Les analogies et références de ces
deux documents sont nombreuses. Elles intéressent l'histoire ; elles
concernent la doctrine morale prêchée par le Magistère romain en cette dernière
partie du XXe siècle. Nous laisserons ici de côté les contextes
historiques, la préparation des textes, l'autorité magistérielle des deux
documents et même leurs enjeux spirituels et ecclésiaux. Nous présenterons une
étude des contenus doctrinaux de l'Encyclique (1968) et de l'Instruction
(1987).
Cette relecture de Donum vitae à la lumière de Humanae vitae montre
la continuité de l'enseignement magistériel. Son développement aussi.
L'Instruction évalue moralement les fécondations artificielles à la lumière du
même principe qui conduisait l'Encyclique à considérer comme
« intrinsèquement déshonnête » la contraception, même par voie orale.
Mais de plus l'Instruction, s'appuyant sur Familiaris consortio et sur
la catéchèse de Jean-Paul II, montre le fondement de ces déterminations morales
dans la nature et la dignité personnelles de l'embryon humain et de sa
procréation.
Une comparaison précise est
nécessaire pour illustrer « la continuité et le progrès » entre les
enseignements de ces documents. Notre propos suivra le fil de Donum vitae.
Dans cet exposé, nous nous limiterons
au commentaire de l'Introduction et de la Deuxième partie de
l'Instruction : l'analogie avec Humanae vitae y est explicite. Nous
laisserons de côté les apports neufs de la Première partie sur la dignité
personnelle de l'embryon humain. Nous renonçons aussi à traiter de la Troisième
partie et de la distinction opérée, en vertu de la dignité de la personne
humaine, entre loi morale et législation civile.
La référence à la personne constitue
l'horizon dans lequel l'Instruction médite les exigences morales du respect de
l'embryon et de la procréation ; la dignité personnelle de tout être
humain implique et suppose la dignité personnelle de la génération humaine.
1/
L'Introduction de Donum Vitae
L'Introduction
illustre ce propos.
La doctrine de la personne y constitue une des plus remarquables nouveautés par
rapport à Humanae vitae. Il faut, pour s'en convaincre, reprendre
d'abord les termes de l'Encyclique de 1968 et méditer ensuite les fondements
doctrinaux élaborés dans l'Introduction de Donum vitae. L'analogie entre
les déclarations magistérielles sur la contraception et celles sur la
fécondation artificielle s'éclaire et se fonde d'une façon renouvelée dans
cette doctrine « de la nature et de la personne » (Familiaris
Consortio FC, 32).
Humanae vitae caractérisait l'amour conjugal en
termes de « communion des personnes » (Humanae Vitae HV, 18) et parlait de l'« amitié
personnelle entre les époux » (HV, 9). L'Encyclique reconnaissait
aussi « dans le pouvoir de donner la vie, des lois biologiques qui font
partie de la personne humaine » (HV, 10)1. Ces allusions
ne suffisaient cependant pas à fonder dans une métaphysique de la personne la
réflexion de Paul VI sur l'amour conjugal et la paternité responsable.
Certains avaient cru voir dans cette
discrétion de Humanae vitae à propos de la personne humaine un recul par rapport à Gaudium et spes et
à Vatican II. Il est sûr que la première partie de la Constitution pastorale
s'était construite autour de la « dignité de la personne humaine »
(ch. I, 12-22). Le chapitre consacré à la dignité du mariage et de la
famille avait invoqué à plusieurs reprises la personne (47, 1)2.
Selon Gaudium et spes, le consentement des personnes (48, 1) fait l'alliance
matrimoniale, si précieuse au « progrès personnel » comme « au
sort éternel de chacun des membres de la famille » (ibid.). L'amour
conjugal y est décrit en termes personnalistes : « il va d'une
personne vers une autre personne et enveloppe le bien de la personne tout
entière » (49, 1) : il atteste l'égale dignité personnelle (49, 2) de
l'homme et de la femme. Cependant la Constitution conciliaire, à la différence
de ce que dira FC, 18, n'avait pas parlé de la procréation en termes
personnels. Les enfants n'y avaient pas été expressément désignés comme des
personnes 3. Elle avait traité de l'amour conjugal en termes personnalistes, mais n'avait pas
considéré le parenté responsable dans la même lumière. À la seule exception
peut-être de ce passage : « lorsqu'il s'agit de mettre en accord
l'amour conjugal avec la transmission de la vie, la moralité du comportement ne
dépend donc pas de la seule sincérité de l'intention et de la seule
appréciation des motifs, mais elle doit être déterminée selon des critères
objectifs tirés de la nature de la personne et de ses actes, critères qui
respectent, dans un contexte d'amour véritable, la signification totale d'une
donation réciproque et d'une procréation humaine » (Gaudium et Spes GS,
51, 3).
Les regrets énoncés à propos de
l'absence de personnalisme dans Humanae vitae ont ainsi quelque chose
d'anachronique. En fait Gaudium et spes n'avait pas unifié la réflexion
théologique : le caractère personnel de l'amour des époux n'avait pas
éclairé la dignité personnelle des enfants, de leur procréation, de la
paternité responsable. Cette affirmation peut surprendre. Elle est si vraie que
certains experts conciliaires ont cru trouver dans la dignité personnelle de
l'amour conjugal des raisons qui pouvaient légitimer, ou du moins interdire de
condamner, au nom de la paternité responsable, certaines pratiques
contraceptives. L'étonnement sera grand (et chez certains, la déception), quand
Paul VI verra dans la connexion naturelle entre amour conjugal et « paternité
consciente » le principe et fondement de la récusation morale de toute
intervention contraceptive. Il sera dit que l'Encyclique était moins
personnaliste que le Concile. La discrétion de Humanae vitae sur la
personne apparaîtra à certains ruineuse de son argument, sinon de son
enseignement. Plus d'un ne reconnaîtra d'ailleurs pas dans l'Encyclique la
considération métaphysique de la nature, de ses fins et de ses actes propres et
méconnaîtra dès lors la portée rationnelle et morale de son argumentation
traditionnelle.
