Le Verbe se fait chair, l'Invisible se rend visible dans
un petit enfant. Mais après Noël vient l'Ascension. Le Dieu qui s'était
physiquement manifesté disparaît à nouveau. Sans doute est-il encore substantiellement
présent à la messe, mais on n'y voit que du pain - non plus son corps dans son
apparence propre. Alors quoi ? De la Nativité à l'Ascension, le cycle
liturgique ne nous livre-t-il qu'une opération à somme nulle ? L'Invisible
ne se rend-il-visible que pour redevenir invisible ensuite – comme un retour à
la case départ sans même toucher les trente deniers ? Non pas. Car le
Verbe ne s'est pas désincarné, il a pris avec lui notre humanité dans les
cieux. De sorte que désormais notre chair elle-même fait partie des réalités
invisibles.
Cette vérité se fait de plus en plus sentir. Le siècle
s'ingénie à se rendre aveugle à ce qui saute aux yeux. Et les apôtres y sont
condamnés à être ridicules, parce qu'ils n'ont plus seulement à faire des
miracles, mais à montrer des évidences premières : qu'il y a des hommes et
des femmes ; qu'un enfant naît d'un père et d'une mère ; que les
vaches ne sont pas carnivores ; qu'on ne fait pas pousser l'herbe en
tirant dessus ; que la table est plus conviviale que la tablette ;
que la nuit n'est pas le jour... Si l'adage « Je ne crois que ce que je
vois » est la marque d'une imbécillité crasse, il est probable que celui
qui énonce qu'on ne voit que ce qu'on croit relève d'une sagesse profonde. Pour
être attentif au visible et ne pas le revendre en pièces détachées, il faut
croire qu'il procède d'une source invisible et souveraine...
Telle est notre confiance. Quand plus rien ne va de soi,
tout ne peux plus que repartir de Dieu, et du Dieu fait chair, qui n'écrase
pas, mais sauve l'humain dans son évidence même. Aujourd'hui, une juste
anthropologie ne peut tenir que dans l'atmosphère de la théologie révélée.
C'est cela que nous essayons de transmettre à Philanthropos : un Noël de
la pensée.
Fabrice Hadjadj, Directeur de
l'Institut Philanthropos
in La lettre de Philanthropos (décembre 2014)
in La lettre de Philanthropos (décembre 2014)