La première chose que nous
allons faire est de contempler l'amour du Christ. Comme c'est magnifique de
savoir à quel point Dieu m'aime, c'est une merveille.
Comment faire ? Nous
trouvons la réponse dans une des plus belles descriptions qui aient été faites
de l'amour du Christ. Je parle de la première Lettre aux Corinthiens au
chapitre 13. Cette hymne à l'amour est l'hymne de l'Amour de Dieu. Quand il dit :
« La charité est longanime ; la charité est serviable », il
parle du Christ. Le Christ est patient, il rend service. « La charité
n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ;
elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas,
ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais
elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout,
supporte tout. La charité ne passe jamais ». C'est l'amour du Christ,
auquel il nous fait prendre part. C'est le Christ qui est patient avec nous,
avec moi. Il est serviable, il n'est pas envieux, il ne fanfaronne pas, il ne
se gonfle pas, il ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son intérêt, il
ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l'injustice,
mais il met sa joie dans la vérité. L'amour du Christ excuse tout, croit tout, espère
tout, supporte tout. L'amour du Christ ne passe jamais. Le premier point de
notre méditation sera de lire l'amour du Christ à la lumière de ce qu'écrit
saint Paul.
Quand on vit comme ça, on
trouvera toujours la paix intérieure, parce qu'on se sait aimé. Nous pourrions
relire des textes de l'Écriture où il est question de la patience du Christ, de
sa façon de rendre service, de nous attendre, de ne pas tenir compte du mal...
Premier
témoignage : depuis la maladie, depuis
l'espérance
Je vais vous lire une
lettre... telle quelle. Elle n'est ni édulcorée ni modifiée, elle est à l'état
brut. Ce n'est pas une lettre qui a été publiée. C'est une lettre qui a réellement
été envoyée à tous ceux qui connaissaient ce prêtre.
Permettez-moi
d'abord de me présenter : je m'appelle Jesùs, j'ai trente-deux ans et je
suis prêtre, Espagnol. En 1996, je suis parti en Bolivie comme missionnaire.
Lors d'un retour en Espagne pour me reposer et prendre des vacances, on m'a
diagnostiqué un cancer du colon avec métastase au foie.
J'ai subi
plusieurs opérations : on m'a enlevé un quart du foie. J'ai été soumis à
un traitement de radiothérapie. Actuellement, je suis une chimiothérapie. Ça
fait déjà tellement longtemps que mon corps se détériore. En conséquence, je ne
peux ni voyager ni sortir de chez moi. Bien que ma qualité de vie soit
relativement acceptable, cela change beaucoup d'un mois à l'autre et même d'un
jour à l'autre. Ce n'est jamais pareil ; on ne peut savoir comment je
serai le lendemain. C'est un mystère, la souffrance est un mystère qui ne s'illumine que grâce à la foi.
Mon temps en
Bolivie a été fantastique. Depuis l'enfance, je voulais partir en mission et le
Seigneur me l'a accordé. J'y ai vécu un vrai renouveau sacerdotal, puisqu'avant
j'étais un "bourgeois" : je ne me préoccupais de rien, sinon de
moi-même. Pas de sainteté, pas d'intimité avec le Seigneur ni avec sa Parole,
pas de vie de prière régulière et fidèle.
Pour
ceux qui l'ont connu, nous pourrions dire que ce n'est pas vrai, mais c'est
ainsi qu'il se jugeait.
