Dans l'Église catholique on
n'insistait guère, autrefois, sur la doctrine biblique du sacerdoce de tous les
chrétiens. Quand on parlait de sacerdoce, on l'entendait du seul sacerdoce des
prêtres. Aujourd'hui la situation est changée. Le Concile a insisté sur le
sacerdoce commun (Lumen Gentium, 10) et a invité tous les
fidèles à exercer ce sacerdoce de manière plus consciente et plus active. De ce
renouveau doctrinal dérivent de nombreux avantages pour la vie de l'Église,
mais quelques difficultés apparaissent aussi, et un certain malaise se fait
jour, ainsi que le reconnaissait le document du Synode de 1971 : « Des
questions surgissent, qui semblent obscurcir la position du sacerdoce
ministériel dans l'Église et troublent l'esprit de certains prêtres et fidèles »
(Introd., n. 5). Beaucoup se demandent anxieusement s'il y a, ou non, un
élément spécifique dans le sacerdoce ministériel et quelle est la différence
entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel. Les pages qui suivent
voudraient contribuer à éclairer ce problème 1.
Pour apporter une réponse valable, il
faut trouver un chemin entre deux écueils opposés : celui de la confusion
et celui de la séparation.
Qui veut maintenir une forte
différence est tenté de séparer complètement les deux sacerdoces et, en
pratique, de nier le sacerdoce commun, disant qu'il est sacerdoce en un sens
impropre, métaphorique.
Cette idée demeure souvent dans les
esprits. Récemment, dans la conclusion d'un article écrit par une femme, on
pouvait lire cette phrase : « À l'église, toute l'assistance chante Peuple
de prêtres, sans penser qu'une bonne moitié de l'assemblée se trouve exclue
du sacerdoce ». L'auteur pensait évidemment aux femmes, exclues du
sacerdoce ministériel ; sa façon de s'exprimer montrait assez clairement
qu'à ses yeux, le sacerdoce commun n'est pas un vrai sacerdoce.
Au contraire, qui veut affirmer la
valeur du sacerdoce commun, est tenté de tout confondre et de ne plus laisser
de place au sacerdoce ministériel. Cela se fait de deux manières différentes et
même opposées : ou bien on dit que tous les ministères peuvent être
attribués aux laïcs ; ou bien on dit que les laïcs, étant pleinement
prêtres dans leur vie concrète, n'ont plus besoin des ministères 2.
Dans un cas comme dans l'autre, les prêtres n'ont plus de raison d'être.
Une réflexion claire sur la
distinction et sur les rapports entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel
semble donc très utile ; distinction sans séparation, rapports sans
confusion, de manière à donner à l'un et à l'autre sa juste valeur.
1/ Nouveauté de la position
chrétienne concernant le sacerdoce
Comme point de départ c'est
évidemment la conception chrétienne du sacerdoce que nous devons prendre, dans
toute son originalité — et non pas la conception ancienne, qui nous conduirait
à une impasse.
Il faut donc nous rappeler que le
Nouveau Testament se montre extrêmement réticent à l'égard des catégories
sacerdotales de l'Ancien sous leur aspect rituel. Les évangiles n'emploient
jamais au sujet du Christ le terme de hiereus (prêtre), et ne
disent jamais que le Christ se soit offert en sacrifice. Souvent, ils expriment
une position polémique contre la conception rituelle de la religion (cf. Mc
7 et par.). Saint Paul n'emploie jamais les mots hiereus ou archîereus (grand
prêtre). Jamais les écrits néotestamentaires ne donnent un titre sacerdotal aux
ministres de l'Église. Un très petit nombre de textes parlent des chrétiens
comme prêtres (1 P 2, 5. 9 ; Ap 1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6).
En ce qui concerne le Christ un écrit
du Nouveau Testament fait exception : l'épître aux Hébreux applique au
Christ les titres de hiereus et d'archiereus et
décrit l'œuvre du Christ en catégories sacerdotales. Mais ce document insiste
beaucoup sur les différences, et nous permet ainsi de mieux comprendre les
réticences des autres. L'auteur observe que le culte ancien était rituel,
extérieur, conventionnel. Il lui oppose le culte réel, personnel, existentiel,
inauguré par le Christ.
La conception ancienne présentait une
sanctification négative, réalisée au moyen de séparations rituelles. Le Christ
nous présente au contraire une sanctification positive, obtenue dans
l'existence concrète.
La perception de cette différence
radicale porta les chrétiens à s'abstenir, dans un premier temps, du
vocabulaire ancien. Plus tard, devenus plus sensibles au fait que le
mystère du Christ constituait l'accomplissement du culte ancien, ils
utilisèrent les catégories anciennes, mais en marquant bien les
différences 3.
Dans le culte ancien, l'épître aux
Hébreux souligne le maintien des séparations : séparation entre le peuple
et le prêtre (le peuple ne peut pas entrer dans le sanctuaire, seul le grand
prêtre y est autorisé) ; séparation entre le prêtre et la victime (le
prêtre ne peut s'offrir lui-même, car il est pécheur, il offre la victime ;
la victime ne peut s'offrir elle-même, car c'est une bête, elle est offerte par
le prêtre) ; finalement l'impossibilité d'une véritable union entre la
victime et Dieu, un animal ne pouvant obtenir une authentique communion avec
Dieu.
Dans le Christ toutes les séparations
sont désormais abolies. Le Christ n'a pas eu besoin de chercher une victime
hors de lui-même ; il s'est offert lui-même (He 7, 27 ; 9, 14,
25). Au lieu des immolations d'animaux, il a offert son obéissance personnelle
qui est allée jusqu'à la mort (10, 5-10). Il n'a pas cherché de
cérémonies symboliques, conventionnelles, mais il a pris sa propre existence.
