jeudi 31 mai 2012

En témoignant... Pablo Domínguez Prieto, Contempler l'amour du Christ


La première chose que nous allons faire est de contempler l'amour du Christ. Comme c'est magnifique de savoir à quel point Dieu m'aime, c'est une merveille.
Comment faire ? Nous trouvons la réponse dans une des plus belles descriptions qui aient été faites de l'amour du Christ. Je parle de la première Lettre aux Corinthiens au chapitre 13. Cette hymne à l'amour est l'hymne de l'Amour de Dieu. Quand il dit : « La charité est longanime ; la charité est serviable », il parle du Christ. Le Christ est patient, il rend service. « La charité n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais ». C'est l'amour du Christ, auquel il nous fait prendre part. C'est le Christ qui est patient avec nous, avec moi. Il est serviable, il n'est pas envieux, il ne fanfaronne pas, il ne se gonfle pas, il ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l'injustice, mais il met sa joie dans la vérité. L'amour du Christ excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. L'amour du Christ ne passe jamais. Le premier point de notre méditation sera de lire l'amour du Christ à la lumière de ce qu'écrit saint Paul.
Quand on vit comme ça, on trouvera toujours la paix intérieure, parce qu'on se sait aimé. Nous pourrions relire des textes de l'Écriture où il est question de la patience du Christ, de sa façon de rendre service, de nous attendre, de ne pas tenir compte du mal...
Premier témoignage : depuis la maladie, depuis l'espérance
Je vais vous lire une lettre... telle quelle. Elle n'est ni édulcorée ni modifiée, elle est à l'état brut. Ce n'est pas une lettre qui a été publiée. C'est une lettre qui a réellement été envoyée à tous ceux qui connaissaient ce prêtre.
Permettez-moi d'abord de me présenter : je m'appelle Jesùs, j'ai trente-deux ans et je suis prêtre, Espagnol. En 1996, je suis parti en Bolivie comme missionnaire. Lors d'un retour en Espagne pour me reposer et prendre des vacances, on m'a diagnostiqué un cancer du colon avec métastase au foie.
J'ai subi plusieurs opérations : on m'a enlevé un quart du foie. J'ai été soumis à un traitement de radiothérapie. Actuellement, je suis une chimiothérapie. Ça fait déjà tellement longtemps que mon corps se détériore. En conséquence, je ne peux ni voyager ni sortir de chez moi. Bien que ma qualité de vie soit relativement acceptable, cela change beaucoup d'un mois à l'autre et même d'un jour à l'autre. Ce n'est jamais pareil ; on ne peut savoir comment je serai le lendemain. C'est un mystère, la souffrance est un mystère qui ne s'illumine que grâce à la foi.
Mon temps en Bolivie a été fantastique. Depuis l'enfance, je voulais partir en mission et le Seigneur me l'a accordé. J'y ai vécu un vrai renouveau sacerdotal, puisqu'avant j'étais un "bourgeois" : je ne me préoccupais de rien, sinon de moi-même. Pas de sainteté, pas d'intimité avec le Seigneur ni avec sa Parole, pas de vie de prière régulière et fidèle.
Pour ceux qui l'ont connu, nous pourrions dire que ce n'est pas vrai, mais c'est ainsi qu'il se jugeait.
