Pourquoi cet article ? Pour
mettre un peu de poésie dans notre feuille paroissiale, pouvoir s’évader,
rêver… Y a-t-il un mois plus beau que le mois de mai ? À Rome, il fait
déjà chaud, mais c’est une chaleur bienfaisante, loin de celle de l’été, si
étouffante, qui faisait fuir jadis Pape, Cardinaux et autres prélats, mais
aussi collèges et séminaires, vers la fraîcheur des Castelli Romani, les Monts Albans où ils avaient leur villa. Ah !
Comme elles sont douces ces soirées romaines ! Surtout en parcourant les
ruelles des vieux quartiers, ou bien assis à la terrasse d’une hosteria, vieux bistrot romain, ou une « gelateria » ! Soudain, l’Angelus fait oublier les nourritures
terrestres pour élever l’âme vers la Vierge Marie. À Rome, les sanctuaires, les
chapelles, les oratoires dédiés à la Mère de Dieu se comptent par centaines ;
et par milliers, peut-être, les œuvres d’art la représentant, encore très
vénérées, patinées par la fumée des cierges et de l’encens. Comme si toute la
détresse d’une humanité priante s’y était, en quelque sorte, collée. Chacun a « sa »
Vierge Marie, depuis les vénérables icônes attribuées à St. Luc - comme s’il
avait passé sa vie à peindre ! - les mosaïques, les toiles des grands
maîtres, jusqu’aux images les plus populaires : cette Bonne Mère a
toujours un regard de tendresse et de miséricorde.
Au cours de l’histoire de l’Église,
les écrits des Pères et des Docteurs, les développements doctrinaux, le zèle
des Saints et la piété du peuple chrétien, ont contribué à ajouter de nouvelles
gemmes à la couronne glorieuse de la
Reine des Cieux. Ainsi les titres des églises dédiées à Notre-Dame sont comme
des litanies. Elle a le titre de Reine
des Prophètes, dont elle accomplit les prophéties. Elle est aussi la Reine
des Apôtres qu’elle encourage et soutient. Aux catacombes
Sainte-Priscille, on la voit assise, tenant dans ses bras l’Enfant qui semble
chercher le sein de sa mère. Un personnage mystérieux se tient à ses côtés,
montrant une étoile : est-ce la vision de Balaam ? Au Concile d’Éphèse,
la vierge Marie est proclamée Théotokos, Mère de Dieu, et Sixte III lui
dédie une basilique grandiose aux superbes mosaïques : Sainte Marie-Majeure, dont les éléments
essentiels datent de ce pontificat (432-440). Le jour de la fête de Ste
Marie-des-Neiges, pendant le Magnificat, une pluie de pétales blancs tombe du
plafond, en souvenir de la neige tombée miraculeusement un mois d’août sur l’emplacement
de la future basilique. C’est ici que l’on vénère la Salus Populi Romani (Salut du peuple romain), attribuée à
St Luc : la Vierge Marie n’est-elle pas aussi le Salut des Infirmes ?
Au-dessus du maître-autel, un magnifique arc triomphal en mosaïque lui est
dédié. Elle y est représentée comme une impératrice-mère à côté de son jeune
Fils assis sur un trône. Le Pape offrit cette œuvre splendide à tout le peuple
de Dieu : Sixtus Episcopus Plebi Dei, a-t-il fait écrire. Elle est encore la
Reine
des Martyrs, siégeant sur les harmonies cosmiques du Panthéon, donné
par l’empereur Phocas au Pape Boniface IV (608-615). Elle est Trône
de la Sagesse dans l’ancienne
bibliothèque des Césars, située sur le Forum, au pied du Palatin, sous le
vocable de Sancta Maria Antiqua. Elle
remplace aussi Minerve et la sagesse antique à Sainte Marie sopra Minerva ; Trône du Ciel, elle
expulse Junon Moneta du Capitole, (où
Auguste, ayant eu une vision mystérieuse, fit élever un autel au Fils
Premier-né de Dieu, (Ara Primogeniti
Dei), pour devenir Sainte-Marie in
Ara Coeli. Reine des Anges, elle purifiera les thermes de Dioclétien
devenus l’église Sainte Marie-des-Anges
grâce à l’œuvre de Michel-Ange, et qui fut même autrefois la Chartreuse de
Rome. Elle est la Vierge Puissante à Sainte
Marie-de-la-Victoire, puisque elle est « forte
comme une armée rangée en bataille » (Cant. 6,3) ; Mère
Très Pure à Saint André della Valle,
où se trouve la jolie toile de la Madone de la Pureté, peinte par Morales
(1500-1586) ; Mère de Miséricorde et Secours des Chrétiens en l’église Saint-Alphonse, où l’on vénère la très
célèbre icône de Notre Dame du
Perpétuel-Secours ; Mère de la Divine Grâce, dans le
sanctuaire champêtre du Divin Amour,
à une vingtaine de kilomètres de Rome ; Porte du Ciel en Sainte Marie in Porta Paradisi. Mais il
y a aussi Sainte Marie del Pianto (des pleurs), du Peuple, des Monts, de la Lumière, des Miracles, de la Mort,
de la Paix, de la Piété, de la Route,
du Suffrage, de l’Âme, de l’Humilité,
du Saint Nom de Marie, etc. :
autant de titres et d’églises que l’on égrène comme un chapelet.
L’Angelus, terme du soir, achèvera notre
pèlerinage, en propageant son tintement à travers la Ville Éternelle, pour nous
rappeler le « Fiat » de
Marie à la Rédemption. À l’heure où les ombres s’allongent au pied des arcs et
des colonnes tronquées du Forum – inéluctable
écoulement du temps, négligence
inévitable des hommes – il sonne comme un glas sur ces ruines, souvenir de tant
de gloires, nous rappelant que tout
a une fin sur cette terre. Mais, moment unique de grâce, commencement de notre
salut, le « Fiat » joyeux
de Marie traverse toutes les époques de notre histoire. La pénombre envahit peu
à peu les antiques basiliques. Seuls quelques cierges éclairent en tremblotant
le doux visage de Marie plein de tendresse comme une mère, intime confidence,
instant d’éternité. Désormais, la nuit étend son manteau noir sur la ville,
mais nous resterons dans l’attente trépidante de voir paraître l’Étoile
du Matin, qui à travers les épreuves de la vie, nous indique le chemin
vers son Fils Jésus, le Soleil de Justice - qui
nescit occasum – qui ne connaît jamais de coucher. Du Ciel, au mois de mai,
la Vierge Marie nous sourit et nous rassure : ô tendre mère, remplissez nos cœurs, d’Amour et de sainte Espérance.
Don Carlo Cecchin