Dans le Christ se trouve donc effacée la distinction entre le prêtre et la
victime, de même qu'entre le culte et la vie. D'autre part, ce sacrifice,
accomplissement de la volonté de Dieu, transforme l'humanité du Christ et
l'unit parfaitement à Dieu. Ainsi se trouve supprimée la distance qui existait
entre la victime et Dieu, mais aussi, du même coup, entre le prêtre et Dieu. La
dernière séparation, entre le prêtre et le peuple, se trouve également abolie,
parce que le sacrifice du Christ est un acte de solidarité extrême avec les
hommes, où le Christ prend sur lui leur mort de pécheurs.
Cette abolition de toutes les
séparations change complètement la situation religieuse des hommes et constitue
le fondement du sacerdoce commun de l'Église tout entière.
2/ Conséquence :
sacerdoce commun des chrétiens
En effet, puisque les séparations
sont abolies, tous les croyants sont, en un certain sens, élevés à la dignité
sacerdotale.
Le Nouveau Testament montre
clairement que grâce au sacrifice du Christ les barrières entre le peuple et
Dieu sont supprimées. Tous, désormais, sont appelés à s'approcher de Dieu sans
crainte. Tous les croyants ont ce droit autrefois réservé au seul grand prêtre.
Ils jouissent même d'un privilège supérieur, car le grand prêtre ne pouvait pas
entrer dans le sanctuaire à tout moment, il n'y était autorisé qu'une fois
l'an, au cours d'une cérémonie solennelle d'expiation (Lv 16, 2 ;
He 9, 7).Les chrétiens, eux, ne sont soumis à aucune restriction de ce
genre ; l'entrée du sanctuaire leur est toujours ouverte.
« Ayant donc reçu notre
justification de la foi, écrivait saint Paul aux Romains (5, 1 s.), nous sommes
en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné d'avoir
accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis.. »..
Grâce à une allusion plus claire à la
liturgie juive de Kippur, l'épître aux Hébreux souligne davantage le contraste
avec les limitations anciennes : « Ayant donc pleine liberté (parrhêsia) d'entrer
dans le sanctuaire grâce au sang de Jésus, par cette voie qu'il a inaugurée
pour nous... approchons-nous donc.. ». (He 10, 19-22).
La même liberté d'accès se trouve
exprimée dans la lettre aux Éphésiens : « Par lui, nous avons en
effet les uns et les autres accès auprès du Père en un seul esprit » (Ep
2, 18). Un autre passage de la même lettre parle du Christ Jésus « qui
nous donne pleine liberté (parrhêsia) de nous approcher en
toute confiance » (3, 12), et saint Paul va jusqu'à dire
que Dieu nous a déjà « fait asseoir dans les cieux avec le Christ » (2, 6).
Une perspective semblable se retrouve
sous une formulation différente dans les textes de l'Apôtre où il est dit que
les croyants forment le Temple de Dieu, l'habitation divine : « Ne
savez-vous pas que vous êtes temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en
vous ? » (1 Co 3, 16 ; cf. 1 Co 6, 19 ; Ep
2,22 ; 1 P 2, 5).
Les chrétiens ont donc une relation
intime avec Dieu. En He 7, 25 ils sont appelés « ceux qui
par lui (le Christ) s'approchent de Dieu ». Il n'y a plus aucune barrière.
Tous jouissent de la liberté des fils de Dieu qui ont le droit de s'approcher
en toute assurance de leur Père.
Sur ce point, on ne note pas, entre
les chrétiens, de différence. Aucune distinction entre prêtres et simples
fidèles. Jérémie prédisait que, dans la nouvelle alliance, tous auraient une
relation personnelle, intime, avec Dieu (Jr 31, 34). L'épître
aux Hébreux rappelle explicitement cet oracle (He 8, 8-12) et
d'autres textes néotestamentaires y font allusion pour en affirmer la
réalisation dans l'Église (1 Th 4, 9 ; 1 Jn 2, 27 ;
5, 20). L'accès auprès de Dieu n'est pas le privilège d'un petit groupe.
Si nous considérons maintenant un
autre aspect important du sacerdoce, l'offrande des sacrifices, nous constatons
que tous les chrétiens sont invités à offrir des sacrifices. Sur ce point non
plus le Nouveau Testament ne fait pas de distinction entre prêtres et simples
fidèles. Mais il s'agit de sacrifices d'un genre nouveau ; ils
doivent être à l'image du sacrifice du Christ. Tous les chrétiens sont invités
à offrir, non des rites conventionnels, mais leur propre existence.
Saint Paul présente cette perspective
dans un passage important de la lettre aux Romains, passage qui introduit toute
la partie exhortative : « Je vous exhorte, frères, par la miséricorde
de Dieu, à offrir vos corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu :
c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre »(Rm 12, 1).
Paul n'emploie pas souvent le vocabulaire sacrificiel ou sacerdotal ; mais
il l'emploie ici, non pour une cérémonie chrétienne, mais pour l'offrande de
l'existence chrétienne, et il rattache immédiatement à ce thème celui de la
recherche de la volonté de Dieu (12, 2). Le sacrifice du
Christ se définit en effet comme obéissance (Ph 2, 8 ; RM
5, 19), adhésion concrète à la volonté de Dieu. Le même sacrifice
personnel est requis de tous les chrétiens.
L'épître aux Hébreux donne la même
orientation. Après avoir rappelé que le Christ est venu » faire
la volonté de Dieu » (He 10, 7-9) en offrant
son propre corps (10, 10), l'auteur exhorte les chrétiens à faire eux
aussi « la volonté de Dieu » (10, 36 ; 13, 21 ;
cf. 5, 8-9).