Je faisais très peu de cas de la liturgie et du troupeau dont
j'avais la garde. J'aurais été incapable de mourir pour qui que ce soit. Mais
aux yeux des fidèles, je semblais être très travailleur, veillant à tout, bon
prêtre, humble... Mensonge que tout ça. Je suis un égoïste et un orgueilleux,
je ne recherche que moi-même dans ce que je fais. Un curé de campagne qui ne
fait que s'activer, mais qui n'apporte pas l'Évangile à son troupeau. Je suis attaché
à l'argent, d'ailleurs la dernière chose que j'aie faite avant de partir pour
la Bolivie a été de donner des cours dans un lycée pour emporter un petit
pécule. Le plus grand des dangers pour un prêtre, c'est l'argent — comme
d'ailleurs pour tout chrétien — "car la racine de tous
les maux, c'est l'amour de l'argent" (1 Tm 6, 10). J'ai traversé aussi de nombreuses souffrances
intérieures comme de devoir réaliser que je n'étais pas le "super-prêtre"
dont on m'avait parlé, que la mission me dépassait... En définitive, il m'a
fallu passer par la porte de l'humilité, que je repoussais ; voir mes
péchés avec une clarté qui avait été voilée jusque-là. Je voyais bien que je n'étais
d'aucune utilité pour l'évangélisation. Alors, je priais le Seigneur pour qu'il
m'enlève de là plutôt que de me laisser continuer ainsi. Il l'a fait, et
comment ! Le Seigneur m'a accordé ce que
je lui demandais de tout mon cœur. À la mission, j'ai vu ce que c'est que
d'être fils de Dieu et de vivre comme un fils de Dieu. Dieu pourvoit. Toujours.
Je l'ai vu dans la mission comme dans ma maladie. Dieu pourvoit toujours. Il ne
laisse jamais seul celui qui semble laissé pour compte.
L'expérience
de la souffrance est un mystère. Dans la salle de réanimation, malgré l'effet
de la morphine, je me souviens qu'à un moment, je me suis réveillé et j'ai été attiré
par le crucifix en face de moi. J'ai regardé le Christ et je lui ai dit que
nous étions pareils, le corps ouvert, les os endoloris. Seul face à la
souffrance, abandonné, sur la Croix. Je me suis centré sur moi-même et me suis
rebellé. Je ne comprenais pas. Dieu m'avait abandonné, "il ne m'aimait
pas". Et soudain, je me suis souvenu des mots que Dieu le Père prononce du
haut du Ciel à propos de
Jésus : Celui-ci
est mon Fils bien-aimé". Le Fils bien-aimé de Dieu était là, en face de moi, sur la Croix. Je me trouvais
dans la même situation que lui, j'étais donc moi aussi un fils aimé et
privilégié de Dieu. J'ai alors cessé de me rebeller et suis entré dans le
repos. J'ai vu l'amour de Dieu. La raison humaine ne trouve pas de sens à la souffrance
qui n'a aucune logique. L'homme n'entre dans la paix que la souffrance lui a
ôtée qu'en contemplant le Crucifié. En effet, sous l'effet de la douleur et de
la souffrance, l'homme perd sa capacité à raisonner, ainsi que sa volonté. Il
est perdu, il a été vaincu.
[...] Ma maladie s'aggrave. J'ai des tumeurs au foie et au sacrum,
ce qui signifie que les métastases commencent à se répandre. Bien qu'avec la
chimiothérapie, il semble qu'elles soient un peu ralenties. De toute manière,
les médecins m'ont pronostiqué une survie d'un an. Deux au maximum, selon l'avancement
de la maladie. Je demande à Dieu d'avoir une qualité de vie suffisamment acceptable
pour pouvoir évangéliser là où je suis, car je n'ai pas de
responsabilité pastorale et que je me trouve chez mes parents afin qu'ils
prennent soin de moi. Mais aussi parce que je veux y mourir.
Je me sens
comme une barque échouée sur la rive du lac de Tibériade. Elle ne sortira plus
pour la pêche. Mais je garde espoir que le Christ y monte également, pour proclamer
la Bonne Nouvelle à la foule. Voici maintenant ma mission : être une
barque échouée, le pupitre de Jésus-Christ.
Je me rends
compte que cette période est un Avent particulier que le Seigneur m'offre pour
me préparer à la rencontre de l'Époux et pour garder ma lampe allumée avec une
huile nouvelle ; ainsi, je pourrai entrer au banquet des noces. Posséder
l'huile de Jésus est un don qui fortifie les membres pour le dur combat de la foi
dans la souffrance. Elle m'éclaire l'histoire qu'il est en train d'écrire avec
moi. Elle m'assure que je possède l'Esprit Saint comme arrhes du Royaume des
cieux.
Bien sûr,
personne ne connaît ni le jour ni l'heure de sa mort. Ça s'appelle vivre de
l'espérance. Et nous ne l'avons jamais aussi bien expérimenté que lors de cette
année de préparation pour le Jubilé de l'an 2000. Toute l'Église va s'en
souvenir.