Il appartiendra à l'enseignement de
Jean-Paul II, à celui de Familiaris consortio et des catéchèses du
mercredi, de redire en termes de personne et de communion, non seulement
l'amour conjugal, mais encore la procréation des enfants (FC, 15), la connexion
de ces biens et toute la vie familiale (FC, 16, 18, 19)4.
L'Instruction Donum vitae dit en conséquence de cet enseignement :
« La procréation humaine demande une collaboration responsable des époux
avec l'amour fécond de Dieu ; le don de la vie humaine doit se réaliser
dans le mariage moyennant les actes spécifiques et exclusifs des époux, suivant
les lois inscrites dans leurs personnes et dans leur union » (DV, Introd.,
5). Toute l'Instruction est marquée de ce sceau de la personne.
L'examen des critères moraux
fondamentaux présentés dans l'Introduction est éloquent. La première page
évoque les « valeurs et les droits de la personne humaine ». Le terme
a pour le moins une signification morale et juridique. Mais sa pertinence métaphysique
apparaît aussi dès le premier paragraphe : « Le Magistère de l'Eglise
entend proposer la doctrine morale qui correspond à la dignité de la personne
et à sa vocation intégrale ». Dignité et vocation (GS, 12),
condition naturelle et vocation intégrale de l'homme (GS, 11) : ces
expressions de Gaudium et spes et de Dignitatis humanae reprennent
la thématique traditionnelle de la destinée surnaturelle de l'homme,
« personne dotée d'une âme spirituelle, de responsabilité morale et
appelée à la communion bienheureuse avec Dieu » (Donum Vitae DV, Introd.,
citant DH, 2). La dignité de la personne, selon le chapitre I de Gaudium
et spes et la Déclaration Dignitatis humanae personae, est le lieu
où la nature humaine s'accomplit comme être d'esprit et est ordonnée à sa fin 5 ;
elle est appelée au-delà d'elle-même à la « communion » de la grâce
et de la béatitude avec Dieu 6.
La « personne humaine » et
les « valeurs morales » où s'atteste son bien indiquent à la science
et à la technique leurs finalités et leurs limites. « La science et la
technique requièrent, pour leur signification intrinsèque..., le respect
inconditionné des critères fondamentaux de la moralité ;... elles doivent
être au service de la personne humaine, de ses droits inaliénables, de son bien
véritable et intégral, conformément au projet et à la volonté de Dieu » (DV,
Introd., 2 ; cf.
FC, 8). Sciences et techniques sont
des activités humaines à évaluer moralement, conformément à la dignité de la personne
humaine ; elles doivent la servir
dans le respect de ses droits moraux et juridiques, en vue du bien
correspondant à sa vérité native et à sa vocation intégrale, suivant le Dessein
divin. Le concept métaphysique de la personne aide à fonder dans la dignité et
la fin de celle-ci les « critères fondamentaux de la moralité » (FC,
8).
C'est en ce sens que l'Instruction
parle de la « nature de la personne humaine » et évoque sa
« dimension corporelle »7 pour « éclairer les problèmes
posés aujourd'hui dans le cadre de la biomédecine ». Les données
anthropologiques sont évoquées en référence à la « personne humaine »
(DV, Introd., 3) qui « s'exprime et se manifeste » à travers
son corps. Dès lors, « la loi morale naturelle exprime et prescrit les
finalités, les droits et les devoirs qui se fondent sur la nature corporelle et
spirituelle de la personne humaine ». C'est pourquoi toute
« intervention sur le corps », en engageant la personne elle-même,
comporte une signification morale. Pour concourir au « bien intégral de la
vie humaine, biologie et médecine ont « à venir en aide à la personne...
dans le respect de sa dignité de créature de Dieu ».
Cette norme doit s'appliquer dans le
domaine de la sexualité et de la procréation (ibid.). Ceux-ci sont la
source et comme le sommet de la vie corporelle, les lieux où l'homme et la
femme mettent en œuvre les valeurs personnelles de l'amour et de la vie. L'ordre
de la personne, de ses valeurs et de
ses significations naturelles
détermine la moralité de l'union sexuelle et de la procréation. C'est suivant
ce critère rationnel que sont évaluées moralement les procréations
artificielles : « par référence à la dignité de la personne humaine
et de sa vocation divine au don de l'amour et de la vie » (ibid.).
Ces lignes sont caractéristiques de
la pensée immanente à notre document. C'est celle de Jean-Paul II :
l'anthropologie et la morale thomistes s'y retrouvent enrichies de données phénoménologiques
(le corps comme manifestation et expression) et d'une métaphysique de la
personne. La théologie du corps et de la rédemption y retrouve ses sources dans
le Mystère de Dieu Créateur et Père. Le Verbe incarné y révèle en sa Personne
la vérité de Dieu et la vérité de l'homme. Donum vitae ne développe pas
ces considérations. Il faut se reporter à l'Exhortation apostolique Familiaris
consortio pour obtenir une intelligence plénière du document et de ses
implications d'ordre doctrinal et sacramentel, pastoral et spirituel. En dehors
de cette référence à Familiaris consortio, l'Instruction ne livre pas tout son sens
chrétien. La référence à Humanae vitae n'y suffit pas 8.
C'est en rapport avec la personne que
Donum vitae formule les deux critères fondamentaux pour un jugement
moral relatif aux « techniques de procréation artificielle humaine » (DV,
Introd., 4).
a/ « Le droit à la vie de l'être
humain appelé à l'existence » est inviolable « depuis le moment de la
conception jusqu'à la mort » en signe et comme une exigence de
l'inviolabilité de la personne, à laquelle le Créateur a fait don de la vie.
b/ « La transmission de la vie
humaine a son originalité propre qui dérive de l'originalité même de la
personne humaine » (ibid.). « Le don de la vie humaine doit se
rechercher dans le mariage moyennant les actes spécifiques et exclusifs des
époux, suivant les lois inscrites dans leur personne et leur union » (ibid.,
5) « dans un
contexte d'amour véritable », en respectant « le sens intégral de la
donation mutuelle » inscrite dans la procréation humaine comme dans
l'union des époux.