En même temps qu'obéissance filiale
envers Dieu, le sacrifice du Christ fut un acte de solidarité avec les hommes,
jusqu'à la mort. Pareillement, les sacrifices des chrétiens doivent consister
en une vie de charité : « Quant à la bienfaisance et à la mise en
commun des ressources, ne les oubliez pas, car c'est à de tels sacrifices que
Dieu prend plaisir » (He 13, 16). Cette définition des
sacrifices chrétiens se situe, dans l'épître, immédiatement après un passage où
l'auteur s'oppose à la conception ancienne du culte, qui donnait une importance
fondamentale aux observances extérieures. Désormais la religion ne peut plus se
concevoir comme un ensemble de pratiques extérieures, de gestes conventionnels
qui s'ajoutent à la vie. Saint Paul, en plusieurs passages, polémique avec
vigueur dans le même sens (Ga 4, 9-10 ; 5, 6 ;
Col 2, 16, 20-22). C'est dans l'existence même que la religion doit
maintenant s'établir. Le sacrifice du Christ n'a pas consisté en rites
extérieurs ; le Christ a pris son existence même, la transformant grâce à
la prière en une offrande parfaite présentée à Dieu (cf. He 5,7-8 ; Mt
26, 36-42). Les chrétiens doivent, eux aussi, prendre leur existence
même et en faire une offrande à Dieu.
Telle est aussi la doctrine de saint
Pierre, qui invite les chrétiens à « offrir des sacrifices spirituels » (1
P 2, 5) dans un contexte où il les engage à rejeter toute forme de
méchanceté et à avoir en tout une bonne conduite (1 P 1,22 - 2, 12).
Le culte chrétien ne consiste donc
pas en rites matériels, mais en sacrifices qui sont à la fois spirituels et
réels, c'est-à-dire en sacrifices qui partent du fond de l'âme docile à
l'Esprit Saint (sacrifices spirituels) et qui s'étendent à toute l'existence
(sacrifices réels, existentiels). En d'autres termes, il s'agit d'assumer selon
l'inspiration de Dieu toutes les responsabilités concrètes (personnelles,
familiales, sociales, nationales, internationales).
3/ Affirmations du sacerdoce
commun
Pour désigner cet aspect fondamental
de la vie chrétienne, le mot sacerdoce n'apparaît pas en saint
Paul. Il faut noter que Paul ne l'emploie pas même pour le Christ ;
il aurait été étrange qu'il l'emploie pour les disciples du Christ. Dans son
sens antique, rituel, l'expression s'appliquait mal à la nouvelle réalité d'un
sacerdoce existentiel.
L'épître aux Hébreux non plus ne dit
pas que les chrétiens sont prêtres ; l'auteur montre qu'ils jouissent des
privilèges sacerdotaux, cependant il ne les appelle pas explicitement prêtres.
Il le fait implicitement quand, peu après avoir nommé le Christ grand
prêtre (2, 17 ; 3, 1), il déclare
que « nous sommes devenus participants du Christ » (3, 14).
Il ne dit pas seulement disciples du Christ ou fidèles du
Christ, mais participants du Christ. On peut comprendre
qu'être participant du Christ, c'est être participant du sacerdoce du Christ.
Un autre verset de l'épître confirme cette interprétation ; l'auteur y
affirme que le Christ, « par une oblation unique a rendu parfaits pour
toujours ceux qu'il sanctifie » (He 10, 14). Le sens
profond de cette affirmation ne se perçoit pas facilement dans les traductions,
impuissantes à exprimer toutes les connotations du verbe grec teteioun, » rendre
parfait ». Celui-ci possède dans la Septante un sens sacerdotal ; il
y désigne la consécration des prêtres. Une étude des autres emplois du verbe
dans l'épître montre clairement que l'auteur a ce sens en vue 4.
Le verbe est employé trois fois au sujet du Christ (en 2, 10 ; 5, 9 ; 7, 28)
et il ressort du contexte qu'il s'applique à la consécration sacerdotale du
Christ, consécration non rituelle, nous le savons, mais réelle, qui se fait par
le moyen des souffrances (2, 10 ; 5, 8)
et consiste en une transformation profonde de l'humanité du Christ ; cette
consécration est donc un véritable rendre parfait. Le texte le plus net
est celui de 5, 8-10, où il est dit que le Christ « apprit,
de ce qu'il souffrit, l'obéissance ; et ayant été rendu parfait, ... il a
été proclamé par Dieu grand prêtre.. »..
Le troisième texte (7, 28)
va dans le même sens, car il met en contraste la consécration antique, qui ne
transformait pas les prêtres, et le cas du Christ rendu parfait dans sa
consécration : « La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des
hommes qui restent déficients ; mais la parole du serment(PS 110, 4)
— postérieur à la Loi — établit comme grand prêtre un Fils rendu parfait pour
l'éternité ».
Le verbe « rendre parfait »
s'applique donc à la transformation radicale de son humanité par laquelle le
Christ devint prêtre.
Or, précisément, cette consécration
du Christ présente un aspect inattendu, différent des consécrations antiques.
Dans le système ancien, il est clair que la consécration valait seulement pour
l'individu qui la recevait et qui devenait grand prêtre. Après sa consécration,
il était habilité à entrer dans le sanctuaire ; personne n'était autorisé
à le suivre. Au contraire, dans le cas du Christ, la consécration vaut non
seulement pour le prêtre lui-même, c'est-à-dire le Christ, mais aussi pour le
peuple. Le même verbe est employé au passif : « Christ fut rendu
parfait, fut consacré », et à l'actif : « Christ rendit
parfaits, Christ consacra »5. Dans l'événement de la Passion,
le Christ » fut rendu parfait » (5, 9) et il « a
rendu parfaits pour toujours ceux qu'il sanctifie » (10, 14).
Le Christ reçut le sacerdoce et, en même temps, le communiqua.