Je faisais très peu de cas de la liturgie et du troupeau dont j'avais la garde. J'aurais été incapable de mourir pour qui que ce soit. Mais aux yeux des fidèles, je semblais être très travailleur, veillant à tout, bon prêtre, humble... Mensonge que tout ça. Je suis un égoïste et un orgueilleux, je ne recherche que moi-même dans ce que je fais. Un curé de campagne qui ne fait que s'activer, mais qui n'apporte pas l'Évangile à son troupeau. Je suis attaché à l'argent, d'ailleurs la dernière chose que j'aie faite avant de partir pour la Bolivie a été de donner des cours dans un lycée pour emporter un petit pécule. Le plus grand des dangers pour un prêtre, c'est l'argent — comme d'ailleurs pour tout chrétien — "car la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent" (1 Tm 6, 10). J'ai traversé aussi de nombreuses souffrances intérieures comme de devoir réaliser que je n'étais pas le "super-prêtre" dont on m'avait parlé, que la mission me dépassait... En définitive, il m'a fallu passer par la porte de l'humilité, que je repoussais ; voir mes péchés avec une clarté qui avait été voilée jusque-là. Je voyais bien que je n'étais d'aucune utilité pour l'évangélisation. Alors, je priais le Seigneur pour qu'il m'enlève de là plutôt que de me laisser continuer ainsi. Il l'a fait, et comment ! Le Seigneur m'a accordé ce que je lui demandais de tout mon cœur. À la mission, j'ai vu ce que c'est que d'être fils de Dieu et de vivre comme un fils de Dieu. Dieu pourvoit. Toujours. Je l'ai vu dans la mission comme dans ma maladie. Dieu pourvoit toujours. Il ne laisse jamais seul celui qui semble laissé pour compte.
L'expérience de la souffrance est un mystère. Dans la salle de réanimation, malgré l'effet de la morphine, je me souviens qu'à un moment, je me suis réveillé et j'ai été attiré par le crucifix en face de moi. J'ai regardé le Christ et je lui ai dit que nous étions pareils, le corps ouvert, les os endoloris. Seul face à la souffrance, abandonné, sur la Croix. Je me suis centré sur moi-même et me suis rebellé. Je ne comprenais pas. Dieu m'avait abandonné, "il ne m'aimait pas". Et soudain, je me suis souvenu des mots que Dieu le Père prononce du haut du Ciel à propos de Jésus : Celui-ci est mon Fils bien-aimé". Le Fils bien-aimé de Dieu était là, en face de moi, sur la Croix. Je me trouvais dans la même situation que lui, j'étais donc moi aussi un fils aimé et privilégié de Dieu. J'ai alors cessé de me rebeller et suis entré dans le repos. J'ai vu l'amour de Dieu. La raison humaine ne trouve pas de sens à la souffrance qui n'a aucune logique. L'homme n'entre dans la paix que la souffrance lui a ôtée qu'en contemplant le Crucifié. En effet, sous l'effet de la douleur et de la souffrance, l'homme perd sa capacité à raisonner, ainsi que sa volonté. Il est perdu, il a été vaincu.
[...] Ma maladie s'aggrave. J'ai des tumeurs au foie et au sacrum, ce qui signifie que les métastases commencent à se répandre. Bien qu'avec la chimiothérapie, il semble qu'elles soient un peu ralenties. De toute manière, les médecins m'ont pronostiqué une survie d'un an. Deux au maximum, selon l'avancement de la maladie. Je demande à Dieu d'avoir une qualité de vie suffisamment acceptable pour pouvoir évangéliser là où je suis, car je n'ai pas de responsabilité pastorale et que je me trouve chez mes parents afin qu'ils prennent soin de moi. Mais aussi parce que je veux y mourir.
Je me sens comme une barque échouée sur la rive du lac de Tibériade. Elle ne sortira plus pour la pêche. Mais je garde espoir que le Christ y monte également, pour proclamer la Bonne Nouvelle à la foule. Voici maintenant ma mission : être une barque échouée, le pupitre de Jésus-Christ.
Je me rends compte que cette période est un Avent particulier que le Seigneur m'offre pour me préparer à la rencontre de l'Époux et pour garder ma lampe allumée avec une huile nouvelle ; ainsi, je pourrai entrer au banquet des noces. Posséder l'huile de Jésus est un don qui fortifie les membres pour le dur combat de la foi dans la souffrance. Elle m'éclaire l'histoire qu'il est en train d'écrire avec moi. Elle m'assure que je possède l'Esprit Saint comme arrhes du Royaume des cieux.
Bien sûr, personne ne connaît ni le jour ni l'heure de sa mort. Ça s'appelle vivre de l'espérance. Et nous ne l'avons jamais aussi bien expérimenté que lors de cette année de préparation pour le Jubilé de l'an 2000. Toute l'Église va s'en souvenir.