Tel est le terme de l'Introduction de Donum
vitae. Nous laissons ici la première section et sa considération de la
dignité personnelle de la vie humaine embryonnaire. Nous considérons maintenant
la seconde section de l'Instruction et son propos sur la dignité personnelle de
la procréation humaine. La première réflexion éclaire la seconde. Il faut
éprouver celle-ci dans ses relations avec Humanae vitae.
2. Interventions sur la procréation
humaine
L'Instruction entend « par procréation ou fécondation artificielle, les diverses procédures techniques
destinées à obtenir une conception humaine d'une manière autre que par l'union
sexuelle de l'homme et de la femme ». Pour les évaluer moralement, elle se
réfère au mariage. L'institution matrimoniale, ses biens et ses actes
spécifiques offrent traditionnellement les critères du discernement éthique en
matière de sexualité comme de procréation. C'est à la lumière de l'institution
matrimoniale et de l'union conjugale que Humanae vitae avait apprécié
négativement les nouvelles méthodes de contraception orale. Le discernement de Donum
vitae sur les récentes procréations artificielles s'inscrit dans la même
tradition. Aussi le premier discernement du texte porte-t-il sur la pratique de ces fécondations en dehors ou
à l'intérieur du mariage. Le document traite successivement des procréations
artificielles hétérologues puis homologues.
a/ Fécondations artificielles
hétérologues
La question des fécondations
artificielles hétérologues (II A, 1-3) est ainsi posée en référence à l'unité
du mariage : « La fidélité des époux dans l'unité du mariage comporte
le respect réciproque de leur droit à devenir père et mère, l'un par
l'autre » (DV, II, 1).
La fides est un des biens du
mariage selon Augustin et le Concile de Florence. Suivant Casti connubii (I, 2), elle est le
« bien de la fidélité, de la foi et de la chasteté ». Ce thème
s'était développé canoniquement à travers la « propriété » de
l'« unité » du mariage (Code de
Droit Canonique CIC, c. 1056) et pastoralement sous le signe de l'amour des
époux (GS, 48 ; HV, 8 et 9 ; FC, 19). Donum
vitae précisera que l'amour des époux dans l'unité du mariage ne les
enrichit pas seulement l'un par l'autre de leur don mutuel (GS, 48-49),
mais encore du « don de leur enfant », « confirmation et
accomplissement de leur donation réciproque » (DV, II, 1). Cette
réflexion conduit « à un jugement moral négatif sur la fécondation
artificielle hétérologue » (DV, II, 2). Nous risquerons-nous à dire
que l'ensemble ou du moins la grande majorité des théologiens catholiques a
reçu cette doctrine comme certaine ?
Que l'enfant, et non seulement la
relation conjugale, soit compris comme un don, voilà qui était déjà clair dans Gaudium
et spes : « Les enfants sont le don le plus excellent du
mariage » (GS, 50, 1, cité dans HV, 9). Humanae vitae avait
considéré la procréation responsable comme un prolongement de l'amour conjugal
et comme un don — don mutuel (HV, 8-9) et don de Dieu (HV, 13).
Cependant malgré la citation conciliaire, l'Encyclique n'avait pas développé ce
thème de l'enfant comme don. C'est en revanche le propos de Donum
vitae : « Tout être
humain doit être accueilli comme un don et une bénédiction de Dieu » (DV,
II, 1 : il s'agit de l'enfant). « L'enfant n'est pas un dû et il
ne peut être considéré comme objet de propriété : il est plutôt un don —
le plus grand — et le plus gratuit du mariage, témoignage vivant de la donation
réciproque de ses parents » (DV, II, 8). En citant Gaudium et
spes (50), et Familiaris
consortio (14),
l'Instruction apprend à voir dans l'enfant comme un « être de don » (DV,
II, 8), don de Dieu attesté comme « confirmation et
accomplissement » (DV, II, 1), « fruit » (DV, II, 1, 4),
« signe » (DV, II, 1) et
« témoignage » (DV, II, 8) de la donation mutuelle de ses parents (DV,
II, 1)9.
Si l'enfant est un « être de
don », c'est – pouvons-nous comprendre – qu'il est expressément évoqué
comme une « personne nouvelle » (DV, II, 1). La génération
humaine est « procréation de la personne humaine » (DV, II,
3). Cette désignation de l'enfant comme personne (déjà soulignée à propos de
l'embryon dès sa conception : DV, 1, cf. supra) constitue
(depuis FC, 18) un accent neuf dans la réflexion du magistère. Il
est parlé de « maturation de l'identité personnelle » de l'enfant (DV, II, 2) ; celui-ci est uni à
ses parents dans une même « dignité personnelle » (DV, II, 1). Les « relations
personnelles » (DV, II, 2) à l'intérieur de la famille désignent
les parents et les enfants. Regarder d'emblée l'enfant comme une
personne — et non pas seulement comme individu physique ou un sujet de droit —
amène à considérer sa procréation comme un acte personnel autant que naturel.
Comme l'Exhortation Familiaris consortio, Donum vitae introduit une
dimension nouvelle dans l'intelligence du bonum prolis. À la différence
des documents magistériels antérieurs, la procréation et l'éducation des
enfants (comme l'amour conjugal, depuis Gaudium et spes) sont maintenant
appréciés dans les termes de « relations personnelles » entre les
époux et leurs enfants (cf. FC, 36-37). Entre eux tous, l'égale dignité
de personnes.