L'explication de cette nouveauté
réside dans le fait que la consécration du Christ a vraiment été une
transformation de l'homme et qu'elle s'est réalisée par un acte de solidarité,
un acte solidarisant. C'est pourquoi la consécration ne vaut pas seulement pour un homme,
mais pour l'homme, pour tous les hommes, à moins qu'ils ne se ferment à
l'efficacité de cet acte (cf. He 5, 9).
Le verset dont nous parlons contient
donc l'affirmation du sacerdoce commun, même s'il ne contient pas le mot
sacerdoce.
L'affirmation devient explicite, on
le sait, dans plusieurs phrases de l'Apocalypse (1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6),
dont le contexte est semblable, car il met le sacerdoce des chrétiens en
relation avec le sang du Christ(1, 5 ; 5, 9).
Le thème toutefois n'y est pas approfondi. L'Apocalypse emprunte son expression
à une phrase de l'Exode (19, 6), selon le texte hébreu 6.
Du même passage de l'Exode, mais avec
le terme grec utilisé par la Septante, provient l'expression de la première
lettre de Pierre, texte splendide où l'idée est développée : « Vous
approchant de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie,
précieuse auprès de Dieu, vous-mêmes, comme pierres vivantes, entrez dans
l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint,
en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ » (1
P 2, 4-5) ; « mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal,
une nation sainte, un peuple acquis » (2, 9) 7.
Ce texte nous rappelle d'abord le
sacrifice réel, existentiel, du Christ, rejeté par les hommes et glorifié par
Dieu ; il exprime ensuite la vocation des chrétiens à faire des offrandes
semblables, c'est-à-dire non rituelles mais spirituelles (et le contexte montre
que spirituels ne s'oppose pas à réels, mais bien
au contraire exige cet aspect). C'est là que se situe l'affirmation du
sacerdoce commun.
Au sacerdoce réel du Christ
correspond donc le sacerdoce réel de tous les chrétiens, invités à s'approcher
de Dieu avec leur vie concrète.
4/ La place du sacerdoce
ministériel
Quelle est alors la place du
sacerdoce ministériel ? Il semblerait qu'il n'en ait plus aucune. En fait,
il a une place, qui est à la fois indispensable et subordonnée.
La comparaison établie ci-dessus
entre le sacerdoce réel du Christ et le sacerdoce réel des chrétiens a mis en
relief la ressemblance. Elle a omis de noter une différence fondamentale :
le Christ était capable de réaliser personnellement le culte existentiel
parfait (cf. He 9, 14) ; les chrétiens ne sont pas
capables de le réaliser par eux-mêmes. Ce n'est qu'unis au Christ qu'ils
peuvent élever leur vie jusqu'à Dieu dans une charité authentique envers leurs
frères.
Tous les écrits cités expriment cette
nécessité : saint Paul, saint Pierre, l'auteur de l'épître aux Hébreux.
Nous ne l'avons pas soulignée, mais elle est toujours présente comme un point
essentiel.
Aucun texte ne laisse penser qu'un
chrétien soit capable de réaliser par lui-même son sacerdoce. La connexion
nécessaire avec le Christ est toujours affirmée. De plus, on peut observer que
les textes parlent toujours des chrétiens au pluriel.
Le texte de 1 P, le
plus explicite, est particulièrement significatif : pour exercer le
sacerdoce, il faut s'approcher du Christ, pierre vivante, s'appuyer sur
lui, former avec lui tous ensemble un édifice qui est
un temple. Le mot employé ici pour sacerdoce n'est pas un mot
abstrait, le nom d'une dignité, mais un mot concret qui signifie plus
précisément organisme sacerdotal (hierateuma : en
grec le suffixe -ma a un sens concret). Il ne s'agit donc pas
d'un sacerdoce individuel, mais d'un sacerdoce commun, sacerdoce de
tout le corps du Christ ensemble 8. Et la relation avec le
Christ en est l'élément le plus important : déjà exprimée au commencement,
elle est répétée à la fin ; Pierre en effet éprouve le besoin de préciser
de nouveau que les sacrifices offerts le sont » par Jésus Christ »
(2, 5).
Les autres textes n'omettent jamais
des indications semblables. Nous voyons Paul qui insiste toujours sur le « par
Jésus Christ » ; nous avons cité :
. Rm 3, 1 : « Nous
sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ » ;
. Ep 2, 18 : » Par
lui nous avons... accès auprès du Père » ;
. Ep 3, 12 : « dans
le Christ Jésus notre Seigneur, qui nous donne d'oser nous approcher.. ». ;
. Ep 2, 6 :
Dieu « nous a fait revivre avec le Christ... avec lui Il
nous a ressuscités... dans le Christ Jésus ».
De même, pour l'auteur de l'épître
aux Hébreux, les fidèles sont « ceux qui par lui s'avancent
vers Dieu » (7, 25). Tous sont invités à s'approcher de
Dieu, mais dans le sang du Christ (10, 19). Ils
sont appelés à « accomplir la volonté de Dieu », mais par
Jésus Christ (13, 21). Et parce qu'ils reçoivent tout par
le Christ, ils doivent continuellement offrir par lui un
sacrifice de louange, une eucharistie(13, 15).
Dans le sacerdoce du Christ on
distingue donc deux aspects : l'aspect du culte et l'aspect de la
médiation. L'aspect du culte se retrouve dans le sacerdoce de tous les
chrétiens qui sont admis à s'approcher de Dieu et à offrir leurs sacrifices,
c'est-à-dire à ouvrir à l'action transformante de Dieu leur existence concrète.
L'aspect de la médiation appartient exclusivement au Christ : « Car
Dieu est unique, unique aussi le médiateur de Dieu et des
hommes, le Christ Jésus, homme lui-même qui s'est livré en rançon pour tous » (1
Tm 2, 5). La possibilité pour les chrétiens de rendre un culte à Dieu
n'existe pas sans la médiation du Christ ; elle reste liée à cette
médiation. Elle en est le fruit magnifique, mais n'existe pas indépendamment
d'elle.