Ce prêtre est mort au tout début de l'an 2000. Sa maladie s'était manifestée pour la première fois en 1998. Ce qui est admirable chez cet homme — je l'admire beaucoup, comme tous ceux qui l'ont connu : c'était un prêtre magnifique, jeune, très jovial et sympathique — c'est de voir comment il a pris le virage et combien la maladie est devenue une occasion d'annoncer le Christ, d'aimer le Christ... Au fond, il s'est rendu compte que l'amour du Christ était tout ce qu'il avait. Je crois que, pour nous, il est important également de réaliser que nous ne pouvons pas théoriser sur l'amour du Christ. Le Christ nous aime pour de vrai. Aussi, quel que soit l'état dans lequel on est, le lieu où l'on se trouve, quoiqu'il arrive, l'amour du Christ ne passera jamais. Il est ainsi capable de tout transformer, tout !
Deuxième témoignage : l'ange envoyé à l'Église d'Éphèse
Le deuxième texte que je veux vous lire est tiré de l'Apocalypse. Personnellement, cela m'aide beaucoup de le lire de temps en temps et de l'écouter comme s'il m'était adressé. C'est ce que l'ange dit à l'Église d'Éphèse.
« Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or : 'je connais ta conduite, tes labeurs et ta constance ; je le sais, tu ne peux souffrir les méchants : tu as mis à l'épreuve ceux qui usurpent le titre d'apôtres, et tu les as trouvés menteurs. Tu as de la constance : n'as-tu pas souffert pour mon nom, sans te lasser ? Mais j'ai contre toi que tu as perdu ton amour d'antan ! » (Ap 2, 2-4).
Ce qui lui fait mal, c'est le fait que nous ayons perdu la fougue de notre premier amour, celle que nous avions le jour où nous avons pénétré pour la première fois dans le monastère, le jour où nous sommes entrés pour la première fois au séminaire... Le jour où il y avait une braise ardente, l'amour profond du Christ qui faisait que nous dévorions le monde entier. Le Seigneur nous demande : « Pourquoi as-tu perdu ce premier amour ? »
Dans notre vie, il se peut que parfois, nous mélangions l'amour avec un autre type d'expériences, qui n'auraient pas dû avoir lieu. Demandons aujourd'hui à l'Esprit Saint de purifier notre âme de fond en comble, pour que, dans notre vie, il n'y ait de place que pour l'amour ! L'amour est toujours crucifié, il passe toujours par la Croix, toujours ! Et toujours veut bien dire toujours, il n'y a pas d'exception. C'est ça qui est bien.
Troisième témoignage : seul l'Amour est vainqueur
Je ne sais pas si vous connaissez l'histoire de Lucia Vetruse *, une religieuse. Elle écrit cette lettre dans laquelle elle montre comment seul l'amour est vainqueur. Seul l'amour est vainqueur... Uniquement l'amour ! Dans notre vie, nous pourrons être victorieux, mais si ça n'a pas été avec amour, par amour, en vivant et en se reposant dans l'amour de Dieu, nous ne serons pas vainqueurs ; nous aurons plutôt été vaincus par le Malin. Tandis que, même s'il semble que nous avons été défaits, que nous sommes échoués sur la rive, si, dans notre vie, il y a de l'amour, nous serons vainqueurs, le Christ sera vainqueur en nous. C'est aussi clair que ça. Il faut dire que le langage de l'Évangile est surprenant, très différent de celui que nous employons d'habitude.
Je m'appelle Lucia Vetruse, je suis une des novices violées par les milices serbes. Je veux vous raconter ce qui m'est arrivé ainsi qu'aux sœurs Tatiana et Sandria. Permettez-moi de ne pas vous donner de détails. Ce fut une expérience atroce qui ne peut être partagée qu'avec Dieu, à la volonté de qui je me suis livrée quand je me suis consacrée à lui par les trois vœux.
