Alors l'Éternel Dieu modela l'homme
avec la glaise du sol,
Il insuffla dans ses narines une haleine
de vie
et l'homme devint un être vivant.
(Gn 2, 7)
Dieu créa l'homme à son image,
à l'image de Dieu Il le créa, homme et femme Il les créa.
(Gn 1, 27)
Cette parole fondatrice de l'être
humain est un formidable appel à vivre, la première réalité que l'être humain
devrait intégrer. Je te donne la vie, sois vivant.
C'est le don premier, précieux,
inestimable, la première manifestation de l'amour, pour tous sans exception :
Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et cela était très bon (Gn 1, 31).
Dieu est la source de la vie. Il en
précise le sens, la finalité. Il rend à la vie ceux et celles qui se sont
égarés sur un chemin de mort, quelle qu'en soit la forme.
Ceux et celles qui ont été blessés
dans leur première relation, qui n'ont pas véritablement connu l'amour,
entendent dire que Dieu est Amour, mais bien souvent ils ne parviennent pas à
en faire l'expérience. C'est comme s'il y avait un voile en eux, un barrage,
une porte fermée. La vie peut apparaître d'emblée comme menaçante,
insécurisante. Apprendre à recevoir la vie comme bonne en son principe,
découvrir qu'elle est un don de Dieu, une manifestation de son Amour est une
première approche de Dieu, un pas vers le développement conscient du désir de
vivre.
L'éveil.
Beaucoup poursuivent leur route comme
s'il était naturel d'exister, ils ne sont pas éveillés ; ils ne pensent pas à entrer dans la gratitude d'être
des vivants. Ils oublient leur filiation d'origine, la parenté essentielle :
c'est le premier morcellement de l'être coupé de sa source.
La vie, mais quelle vie ?
On trouve actuellement une abondance
de livres, de séminaires sur le développement de la vie, le travail sur soi, la
mise au jour de ses ressources spécifiques, l'estime de soi, la pensée
positive... On ne peut que se réjouir de cette profusion de connaissances,
d'expériences, de notions psychologiques simples mises à la portée de tous, car
développer la vie est la tâche de tout humain. Mais de quelle vie s'agit-il ?
Le sens de la vie, de sa vie, est la recherche fondamentale de chacun.
La question se pose pour tous ceux et
celles qui sont en quête de leur unité, de leur être en son entier, qui
cherchent comment intégrer leur foi dans leur humanité. La vie que Dieu donne
obéit à un ordonnancement, elle ne va pas dans n' importe quel sens et il est
essentiel de découvrir les fondements et conditions de cet ordre fondamental.
Ce sont eux qui vont permettre à la vie de se déployer dans sa véritable
fécondité. L'être humain ne saurait méconnaître ni la source, ni la finalité de
la vie.
Cependant, il lui arrive d'oublier
que les principes essentiels, les grands fondements de la vie qui vont lui permettre
de découvrir la cohérence de son existence se trouvent en lui-même.
Au cours de la restauration de ce que
l'on nomme, dans le chemin d'évangélisation
des profondeurs, les blessures
infectées (c'est-à-dire les blessures qui ont été mal vécues et se sont en
quelque sorte envenimées), ces fondements de l'être humain vont être remis en
valeur, énoncés de façon précise : ils se révèlent des repères essentiels
qui balisent le chemin qui mène à la vie, et signalent les possibles chemins de
mort : ils font clairement prendre conscience de la façon dont on a pu se
détourner de la vie et s'égarer sur un chemin qui mène à la destruction d'une
part de soi. Ils permettent de nommer, et donc de quitter, les chemins de mort
pour retrouver la direction de la vie.
En effet, si l'être humain est appelé
à une vie belle, bonne, abondante, il va cependant rencontrer le mal sur sa
route. Ce mal est essentiellement ce qui empêche la vie de naître et de se
déployer, ce qui mène à une forme de destruction et de mort, quelle qu'en soit
la forme.
L'appellation générique de lois de vie est apparu tout
naturellement pour définir ces fondements essentiels de la vie, gravés au cœur
de tout humain. Pour en faciliter l'approche, la compréhension, la mise en œuvre,
il a semblé fécond de les regrouper, de préciser la parole biblique qui les
éclaire, de les exposer de façon simple, accessible à tous et à toutes, d'en
retrouver le sens vital, ainsi que l'impact qu'elles ont sur nos comportements
quotidiens.