Cette situation doit être manifestée
objectivement dans la vie chrétienne puisqu'elle est fondamentale pour le
sacerdoce des chrétiens.
En cela consiste la fonction du
sacerdoce ministériel : être le sacrement de la médiation du
Christ, manifester la présence du Christ médiateur, afin que les chrétiens
puissent accueillir explicitement cette médiation 9. Au service
du Christ « médiateur d'une nouvelle alliance » (He 9, 15 ; 8, 6),
sont donc constitués des « ministres de la nouvelle alliance » (2 Co
3, 6), qui actualisent sa présence à travers la diversité des lieux et
des temps. Leur capacité à exercer cette fonction n'est pas d'origine humaine
mais divine (2 Co 3, 5). Ils assument le « ministère de
la réconciliation » (2 Co 5, 18), non de leur propre
autorité, mais comme ambassadeurs du Christ ( 2 Co 5, 20 ; cf. Mt
28, 16-20 ; Jn. 20,21-23). Ils sont à considérer
comme « serviteurs du Christ et intendants des mystères de Dieu » (1
Co 4, 1 ; cf. Lc 12, 41-43). Grâce à leur « ministère
sacré » (Rm 15, 16), l'offrande des nations devient agréable à
Dieu, sanctifiée dans l'Esprit Saint (Rm 15, 16).
Le synode de 1971 a parlé en ce sens
de « l'unique ministère sacerdotal du Nouveau Testament, qui continue la
fonction du Christ Médiateur.. ». (1ère partie, n.
4). La référence au Christ médiateur semble préférable à la référence au Christ
chef, telle que l'exprimait, par exemple, l'esquisse pré-synodale, où l'on
disait que le prêtre « représente le Christ en tant qu'il est tête de la
communauté et, pour ainsi dire, en face d'elle »10. Cette
dernière manière de dire a l'inconvénient de voiler la fonction propre du
Christ prêtre, qui consiste à mettre la communauté en relation avec Dieu. Au
contraire, parler de médiation donne la juste perspective, dans laquelle rentre
aussi la fonction de chef. D'autre part, en insistant sur la nécessité de « représenter
le Christ chef », on risque de favoriser une conception autoritaire du
ministère.
La formule du Synode, cependant,
donne encore prise à un possible malentendu lorsqu'elle parle de « continuer
la fonction du Christ médiateur », ce qui semble indiquer que les
prêtres sont médiateurs eux aussi. En fait, le sacerdoce ministériel ne
constitue pas une médiation ajoutée à celle du Christ ; il est seulement
sacrement de cette médiation, qui demeure unique ; tout comme la messe ne
constitue pas un sacrifice ajouté à celui du Calvaire, mais est seulement
sacrement de ce sacrifice unique 11.
Étant sacramentel, le sacerdoce
ministériel est, en un certain sens, secondaire, ou, si l'on préfère,
subordonné. Ce qui importe, ce sont les existences réelles. Le sacerdoce
ministériel n'est pas le but, mais il constitue le moyen de relation entre les
existences réelles (celle du Christ, celles des chrétiens) ; on l'appelle
ministériel précisément parce qu'il est secondaire, subordonné, au service du
sacerdoce du Christ, au service du sacerdoce commun. Sans le sacerdoce du
Christ il n'aurait aucun contenu, aucune valeur, il ne représenterait rien ;
sans la relation au sacerdoce commun, il n'aurait aucun sens, aucune utilité.
Il est donc, en ce sens, secondaire.
Toutefois il est indispensable, parce
que sans ce moyen de relation l'existence des chrétiens ne serait pas
effectivement soumise à la médiation du Christ et ne pourrait donc pas être
transformée en un sacrifice digne de Dieu. Refuser cette médiation
sacramentelle équivaut à refuser la médiation du Christ pour retourner au
subjectivisme et à l'individualisme religieux. Un refus de ce genre s'oppose à
l'économie de l'Incarnation et à l'existence de l'Église comme corps du Christ.
Les sacrements chrétiens, au
contraire, ne se présentent pas comme des cérémonies ayant valeur en
elles-mêmes. Toute leur valeur leur vient de leur rapport avec l'unique
offrande existentielle totale et parfaite qui soit, celle du Christ, et de la
possibilité qu'ils donnent aux fidèles, grâce à ce rapport, de transformer leur
propre existence concrète.
Une remarque s'impose ici : la
médiation du Christ ne consiste pas seulement à mettre chaque fidèle individuellement
en relation avec Dieu, mais elle consiste à unir tous les croyants en un seul
peuple de Dieu. De même que le sacrifice du Christ fut à la fois un acte
d'union avec Dieu et d'union avec les hommes, sa médiation comprend
indissolublement ces deux aspects réunis, regrouper tous les hommes et les unir
à Dieu : « Par lui, écrit saint Paul, nous avons les uns et les
autres, en un seul Esprit, accès auprès du Père » (Ep 2, 18).
On ne peut donc accepter la médiation
du Christ pour aller à Dieu sans accepter en même temps d'entrer dans le corps
du Christ, c'est-à-dire l'Église.
Le sacerdoce ministériel, comme signe
et instrument du Christ médiateur, n'a donc pas seulement pour rôle de donner
concrètement à chaque fidèle la possibilité d'unir sa propre existence à
l'existence du Christ, il a également pour rôle de structurer le corps du
Christ et d'en faire une unité. Selon Ep 4, 12, les ministères
sont établis par le Christ afin « d'organiser les saints (c'est-à-dire les
chrétiens) pour l'œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du
Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire
plus qu'un dans la foi.. ».. On voit par là que le sacerdoce ministériel
est nécessairement hiérarchique. L'Église n'est pas une masse informe, mais une
construction organique (Ep 2, 20-22). Pour lui donner « concorde
et cohésion », le Christ se sert de tout un ensemble de « jointures
et ligaments » constitutifs (Ep 4, 16 ; Col
2, 19).
