vendredi 16 décembre 2011

En aimant... Pierre Charles, sj, Qui diligunt adventum ejus


QUI DILIGUNT ADVENTUM EIUS - CEUX QUI AIMENT À LE VOIR VENIR
Je vous appelle mon Dieu. Ce possessif semble si étrangement ambitieux, mais quand j'y réfléchis la perspective se transforme. Ce n'est plus l'ambition de l'homme qui m'apparaît, c'est votre condescendance à vous. Me montrant les hauteurs où je ne pouvais prétendre, ce possessif me fait voir d'où vous êtes venu vers moi. Il y a donc de moi vers vous des chemins de lumière ; il y a des sentiers de douceur qui conduisent ma prière vers Dieu, plus sûrement que les envois des courriers postaux sur nos routes terrestres. La communication n'est jamais interrompue entre mon Rédempteur et celui qu'il a racheté. Il est venu, il va revenir.
Où sont ceux qui aiment cet Avent mystérieux ? Le Christ entre dans nos vies, comme un soc de charrue, et la glèbe de nos désirs est compacte et les mottes résistent. Nous n'acceptons pas d'être brisés et pulvérisés par la Providence, et il suffit qu'une chose nous soit pénible pour que nous refusions d'y reconnaître l'action divine. Et pourtant le Père céleste est un laboureur, il l'a dit, agricola est. Et depuis si longtemps nous nous sommes extasiés devant les sillons largement éventrés. Pourquoi devenons-nous tout à coup si défiants quand c'est nous qui servons de sillons aux grands labours de l'Éternel ? Pourquoi ces révoltes quand il nous retourne à son gré, et quand sa volonté nous scrute et nous fouille et, d'un seul coup, révèle au jour nos désirs misérables ?
Aimer son Avent mystérieux ? Il y faut parfois du courage héroïque. La dent cariée qui voit venir la pince du chirurgien ; la haute futaie qui voit venir le bûcheron le noyer de septembre qui voit venir, armés de grandes gaules, l'équipe des garçons de ferme ; tous ceux qui vont être secoués, dépouillés, élagués, ébranchés, arrachés peut-être à leurs connexions naturelles, fouettés par l'épreuve pour donner tous leurs fruits, il leur faudra dans l'âme une foi sans nuage, il leur faudra une fidélité sans défaillance quand le Christ exigeant, soudain et fort, viendra vers eux, comme un voleur. Je veux bien donner spontanément ; je n'aime pas qu'on prenne chez moi sans me demander mon avis, et c'est pourtant ce que Dieu fait tous les jours, et je m'aperçois qu'il me dépouille à mon insu et qu'il m'impose de ratifier après coup ces divines déprédations. Mes plans si bien organisés et qui, sur un petit détail imprévu, ont piteusement échoué ; mes entreprises, si bien enchâssées dans le cadre de mes désirs, comme des dents dans les alvéoles d'une mâchoire, et qu'il est venu, brusquement, déchausser et mettre en pièces,... et toutes ces choses auxquelles je tenais et sur lesquelles je redoutais de le voir poser son regard ; toutes mes petites joies modestes et mes délassements pacifiques, ah ! quand il est venu, il les a enlevés, jusqu'au dernier, et je n'ai pas même eu le temps de balbutier des objections. Il est venu, et j'ai compris tout de suite : il n'y a plus moyen, Seigneur ! Il faut que je donne cela, avec tout le reste. Mes soirées aux œuvres ; mes journées au travail ; mes heures libres aux pauvres ; ma nuit à la prière ; mes vacances au dévouement... Prenez.
Qui diligunt adventum eius. — sont ceux qui l'aiment quand il vient dans leur vie ; où sont ceux surtout qui aiment à rapprocher l'heure de sa venue chez les âmes qui l'ignorent et veulent lui préparer d'avance les continents encore infidèles ? La propagation de la foi devrait être notre souci perpétuel, le premier de nos désirs et la cause de notre joie. Combien y en a-t-il que ce souci chez nous empêche parfois de dormir ? Quand on attend une nouvelle, quand on guette la venue d'un ami, on ne s'endort pas. Le soir descend, la nuit tombe, mais au rebord de la croisée le veilleur écoute, face aux étoiles. Est-ce qu'ils sont nombreux parmi nous ceux qui épient ainsi dans le silence le bruit furtif des pas du Rédempteur, descendant le long de nos chemins terrestres vers les brebis de son bercail ?
Nous nous sommes installés dans une existence assez confortable, et les délais du second avènement peuvent se prolonger sans que nous en ressentions du malaise. La « vallée de larmes », nous avons travaillé à la rendre aussi riante que possible et c'est bien malgré nous que la souffrance y traîne encore. Si on nous disait qu'au lieu du ciel à venir on nous accorde de rester toujours sur la terre, et que nous avons licence de nous y faire un nid, j'imagine que beaucoup d'entre nous prendraient allégrement leur parti de cette aventure, regrettant seulement de ne pas pouvoir, par surcroît, faire descendre le ciel , lui-même ici-bas. L'arrivée du Christ n'est un message de joie que pour les cœurs purs, et plus elle s'avance plus je la vois couverte de mouchetures et comme tigrée de fautes, ma simple vie d'homme faible et mou, sans grande consistance, plus riche d'illusions flottantes que de solides mérites, prompt à prendre ses désirs pour ses actions et sa propre estime pour sa vraie valeur. C'est tout ce mensonge qui nous éloigne du Christ et qui nous empêche de désirer ardemment sa venue, d'exulter quand on nous assure qu'un jour prochain nous le rencontrerons. — Laetus iudicem sustinet.
Nos premiers pères dans la foi, Seigneur, vous attendaient comme une aurore. Vous viendrez à la fin des temps, à votre heure, quand vous le déciderez et que tout sera prêt pour le jugement final. Que devez-vous encore mettre dans mes mains et de quoi sera fait mon sort éternel ? Vous devez m'accorder mon pardon... ce pardon donné par vous. Je vais rester à genoux dans l'invisible sanctuaire jusqu'à ce que je l'aie obtenu ce pardon, comme on fait un commandement aux ordinands de ne pas quitter l'église où on les consacre, avant que la messe ne soit finie et qu'ils aient reçu la bénédiction du Pontife — nisi missa finita et benedictione Ponti ficis accepta. — Vous me donnerez mon pardon, et aussi ma persévérance, ce don sublime que vous cachez comme une perle sous l'âpreté de la mort, le sceau libérateur de vos prédestinés. Je l'attends, je devrais mieux m'y préparer et vivre dans cette bienheureuse expectative — corde suspens. — Mon Dieu, en vue de votre avènement définitif, supprimez en moi le péché qui entrave votre œuvre, brisez tout ce qui fait écran et triomphez de tout ce qui fait encore échec et venez à votre heure, comme un maître depuis longtemps désiré.
Pierre Charles, SJ, in La prière de toutes les heures