C'est ainsi que l'étude vitale
concrète de cinq de ces lois celles qui touchent de plus près la restauration
des blessures qui sont approfondies dans le trajet d'évangélisation des profondeurs
— font l'objet de ce livre.
1. Le
choix de vivre
Choisis donc la vie (Dt 30, 15-20).
La vie t'est donnée, mais ne te
contente pas d'être en vie. Choisis de vivre, détermine-toi. Choisis la vie
telle qu'elle est mise en ordre par le Créateur, selon son « ordonnancement »,
quelles que soient les circonstances de ta vie. N'aie aucune connivence avec la
mort.
2. L'acceptation
de la condition humaine
Et YHVH Élohim ordonna sur l'Adam
disant : De tout arbre du jardin tu mangeras. Et de l'arbre de la
connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en
mangeras, tu mourras (Gn 2, 16-17)1.
Tu es créé, tu n'es pas Dieu, Dieu
seul est Dieu. Tu es fils ou fille de Dieu. Tu es créé et aimé dans les limites
propres à tout humain, à tout ce qui a pris forme ; accepte ta condition
de créature en toutes ses dimensions.
Ne convoite pas la divinité.
3. Le
déploiement de l'identité spécifique de chaque personne en Dieu et en juste
relation avec l'autre
Va vers toi, de la terre de ton
enfantement, de la maison de ton Père vers la terre que je te ferai voir (Gn 12, 1).
On ne t'appellera plus du nom
d'Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te donnerai de devenir le père d'une
multitude de nations (Gn
17, 5).
Celui qui a des oreilles, qu'il
entende ce que l'Esprit dit aux Églises : au vainqueur, je donnerai de la
manne cachée et je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant un
nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit (Ap 2, 17).
Tu es créé et aimé unique, deviens
toi-même en Dieu, suis ton chemin personnel dans une juste relation à l'autre.
Il t'est interdit de te mélanger à l'identité d'une autre personne, de la
posséder ou de te laisser posséder, d'entretenir de la confusion dans la
relation, de te courber devant un pouvoir abusif, de convoiter ce qu'a ou est
l'autre.
4. La
recherche de l'unité de la personne habitée par le Dieu vivant.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de tout ton esprit et ton
prochain comme toi-même (Dt
6, 5 ; Lv 19, 18 ; Lc 10, 27).
Le Verbe s'est fait chair (Jn 1, 14).
Ne savez-vous pas que vous êtes un
temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1 Co 3, 16).
Tu es un au travers de ton corps, de
ta psyché et du cœur profond qui les anime. Ne les divise pas, ne les mélange
pas, découvre leur hiérarchie intérieure.
Apprends de l'Esprit comment
collaborer avec lui pour qu'il vivifie ton humanité.
5. L'entrée
dans la fécondité et le don
Dieu les bénit et leur dit :
soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la (Gn 1, 28).
La parabole des talents en Mt 25,
14-30 : C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu
de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai ; entre dans la
joie de ton seigneur (Mt 25, 21).
Comme la plante porte des fleurs et
l'arbre des fruits, toi, entre dans la fécondité de ta vie. Reconnais la source
du don et développe les talents qui t'ont été remis.
Ne sombre pas dans la dépréciation de
toi-même, ne te replie pas sur toi, n'enterre pas tes désirs les plus authentiques.
Les lois de vie sont des lois
ontologiques
Elles sont inscrites dans la
constitution même de l'être humain. Elles établissent les conditions premières
de la vie, d'une mise en ordre de la personne, de son développement, de la
justesse de la relation. Elles garantissent l'ordre de la création, tout ce qui
vit, l'homme, la femme, l'harmonie de leur structure interne, leur paix, leur
équilibre fondamental, leur unité intérieure, la cohérence de leur vie. Elles
donnent la juste direction et protègent les humains en les alertant sur les
possibles chemins de destruction.
Dans le principe, les lois de vie
sont connues de tous, car elles sont déjà là au cœur de l'être humain. Mais
beaucoup d'hommes, de femmes sont tellement dispersés ou abîmés qu'ils ont
difficilement accès à une véritable prise de conscience du sens vital de ces
lois.
Le fait qu'elles soient considérées
comme connues, comme « allant de soi », explique peut-être pourquoi
on oublie si souvent de prendre le temps de les définir par des mots, d'en
approfondir la signification, d'explorer l'impact très concret qu'elles vont
avoir sur les comportements quotidiens.
