Dans le dixième chapitre de l’Évangile de Saint Jean, Jésus parle de lui comme du bon Berger. Les qualités qu'il donne à ce bon Berger sont bien celles dont a besoin le Berger d'une communauté. Le berger conduit le troupeau et lui indique la direction. Il doit aussi « connaître chacun par son nom ». Dans la vision biblique, le nom signifie le don et l'appel, ou la mission d'une personne. Le berger a une relation personnelle avec chacun, connaît ses dons particuliers pour l'aider à grandir, connaît ses blessures pour lui donner force, réconfort et compassion, surtout dans les moments de souffrance. Le berger est lié à son peuple par des liens d'amour. Il est prêt à donner sa vie pour lui, à sacrifier ses intérêts propres.
Le responsable organise la communauté
de telle sorte que chaque membre soit à sa place et que les choses se fassent
dans le calme. Il l'anime pour qu'elle reste vivante et que tous aient les yeux
fixés sur les buts essentiels. Il aime chaque personne et se sent concerné par
sa croissance.
Les membres d'une communauté sentent
très vite si les responsables les aiment,
s'ils ont confiance en eux et veulent les aider à grandir, ou bien s'ils ne
sont là que pour gérer et administrer, pour prouver leur autorité, imposer la loi et leur
propre vision, ou chercher à plaire.
Le responsable, devant la
multiplicité des problèmes et leur complexité, doit garder un cœur d'enfant
assuré que Jésus viendra toujours au secours de sa faiblesse. Il lui faut
mettre ses soucis dans le cœur de Dieu et puis faire tout son possible.
Personne ne sera heureux dans la
communauté si les responsables sont
constamment préoccupés, anxieux, sérieux, fermés sur eux-mêmes. Certes, la
responsabilité est
une croix qu’il faut porter chaque jour mais nous devons apprendre à la porter allégrement.
Le secret d'un responsable est de
rester jeune, ouvert et disponible, capable d'émerveillement. Et le moyen le
meilleur est de rester ouvert à l'Esprit Saint.
Le responsable se rappelle que Dieu a
choisi comme responsables des hommes très limités : Moïse qui a tué un Égyptien, Pierre qui a renié le Christ, Paul qui a participé au meurtre
d'Etienne. Peut-être parce qu'ils étaient limités et pas vraiment dignes de
confiance, selon un point de vue humain, étaient-ils plus humbles, et donc
meilleurs instruments de Dieu.
Il faut toujours se souvenir des
paroles de Jésus à Pierre : « Pais mes brebis ». Oui la
communauté est essentiellement le petit troupeau de Jésus. Nous ne sommes que
des instruments. Si nous avons été appelés à assumer la responsabilité, Jésus
sera toujours là pour nous aider à nourrir son troupeau, pour nous guider et
nous donner la force et la sagesse nécessaires.
Être
serviteur de la communion
Il y a différentes façons d'exercer
l'autorité et le commandement : celle du chef militaire, et celle du
responsable d'une communauté. Le général
a en vue la victoire, et le responsable d'une communauté, la croissance des personnes dans l'amour et la vérité.
Le responsable d'une communauté a une
double mission : il doit garder les yeux sur l'essentiel, sur les buts
fondamentaux et donner toujours la direction pour ne pas laisser la communauté se
perdre dans des petites histoires, des choses secondaires et accidentelles. À Foi
et Lumière, le responsable doit constamment se rappeler que la communauté
existe essentiellement pour l'accueil et la croissance des personnes ayant un
handicap et de leurs parents, leurs familles, dans l'esprit des Béatitudes.
Le responsable a pour mission de
garder la communauté devant l'essentiel.
C'est pourquoi il doit souvent et clairement annoncer la vision, et veiller à ce que les
autres l'annoncent. Une communauté a
continuellement besoin d'être nourrie de cette façon.
Mais le responsable d'une communauté
a aussi pour mission de créer une atmosphère ou une ambiance d'amour mutuel, de
paix et de joie entre tous les membres. Par sa relation avec chacun, par la
confiance qu'il leur manifeste, il amène chacun à avoir confiance dans les
autres. La terre propice à la croissance humaine est un milieu détendu, fait de
confiance mutuelle. Quand il y a des rivalités, des suspicions, des blocages
les uns par rapport aux autres, il ne peut y avoir ni communauté, ni
croissance, ni témoignage de vie. Les frères de la communauté de Taizé
n'appellent plus leur responsable « prieur » mais « serviteur de
la communion ». Cela me touche profondément. Oui, le rôle du responsable est de faciliter la
communion ; une communauté est plus fondamentalement un lieu de communion
qu'un lieu de collaboration.
