de l'eau en abondance (Jn 19, 37).
Tous les curieux sont dispersés. La foule a disparu.
Quant aux disciples chacun s'en est allé de son Côté (16, 32).
Pilate est à l'abri dans le prétoire.
Hérode est enfermé dans son palais.
Le Sanhédrin tout entier se recueille
en ces premières heures d'entrée dans la pâque.
Grands prêtres, scribes et docteurs de la Loi
essaient de se rassurer en pensant que la ténèbre, aujourd'hui,
n'est pas retombée, comme hier, en plein midi. La ville est déserte. Tout se tait.
Marie-Madeleine cherche éperdument dans les Écritures une Lumière pour éclairer sa nuit.
C'est le début du grand sabbat où chacun, dans sa maison,
essaie de se faire un cœur apte à la prière.
L'agneau pascal est immolé.
Ça et là, des mains de femme allument des lampes sur les candélabres de leurs maisons.
Et l'on entend déjà, ici ou là, résonner quelques versets des psaumes du grand Hallel.
Mais le cœur n'y est pas ! Il n'y a que dans l'âme de Marie
que brille encore une flamme d'espérance.
Sainte Marie du Samedi !
Mais à travers les rues désertes et les places vides de Jérusalem,
un homme, seul, continue de marcher.
Il vient d'être relâché,
et il goûte, au soir de ce jour,
dont il n'oubliera plus jamais tout ce qu'il lui a apporté,
(mais avec un étrange sentiment qu'il ne parvient pas à discerner),
 il goûte ses premières heures de liberté.
Il y a notamment une image qui ne le quitte plus.
L'image, encore vivante, tellement présente,
de ce visage d'un homme qu'on venait de flageller, vêtu de pourpre et couronné d'épines,
et qui s'est lentement tourné vers lui,
est lentement remonté vers lui,
quand la foule, en un seul cri, s'est mise à lancer :
Pas lui, mais Barabbas ! (Jn,18, 40).
Car, lui, c'est Barabbas.
Alors, il a vu, lui, le brigand, dans le regard de cet homme manifestement innocent,
comme le reflet d'un mystère intérieur,
et qui n'en finit pas de lui remuer le cœur.
Mais qui donc es-tu, Barabbas ?
Barabbas ? c'est moi ! c'est toi !
c'est chacune et chacun de nous et nous tous ensemble.
C'est l'homme coupable libéré par la mort du Dieu Innocent.
Cet homme, dont le nom araméen signifie littéralement le fils du père,
et que le Père, justement, en quelque sorte, a préféré à son propre Fils.
Car Dieu a tellement aimé le monde
qu'il lui a livré son Fils unique,
afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais obtienne la vie éternelle (Jn 3, 16).
Aussi bien n'es-tu plus esclave mais fils.
Enfant et donc héritier
Héritier de Dieu et cohéritier du Christ (Rm 8, 17).
Et c'est ainsi que l'exemple vivant de cet homme coupable,
 libéré par la mort de Jésus, librement offerte pour lui,
peut nous aider à entrer plus avant dans l'insondable mystère de cet amour manifesté devant nos yeux
par la croix solitaire et nue de ce Samedi,
sous la lumière crue du Calvaire désert.
Le mystère de la croix ne se comprend qu'à la lumière de l'amour.
Notre condition humaine étant ce qu'elle est,
Jésus a fait de son incarnation,
plus qu'une simple solidarité fraternelle
ou que le glorieux parachèvement de la création.
Il a été, avec nous, bien plus qu'un compagnon de route exceptionnel,
puisqu'il est allé jusqu'à mourir pour nous sur une croix,
solidaire de nos pires tourments.
La Passion du Christ nous révèle la dimension tragique
de notre aventure humaine marquée par la dure nécessité
de devoir souffrir au long des jours et de mourir au dernier jour.
Tout son itinéraire humain est dès lors devenu
un labeur de Rédemption.
Mais, aujourd'hui, tout est achevé. La Cité Sainte tout entière se tait.
Comment ne pas se souvenir encore en ce midi du grand Samedi ?
Il y avait quelque chose à reprendre en effet
au cœur de ce monde cassé et de cet homme en rupture d'amour.
Car il y a, nous le savons bien, toute une partie de nous,
qui oublie, ignore, et même parfois refuse Dieu.
Il y a toute une part de nous-mêmes qui se désintéresse,
se sépare et parfois même s'oppose à nos frères.
Et il y a, jusqu'au milieu de notre propre vie,
quelque chose qui, chaque jour, plus ou moins crucifie l'amour.
Alors, Jésus, nous a rejoints, nous a épousés, jusqu'au cœur de notre propre péché (2 Co 5, 21).
Non par attrait malsain de notre propre souffrance !
Car il a eu, le premier, une immense horreur de cette croix.
Et il n'a jamais voulu la mort pour elle-même
lui qui a connu la tristesse et l'angoisse en face d'elle.
Mais son amour était plus grand que son appréhension.
Son désir de nous sauver plus grand que sa crainte de souffrir.
Alors, il a choisi de marcher vers cette mort
dont nous étions tous et sommes tous encore accablés, avec une liberté souveraine (in 10, 18).
Il est allé, dans la folie de son amour pour nous (Rm 5, 8),
encore plus loin que la folle haine
qui l'a cloué sur cette croix (I Co 1, 21).
Il n'est pas trop de tout un sabbat
pour contempler encore ce cœur ouvert.
Mystère de l'amour, qui, dans le rejet dont il a été lui-même l'objet,
est néanmoins parvenu à faire triompher la lumière et la paix.
C'est ainsi que Barabbas,
non seulement a été préféré à Jésus,
mais plus encore s'est révélé, aux yeux du monde,
être lui-même le préféré de Jésus.
Je me lèverai donc et parcourrai la ville,
dans les rues et sur les places
je chercherai celui que mon cœur aime (Ct 3, 2).
Jamais Dieu ne nous a autant parlé que quand le Verbe a été enseveli.
 Jésus nous a tout dit, dans le grand silence du Samedi Saint.
Dans la nuit du Sépulcre, sur la roche nue, le corps du Christ repose.
La mort semble avoir triomphé.
Ne règne-t-elle pas sur la tombe de celui qui disait : Je suis la Vie ?
Mais, pourquoi se met-elle à frissonner ainsi dans le noir ?
Dans le silence sépulcral,
il y a comme l'imperceptible frémissement d'un murmure. On dirait un cœur qui bat !...

J'ai trouvé dans le Livre un pont et une porte pour le Paradis, et j'ai passé, et je suis entré. Mes yeux sont demeurés dehors, mais mon esprit est entré dedans.
Là, j'ai vu aussi les tabernacles des justes, imprégnés de parfums, embaumants d'odeurs, couronnés de fruits, tressés de fleurs.
J'ai cherché aussi cela. le Paradis suffit-il à tous les justes qui doivent y demeurer ? (...) Des lampes aux milliers de rayons demeurent dans une seule maison, et des milliers de parfums habitent le calice d'une fleur Et bien qu'ils habitent dans un petit espace, ils y sont au large pour leurs fêtes. Aussi, le Paradis, bien que rempli d'esprits, est spacieux pour leurs réjouissances.
Saint Ephrem de Nisibe

Pierre-Marie Delfieux, in Évangéliques 5 (Saint-Paul)