On les retrouve dans toutes les
dimensions de l'être humain : corporelle, psychologique, spirituelle.
C'est normal puisqu'elles régissent la structure interne de l'homme ; il
ne saurait y avoir aucune contradiction entre les lois spirituelles et les lois
psychologiques ou biologiques.
Ce sont des lois de Dieu
Elles en ont donc les
caractéristiques : la loi de Dieu est par essence inscrite dans les cœurs,
gravée au fond de l'être, c'est la loi intérieure qui habite tout homme, toute
femme 2. Elle est valable pour tous, en tous
temps, en tous lieux. Elle n'est pas facultative : y adhérer mène à un
chemin de vie ; la transgresser entraîne une forme de mort.
Les lois humaines ajustées
actualisent ces lois de vie universelles. Elles expriment la façon de vivre les
lois de Dieu. Les lois humaines sont soumises au choc des cultures, des temps.
Elles doivent être sans cesse questionnées, repensées, révisées, revivifiées
pour faire face aux situations nouvelles, concrètes, inventer des chemins de
vie. Elles sont faites pour libérer l'être humain de l'esclavage, du chaos.
Beaucoup ignorent que les lois de vie
sont des lois de Dieu, et cette ignorance est une des causes principales du
morcellement de l'être, des difficultés rencontrées dans la juste articulation
des dimensions psychologiques et corporelles avec la dimension spirituelle.
Actuellement, de nombreuses personnes
qui ont une réelle vie de foi entreprennent un travail de vérité sur
elles-mêmes. C'est un beau chemin. Mais comment expliquer que nombre d'entre
elles descendent dans leurs profondeurs psychologiques ou travaillent sur le
corps et ne savent plus ensuite comment faire la jonction entre leur dimension
psychologique, biologique et leur foi ?
En faisant un parcours psychologique
ou corporel, elles ont, bien entendu, abordé les lois de vie, retrouvé une part
de vie. Il ne saurait en être autrement. Mais bien souvent elles n'ont pas
découvert que ces lois de vie sont en réalité des lois de Dieu : c'est ce
qui explique qu'elles ne savent plus comment retrouver le sens vital des lois
de Dieu, de la Parole de Dieu qui leur paraît étrangère à ce qu'elles viennent
de découvrir. C'est alors qu'elles peuvent rester écartelées entre la foi et la
vie de leur psyché ou de leur corps.
À partir du moment où elles
comprennent que les lois qu'elles ont rencontrées dans leur parcours
psychologique ou corporel ont une origine divine, la lumière se fait ; la
remontée, le chemin de retour vont pouvoir être entiers, concerner toutes les
dimensions de leur être : elles ont retrouvé la source et le chemin qui y
mène.
Avec l'apport inappréciable de la
mise au jour de la vérité sur elles-mêmes, elles vont découvrir les démarches
intérieures, spirituelles, qui vont leur permettre d'aller au bout de leur
quête.
Au cours de leur trajet psychologique
ou corporel, elles ont pris conscience qu'elles ont transgressé une loi de vie,
mais tout à coup, elles découvrent qu'elles ont en réalité transgressé une loi
de Dieu, ce qui les fait immédiatement entrer sur un autre plan : c'est
cette découverte qui va leur permettre de faire la jonction entre les
différentes dimensions de leur être. La vision s'élargit, il devient possible
de vivre une démarche spirituelle à partir de la réalité psychologique ou
corporelle qui n'est pas déniée.
La notion de loi
Beaucoup sont hérissés par le terme loi qui leur rappelle de mauvais
souvenirs d'étroitesse et de réduction de vie. C'est une erreur de croire que
les lois de vie sont de l'ordre du légalisme borné : elles touchent la vie
et la mort, elles donnent la direction de la vie. On ne saurait donc les appréhender
comme un code juridique ou des notions dépassées, anciennes, contraignantes.
En méconnaissant le sens des
informations essentielles qui fondent la vie, on perd en même temps ses
racines. Pour construire une maison, on pose les fondations. Comment retrouver
l'ordre en soi si les fondations sont absentes ?
La forme des lois de vie
Les lois de vie doivent être
entendues d'abord dans leur formulation positive : elles donnent la
direction de la vie ; puis dans leur formulation négative : elles
énoncent ce que l'on appelle des interdits structurants, ceux qui protègent la
vie, alertent les humains sur les possibles chemins de mort. Elles se
présentent comme des ordres de vie qui sont autant de manifestations de l'amour
de Dieu pour ses créatures.