Ce
prêtre est mort au tout début de l'an 2000. Sa maladie s'était manifestée pour
la première fois en 1998. Ce qui est admirable chez cet homme — je l'admire
beaucoup, comme tous ceux qui l'ont connu : c'était un prêtre magnifique,
jeune, très jovial et sympathique — c'est de voir comment il a pris le virage
et combien la maladie est devenue une occasion d'annoncer le Christ, d'aimer le
Christ... Au fond, il s'est rendu compte que l'amour du Christ était tout ce
qu'il avait. Je crois que, pour nous, il est important également de réaliser que nous ne
pouvons pas théoriser sur l'amour du Christ. Le Christ nous aime pour de vrai.
Aussi, quel que soit l'état dans lequel on est, le lieu où l'on se trouve,
quoiqu'il arrive, l'amour du Christ ne passera jamais. Il est ainsi capable de
tout transformer, tout !
Deuxième
témoignage : l'ange envoyé à l'Église d'Éphèse
Le deuxième texte que je
veux vous lire est tiré de l'Apocalypse. Personnellement, cela m'aide beaucoup de
le lire de temps en temps et de l'écouter comme s'il m'était adressé. C'est ce
que l'ange dit à l'Église d'Éphèse.
« Ainsi
parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des
sept candélabres d'or : 'je connais ta conduite, tes labeurs et ta
constance ; je le sais, tu ne peux souffrir les méchants : tu as mis
à l'épreuve ceux qui usurpent le titre d'apôtres, et tu les as trouvés
menteurs. Tu as de la constance : n'as-tu pas souffert pour mon nom, sans te
lasser ? Mais j'ai contre toi que tu as perdu ton amour d'antan ! »
(Ap 2, 2-4).
Ce qui lui fait mal, c'est
le fait que nous ayons perdu la fougue de notre premier amour, celle que nous avions
le jour où nous avons pénétré pour la première fois dans le monastère, le jour
où nous sommes entrés pour la première fois au séminaire... Le jour où il y avait
une braise ardente, l'amour profond du Christ qui faisait que nous dévorions le
monde entier. Le Seigneur nous demande : « Pourquoi as-tu perdu ce premier amour ? »
Dans notre vie, il se peut
que parfois, nous mélangions l'amour avec un autre type d'expériences, qui n'auraient
pas dû avoir lieu. Demandons aujourd'hui à l'Esprit Saint de purifier notre âme
de fond en comble, pour que, dans notre vie, il n'y ait de place que pour l'amour !
L'amour est toujours crucifié, il passe toujours par la Croix, toujours !
Et toujours veut bien dire toujours, il n'y a pas d'exception. C'est ça qui est
bien.
Troisième
témoignage : seul l'Amour est vainqueur
Je ne sais pas si vous
connaissez l'histoire de Lucia Vetruse *, une religieuse. Elle écrit cette lettre
dans laquelle elle montre comment seul l'amour est vainqueur. Seul l'amour est
vainqueur... Uniquement l'amour ! Dans notre vie, nous pourrons être
victorieux, mais si ça n'a pas été avec amour, par amour, en vivant et en se
reposant dans l'amour de Dieu, nous ne serons pas vainqueurs ; nous aurons
plutôt été vaincus par le Malin. Tandis que, même s'il semble que nous avons
été défaits, que nous sommes échoués sur la rive, si, dans notre vie, il y a de
l'amour, nous serons vainqueurs, le Christ sera vainqueur en nous. C'est aussi
clair que ça. Il faut dire que le langage de l'Évangile est surprenant, très
différent de celui que nous employons d'habitude.
Je m'appelle Lucia Vetruse, je suis une des novices violées par
les milices serbes. Je veux vous raconter ce qui m'est arrivé ainsi qu'aux sœurs
Tatiana et Sandria. Permettez-moi de ne pas vous donner de détails. Ce fut une
expérience atroce qui ne peut être partagée qu'avec Dieu, à la volonté de qui
je me suis livrée quand je me suis consacrée à lui par les trois vœux.