Elle écrit à la Mère Générale de son Ordre pour lui raconter ce qu'elle souhaite faire :
Mon drame n'est pas l'humiliation que j'ai soufferte en tant que femme, ni l'offense irréparable faite à mon option existentielle et à l'option de ma vocation ; mais plutôt la difficulté d'insérer dans ma foi un événement qui certainement fait partie de la mystérieuse volonté de Celui que je continue à considérer comme mon divin Époux, malgré ce qu'il a permis.
J'avais lu, peu de jours auparavant, Le Dialogue des Carmélites de Bernanos et il m'était venu spontanément de demander au Seigneur de mourir martyre. Il m'a prise au mot, mais de quelle manière ! Je suis aujourd'hui dans l'angoisse, dans une obscurité intérieure. Ils ont détruit mon projet de vie — que je considérais comme définitif — et ils m'en ont tracé un autre à l'improviste, que je n'arrive pas encore à découvrir.
Je vous écris, ma Mère, non pas pour recevoir votre consolation, mais pour que vous m'aidiez à rendre grâces à Dieu de m'avoir associée à des milliers de mes compatriotes — offensées — et à accepter la maternité non désirée... Mon humiliation s'ajoute à celle des autres et je ne peux plus maintenant que l'offrir en expiation pour les péchés commis par ces violeurs anonymes et pour la paix entre les deux ethnies opposées, en acceptant le déshonneur souffert et en le livrant à la miséricorde de Dieu.
Ne soyez pas étonnée que je vous demande de partager avec moi une grâce qui pourra paraître absurde. J'ai pleuré ces derniers mois toutes les larmes de mon corps pour mes deux frères, assassinés par les mêmes agresseurs qui sont en train de terroriser nos villes. Je pensais que je ne pourrais pas souffrir beaucoup plus : je n'aurais jamais cru que la douleur pût atteindre de telles dimensions.
À la porte de nos couvents, il y avait tous les jours des centaines d'enfants faméliques, le désespoir dans les yeux. La semaine dernière, une jeune fille de dix-huit ans m'avait dit : "Vous en avez de la chance d'avoir choisi un endroit où la milice ne peut pas entrer" ; elle ajouta : "Vous ne savez pas ce que c'est que le déshonneur". J'y ai pensé longuement et j'ai vu qu'il s'agissait de la douleur de mon peuple ; je me sentis presque honteuse d'être exclue de son contexte.
Je suis maintenant l'une d'entre elles — une femme parmi tant d'autres, anonyme, de mon peuple, avec le corps détruit et l'âme mise à sac. Le Seigneur m'a admise au mystère de la honte. Plus encore : Il a accordé à sa sœur le privilège de comprendre jusqu'au bout la force diabolique du mal.
Je sais qu'à partir d'aujourd'hui, les mots d'encouragement et de consolation que j'essaierai de tirer de mon pauvre cœur seront tenues pour vraies par les gens, parce que mon histoire est la leur ; ma résignation, soutenue par la foi, pourra servir, si ce n'est d'exemple, au moins de confrontation avec leurs réactions morales.
Tout est passé, ma Mère, mais c'est maintenant que tout commence.
Lors de votre appel téléphonique, après m'avoir donné les paroles de consolation dont je vous serai reconnaissante toute ma vie, vous m'avez posé la question : "Que feras-tu de la vie qui t'a peut-être été imposée dans ton sein ?" J'ai senti que ma voix tremblait lorsque je me posais cette question, à laquelle je ne pouvais répondre tout de suite — non parce que je n'avais pas déjà réfléchi au choix que je devais faire, mais parce que vous ne vouliez pas troubler mes décisions par d'éventuels projets.
J'ai déjà pris ma décision : si je suis mère, l'enfant sera à moi et à personne d'autre. Je pourrais le confier, mais il a droit à mon amour de mère, même s'il n'a pas été désiré, voulu. On ne peut pas arracher une plante par la racine. Le grain qui est tombé en terre a besoin de croître à cet endroit-là.
Je réaliserai ma vie religieuse, mais d'une autre manière. Je ne demande rien à ma Congrégation, qui m'a déjà tout donné. Je suis reconnaissante pour la fraternité de mes sœurs et pour toutes leurs attentions. Surtout, je les remercie de ne pas m'avoir dérangée par des questions indiscrètes.