On pourrait dire tout simplement que
les ordres de Dieu sont là pour mettre de l'ordre dans la création et dans la
structure interne de l'être humain. Une fois que l'on a compris cette évidence,
le chemin s'éclaire, on sort de la contrainte, on entre dans une dimension de
relation, d'adhésion à une direction de vie.
Quel est le sens vital de ces lois,
de ces ordres de vie, de ces grands interdits ? Quel impact ont-ils sur la
construction de l'identité, de la liberté, sur la qualité de la relation, la façon
de vivre ?
Les lois de vie ouvrent un chemin de
vie
La seule reconnaissance que la loi de
vie est une loi de Dieu ne suffit pas. Un chemin s'ouvre, jalonné de démarches
intérieures, spirituelles, précises.
Le trajet se poursuit avec d'autres
références : la reconnaissance du Dieu créateur ; la vérité de la
Parole qui donne les conditions de la vie ; une juste collaboration avec
l'Esprit-Saint : sa lumière va aider à discerner les passages à traverser ;
l'adhésion à la grâce du Christ, l'accueil de sa présence vivifiante donne la
force d'entrer dans une liberté personnelle, de poser des choix, de se lever de
son grabat, de se mettre en marche (Jn 5, 8), de quitter le tombeau dans lequel
on était enfermé (Jn 11, 43), pour retrouver la vie.
Pour beaucoup, il va être nécessaire
de renoncer à la fausse croyance qu'une reprise spirituelle va leur permettre
de brûler les étapes, d'éviter une douloureuse descente dans la réalité de leur
humanité. Conversion ne signifie pas mutilation ou effacement de l'humanité,
mais participation à l'œuvre de l'Esprit qui va vivifier l'être en son entier.
On peut avoir une intense vie
spirituelle au travers de grandes difficultés psychologiques ou corporelles ;
mais cela n'exclut en aucune façon ce chemin de remise en ordre que chacun, chacune,
va vivre à sa façon et selon ses possibilités.
Il arrive qu'après un travail
psychique ou corporel certains demeurent liés
par des paroles et des regards négatifs, des croyances mensongères, erronées,
des interdits, une violence, un sentiment de révolte tenace, une souffrance que
rien ne vient apaiser... Tout cela a pu être mis au jour, repéré ;
cependant bien souvent la mise en mots ne suffit pas à mener à la libération.
C'est comme si la chair même était atteinte, comme si les nœuds des blessures
mal vécues étaient toujours là, infectés.
C'est alors que les démarches
spirituelles vont permettre d'aller plus loin. L'autorité, la vérité de la
Parole de Dieu, vont être sources de libération. Dans la grâce de la présence
vivante du Christ, ce sont elles qui font contrepoids à ce qui s'est inscrit en
soi de façon si prégnante. Elles sont comme l'antidote du poison qui s'est
infiltré et sur lequel on a pu se construire. Mais ici encore, cette parole n'est
pas magique. Elle oriente vers un véritable chemin de retour, une remontée
après la descente, une résurrection après un passage par une forme de mort.
L'expérience montre que cette partie
du trajet n'entraîne ni condamnation, ni accablement. C'est un temps béni et
plein de joie, comme un élargissement soudain, une respiration vivifiante, un
soulagement considérable ; on comprend enfin où se trouve l'unité de
l'être si ardemment recherchée. Après le temps du désert, on arrive au seuil de
la terre de la promesse ; la marche va se poursuivre, mais on sait
dorénavant sur quel chemin avancer.
Comment découvrir les lois de vie
dans la Bible ?
On ne trouve pas dans la Bible de
classification des lois de vie telles qu'elles sont présentées dans ce livre.
En revanche, il est aisé de retrouver la Parole qui les explicite et détaille
les conséquences qu'elles ont sur notre vie.
Elles sont énoncées dans différents
passages de la Bible, essentiellement dans la Genèse, mais aussi dans le
Lévitique, le Deutéronome... et bien entendu dans le message du Christ. Ces
textes bibliques rappellent ces lois et en précisent la mise en pratique.
Le choix de la vie est la première
des lois de vie. L'acceptation de la condition humaine vient ensuite en tête
des grands fondements de la vie. Mais ensuite il n'y a pas de classement
spécifique des autres lois.