La procréation de l'enfant dans le
mariage est ainsi pensée selon Donum vitae en termes
d'« origine » (DV, II, 4) et de « don » de la
« personne ». Cette conception de la personne comme être de don, en
référence « naturelle » à son origine 10 est insinuée
dès les paragraphes consacrés aux fécondations artificielles
hétérologues ; elle devient décisive dans l'évaluation morale de la
« fivete » homologue.
b/ Fécondations artificielles
homologues
La fécondation artificielle homologue
est appréciée par Donum vitae en référence étroite, on le sait, à
l'Encyclique Humanae vitae. Celle-ci avait « réaffirmé » et
« réexposé » l'enseignement de la tradition (FC, 29) :
« Il est nécessaire que tout usage du mariage demeure par soi destiné à la
procréation de la vie humaine » (HV, 11)11.
Cette doctrine s'appuyait dans
l'Encyclique sur une argumentation nouvelle. Celle-ci concernait moins
l'institution matrimoniale et ses fins que l'acte conjugal et ses
significations. Humanae vitae avait pris acte de la réflexion éthique de
Gaudium et spes, plus attentive à l'amour des époux qu'à la seule
détermination juridique du contrat matrimonial, de ses droits et des devoirs.
L'Encyclique assumait pareillement la relative discrétion de la Constitution
pastorale sur la doctrine classique des biens et des fins du mariage. La
tradition n'en serait pas pour autant prescrite. La Congrégation pour la
Doctrine de la Foi devait en effet rappeler la position de la Commission
conciliaire des modi : « Dans un texte de caractère pastoral
qui vise à établir un dialogue avec le monde, il n'y a pas besoin d'éléments
juridiques... En tout cas, l'importance primordiale de la procréation et de
l'éducation est exprimée au moins dix fois dans le texte ». C'est pour ce
motif, explique la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, que la Commission a
déclaré refuser l'insertion d'un amendement comportant la mention explicite de
la distinction hiérarchique des fins du mariage 12. Comme le
dira Jean-Paul II, le 10 octobre 1984 :
La doctrine de la Constitution Gaudium et spes et de même celle de l'Encyclique Humanae vitae projettent une lumière sur le même ordre moral (de la vie
des époux) dans leur référence à l'amour entendu comme force supérieure qui
confère contenu et valeur adéquats aux actes conjugaux, selon la vérité des
deux significations, l'unitive et la procréative, en plein respect de leur
caractère inséparable. Dans cette perspective rénovée, l'enseignement
traditionnel sur les fins du mariage (et leur hiérarchie) se trouve confirmé et
en même temps approfondi du point de vue de la vie intérieure des croyants,
c'est-à-dire de la spiritualité conjugale et familiale. 13
La spécificité
de Humanae vitae à l'intérieur de la tradition morale se caractérise
ainsi par son point de vue formel sur la vie conjugale et ses actes propres.
C'est dans cette perspective que l'Encyclique confirme et approfondit l'enseignement
traditionnel sur l'institution matrimoniale et que Paul VI parle des
significations immanentes à l'acte conjugal plutôt que des biens ou des fins du
mariage.
L'affirmation centrale de Humanae
vitae porte, on le sait, « sur le lien (nexus) indissoluble que
Dieu a voulu (statuit) et que l'homme ne peut rompre de sa propre
initiative (sua sponte) entre les deux significations de l'acte
conjugal : union (imitas) et procréation. En effet, par sa
structure (ratio) intime, l'acte conjugal (conjugii) en même
temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération d'une
nouvelle vie, selon les lois inscrites dans l'être (natura) même de
l'homme et de la femme » (HV, 12, cité dans FC, 32). Les significations de l'acte conjugal se tirent de la
structure intelligible (ratio) de l'acte matrimonial. Celui-ci est le
lien renouvelé des époux et la capacité effective de génération en vertu des
lois inscrites dans la condition sexuée et la nature spirituelle de l'homme et
de la femme. Les développements de l'Encyclique sur l'amour conjugal (HV, 8-9)
et la paternité responsable (HV, 10-11) imposent cette interprétation,
exclusive de toute réduction objectivante ou matérialiste (cf. FC, 32).
Ces lignes constituent un point central
de la déclaration doctrinale de
Humanae vitae 14 ; elles sont aussi le
point de départ du raisonnement de Donum vitae quant aux fécondations
artificielles homologues. Cependant l'Instruction réfère aussi le propos de
l'Encyclique à l'ensemble de la tradition. D'où ces passages qui inscrivent
l'enseignement sur les significations de l'acte conjugal (Humanae vitae) dans
la perspective de l'enseignement traditionnel sur les biens (Casti connubii)
et donc la nature du mariage (cf. FC, 32 in fine) 15.
L'instruction DV, II, 4 énonce
plusieurs fois cette doctrine complexe : « L'enseignement de l'Église
sur le mariage et la procréation humaine affirme le lien indissoluble que Dieu
a voulu, et que l'homme
ne peut rompre de sa propre initiative, entre les deux significations de l'acte
conjugal (HV, 12) ». Ce principe moral est « fondé sur la
nature du mariage et la connexion intime de ses biens ». C'est pourquoi le
« lien entre les significations de l'acte conjugal et les biens du
mariage » constitue un critère moral de la vie conjugale des époux et un
principe d'intelligibilité de leur union. La doctrine traditionnelle des biens du mariage se trouve ainsi confirmée
et approfondie à l'aide de la réflexion conciliaire et pontificale sur les significations de l'acte conjugal ou les
motivations des époux. Donum vitae unifie ainsi (comme Familiaris
consortio) les doctrines de Casti connubii, de Gaudium et spes et
de Humanae vitae.
C'est avec cette précision que
l'Instruction rappelle la prise de position bien connue de Humanae vitae sur le plan de la paternité et de la maternité responsables 16 et
qu'elle entend éclairer le problème moral des fécondations artificielles
homologues.