Je m'en irai avec mon enfant, je ne sais pas encore où, mais Dieu, qui a brisé à l'improviste ma plus grande joie, m'indiquera le chemin que je devrai suivre pour accomplir sa volonté.
Je serai pauvre ; je reprendrai le vieux tablier et je me mettrai les sabots que les femmes utilisent les jours de travail. J'irai avec ma mère récolter la résine des pins de nos grandes forêts... Je ferai tout mon possible pour rompre la chaîne de la haine qui détruit nos pays. Cet enfant que j'attends, la seule chose que je veux lui apprendre, c'est à aimer. Mon enfant, né de la violence, sera témoin à mes côtés que la seule grandeur qui honore l'être humain est celle du pardon ».
Magnifique témoignage. Aussi réel que la vie elle-même. Et cela, il y a quelques années à peine. Cette femme est encore en vie.
C'est beau de se rendre compte qu'il y a des situations dans la vie où réellement, on est appelé à faire un choix radical. Il n'y a que deux options possibles, il n'y a pas d'intermédiaire. Aimer ou haïr ; le Ciel ou l'enfer. Logiquement, le Ciel semble impossible parce qu'il implique aimer et... pardonner ! L'enfer semble le plus simple : haïr, sentir la brûlure... Cependant, il est évident que ce que Dieu a mis dans notre cœur, dans l'âme de chacun de nous, c'est ce désir profond d'amour. L'évangélisation nous presse tellement — ce que j'essayais de vous montrer dans l'homélie ; nous sommes tellement pressés par le devoir d'annoncer et de rendre le Christ présent que toute autre préoccupation est un confort qu'on ne peut présenter à l'Église. Tout faux problème, autre que celui des hommes et des femmes de ce monde qui meurent à petit feu faute de connaître le Christ, est, en ce qui nous concerne, un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. D'où l'utilité du témoignage de personnes concrètes — j'ai présenté celui d'une femme consacrée qui, maintenant, récolte la résine de pins ; celui de ce prêtre... Nous pourrions rappeler tant d'exemples.
Des gens exactement comme nous et qui se sont certainement laissé prendre par l'amour de Dieu. Je ne pense pas que notre existence soit vraiment plus difficile. Elle peut l'être, mais bien sûr, elle ne sera pas plus extrême que ce que nous avons vu jusque-là. Ce qui est sûr, c'est que le Seigneur nous attend tous dans le Ciel. Dans le Ciel, mais aussi dès aujourd'hui dans le royaume de l'amour !
J'ai l'impression — je parle pour moi — que nous courons un risque. Le risque est toujours celui de vivre trop préoccupés de nous-mêmes.
Quatrième témoignage : Dieu est le seul trésor
Je voudrais partager un dernier témoignage. Cette lettre m'a été envoyée par une religieuse de là où elle vit encore aujourd'hui. Plus encore : je suis allé lui rendre visite là où elle se trouve, dans un pays en guerre ; au Congo, dans la zone des Grands Lacs, où il y a encore un conflit en cours. La première fois qu'elle est allée dans ce pays, elle m'a envoyé cette lettre. Elle était allée remplacer une religieuse qui avait été assassinée, c'était déjà la deuxième de cette communauté. La dernière à avoir été assassinée était donc allée, en son temps, remplacer une autre religieuse qu'on venait d'assassiner.
Je me souviens que lors de la messe d'adieu dans sa communauté — ça avait tout l'air d'une tragédie. Je lui ai donc dit : « Que veux-tu que nous te donnions : la bénédiction ou l'Onction ? » Ça l'a amusée, mais pas sa communauté. Bon, on ne peut pas toujours plaire à tout le monde.