Un
chemin d’évangélisation des profondeurs 3
Au moment d'entreprendre un chemin
d'évangélisation de ses profondeurs, il est bon de se remémorer trois réalités
spirituelles essentielles. Elles vont toucher la gratuité de l'Amour de Dieu,
le fait que la grâce précède toujours le mouvement ou l'effort de l'être
humain, et la liberté. Il arrive que dans une recherche de vérité sur soi, dans
la joie aussi de la découverte de sa propre réalité, de son fonctionnement
psychologique, de la mise en mots de son histoire, on oublie ces fondements
essentiels de la foi vivante. Nous ne pouvons cependant les éluder car la façon
dont nous allons les vivre va conditionner la justesse du parcours 4.
Le
don de Dieu : la gratuité de Son Amour
Dieu est Amour. Nous pouvons entendre
ces mots comme une affirmation
révolutionnaire, une définition vigoureuse
et métaphysique de Dieu qui va totalement à l'encontre de la conception du
ou des dieux païens 5.
L'amour de Dieu est premier. Il est
gratuit, il est offert à tous les humains sans exception. « En posant Dieu
comme créateur de l'univers, la Bible écarte d'emblée et de manière radicale et
définitive l'idée d'un monde soumis à une puissance anonyme ou à une force
aveugle... » Le monde est dans les mains d'un Dieu conçu comme un « sujet
qui a un projet, un dessein, une intention... » Ni le monde ni l'être
humain ne sont « nulle part, en désorient »6.
Tout au long de la Bible, nous sommes
témoins de l'amour prévenant de Dieu pour son peuple, invité sans relâche à entrer
dans l'Alliance. Nous avons aussi expérimenté, touché, connu l'amour de Dieu
par Jésus le Christ. Il nous manifeste que « la grâce de Dieu est le
secret de la rédemption. Le salut est le don de Dieu et non le salaire mérité
par un travail, sans quoi la grâce ne serait plus la grâce ».
Beaucoup méconnaissent l'amour
gratuit de Dieu. Ils ont de la peine à croire qu'ils sont personnellement
aimés, accueillis, invités à grandir dans leur liberté, leur identité de fils
et de filles de Dieu, appelés à déployer la vie. Ils ne comptent que sur leurs
efforts et démarches pour parvenir à être aimés de Dieu. Ceux et celles qui ont
été blessés par la vie peuvent avoir fermé une porte sans en avoir clairement
conscience. Cependant l'amour se donne et donne en surabondance et de façon
totalement gratuite.
Les cinq pains et les deux poissons
remis par un enfant à Jésus vont permettre de nourrir plus de cinq mille personnes
et les restes remplissent encore douze corbeilles (Mt 14, 13-21). Après une nuit de travail épuisant et stérile, sur la
Parole de Jésus, Pierre et ses compagnons avancent en eau profonde et prennent
tant de poissons que leurs filets manquent de s'enfoncer (Lc 5, 4-12). Il est sans cesse question de
source jaillissante, de torrents de vie, de gratuité : « Vous tous
qui êtes altérés, venez vers l'eau, même si vous n'avez pas d'argent, venez
acheter du blé et consommez, sans argent et sans payer, du vin et du lait »
(Is 55, 1).
L'amour de Dieu est l'amour d'un père
qui adopte des fils et des filles avec tout ce que cela induit dans la relation
vivante. Se laisser atteindre par cet amour-là est certainement la première
étape essentielle d'une véritable guérison.
La
grâce de Dieu précède toujours le mouvement de l’être humain
Il s'agit là d'une « priorité
fondatrice »7. C'est toujours Dieu qui a l'initiative. Il
invite, propose, fonde et ouvre les désirs les plus authentiques de tout homme,
de toute femme. Si nous nous mettons en marche c'est en réalité parce que nous
répondons à une invite qui, elle, est première. Avant même l'émergence du
désir, la grâce est déjà là. C'est elle qui nous insuffle, nous pousse en
avant, nous appelle à sortir d'une forme de mort pour retrouver la vie, la
liberté, la vérité, la relation justement située.
La grâce n'est pas l'aboutissement
des efforts humains, elle les précède, met en route. C'est parce que la grâce
nous est donnée que nous sommes attirés par cette recherche d'unité de notre
être habité par l'Esprit Saint, par cette quête.