Le procédé en a étonné plusieurs. La
fécondation artificielle n'a-t-elle pas pour effet la procréation d'une
nouvelle vie humaine dont le refus était stigmatisé par Paul VI ? Le
paradoxe surprend ceux qui s'en tiennent à une lecture technique et
objectivante des comportements physiques, sans procéder à une analyse morale
des actes humains. Il faut entendre ceux-ci comme des actes volontaires,
dégager l'objet voulu qui les
spécifie et les référer aux normes fondamentales de la moralité pour rendre
intelligible ce propos déjà ancien de Pie XII : « Il n'est jamais
permis (moralement) de séparer (volontairement) ces divers aspects (essentiels
de l'acte conjugal), au point d'exclure positivement, soit l'intention
procréatrice (comme dans la contraception), soit le rapport conjugal (quand est
voulue une procréation humaine d'une manière autre que par l'union sexuelle des
époux) »17.
Le texte de Donum vitae est
connu : « La contraception prive intentionnellement l'acte conjugal
de son ouverture à la procréation, et opère par là une dissociation volontaire
des finalités du mariage » (DV, II, 4). Cette reprise de Humanae
vitae parle de « finalités », terme qui suggère en plus des
« significations » l'inclination du vouloir et le poids du réel.
« La fécondation artificielle homologue, poursuit l'Instruction, en
recherchant une procréation qui n'est pas le fruit d'un acte spécifique de
l'union conjugale, opère objectivement une séparation analogue entre les biens
et les significations du mariage » (ibidem). Qu'il s'agisse de la
contraception ou de la fécondation artificielle, le raisonnement explicite
l'objet moral d'un acte volontaire (« prive intentionnellement »...
opère une dissociation volontaire... recherchant une procréation... opère
objectivement une séparation analogue »). Il ne s'agit pas formellement de
performance physique ou de réussite technique, mais du jugement moral porté sur
un acte humain rationnel qui se porte librement vers l'objet qui le détermine
moralement. Puisque l'être humain est un être d'esprit, Donum vitae, comme
Humanae vitae et la tradition morale, peuvent faire abstraction des
circonstances et des intentions pour décrire un objet librement voulu et en
définir la nature, la signification et la valeur morale.
« La fécondation est licitement voulue quand elle est
le terme d'un acte conjugal apte de soi à la génération, auquel le mariage est
destiné par sa nature et par lequel les époux deviennent une seule chair »18.
Mais la procréation est moralement privée de sa perfection propre quand elle
n'est pas voulue comme le fruit de l'acte conjugal, c'est-à-dire du geste spécifique
de l'union des époux (DV,
II, 4a).
L'argumentation de Donum vitae s'est
jusqu'à ce point articulée tout entière en référence aux principes doctrinaux
de Humanae vitae. Le lien entre les significations de l'acte conjugal,
est-il simplement précisé (4a), est celui des biens du mariage. Ce lien,
institué par Dieu, est-il encore explicité, est d'ordre moral. L'homme ne peut
volontairement le rompre sous peine de vouloir librement ce qui le prive de sa
perfection propre et est ainsi contraire à sa dignité, à sa vocation et à sa
fin ultime. Jusqu'ici, le discernement de l'Instruction se présente comme analogue à l'enseignement de
l'Encyclique. Mais, de surcroît, cette doctrine va se trouver réexprimée dans
les termes de la métaphysique de la personne caractéristique de l'Exhortation Familiaris
consortio et de la Catéchèse de Jean-Paul II.
Le lien intime entre les biens du
mariage et les significations de l'acte conjugal a une signification
morale : voulu par Dieu, il s'impose au respect de l'être humain. Il
appartient en effet à l'ordre des fins et relève par là de la nature de la
personne humaine. C'est ce que Donum vitae tente de manifester. Son
raisonnement peut se schématiser comme suit.
— Les significations de l'acte
conjugal en sont aussi les valeurs.
— Ces significations et ces valeurs
sont d'ordre corporel : elles « s'expriment dans le langage des
corps ». Ceux-ci disent de manière articulée et élémentaire la distinction
de ces significations sponsales et parentales : ils en prononcent
aussi l'intime unité 19. « C'est dans leur corps et par
leur corps que les époux consomment leur mariage et peuvent devenir père et
mère » (DV, II, 4b).
— La référence de l'acte conjugal à
la consommation du mariage en suggère la portée juridique et historique. L'acte
conjugal ne se réduit pas à une étreinte sexuelle : il a valeur d'engagement
libre et moral. Le langage des corps
est celui d'êtres humains qui s'expriment réciproquement leur amour personnel.
— L'acte conjugal est
« inséparablement corporel et spirituel ». Ses significations
physiques relèvent encore de l'ordre de l'esprit et donc du don (cf. FC, 32).
L'union et la procréation sont à comprendre non seulement comme des
significations et des valeurs, mais encore comme des dons, puisqu'elles sont
des biens, avant même d'être des fins. « L'acte conjugal, par lequel les époux
se manifestent réciproquement leur don mutuel, exprime aussi l'ouverture au don
de la vie » (DV, II, 4b).
— Le lien corporel et spirituel entre
le don de l'amour et le don de la vie caractérise spécifiquement la sexualité
des personnes humaines, êtres d'esprit, êtres de don 20. Ce
lien est lui-même un bien personnel. Son respect s'impose moralement en vertu
de la logique du don qui anime l'amour personnel des époux. « Pour
respecter le langage des corps et leur générosité naturelle, l'union conjugale
doit s'accomplir dans le respect de l'ouverture à la procréation » (DV, II, 4b) sous peine de contrarier
l'ordre corporel et spirituel où se fonde et s'accomplit l'unité personnelle de
l'être humain.