Elle
écrit à la Mère Générale de son Ordre pour lui raconter ce qu'elle souhaite
faire :
Mon drame
n'est pas l'humiliation que j'ai soufferte en tant que femme, ni l'offense
irréparable faite à mon option existentielle et à l'option de ma vocation ;
mais plutôt la difficulté d'insérer dans ma foi un événement qui certainement
fait partie de la mystérieuse volonté de Celui que je continue à considérer
comme mon divin Époux, malgré ce qu'il a permis.
J'avais lu,
peu de jours auparavant, Le Dialogue
des Carmélites de Bernanos et il m'était venu spontanément de demander
au Seigneur de mourir martyre. Il m'a prise au mot, mais de quelle manière !
Je suis aujourd'hui dans l'angoisse, dans une obscurité intérieure. Ils ont
détruit mon projet de vie — que je considérais comme définitif — et ils m'en
ont tracé un autre à l'improviste, que je n'arrive pas encore à découvrir.
Je vous
écris, ma Mère, non pas pour recevoir votre consolation, mais pour que vous
m'aidiez à rendre grâces à Dieu de m'avoir associée à des milliers de mes
compatriotes — offensées — et à accepter la maternité non désirée... Mon
humiliation s'ajoute à celle des autres et je ne peux plus maintenant que
l'offrir en expiation pour les péchés commis par ces violeurs anonymes et pour
la paix entre les deux ethnies opposées, en acceptant le déshonneur souffert et
en le livrant à la miséricorde de Dieu.
Ne soyez pas
étonnée que je vous demande de partager avec moi une grâce qui pourra paraître
absurde. J'ai pleuré ces derniers mois toutes les larmes de mon corps pour mes
deux frères, assassinés par les mêmes agresseurs qui sont en train de
terroriser nos villes. Je pensais que je ne pourrais pas souffrir beaucoup plus :
je n'aurais jamais cru que la douleur pût atteindre de telles dimensions.
À la porte de
nos couvents, il y avait tous les jours des centaines d'enfants faméliques, le
désespoir dans les yeux. La semaine dernière, une jeune fille de dix-huit ans
m'avait dit : "Vous en avez de la chance d'avoir choisi un endroit où
la milice ne peut pas entrer" ; elle ajouta : "Vous ne
savez pas ce que c'est que le déshonneur". J'y ai pensé longuement et j'ai
vu qu'il s'agissait de la douleur de mon peuple ; je me sentis presque
honteuse d'être exclue de son contexte.
Je suis
maintenant l'une d'entre elles — une femme parmi tant d'autres, anonyme, de mon
peuple, avec le corps détruit et l'âme mise à sac. Le Seigneur m'a admise au
mystère de la honte. Plus encore : Il a accordé à sa sœur le privilège de
comprendre jusqu'au bout la force diabolique du mal.
Je sais qu'à
partir d'aujourd'hui, les mots d'encouragement et de consolation que
j'essaierai de tirer de mon pauvre cœur seront tenues pour vraies par les gens,
parce que mon histoire est la leur ; ma résignation, soutenue par la foi,
pourra servir, si ce n'est d'exemple, au moins de confrontation avec leurs
réactions morales.
Tout est passé, ma Mère, mais c'est maintenant que tout commence.
Lors de votre
appel téléphonique, après m'avoir donné les paroles de consolation dont je vous
serai reconnaissante toute ma vie, vous m'avez posé la question :
"Que feras-tu de la vie qui t'a peut-être été imposée dans ton sein ?"
J'ai senti que ma voix tremblait lorsque je me posais cette question, à
laquelle je ne pouvais répondre tout de suite — non parce que je n'avais pas
déjà réfléchi au choix que je devais faire, mais parce que vous ne vouliez pas
troubler mes décisions par d'éventuels projets.
J'ai déjà
pris ma décision : si je suis mère, l'enfant sera à moi et à personne
d'autre. Je pourrais le confier, mais il a droit à mon amour de mère, même s'il
n'a pas été désiré, voulu. On ne peut pas arracher une plante par la racine. Le
grain qui est tombé en terre a besoin de croître à cet endroit-là.
Je réaliserai
ma vie religieuse, mais d'une autre manière. Je ne demande rien à ma
Congrégation, qui m'a déjà tout donné. Je suis reconnaissante pour la
fraternité de mes sœurs et pour toutes leurs attentions. Surtout, je les remercie
de ne pas m'avoir dérangée par des questions indiscrètes.