Cher Pablo,
Ça fait déjà un moment que tu n'as pas eu de mes nouvelles. Les choses ne vont pas bien du tout dans ce pays. Dernièrement, la guerre, les tensions, la mort menacent de m'ôter la paix, mais tu me connais déjà... [Rien ne lui ôterait la paix parce qu'elle a une foi à déplacer les montagnes]
À Madrid, les mouches me gênaient pour prier ; ici, les balles m'aident. À Madrid, les enfants me fatiguaient ; ici, je me fatigue pour ne pas voir ces enfants mourir. À Madrid, je voulais me retrouver toute seule pour pouvoir me reposer ; ici, je demande à Dieu que les enfants et leurs familles entières arrêtent de mourir, ou bien je me retrouverai toute seule...
Auparavant, la prière était une "activité de plus dans la journée". Ici, j'ai commencé à découvrir que la prière est l'âme de la vie. Sans la prière, je ne peux rien faire, et moins que rien. Maintenant, au milieu de ces enfants, l'aliment dont j'ai le plus besoin est celui de la prière, prier et prier... Je ne dirai pas non si tu m'envoies quelque chose — si tu peux ; mais envoie-moi, surtout, de la prière. Et prie pour que je ne faiblisse pas moi-même dans ma prière.
Avant-hier, j'ai trouvé devant la porte de notre maison une petite fille dans la rue, seule, en train de pleurer. Ses parents l'avaient abandonnée parce qu'ils craignaient pour sa vie. Ils savent que chez nous, elle sera plus en sûreté. Je sais que nous ne les retrouverons jamais... Mais c'est parce qu'ils savent que c'est un foyer ouvert car c'est la "maison de Dieu". Comme je suis heureuse d'être le foyer de Dieu ! Un foyer où règne l'amour. Comme je suis heureuse de ne pas avoir un moment pour me préoccuper de moi-même, parce que je sais que Dieu s'occupe déjà de moi ! Maintenant, c'est mon tour de m'occuper des autres en son nom.
Dis aux autres que vivre ici est extrêmement risqué : je ne m'habitue ni à la mort ni aux balles ni à cette misère. Mais c'est ici que l'on découvre véritablement ce que je répétais très souvent par cœur : Dieu est notre seul trésor.
Tout à la fin, elle me dit : « Merci beaucoup pour ta bénédiction ; et aussi pour ton Onction ».
Je pense qu'après avoir entendu ces textes, chacun d'entre nous doit écrire sa propre histoire. Nous devrions nous aussi être un témoignage pour le monde. Il n'y a rien de plus extraordinaire que de tirer de l'amour là où il semblerait qu'il ne peut pas y en avoir. Il n'y a rien de plus extraordinaire ! Eh bien c'est de cela qu'il s'agit ; il ne faut pas aller très loin pour le faire. Tous les chrétiens y sont appelés. Ici et maintenant. C'est aussi simple que ça. Et c'est un miracle, un énorme miracle. C'est à cela même que le Seigneur nous convoque : que nous soyons réellement un miracle de l'amour de Dieu au milieu des mille avatars de la vie — parce que les circonstances personnelles, globales, quelles qu'elles soient, seront mauvaises, difficiles ; même s'il y a toujours un espoir : le pire est encore à venir. Il faut garder cet espoir-là : « Seigneur, je sais que tout peut encore devenir pire ». Peut-être sera-ce le cas. C'est vraiment magnifique, parce que pire ce sera, mieux on remarquera la force de l'amour de Dieu. Que personne ne se décourage ni ne désespère. Au milieu de la catastrophe, au milieu du chaos, là se trouve la Grâce de Dieu, qui transforme tout. Il faut le démontrer, il faut le manifester. Et faire savoir que, malgré nos péchés, nous pouvons compter sur la Grâce de Dieu, sans laquelle nous ne pourrions rien faire ; sur la grâce des sacrements, qui sont très importants.
Nous allons demander à la Vierge Marie de nous obtenir de Dieu cette pluie d'amour, qu'elle nous inonde et fasse que chacun de nous devienne un authentique miracle de l'amour de Dieu.

Pablo Domínguez Prieto, in Le dernier sommet (Éditions des Béatitudes)


* [ndvi du 7 mars 2014 : une lectrice me fait remarquer que cette lettre fut en réalité écrite par un prêtre italien, monsignor Alfredo Contran en 1993, et qu'elle lui valut un prix littéraire !]