De la même façon, et peut-être pour
les mêmes raisons, beaucoup confondent autorité et puissance d'efficacité,
comme si le premier rôle du responsable était de prendre des décisions, d'agir
et de commander efficacement, exerçant ainsi un pouvoir. Mais l'autorité est
d'abord une référence, une sécurité, une personne qui confirme, soutient,
encourage et guide.
Dans le langage biblique, l'autorité
est un rocher. Elle est solide et soutient. Elle est la source d'eau qui donne
la vie, qui purifie, qui pardonne, qui nourrit. Elle est le jardinier qui
arrose les semences pour qu’elles portent du fruit.
Si le responsable est serviteur de la communion, il doit être
une personne de communion, qui cherche la communion avec le Père et avec les personnes. Alors il créera
un espace de communion dans la communauté.
Exercer l'autorité
dans l'humilité
Jésus est le modèle de l'autorité pour les chrétiens. La
veille de sa mort, il a lavé les pieds
de ses disciples comme un esclave ordinaire.
Pierre a été complètement bouleversé par ce geste. Et Jésus dit à ses disciples qu'ils devaient
faire de même : « Heureux serez-vous, si vous faites ce que j'ai fait ».
C'est une nouvelle
manière d'exercer l'autorité, et cela va contre le besoin de s'estimer supérieur aux autres et de les
dominer. Jésus exerce l'autorité en
descendant plus bas que les autres. Nous avons vraiment besoin de l'Esprit de Jésus
pour nous apprendre à être d'humbles serviteurs de la communion.
Celui qui assume le service de l'autorité doit se rappeler
que, dans les perspectives de l'Évangile,
ce n'est pas le chef, c'est le plus
pauvre qui est le plus important et le plus proche de Dieu : c'est lui que
Dieu a choisi pour confondre les forts ; c'est lui qui est au cœur de la communauté chrétienne.
Les responsables doivent se préoccuper
des pauvres et de leur croissance dans
l'amour.
Un bon responsable se soucie toujours des minorités dans
la communauté et de ceux qui n'ont pas
de voix. Il est toujours à leur écoute et se fait leur interprète devant la
communauté. Il est le défenseur des
personnes, car la personne dans son être profond ne doit jamais être sacrifiée
au groupe. La communauté est toujours en
vue des personnes et non l'inverse.
Le responsable est le gardien de l'unité. Il doit avoir
soif de l'unité et travaille pour elle
jour et nuit. Pour cela, il ne doit pas
avoir peur des conflits, mais les accepter et s'efforcer d'être un instrument de réconciliation ; il
garde le contact avec tous ceux qui
composent la communauté et particulièrement avec ceux qui souffrent ou qui sont en opposition
avec elle.
Être un responsable serviteur, c'est être davantage
concerné par les personnes que par
l'institution. Il y a toujours un aspect institutionnel dans une communauté : les
choses doivent être faites, le travail
doit avancer ; mais c'est mauvais signe quand le responsable est plus préoccupé de
l'organisation que de la croissance des
personnes.
Un bon responsable est celui qui engendre confiance et espérance dans la présence de Dieu et dans la
communauté. Il est toujours humble.
Certains responsables, voulant être proches de chacun, ont tendance à dire "oui" à tout
le monde. Souvent, il leur manque le
sens de la communauté comme un tout, et ils n'aiment pas passer par les
structures. Cela peut conduire au chaos !
Partager les
responsabilités
Un bon responsable ne se lasse jamais
de partager le travail avec d'autres, même s'il sent qu'ils font le travail
moins bien ou autrement que lui. C'est toujours plus facile de faire les choses
soi-même que d'apprendre aux autres à les faire. Le responsable qui tombe dans
le piège de vouloir tout faire risque de s'isoler, de devenir hyperactif et de
perdre la vision des buts de la communauté.
Des personnes, même très limitées et fragiles, si elles collaborent
avec une autorité qui est bonne, c'est-à-dire qui a une vision, un cœur compatissant et ferme,
peuvent faire des choses merveilleuses.
Elles participent à la vision de l'autorité, et profitent de son don.
La richesse d'une communauté c'est que tous participent aux qualités et aux dons
les uns des autres. Il est parfois difficile pour ceux qui portent une
responsabilité, qu'on pourrait appeler
"intermédiaire", c'est-à-dire dont la responsabilité est limitée à un certain
domaine et qui sont immédiatement
responsables devant quelqu'un d'autre, de s'harmoniser avec l'ensemble et de s'y intégrer.