Je m'en irai
avec mon enfant, je ne sais pas encore où, mais Dieu, qui a brisé à l'improviste
ma plus grande joie, m'indiquera le chemin que je devrai suivre pour accomplir
sa volonté.
Je serai
pauvre ; je reprendrai le vieux tablier et je me mettrai les sabots que
les femmes utilisent les jours de travail. J'irai avec ma mère récolter la
résine des pins de nos grandes forêts... Je ferai tout mon possible pour rompre
la chaîne de la haine qui détruit nos pays. Cet enfant que j'attends, la seule
chose que je veux lui apprendre, c'est à aimer. Mon enfant, né de la violence, sera témoin à mes côtés que la seule grandeur qui honore l'être humain est
celle du pardon ».
Magnifique témoignage.
Aussi réel que la vie elle-même. Et cela, il y a quelques années à peine. Cette
femme est encore en vie.
C'est beau de se rendre
compte qu'il y a des situations dans la vie où réellement, on est appelé à
faire un choix radical. Il n'y a que deux options possibles, il n'y a pas
d'intermédiaire. Aimer ou haïr ; le Ciel ou l'enfer. Logiquement, le Ciel
semble impossible parce qu'il implique aimer et... pardonner ! L'enfer
semble le plus simple : haïr, sentir la brûlure... Cependant, il est
évident que ce que Dieu a mis dans notre cœur, dans l'âme de chacun de nous,
c'est ce désir profond d'amour. L'évangélisation nous presse tellement — ce que
j'essayais de vous montrer dans l'homélie ; nous sommes tellement pressés
par le devoir d'annoncer et de rendre le Christ présent que toute autre
préoccupation est un confort qu'on ne peut présenter à l'Église. Tout faux problème,
autre que celui des hommes et des femmes de ce monde qui meurent à petit feu
faute de connaître le Christ, est, en ce qui nous concerne, un luxe que nous ne
pouvons pas nous permettre. D'où l'utilité du témoignage de personnes concrètes
— j'ai présenté celui d'une femme consacrée qui, maintenant, récolte la résine
de pins ; celui de ce prêtre... Nous pourrions rappeler tant d'exemples.
Des gens exactement comme
nous et qui se sont certainement laissé prendre par l'amour de Dieu. Je ne pense
pas que notre existence soit vraiment plus difficile. Elle peut l'être, mais
bien sûr, elle ne sera pas plus extrême que ce que nous avons vu jusque-là. Ce
qui est sûr, c'est que le Seigneur nous attend tous dans le Ciel. Dans le Ciel,
mais aussi dès aujourd'hui dans le royaume de l'amour !
J'ai l'impression — je
parle pour moi — que nous courons un risque. Le risque est toujours celui de
vivre trop préoccupés de nous-mêmes.
Quatrième
témoignage : Dieu est le seul trésor
Je
voudrais partager un dernier témoignage. Cette lettre m'a été envoyée par une
religieuse de là où elle vit encore aujourd'hui. Plus encore : je suis
allé lui rendre visite là où elle se trouve, dans un pays en guerre ;
au Congo, dans la zone des Grands Lacs, où il y a encore un conflit en cours.
La première fois qu'elle est allée dans ce pays, elle m'a envoyé cette lettre.
Elle était allée remplacer une religieuse qui avait été assassinée, c'était
déjà la deuxième de cette communauté. La dernière à avoir été assassinée était
donc allée, en son temps, remplacer une autre religieuse qu'on venait d'assassiner.
Je
me souviens que lors de la messe d'adieu dans sa communauté — ça avait tout
l'air d'une tragédie. Je lui ai donc dit : « Que veux-tu que nous te
donnions : la bénédiction ou l'Onction ? » Ça l'a amusée, mais
pas sa communauté. Bon, on ne peut pas toujours plaire à tout le monde.