— Du caractère personnel de l'amour
conjugal, l'Instruction passe alors au caractère personnel de la procréation
humaine, et ce en vertu de la logique et du dynamisme de l'amour. « Qui
aime vraiment son conjoint (disait HV, 9) ne l'aime pas seulement pour
ce qu'il reçoit de lui, mais pour lui-même, heureux de pouvoir l'enrichir du
don de soi ». Cette générosité et cette gratuité de l'amour se redoublent
dans la génération par laquelle les époux se rendent père et mère en offrant à
chacun et en s'ouvrant ensemble au « don le plus grand et
le plus gratuit » du mariage (DV,
II, 8 citant GS, 50) : la
nouvelle personne humaine de l'enfant (cf. FC, 22). Pour Donum vitae en
effet (cela a déjà été noté), l'enfant est expressément une personne, comme ses
parents. Sa seule présence montre en lui le terme de l'amour des époux. Il en
est la fin, comme il en est le fruit et le don le meilleur. Or la personne se
définit par son origine. Celle-ci, pour être digne de la personne humaine, doit
résulter de l'amour personnel de ses parents dans une procréation liée à
l'union corporelle et spirituelle des époux unis par le lien du mariage (DV,
II, 4b, citant Pie XII) 21. La réflexion sur le
« respect de l'unité de l'être humain » fonde ainsi dans la communion
des personnes le respect moralement dû au lien naturel « voulu par Dieu et
que l'homme ne peut rompre » (HV, 12) entre les significations
unitive et procréative de l'acte conjugal.
Cette méditation ré-exprime en termes
nouveaux la doctrine des biens du mariage. Un des fruits de cette ré-élaboration
est de réfléchir à partir de l'enfant lui-même sur la procréation conforme à la
dignité de la personne humaine (DV, II, 4c). Cette argumentation ne
dépend plus seulement des principes doctrinaux de Humanae vitae. Elle
s'appuie sur la réinterprétation de Familiaris consortio qui étend la
doctrine personnaliste de Gaudium et spes à la procréation de l'enfant.
« Dans son origine unique, non
réitérable, l'enfant devra être respecté et reconnu égal en dignité personnelle
à ceux qui lui donnent la vie. La personne humaine doit être accueillie dans le
geste d'union et d'amour de ses parents ». Ainsi l'enfant sera-t-il
associé à leur communion sans être soumis à la domination qu'instituerait une
quelconque technique de reproduction. Une tension, sinon une contrariété, est
ici à relever entre la volonté de puissance et de domination immanente au
mouvement des sciences et des techniques et la symbolique du respect et de la
gratuité constitutive de l'amour conjugal et familial 22. À cet
effet, Donum vitae précise, du point de vue de la personne de l'enfant,
une grande affirmation de Humanae vitae, 13 (« Nous ne sommes pas
les maîtres des sources de la
vie, mais plutôt les ministres du dessein établi par le Créateur » ;
cf. GS, 50, 2) : « La génération d'un enfant devra être le
fruit de la donation réciproque qui se réalise dans l'acte conjugal où les
époux coopèrent comme des auteurs et non comme des maîtres à l'œuvre de l'Amour
créateur ». La génération digne de la personne de l'enfant doit s'opérer
dans une procréation issue de l'amour des personnes et destinée à élargir et
renouveler leur communion.
Cette reprise de la doctrine de Humanae
vitae reconnaît, dans l'union des époux et dans la procréation de l'enfant,
des dons, et aussi des actes, expressifs de la dignité des personnes humaines.
Les biens du mariage ne peuvent être dissociés sans contrarier la logique de la
génération et la vérité de l'amour. La méditation de Donum vitae fonde
dans la communion des personnes la doctrine et les obligations de l'Encyclique.
Elle propose de comprendre l'union des époux et la procréation humaine à partir
du mystère de génération et d'amour où la personne est originée et se donne en
acte. L'Instruction n'évoque pas les fondements trinitaires d'une telle personnologie, mais elle tire sobrement
la conclusion morale suivante : « La procréation d'une personne humaine
doit être poursuivie comme le fruit de l'acte conjugal spécifique de l'amour
des époux » (DV, II, 4)23.
Le discernement par Donum vitae (II,
B) de la moralité des fécondations artificielles homologues s'articule autour
de cette reprise de « la doctrine traditionnelle sur les biens du
mariage » y compris sur les significations de l'acte conjugal, à la
lumière de la « dignité des personnes » (II, 5). L'Instruction dégage
la nature de la fivete homologue,
décrit l'acte humain qui s'y exerce, met en évidence sa spécificité morale et
explicite le jugement éthique porté par l'Église. Celle-ci affirme par la voix
de son Magistère romain demeurer contraire,
du point de vue moral, à la fécondation homologue in vitro. Cette
procédure « est en elle-même illicite ». Car elle est contraire et
« opposée à la dignité de la procréation » (dont la personne doit tirer son origine), comme
à la dignité des actes spécifiques « de l'union conjugale », où
doivent s'opérer la donation mutuelle des époux (GS, 51, 3) et le don de
la vie à une nouvelle personne humaine (cf. FC, 18).
Le respect du lien entre procréation
et acte conjugal, et l'illicéité de la fécondation homologue in vitro apparaissent
étroitement corrélatifs. Ce contenu doctrinal de Donum vitae reste
analogue à celui de Humanae vitae. Mais l'argumentation s'est enrichie
des apports de Familiaris consortio et des allocutions de
Jean-Paul II 24. L'inspiration demeure celle du Concile
dont elle assure et élargit la réflexion personnaliste sur la dignité du
mariage et de la famille 25.
C'est en des perspectives identiques
qu'est repris l'enseignement déjà explicite du Magistère concernant
l'insémination artificielle homologue. En effet, cette déclaration morale
« se fonde sur la doctrine de l'Église au sujet du lien entre union
conjugale et procréation (allusion à
HV, 12) et sur la considération de la nature personnelle de l'acte
conjugal et de la procréation humaine » (reprise de GS, 51,
3 ; DV, II, 6).
Ce que la personne révèle d'unicité
dans l'origine et de plénitude dans le don, n'a pas fini d'éclairer le mystère
de la vie et de l'amour parmi les hommes 26.
Conclusion
Cette relecture de Donum vitae en
référence à Humanae vitae appelle une réflexion sur la portée de ces
documents. L'un et l'autre se réfèrent à la doctrine traditionnelle des biens
du mariage et de la charité conjugale. Mais Donum vitae (comme Familiaris
Consortio) implique une métaphysique personnaliste plus articulée que dans
l'Encyclique Humanae vitae. En ceci déjà, l'Instruction de 1987 propose
un développement dans l'enseignement du Magistère en matière morale.