D'autre part, puisque cette
construction n'est pas une simple organisation humaine, mais « un temple
saint », « une demeure de Dieu » (Ep 2, 21-22),
un « sacerdoce saint » (1 P 2, 5), le caractère
sacerdotal doit nécessairement être reconnu au ministère par le moyen duquel la
construction est constituée en cette qualité. En fait l'expression de 1
P 2, 5. 9, ne peut s'interpréter, comme il arrive trop souvent, du
seul sacerdoce commun, excluant le sacerdoce ministériel.
Elle s'applique au contraire à tout
le sacerdoce de l'Église, constituée, dans son adhésion au Christ, en organisme
sacerdotal. L'expression comporte donc les deux aspects de ce sacerdoce :
sacerdoce commun et sacerdoce ministériel.
5/ Rapports entre sacerdoce
ministériel et sacerdoce commun
Après ce qui vient d'être dit, la
différence entre les deux sacerdoces apparaît clairement, différence qui n'est
pas seulement de degré mais de nature, comme le dit Lumen Gentium, 10,
et comme le répète le texte du Synode de 1971 (1, 4).
Comparé au sacerdoce commun, on doit
dire que le sacerdoce ministériel est plus spécifiquement sacerdotal et
moins réellement sacerdotal. Il est plus spécifiquement sacerdotal parce que
l'élément spécifique du sacerdoce est la médiation entre Dieu et les hommes ;
or le sacerdoce ministériel est sacrement de la médiation du Christ, il est
signe et instrument du Christ médiateur, ce que le sacerdoce commun n'est
pas.
Des confusions apparaissent souvent
sur ce point. Certains disent que tout chrétien doit être médiateur « parce
que, en raison de la structure sociale de la nature humaine, le prêtre inclut
nécessairement d'autres personnes dans sa relation à Dieu »12.
C'est là un langage impropre qui confond relation entre les hommes et médiation
proprement dite entre l'homme et Dieu. Qui a besoin d'un médiateur pour entrer
en rapport avec Dieu ne peut pas être lui-même, à proprement parler, médiateur
entre les autres et Dieu ; tous les hommes ont besoin de la médiation du
Christ ; aucun ne peut donc être médiateur pour les autres hommes, même
s'il est nécessairement en relation avec eux.
Plus spécifiquement sacerdotal, le
sacerdoce ministériel est moins réellement sacerdotal 13 que
le sacerdoce commun parce qu'il est seulement sacramentel, c'est-à-dire signe
de la réalité. Au contraire, le sacerdoce commun est offrande réelle de
l'existence à Dieu, dans la docilité concrète. Il ne s'agit pas cependant, dans
les deux cas, du même aspect du sacerdoce : le sacerdoce commun est culte réel,
le sacerdoce ministériel est médiation sacramentelle.
6. Nécessaire participation
des prêtres au sacerdoce commun
Pour être complet, il faut ajouter
que le sacerdoce commun est véritablement commun, c'est-à-dire sacerdoce de
tout le corps du Christ réuni, de toute l'Église. On conçoit parfois le
sacerdoce commun comme exclusivement réservé, dans l'Église, aux laïcs. C'est
une erreur. Tous les chrétiens, et donc aussi les prêtres, les évêques, le
pape, sont appelés à exercer le sacerdoce commun ; en cela ils sont tous
frères. S'ils ne l'exerçaient pas, leur union avec le Christ ne serait pas
réelle, personnelle, existentielle. En fait, le sacerdoce ministériel lui-même
comporte un appel à exercer le sacerdoce réel, c'est-à-dire à s'unir au
sacrifice du Christ par l'offrande de toute sa vie. Les récits évangéliques de
vocation ne séparent pas les deux aspects : le Christ appelle ses
apôtres à un engagement personnel et, d'autre part, il leur donne des pouvoirs
qui ne sont pas humains 14.
Dans la vie et le ministère des
prêtres, il convient, me semble-t-il, de distinguer les deux sacerdoces.
Distinguer, non pas séparer. Distinguer est utile pour la clarté des concepts
doctrinaux ; séparer serait contraire à la vocation concrète.
Avant le Synode de 1971, des points
de vue opposés à la distinction se sont exprimés. Le rapport de la Commission
théologique par exemple disait : « Tous les actes du prêtre sont
qualifiés, en vertu de son ordination, par son ministère sacerdotal... Nous y
avons insisté ci-dessus : il ne faut pas concevoir des moments où le
prêtre, du fait qu'il est dans son église ou bien en service requis, agirait
comme prêtre, tandis que dans le reste de sa vie il devrait se sentir comme le
reste des hommes ». « Il ne fera jamais plus rien en laïc ».
Position confuse et contestable, qui
ne tient pas compte du sacerdoce commun.
Il semble, au contraire, nécessaire de
distinguer : le prêtre est appelé à vivre toujours le sacerdoce commun,
parce que tout chrétien est appelé à offrir toute sa vie, soit qu'il mange,
soit qu'il boive, quoi qu'il fasse... (cf. 1 Co 10, 31 ; Col
3, 17). Mais il n'exerce pas toujours son sacerdoce ministériel ;
quand il mange, quand il se détend, il n'exerce pas son ministère, il n'est pas
signe et instrument du Christ médiateur ; il doit cependant être uni à
Dieu par le Christ, ce qui correspond au sacerdoce commun.