Cher Pablo,
Ça fait déjà
un moment que tu n'as pas eu de mes nouvelles. Les choses ne vont pas bien du
tout dans ce pays. Dernièrement, la guerre, les tensions, la mort menacent de m'ôter
la paix, mais tu me connais déjà... [Rien ne lui ôterait la paix parce qu'elle
a une foi à déplacer les montagnes]
À Madrid, les
mouches me gênaient pour prier ; ici, les balles m'aident. À Madrid, les
enfants me fatiguaient ; ici, je me fatigue pour ne pas voir ces enfants
mourir. À Madrid, je voulais me retrouver toute seule pour pouvoir me reposer ;
ici, je demande à Dieu que les enfants et leurs familles entières arrêtent de
mourir, ou bien je me retrouverai toute seule...
Auparavant,
la prière était une "activité de plus dans la journée". Ici, j'ai
commencé à découvrir que la prière est l'âme de la vie. Sans la prière, je ne
peux rien faire, et moins que rien. Maintenant, au milieu de ces enfants, l'aliment
dont j'ai le plus besoin est celui de la prière, prier et prier... Je ne dirai
pas non si tu m'envoies quelque chose — si tu peux ; mais envoie-moi,
surtout, de la prière. Et prie pour que je ne faiblisse pas moi-même dans ma
prière.
Avant-hier,
j'ai trouvé devant la porte de notre maison une petite fille dans la rue,
seule, en train de pleurer. Ses parents l'avaient abandonnée parce qu'ils
craignaient pour sa vie. Ils savent que chez nous, elle sera plus en sûreté. Je
sais que nous ne les retrouverons jamais... Mais c'est parce qu'ils savent que
c'est un foyer ouvert car c'est la "maison de Dieu". Comme je suis
heureuse d'être le foyer de Dieu ! Un foyer où règne l'amour. Comme je
suis heureuse de ne pas avoir un moment pour me préoccuper de moi-même, parce
que je sais que Dieu s'occupe déjà de moi ! Maintenant, c'est mon tour de m'occuper
des autres en son nom.
Dis aux
autres que vivre ici est extrêmement risqué : je ne m'habitue ni à la mort
ni aux balles ni à cette misère. Mais c'est ici que l'on découvre véritablement
ce que je répétais très souvent par cœur : Dieu est notre seul trésor.
Tout
à la fin, elle me dit : « Merci
beaucoup pour ta bénédiction ; et aussi pour ton Onction ».
Je
pense qu'après avoir entendu ces textes, chacun d'entre nous doit écrire sa
propre histoire. Nous devrions nous aussi être un témoignage pour le monde. Il
n'y a rien de plus extraordinaire que de tirer de l'amour là où il semblerait
qu'il ne peut pas y en avoir. Il n'y a rien de plus extraordinaire ! Eh
bien c'est de cela qu'il s'agit ; il ne faut pas aller très loin pour le
faire. Tous les chrétiens y sont appelés. Ici et maintenant. C'est aussi simple
que ça. Et c'est un miracle, un énorme miracle. C'est à cela même que le Seigneur nous
convoque : que nous soyons réellement un miracle de l'amour de Dieu au
milieu des mille avatars de la vie — parce que les circonstances personnelles,
globales, quelles qu'elles soient, seront mauvaises, difficiles ; même
s'il y a toujours un espoir : le pire est encore à venir. Il faut garder cet
espoir-là : « Seigneur, je sais
que tout peut encore devenir pire ». Peut-être sera-ce le cas. C'est
vraiment magnifique, parce que pire ce sera, mieux on remarquera la force de
l'amour de Dieu. Que personne ne se décourage ni ne désespère. Au milieu de la
catastrophe, au milieu du chaos, là se trouve la Grâce de Dieu, qui transforme tout.
Il faut le démontrer, il faut le manifester. Et faire savoir que, malgré nos
péchés, nous pouvons compter sur la Grâce de Dieu, sans laquelle nous ne
pourrions rien faire ; sur la grâce des sacrements, qui sont très importants.
Nous allons demander à la
Vierge Marie de nous obtenir de Dieu cette pluie d'amour, qu'elle nous inonde et
fasse que chacun de nous devienne un authentique miracle de l'amour de Dieu.
Pablo Domínguez
Prieto, in Le dernier sommet (Éditions des Béatitudes)
* [ndvi du 7 mars 2014 : une lectrice me fait remarquer que cette lettre fut en réalité écrite par un prêtre italien, monsignor Alfredo Contran en 1993, et qu'elle lui valut un prix littéraire !]