Conte de Noël
Une nuit profonde planait sur le
monde depuis la faute originelle, opprimant l’humanité entière… En cette Sainte
Nuit, tout le monde dormait : à Rome, à Antioche, à Alexandrie et à
Jérusalem, personne ne se doutait de ce qui allait se passer. On dormait aussi
à Bethléem, bondé de monde venu pour le recensement de César Auguste. Seuls
quelques bergers veillaient. Tout à coup, dans la nuit, on aperçut les
silhouettes d’un homme et d’une femme aux pas chancelants. Ils avaient l’air
fatigués ; en regardant mieux, la femme semblait attendre un heureux
événement.
Mais, que font-ils ? Ils
frappent partout où il y a une faible lueur à l’intérieur des maisons, mais en
vain, personne ne veut les accueillir. Mais, qui sont-ils ? Pourtant ils
sont bien connus, et tous les ans – ou plutôt, en tout temps – il me semble les
voir aller et venir dans la nuit de ce monde qui refuse la lumière. Oui, on les
aperçoit même à Paris, surtout en cette période… J’imagine Marie et Joseph,
errants, solitaires, à la lumière blafarde des réverbères. La ville est parée
comme pour une fête. Les rares passants se hâtent de rentrer. Ils ont sans
aucun doute quelque chose d’important à faire. En traversant les rues, on
entend de la musique, parfois des rires. Partout il est écrit : Joyeux
Noël. Joseph se réjouit, c’est bien eux qu’on attend !
Imaginons alors Marie et Joseph
frappant aux portes d'une humanité aux multiples facettes. Ils passent devant
l’Assemblée Nationale ; c’est là que les lois sont faites. Il doit bien y
avoir une place pour Jésus, puisqu’Il est la Vérité : « Faites la
charité d'une place pour que le Roi du Ciel puisse naître sur terre ».
Las, tout est fermé, pas une lumière ! Un clochard à l'haleine avinée,
mais au regard conservant encore un peu d'humanité, s’approche : « Je
sais qui vous êtes ; je me souviens quand j'étais enfant... moi j'ai fait
du catéchisme ! Vous cherchez une place pour Jésus ? Peine perdue »
dit-il « Jésus n’est plus reconnu au nom de la laïcité et, d’ailleurs,
l'Etat a pris la place de Dieu... ». Déçus, ils continuent leur
chemin, puis, par hasard, ils voient écrit : « Planning Familial ».
« Ah, c’est donc là qu’on aide les familles ! », se dit
Joseph confiant. Ils entrent, mais on leur propose, en insistant, de se
débarrasser de cet enfant qui dérange tant de monde. Marie et Joseph sortent en
hâte, horrifiés. Hérode n’est pas loin… Joseph frappe alors à la porte des cinémas,
des théâtres, des cafés. Il y entre seul, mais il voit et entend des choses
horribles que la Vierge Marie ne saurait supporter. Dégoûté, il éloigne son épouse et ensemble, ils continuent leur
inlassable quête. Ils aperçoivent les magasins rutilant de lumières avec leurs
vitrines pleines de bonnes et belles choses. Ils entrent, mais personne ne
s’occupe d’eux. Ils sont bousculés ; certains les prennent même pour des
clochards. Tout le monde court frénétiquement pour acheter les derniers
cadeaux. « Vous savez » leur dit humblement Joseph « celui
que vous allez fêter est ici ; Noël, c’est la naissance de Jésus ».
Mais on lui répond : » Si vous n’avez rien à acheter,
allez-vous en ! ». « Mais quel Noël fêtez-vous sans Jésus ? C’est
lui qui est venu nous racheter tous par son sang ! ». « Comment !
Du sang ? Les banques n’acceptent pas ce genre de crédit ! ».
Joseph et Marie s’en vont tout tristes : « Essayons chez les particuliers.
Quelqu'un nous ouvrira peut-être ! ». Devant une porte, on entend
des rires, des voix enfantines ; ils frappent encore et, justement,
c’est un petit enfant souriant qui ouvre. « Avez-vous une place pour
Jésus ? » demande Joseph, mais l’enfant semble déçu : « Jésus ?
Nous, on attendait le Père Noël ! ». De l’intérieur son
papa lui crie : « Fiston, ferme la porte, ne t’ai-je pas dit
que Jésus n’existe pas ! ». L’enfant referme la porte, tout
malheureux.
De porte en porte, Joseph et Marie se
font tour à tour insulter, chasser, moquer. Sans savoir qui ils sont, quelqu'un
leur fait l’aumône par la porte entrebâillée, juste pour se donner bonne
conscience... et pour ne pas laisser refroidir la dinde dans son assiette. D’autres
ne leur ouvrent même pas. « Où aller maintenant ? »
se disent-ils l’un l’autre. Ils sont devenus des sans domicile fixe. Seuls les
pauvres qui les aperçoivent, semblent avoir un peu de compassion. Comme l'avait
dit Saint Jean dans le Prologue de son Evangile, les « siens » ne
l'ont pas reçu.
Certes, ce conte est triste, tout
comme ce monde sans Dieu. Pourtant ne ressentons-nous pas en nous une grande
joie ? Marie et Joseph frappent à une dernière porte, celle de notre cœur :
sommes-nous prêts à ouvrir à Jésus, pour qu’il entre et y fasse sa demeure ?
« Soudainement » dit la liturgie de Noël « tandis que
toutes choses étaient dans le plus profond silence et que la nuit atteignait
dans sa course le milieu de sa route, Votre Verbe tout puissant, ô Seigneur,
s’élança de son trône royal des cieux » (Sg 18, 14-15). Et voici
qu’alors l’obscurité se déchire et du ciel descendent des fleuves de lumière et
des milliers et des milliers d’anges chantent des paroles jamais entendues sur
terre : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur
la terre aux hommes qui L’aiment ». Oui, que le doux sourire de
l’Enfant-Dieu puisse réjouir ce monde malade et triste. Qu’en cette Sainte
Nuit, les haines s’apaisent, que la Paix et l’Espérance reviennent. Que ceux
qui souffrent, les malades, les pauvres, les persécutés, soient consolés.
La Bienheureuse Elisabeth de la
Trinité illustre si poétiquement ce mystère :
J’ai
vu briller l’étoile lumineuse qui m’indiquait
le
berceau de mon roi.
Et
dans la nuit calme et mystérieuse, elle semblait
s’orienter
vers moi.
Puis
j’entendis pleine de charme la voix de l’Ange
qui
me dit :
Recueille-toi,
c’est en ton âme que le mystère s’accomplit.
Saint
et Joyeux Noël à vous tous et à vos familles.
Don Carlo Cecchin