Cette priorité de la grâce n'empêche
nullement la nécessaire connaissance de notre fonctionnement psychologique ou
biologique. Elle nous meut dans notre recherche de la vérité, nous apprend à
exercer notre liberté, nos initiatives, à développer nos compétences. Nous
pensons trop souvent avoir trouvé
tout seuls, par nos seules forces, ou au contraire être condamnés à découvrir
seuls les repères essentiels. Nous oublions la fonction de l'Esprit en chaque
humain, la puissance de grâce qui permet de grandir dans la vie.
C'est « la grâce qui permet de
naître à une existence nouvelle » (Jn 3, 3 s.), celle de l'Esprit qui
anime les fils et les filles de Dieu... une vie au sens le plus plein du mot,
la vie de ceux et celles qui sont revenus de la mort et vivent d'une vie nouvelle
avec le Christ ressuscité (Rm 6, 4-8. 11-13...)8. La grâce est
principe de transformation et d'action ; elle requiert donc une constante
collaboration de l'être humain »9.
C'est peut-être ce point de la précédence 10 de la grâce qui
suscite le plus de difficulté ; il est cependant essentiel.
La
liberté de l’être humain
L'être humain est créé libre. « Il
est libre par naissance, de plein droit. La liberté appartient à l'essence de
l'homme, elle est constitutive de son être »11. C'est un don
magnifique qui est fait à tout homme, à toute femme. Mais cette potentialité de
liberté est à conquérir en quelque sorte. L'amour gratuit de Dieu — qui est
exempt de toute contrainte — appelle ceux et celles qui ont eu leur liberté
réduite ou abîmée au cours de leur histoire, à la redécouvrir, à en retrouver
au moins une part, à grandir dans leur désir. Sa grâce les accompagne dans ce
trajet. C'est ainsi que l'être humain va pouvoir répondre à cette invite de
poser un libre choix, selon le pas qu'il peut poser : il ne va plus se contenter
de vivre, mais va découvrir dans l'Esprit une issue de vie, apprendre à
collaborer avec l'Esprit pour se structurer, remplir sa condition de fils ou
fille de Dieu, entrer en juste relation avec l'autre. Il consent à prendre la
route, avec ce qu'il a et ce qu'il est et, selon la belle expression d'Adolphe
Gesché, cela suppose « une métaphysique du cœur courageux »12.
Deux écueils se trouvent sur la route :
— l'oubli de la gratuité de l'amour
de Dieu, de la priorité de la grâce en ne comptant pour restaurer la vie
atteinte par des blessures que sur leurs seuls efforts, connaissances, savoir
et compétences ; ou
— au contraire, puisque Dieu est
Amour et que l'amour est gratuit, l'attente passive du miracle d'une vie
renouvelée sans trajet de conversion.
Il est apaisant et réconfortant de se
mettre en marche en gardant au cœur comme un trésor cette définition du salut :
« La doctrine du salut suppose en son fond que l'on peut toujours revenir
sur une situation (la sauver précisément), que rien n'est jamais définitivement
perdu. Le mal existe mais n'a plus couleur de destin »13.
Simone Pacot, in Reviens à la vie !
(cerf)
1. Traduction de Josy EISENBERG et
Armand ABÉCASSIS, Et Dieu créa Ève, Paris, Albin Michel, coll. « À
Bible ouverte », 1992.
2. Jr 31, 33 ; Xavier THÉVENOT, Repères
éthiques pour un monde nouveau, Mulhouse,
Salvator, 1982.
3. L’association Bethasda organise
des sessions sur l’évangélisation des profondeurs de l’être humain où se vit l’accueil
de la miséricorde de Dieu dans la vérité de toute la personne.
4. Ces quelques réflexions doivent
beaucoup à un enseignement oral de Xavier Thévenot, ainsi qu'au livre d'Adolphe
GESCHÉ, Dieu pour penser. III, Dieu, Éd. du Cerf, 1994, chapitre III.
Apprendre de Dieu ce qu'il est, p. 83-117.
5. Ibid., p. 110.
6. Ibid., p. 90-91.
7. Adolphe GESCHÉ, p. 111.
8. Vocabulaire
de théologie biblique, Éd.
du Cerf, 1978, p. 514-517.
9. Ibid.
10. Xavier THÉVENOT, enseignement
oral.
11. Adolphe GESCHÉ, p. 92.
12. Ibid.,
p. 99-100.
13. Ibid.,
p. 94.