Plus justement, l'esquisse
pré-synodale refusait la position des théologiens et disait : le ministère
« pénètre l'existence, non pas en ce sens qu'il rende sacerdotales toutes
les actions, mais parce qu'il impose une condition aux autres activités »15.
La formule n'est pourtant pas totalement satisfaisante ; il vaudrait mieux
dire : « non dans le sens qu'il rende ministérielles toutes
les actions », laissant au sacerdoce commun de les rendre sacerdotales.
En fait, ce qui doit envahir toute
l'existence, c'est le sacerdoce commun, sacerdoce réel, comme nous l'avons dit.
Il doit imprégner les actes ministériels eux-mêmes. L'activité proprement
ministérielle donne lieu, elle aussi, à l'exercice du sacerdoce commun. Là
encore, la séparation ne serait pas normale. Dans tout ministère, il y a un
aspect sacramentel de l'activité qui appartient au sacerdoce ministériel, mais
il y a également un aspect personnel de l'activité qui revient normalement au
sacerdoce commun.
Prenons l'exemple le plus simple :
la célébration de la messe. En célébrant la messe, le prêtre est signe et
instrument du Christ médiateur qui s'offre au Père et unit les croyants à son
offrande. La consécration est action ministérielle ; elle n'est pas une
action personnelle du prêtre, elle ne dépend pas du mérite du prêtre.
Cependant, en célébrant la messe, le prêtre est appelé à adhérer
personnellement au mystère. Cet aspect se distingue du premier, il peut aussi
en être séparé, mais la séparation est anormale. Un prêtre peut célébrer la
messe sans adhérer personnellement au sacrifice du Christ, par exemple avec une
volonté de vengeance mortelle contre une personne qui l'a offensé. La messe ne
sera pas invalide ; les fidèles pourront s'y unir au sacrifice du Christ.
Le prêtre aura exercé son sacerdoce ministériel tout en refusant d'exercer le
sacerdoce commun.
Il existe des cas plus complexes :
le sacerdoce ministériel ne consiste pas seulement à administrer les
sacrements, mais aussi à transmettre la parole de Dieu et à gouverner le peuple
de Dieu au nom du Christ. Ces trois secteurs appartiennent tous les trois à la
médiation du Christ, et dans chaque secteur il y a donc un aspect proprement
ministériel, mais ils comportent aussi nécessairement un aspect personnel.
Les fidèles ont besoin de l'aspect
ministériel. Considéré matériellement en lui-même, le texte imprimé de la Bible
n'est pas parole vivante de Dieu, il est la lettre (cf. 2 Co 3, 6).
Pour qu'il devienne parole vivante de Dieu, il faut qu'il soit transmis
actuellement par le Christ vivant. Le magistère de l'Église et, à sa place
spécifique, l'enseignement des prêtres sont le signe et l'instrument de cette
médiation.
Le prêtre doit être conscient de ce
fait pour concevoir de manière juste son ministère de prédication, qui ne
consiste pas à propager ses idées personnelles, mais la parole du Christ.
Mais cette activité requiert en même
temps un travail et un engagement personnel qui constituent un exercice du
sacerdoce commun.
La même observation vaut encore pour
l'exercice du gouvernement de l'Église. Le Christ médiateur rassemble dans son
corps tous les enfants de Dieu dispersés (cf. Jn 11, 52 ; Rm
12, 5). L'autorité nécessaire à cette unité appartient à lui seul. Les
chrétiens, cependant, ont besoin d'une manifestation visible de cette autorité,
afin de pouvoir former effectivement, tous ensemble, un seul édifice
spirituel (1 P 2, 5 ; cf. Ep 2, 20-22),
un véritable sacerdoce saint (1 P 2, 5). Le
ministère hiérarchique de l'Église reçoit cette tâche. Il est signe et
instrument de l'autorité du Christ, au service de l'unité. Les ministres de
l'Église ne possèdent pas personnellement l'autorité, mais ils doivent
l'exercer au nom du Christ. En tant que, par eux, le Christ lui-même dirige son
Église, leur activité dépend du sacerdoce ministériel. Mais ce ministère ne peut
s'effectuer sans tout un engagement de la personne (information, délibérations,
initiatives, décisions) et, sous cet aspect, l'activité de gouvernement
appartient au sacerdoce commun. La distinction des deux aspects n'est pas
facile dans la pratique. Quand il s'agit de gouvernement, l'attention se porte
plus facilement sur la part d'activité humaine.
L'aspect d'intervention du Christ
doit être reconnu dans la foi. En se soumettant à une décision légitime de
leurs pasteurs, les croyants savent qu'ils se soumettent au Christ qui unifie
son Église.
Il convient de noter, en tout ceci,
que le sacerdoce ministériel spécifie l'exercice du sacerdoce commun, en lui
donnant un aspect particulier. Une de ces notes spécifiques consiste
précisément dans l'abnégation personnelle du prêtre, qui doit toujours refuser
de s'attribuer à lui-même l'efficacité spirituelle de son ministère. Cette
efficacité appartient à l'action du Christ qui illumine, gouverne et sanctifie.
Le prêtre doit renoncer à tirer de son activité ministérielle des avantages
personnels. Toute espèce de simonie lui est interdite.
Par ailleurs, la sanctification du
prêtre est liée de manière spécifique à son dévouement au service de l'Église.
Dans l'exercice même de son ministère, le prêtre reçoit personnellement
d'abondantes grâces d'union au Christ.
*
* *
Une vision claire de la distinction
et des rapports qui existent entre sacerdoce ministériel et sacerdoce commun
porte en soi de multiples avantages. Elle permet de mieux reconnaître la
dignité respective des deux aspects du sacerdoce chrétien, de mieux comprendre
leur rapport et de respecter leurs limites.
