QUI DILIGUNT
ADVENTUM EIUS - CEUX QUI
AIMENT À LE VOIR VENIR
Je vous appelle mon Dieu. Ce possessif semble si
étrangement ambitieux, mais quand j'y réfléchis la perspective se transforme.
Ce n'est plus l'ambition de l'homme qui m'apparaît, c'est votre condescendance
à vous. Me montrant les hauteurs où je ne pouvais prétendre, ce possessif me
fait voir d'où vous êtes venu vers moi. Il y a donc de moi vers vous des
chemins de lumière ; il y a des sentiers de douceur qui conduisent ma
prière vers Dieu, plus sûrement que les envois des courriers postaux sur nos
routes terrestres. La communication n'est jamais interrompue entre mon
Rédempteur et celui qu'il a racheté. Il est venu, il va revenir.
Où sont ceux qui aiment cet Avent mystérieux ? Le
Christ entre dans nos vies, comme un soc de charrue, et la glèbe de nos désirs
est compacte et les mottes résistent. Nous n'acceptons pas d'être brisés et
pulvérisés par la Providence, et il suffit qu'une chose nous soit pénible pour
que nous refusions d'y reconnaître l'action divine. Et pourtant le Père céleste
est un laboureur, il l'a dit, agricola est. Et depuis si longtemps nous
nous sommes extasiés devant les sillons largement éventrés. Pourquoi
devenons-nous tout à coup si défiants quand c'est nous qui servons de sillons
aux grands labours de l'Éternel ? Pourquoi ces révoltes quand il nous
retourne à son gré, et quand sa volonté nous scrute et nous fouille et, d'un
seul coup, révèle au jour nos désirs misérables ?
Aimer son Avent mystérieux ? Il y faut parfois du
courage héroïque. La dent cariée qui voit venir la pince du chirurgien ;
la haute futaie qui voit venir le bûcheron le noyer de septembre qui voit
venir, armés de grandes gaules, l'équipe des garçons de ferme ; tous ceux
qui vont être secoués, dépouillés, élagués, ébranchés, arrachés peut-être à
leurs connexions naturelles, fouettés par l'épreuve pour donner tous leurs
fruits, il leur faudra dans l'âme une foi sans nuage, il leur faudra une
fidélité sans défaillance quand le Christ exigeant, soudain et fort, viendra
vers eux, comme un voleur. Je veux bien donner spontanément ; je n'aime
pas qu'on prenne chez moi sans me demander mon avis, et c'est pourtant ce que
Dieu fait tous les jours, et je m'aperçois qu'il me dépouille à mon insu et
qu'il m'impose de ratifier après coup ces divines déprédations. Mes plans si
bien organisés et qui, sur un petit détail imprévu, ont piteusement
échoué ; mes entreprises, si bien enchâssées dans le cadre de mes désirs,
comme des dents dans les alvéoles d'une mâchoire, et qu'il est venu,
brusquement, déchausser et mettre en pièces,... et toutes ces choses auxquelles
je tenais et sur lesquelles je redoutais de le voir poser son regard ;
toutes mes petites joies modestes et mes délassements pacifiques, ah !
quand il est venu, il les a enlevés, jusqu'au dernier, et je n'ai pas même eu
le temps de balbutier des objections. Il est venu, et j'ai compris tout de
suite : il n'y a plus moyen, Seigneur ! Il faut que je donne cela,
avec tout le reste. Mes soirées aux œuvres ; mes journées au
travail ; mes heures libres aux pauvres ; ma nuit à la prière ;
mes vacances au dévouement... Prenez.
Qui diligunt adventum eius. — Où sont ceux qui l'aiment quand il vient dans leur
vie ; où sont ceux surtout qui aiment à rapprocher l'heure de sa venue
chez les âmes qui l'ignorent et veulent lui préparer d'avance les continents
encore infidèles ? La propagation de la foi devrait être notre souci
perpétuel, le premier de nos désirs et la cause de notre joie. Combien y en
a-t-il que ce souci chez nous empêche parfois de dormir ? Quand on attend
une nouvelle, quand on guette la venue d'un ami, on ne s'endort pas. Le soir
descend, la nuit tombe, mais au rebord de la croisée le veilleur écoute, face
aux étoiles. Est-ce qu'ils sont nombreux parmi nous ceux qui épient ainsi dans
le silence le bruit furtif des pas du Rédempteur, descendant le long de nos
chemins terrestres vers les brebis de son bercail ?
Nous nous sommes installés dans une existence assez
confortable, et les délais du second avènement peuvent se prolonger sans que
nous en ressentions du malaise. La « vallée de larmes », nous avons
travaillé à la rendre aussi riante que possible et c'est bien malgré nous que
la souffrance y traîne encore. Si on nous disait qu'au lieu du ciel à venir on
nous accorde de rester toujours sur la terre, et que nous avons licence de nous
y faire un nid, j'imagine que beaucoup d'entre nous prendraient allégrement
leur parti de cette aventure, regrettant seulement de ne pas pouvoir, par
surcroît, faire descendre le ciel , lui-même ici-bas. L'arrivée du Christ n'est
un message de joie que pour les cœurs purs, et plus elle s'avance plus je la
vois couverte de mouchetures et comme tigrée de fautes, ma simple vie d'homme
faible et mou, sans grande consistance, plus riche d'illusions flottantes que
de solides mérites,
prompt à prendre ses désirs pour ses actions et sa propre estime pour sa vraie
valeur. C'est tout ce mensonge qui nous éloigne du Christ et qui nous empêche
de désirer ardemment sa venue, d'exulter quand on nous assure qu'un jour
prochain nous le rencontrerons. — Laetus
iudicem sustinet.
Nos premiers pères dans la foi,
Seigneur, vous attendaient comme une aurore. Vous viendrez à la fin des temps,
à votre heure, quand vous le déciderez et que tout sera prêt pour le jugement
final. Que devez-vous encore mettre dans mes mains et de quoi sera fait mon
sort éternel ? Vous devez m'accorder mon pardon... ce pardon donné par
vous. Je vais rester à genoux dans l'invisible sanctuaire jusqu'à ce que je
l'aie obtenu ce pardon, comme on fait un commandement aux ordinands de ne pas
quitter l'église où on les consacre, avant que la messe ne soit finie et qu'ils
aient reçu la bénédiction du Pontife — nisi missa
finita et benedictione Ponti ficis accepta. — Vous me donnerez mon pardon, et aussi
ma persévérance, ce don sublime que vous cachez comme une perle sous l'âpreté
de la mort, le sceau libérateur de vos prédestinés. Je l'attends, je devrais
mieux m'y préparer et vivre dans cette bienheureuse expectative — corde suspens. — Mon Dieu, en vue de votre avènement définitif,
supprimez en moi le péché qui entrave votre œuvre, brisez tout ce qui fait
écran et triomphez de tout ce qui fait encore échec et venez à votre heure,
comme un maître depuis longtemps désiré.
Pierre Charles, SJ, in La prière de toutes les heures