De surcroît, certaines des questions
posées étaient nouvelles. Les réponses du document ont donc quelque chose
d'inédit. Elles n'appartiennent pas à la matérialité de l'Écriture et ne
peuvent raisonnablement être supposées prescrites dans la lettre du message
apostolique. Nous assistons ainsi, d'une décennie et d'un siècle à l'autre, à
un lent déploiement du Mystère révélé. Ce développement doctrinal s'opère à
l'initiative et sous l'autorité de l'Église à laquelle est confiée la vérité de
l'Évangile.
Au cours des siècles, au prix de
ruptures parfois graves, les doctrines trinitaires et christologiques,
l'ecclésiologie et la mariologie ensuite, ont marqué une intégration
progressive à la confession de la foi apostolique d'éléments et de termes qui
lui étaient jusqu'alors étrangers. Aujourd'hui, l'anthropologie et donc aussi
la morale chrétiennes se trouvent nouvellement éclairées par ce travail
d'assimilation des recherches, expériences et découvertes contemporaines dans
le Mystère du Christ. À la lumière du Saint-Esprit et sous la conduite du
Magistère, le processus d'intégration est discernement de la vocation
chrétienne et de la condition créée de l'homme dans les diverses circonstances
de son histoire.
Ces considérations sur le
développement de la doctrine de l'Église en matière de foi et de mœurs peuvent
éclairer un des axes majeurs de l'enseignement du Magistère depuis le dernier
Concile. À travers des affrontements violents, un axe d'interprétation de
Vatican II semble ici se dégager. Gaudium et spes et Dignitatis
humanae ont posé les prémisses d'une théologie morale renouvelée qui se
cherche encore et prend progressivement en compte les droits fondamentaux et la
dignité de la personne humaine. Les thèmes majeurs de l'anthropologie
conciliaire (dignité de la personne, de sa conscience morale et de son corps,
juste respect de la liberté et des conditions sociales de son exercice)
débordent l'enseignement classique. Les voici déployés dans leur force
véritable. De ce point de vue, Donum vitae comme Familiaris consortio
sont encore davantage en affinité avec Libertatis nuntius et Libertatis
conscientia qu'avec Humanae vitae.
L'Encyclique de Paul VI supposait
l'anthropologie énoncée dans les termes davantage formels, moraux ou juridiques
de Pacem in terris ou de Gaudium et spes. Donum vitae s'appuie
sur un enseignement approfondi par la reprise fondatrice d'une métaphysique de
l'être et de la création. La liberté de l'être spirituel et la personne comme
être de don sont des points majeurs de cette vision intégrale, religieuse et théologique. Notre époque de
renouveau n'a pas fini
de découvrir, dans la communion des personnes, dans l'édification du Corps du
Christ (cf. Ep 4, 12 ; 1 Co 11, 29), donc dans l'amour préférentiel
des petits et des pauvres, les fondements d'une doctrine renouvelée de la loi
naturelle et du bien commun.
Ce développement de la théologie
morale restera un des fruits repérables de Vatican II et de l'enseignement de
Jean-Paul II.
Albert Chapelle, s.j.
Conférence donnée à Rome le 11
novembre 1988
au IIe Congrès international de théologie morale
« Humanae vitae : vingt ans après »,
au IIe Congrès international de théologie morale
« Humanae vitae : vingt ans après »,
1. Le texte français de HV, 14
traduit « indigne de la personne humaine » le latin homine
indignum.
2. La perfection
« personnelle » (48, 2) traduit perfectio propria ; de
même en 52, 3, « vie personnelle » traduit propriae vitae.
3. S'il est parlé en 52, 7 d'un ordre
authentique de personnes, celui-ci comprend les époux, et non explicitement les
enfants. La Tradition est en fait immémoriale : comme la paternité,
« la maternité se termine à la personne ». C'est une implication
rationnelle de la Confession de la Theotokos au Concile d'Éphèse (Dz-ScH 251-252). Cf. R. LAURENTIN, Court
traité sur la Vierge Marie, Paris, Œil, 1967, p. 127.
4. L'Instruction Donum vitae privilégiera
abondamment le seul texte conciliaire qui évoque, à propos de l'« accord
entre l'amour conjugal et la paternité responsable », « la nature de
la personne et de ses actes » (GS, 51, 3). Ce texte est seulement
évoqué dans HV ; il est cité intégralement dans FC, 32, et dans l'Introduction de DV,
12 (cf. n. 10 et 30) ; il est cité deux fois dans la deuxième partie
de l'Instruction (II, 45, 54). dont il commande le raisonnement.
5. S.
Th. 1a, q.
29, a. 3c : la personne est ce qui est le plus parfait dans toute la
nature : id quod est perfectissimum in tota natura.
6. Donum
vitae donne à
dignité de la personne un sens fort,
précisé à travers le ch. I de GS, 11-17. Le terme (surtout quand il est
rapproché de condition humaine)
comporte toutes les significations classiques du vocable nature humaine, dotée de vie et de raison, donc corporelle, sociale
et spirituelle. Ceci se vérifie dans les trois sections de l'Instruction de
1987.
7.
« Dimension corporelle » de la personne. Cette expression constitue
une reprise précise des leges
biologicas quae humanam personam pertinent (HV, 10 ;
cf. FC, 32).
8. Cf. spécialement FC, 11-16 ; 49-64 ; 65 ss.
9. Ces termes se trouvent dans FC, 29
et 32.
10. Cl. BRUAIRE (+) a élaboré une
métaphysique neuve et puissante de l'être de don (« onto-do-logie »)
caractéristique de l'être d'esprit ; cf. Pour la métaphysique, Paris,
Fayard, 1980 ; L'être et l'esprit, Paris, PUF, 1983 ; La
force de l'esprit, Paris, DDB, 1986.