Le sacerdoce ministériel apparaît
dans sa grandeur et dans son humilité. Il est grand, car en lui c'est le Christ
lui-même qui exerce sa médiation. Il est humble, car le prêtre ne peut
s'attribuer à lui-même l'action du Christ. Humble aussi parce qu'il est au
service du sacerdoce commun.
De son côté, le sacerdoce commun
apparaît également dans son humilité et dans sa grandeur. Il est humble, car il
doit reconnaître qu'il ne se suffit pas à lui-même ; il a besoin d'une
médiation. Il est grand, car il est offrande réelle, culte authentique,
transformation de l'existence.
Prendre conscience de la nécessaire
participation de tous — y compris des prêtres — au sacerdoce commun comporte
également de grands avantages : cela élimine l'esprit de domination qui
peut exister chez certains prêtres et l'esprit d'envie chez certains laïcs, en
approfondissant en tous le sens de l'égalité fondamentale et de la fraternité
chrétienne.
Donnant à tous le sens de leur vraie
dignité et de leur responsabilité, la juste distinction peut sans doute
contribuer à éviter de faux problèmes.
Albert
Vanhoye, s.j., in Nouvelle Revue Théologique (1975, tome 97-3)
1. Ces pages reprennent, avec
diverses modifications, une conférence donnée en italien lors d'une session qui
a eu lieu à Triuggio près de Milan. La maison de Triuggio a publié les textes
de cette session sous le titre Sacerdoti nello Spirito, Villa
S. Cuore, 20050 Triuggio (Mi), 1973.
2. Lors d'un congrès de groupes
chrétiens tenu à Dijon en mai 1974, les membres d'un groupe déclaraient
ouvertement que désormais ils célébraient l'eucharistie entre eux sans se
soucier d'avoir un prêtre ; tel autre groupe déclarait qu'il se passait de
toute célébration eucharistique, la solidarité effective valant mieux qu'une
cérémonie religieuse.
3. Dans son excellent article, La
« qualité » sacerdotale du ministère chrétien, dans NRT 95
(1973) 481-514, le P. J. M. R. Tillard étudie cette évolution.
4. Qu'il me soit permis de
renvoyer à Situation du Christ, coll. Lectio divina 58,
Paris, Ed. du Cerf, 1969, pp. 320-328.
5. On trouve en Jn 17, 19,
un texte comparable : « Je me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient eux
aussi sanctifiés en vérité ». A. FEUILLET en donne une interprétation
sacerdotale dans son livre, Le Sacerdoce du Christ et de ses Ministres, Paris,
Éditions de Paris, 1972, pp. 24-26, 103-108. Cette interprétation suscite
cependant des critiques, cf. J. DELORME, Sacerdoce du Christ et
ministère(À propos de Jean 17). Sémantique et théologie biblique, dans Rech.
Sc. Rel. 62 (1974) 199-219 (voir pp. 207-213). Cf. d'autre part les
utiles précisions que donne I. DE LA POTTERIE, Consécration ou
sanctification du chrétien, dans Archivio di Filosofia, Rome,
1974, pp. 333-349.
6. Les textes de l'Apocalypse
ont fait l'objet d'une étude attentive : E. SCHÜSSLER, Fiorenza,
Priester für Gott : Studien zum Herrschaft- und Priester-motif in der
Apokalypse, coll. Neutest. Abh. N.S. 7, Munster,
Aschendorff, 1972, VIII-450.
7. Cf. J. COPPENS, « Le
sacerdoce royal des fidèles. Un commentaire de la 1 Pet. II, 4-10 », dans Au
service de la Parole de Dieu, Mélanges Charue, Gembloux, 1969, pp.
61-75.
8. Cf. J. H. ELLIOTT, The Elect and
the Holy : An Exegetical Examination of 1 Peter 2, 4-10
and the Phrase basileion hierateuma, coll. Suppl. to
Novum Testamentum XII, Leiden, 1966, pp. 64-70, 166-169, 220-223 ;
J. COPPENS, art. cit., pp. 70, 72.
9. Cf. J. M. R. TILLARD, art.
cit., 511 : « II s'agit d'une désignation sacerdotale sui
generis,recouvrant un acte ministériel intégralement sacramentel et tout
entier relatif à l'Acte sacerdotal unique et incommunicable de Jésus, afin de
permettre le contact de la communauté avec celui-ci dans le hic et nunc ».
10. Synode des Évêques, Le
sacerdoce ministériel. Esquisse des thèmes..., » Partie
doctrinale »,conclusion, n. 4.
11. Il est sans doute utile de
préciser ici la distinction entre le culte sacramentel chrétien et le culte
simplement rituel. L'un et l'autre comportent des cérémonies symboliques. Mais,
dans le culte ancien, celles-ci n'étaient pas en relation avec une offrande
existentielle totale et parfaite, pour la bonne raison qu'une telle offrande
n'existait pas. Le culte était censé avoir valeur en lui-même.
12. Irène
BSCK, Sakrale Existenz. Das gemeinsame Priestertum des
Gottesvolkes als kultische und ausserkultische Wirklichkeit, dans Münchener
Théol. Zeits. 19 (1968) 17-34, p. 32, traduit dansRassegna
di teologia, mars-avril 1971, 15-29, p. 27. Hans Küng donne des
interprétations semblables dans son livre sur l'Église (vol. II, p. 526 de
l'éd. franc., E, 1.2.5. « La fonction de médiation »).
13. Cette affirmation peut
susciter un certain malaise. Pour bien la comprendre, il est nécessaire de la
compléter par ce qui sera dit plus loin, sur l'union concrète, dans le
ministère des prêtres, des deux aspects du sacerdoce.
14. Cette union des deux aspects
a été fortement soulignée par H. U. von BALTHASAR, Amt und Existenz, dans Internat.
Kath. Zeits. Communio 1 (1972) 289-297.
15. Questions pratiques,
I, 5, b, p. 18.