Il n'est pas toujours facile de
distinguer les domaines où l'on peut prendre des initiatives sans se référer au
responsable supérieur, des domaines où il est bon de se référer à lui, de
l'écouter, de voir ce qu'il pense, et de reconnaître son autorité.
Certains responsables refusent même
d'informer le responsable supérieur, pour être plus libres et pouvoir faire ce
qu'ils veulent, sans contrôle ; ils agissent comme s'ils étaient seuls
maîtres. D'autres vont dans le sens totalement opposé ; ils ont si peu
d'assurance en eux-mêmes et tellement peur de l'autorité qu'ils s'y réfèrent à
tout bout de champ pour les moindre détails. Ils deviennent de purs exécutants
serviles. Il faut trouver le juste milieu entre ces deux extrêmes :
assumer pleinement sa responsabilité devant Dieu en se référant à lui mais en
se référant aussi dans la vérité et avec un cœur disponible au responsable
supérieur. Cela demande un cœur limpide, qui ne cherche d'aucune manière son
propre intérêt.
De même, l'autorité dernière peut se tromper ; soit en laissant ceux qui ont
une autorité intermédiaire tout faire
sans dialoguer ni rendre compte de rien,
soit en leur disant tout ce qu'ils doivent faire et comment ils doivent le faire. Une véritable autorité
dialogue, donne des orientations et des
idées, puis laisse les autres assumer leur responsabilité et faire leur travail. Mais évidemment,
il doit y avoir aussi un dialogue une
fois le travail accompli - qu'il ait été
bien fait ou non - pour confirmer, soutenir et corriger si nécessaire. Le responsable doit veiller de près
sur ceux qui ont une responsabilité dans
la communauté et qui, pour une raison ou une autre (santé, fatigue, manque de certaines
qualités, etc.) ne peuvent pas bien
l'exercer. Parfois, il faut les décharger de cette responsabilité : d'autres fois, être
exigeant et les appeler à mieux faire. Cela demande beaucoup de sagesse.
Porter l'autorité
Porter l'autorité est une grande
responsabilité, mais c'est aussi très beau, car celui qui a reçu une autorité
est assuré de recevoir de Dieu la lumière, la force et les dons nécessaires
pour accomplir sa tâche. C'est pour cela qu'un responsable ne doit pas
seulement demander à ceux qui lui ont confié la responsabilité ce qu'il faut
faire, comme le ferait le responsable d'une assemblée. Il doit, dans le secret
de lui-même, chercher le conseil de Dieu, découvrir au cœur de son cœur la
lumière divine. Je crois beaucoup à la grâce qui est donnée pour exercer une
mission ou assumer une fonction. Dieu vient toujours au secours de celui qui a
l'autorité s'il est humble et s'il cherche à être serviteur dans la vérité.
Comprendre vraiment cela est très libérant pour un responsable. Il n'a pas à
porter tous les soucis du monde : Dieu est là. C'est lui qui l'a appelé à
être responsable ; il lui donnera la force et la sagesse dont il a besoin.
Il peut être en paix et détendu. Il doit seulement faire de son mieux et puis
tout remettre entre les mains de Dieu et aller se coucher avec le sourire.
Celui qui est l'autorité dernière
dans la communauté porte toujours en lui une part de solitude : même s'il
est aidé par une équipe, il reste seul devant les décisions finales. Cette
solitude est sa croix, mais elle est aussi le garant de la présence, de la
lumière et de la force de Dieu. C'est pour cela qu'il lui est nécessaire, plus
qu'à tout autre dans la communauté, d'avoir du temps pour être seul, pour
prendre du recul et demeurer avec son Dieu. C'est dans ces moments de solitude
que l'inspiration naîtra en lui et qu'il sentira quelle direction prendre. Il
faut qu'il ait confiance dans ses intuitions surtout si elles s'accompagnent d'une
paix profonde, mais il doit aussi chercher une confirmation en les partageant
avec des personnes en qui il a vraiment confiance, et aussi avec son équipe de
coordination.
De même, il est évident qu'entre les
responsables d'une même région, d'un même pays, d'une même zone, il doit aussi
y avoir dialogue, unité et amour, pour être serviteurs de la communion.
Un bon responsable est conscient de sa force et de sa faiblesse. Il n'a pas peur de reconnaître cette dernière. Il sait où trouver du soutien et il est assez humble pour le demander.
Jean Vanier, in La communauté, lieu du pardon et de la fête