11. La
traduction officielle porte : « tout acte matrimonial doit rester
ouvert à la transmission de la vie » : cf. FC 29.
12. Congrégation pour la Doctrine de
la Foi, Lettre à Mgr Quinin (13 juillet 1979) sur le livre de A.
KOSNIK, La sexualité humaine. Nouvelles
directions dans la pensée du catholique américain. Le texte de la Commission conciliaire
se trouve dans les Acta Synodalia Sacrosancti Concilii
Vaticani II, vol. 4,
pars VII, 1978, p. 477-478.
13. L'amour humain dans le
plan divin. De la Bible à Humanae vitae, Paris, Cerf, 1985, p. 78 ; voir aussi cat. du 11
juillet 1985, p. 39-40. On se reportera à l'excellent commentaire donné par A.
MATTHEEUWS, Union et procréation. Développement de la doctrine des fins
du mariage, Paris, Cerf, 1989, p. 224-225.
14. Jean-Paul II commente ce passage
en en montrant la portée éthique et théologique : « La norme de
l'encyclique Humanae Vitae regarde tous les hommes du fait qu'elle est
une norme de la loi naturelle et qu'elle se base sur la conformité avec la
raison humaine (lorsque, bien entendu, celle-ci cherche la vérité). À plus
forte raison concerne-t-elle tous les fidèles membres de l'Église, étant donné
que le caractère raisonnable de cette norme trouve indirectement une
confirmation et un solide soutien dans l'ensemble de la théologie du corps.
C'est en nous plaçant à ce point de vue que, dans nos précédentes analyses,
nous avons parlé de l'ethos de la rédemption du corps.
La norme de la loi naturelle basée sur cet ethos trouve non seulement une nouvelle expression, mais aussi un plein fondement anthropologique et éthique soit dans les paroles de l'Évangile soit dans l'action purificatrice et corroborante de l'Esprit.
Il existe toutes les raisons pour que chaque chrétien, et en particulier chaque théologien, relise et comprenne toujours plus profondément dans ce contexte intégral la doctrine morale de l'encyclique » (ibid., cat. du 18 juillet 1984, p. 43-44).
La norme de la loi naturelle basée sur cet ethos trouve non seulement une nouvelle expression, mais aussi un plein fondement anthropologique et éthique soit dans les paroles de l'Évangile soit dans l'action purificatrice et corroborante de l'Esprit.
Il existe toutes les raisons pour que chaque chrétien, et en particulier chaque théologien, relise et comprenne toujours plus profondément dans ce contexte intégral la doctrine morale de l'encyclique » (ibid., cat. du 18 juillet 1984, p. 43-44).
15. Cf. l'allocution pontificale du
10 octobre 1984, qui donne à ces expressions de Donum vitae une si
grande importance pour la relecture de la tradition morale.
16. Est-il ajouté, dans la ligne de FC, 22, et suivant la catéchèse du 1er
août 1984 (L'amour humain..., cité n. 13, p. 51-54).
17. PIE XII, Discours aux
participants au IIe Congrès Mondial de Naples sur la fécondité et la
stérilité humaines, 19 mai 1956, dans AAS 48 (1956) 470.
18. Citation du CIC, c. 1061, 1.
19. Cf. cat. du 22 août 1984, L'amour
humain..., p. 58-62.
20. Cf. A. CHAPELLE, Sexualité et
sainteté, Bruxelles, Institut d'Études Théologiques, 1977, p.
236-237.
21. Cf. à ce propos les publications de C.
CAFFARRA et notamment en français, Sexualité humaine et loi naturelle, dans
Provie, Congrès international de la Famille, Paris, Fayard, 1987, p.
53-60.
22. Cette appréciation lucide doit
beaucoup à la méditation de M. Heidegger sur l'« essence de la
technique ». Cf. J. LADRIÈRE, Approche philosophique de la
problématique bioéthique, dans Revue des questions scientifiques 52
(1981) 353-383 ; M. SCHOOYANS, Maîtrise de la vie et domination des
hommes, Paris, Lethielleux, 1986 ; J. Ratzinger, Aspects
anthropologiques de l’Instruction Donum Vitae dans Oss. Rom., éd. fr., 17 mars 1987, p. 12-13 ; G.
MATHON, art. Procréation, L'enfant au risque de la technique, IV, dans Catholicisme,
t. XI, 1988, col. 1199-1214. Suivant cet auteur, l'ouvrage du docteur P.
SIMON, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, De la vie avant
toute chose, Paris, Mazarine, 1979, illustre « presque jusqu'à la
caricature » l'idéologie technicienne qui menace le pouvoir médical et
l'enfant pris « entre l'amour et la technique » (ibid., col.
1210-1212) ; ce que dénonce sobrement DV, Introd., 3 ; II,
Introd., 4c, 5, 7 ; III, Introd.
23. JEAN-PAUL II,
dans la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, développe amplement
cette thématique, ainsi n. 7, Personne, communion, don ; n. 18, Maternité ;
n. 29, La dignité de la femme et l'ordre de l'amour.
24. Cf. encore les catéchèses du 11
juillet et du 28 novembre 1984, dans L'amour humain..., p. 35-109. Donum
vitae honore à sa façon la demande de FC, 31 (rappelée par Jean-Paul
II, le 28 novembre 1984) d'une élaboration plus complète des « aspects...
personnels de la doctrine contenue dans Humanae vitae ». Mais le
propos de l'Instruction n'est pas de développer les « aspects
bibliques, » de cette doctrine (L'amour humain..., p. 108).
Cependant l'Écriture y est symboliquement citée quatre fois.
25. J.L. BRUGUÈS, La F.I.V.E.TE.
au risque de l'éthique chrétienne, Paris, Fayard, 1989.
26. J. RATZINGER opère
ce rapprochement dans la Présentation des aspects anthropologiques de
l'Instruction Donum vitae, dans Oss. Rom. éd. fr.,
17 mars 1987, p.
12-13.