Quand Dieu s'est fait connaître
Comment Dieu s'y est-il pris pour se
faire connaître à nous ? Il aurait pu adopter la façon d'un professeur
très savant qui fait un cours très compliqué sur un sujet très difficile.
Alors, seuls quelques grands penseurs d'un niveau supérieur auraient pu connaître
Dieu. Aussi Dieu a-t-il choisi un autre moyen.
Dieu s'y est pris, certes, comme un
grand savant, mais comme le fait un homme génial quand il veut expliquer ce
qu'il sait à ses petits enfants. Le grand savant cherchera des mots simples (et
profonds, cela ne s'exclut pas), des comparaisons empruntées à la vie de tous
les jours. Peut-être même organisera-t-il un jeu pour mieux graver dans
l'esprit de ses enfants certaines attitudes à avoir. Il racontera des fables,
montrera des images... Et si cet homme est un génie, les plus petits
comprendront, tandis que les plus savants s'émerveillant de la profondeur de ce
qui aura été dit, sauront deviner le reste.
Ne vous étonnez donc pas si Dieu,
pour se faire connaître
à nous, a choisi des mots très simples, des comparaisons familières, des images
à la portée des plus simples.
Un être très proche
Notre Bible est pleine de
descriptions déroutantes : Dieu se compare aux hommes dans leurs actions
les plus humaines : il parle, il écoute, il voit, il sent, il rit, il
siffle ; il a des yeux, des oreilles, des pieds et il les pose sur un
escabeau...
Tantôt, il se promène à la brise du
soir, faisant le tour du propriétaire, tantôt, comme un vendangeur, il foule au
pressoir ; il ferme lui-même la porte de l'arche derrière Noé, et souvent
il ne dédaigne pas de ressembler à un vaillant guerrier, et même à un guerrier
qui se réveille après un sommeil lourd, parce qu'il avait un peu trop bu...
Il va plus loin : même
l'activité des animaux lui sert de terme de comparaison lorsqu'il s'agit de
mettre en évidence un aspect de sa force : le lion, l'ours, la panthère,
l'aigle illustrent sa puissance car « personne ne peut leur arracher leur
proie », et il se compare aussi à la teigne qui détruit aussi sûrement,
quoique sans bruit.
Il éprouve nos sentiments : la
joie, le dégoût, le repentir.
Et tout cela pour bien nous mettre
dans la tête qu'il est Quelqu'un, une personne, pas une idée, ou une théorie.
C'est un vivant.
Dieu est en même temps l’Incomparable
Aux mêmes hommes à qui il se présente
si familièrement, Dieu interdit énergiquement de le représenter dans des
statues, car, dit-il : « Je suis Dieu et non pas homme ». Il se
nomme le Très-Haut, l'Inaccessible, le Dieu au-dessus de tous les dieux, Celui
que l'on ne peut nommer, car il est au-dessus de toutes les dénominations. Il
est Esprit et non pas chair, l'Incommunicable, le Saint.
Et ces hommes, descendants d'Abraham
ou de Moïse, ne s'y trompaient pas. Ils avaient une trop haute idée de Dieu (au
moins les meilleurs) pour confondre leur Dieu avec un homme en colère ou un
lion emportant son butin. « Il habite une lumière inaccessible », et
l'homme devant lui ne peut que balbutier sans fin : « Qui est comme
toi ?... Qui peut subsister devant toi ? »... Et Dieu lui-même
dit à son peuple : « À qui me comparerez-vous, que je lui sois pareil ? »
car il est le « Tout autre, puissant, majestueux, mystérieux et terrifiant,
mais en même temps attrayant ».
Le choc
Mais à travers ce choc d'un Dieu si
humain, et si différent de nous, l'idée la plus profonde qu'on puisse avoir de
Dieu commençait à pénétrer l'humanité : Dieu à la fois Tout-Autre que nous
et Tout-Proche,
l'Inaccessible et l'Intime, celui dont la grandeur fait trembler, l'ami le plus
aimant.
Jamais nous ne connaissons Dieu aussi
bien que, lorsque nous allons, à la fois et aussi loin que possible, à l'infini
s'il se peut de chacun de ces côtés : Immensité de Dieu, Intimité de Dieu.
Il dépasse tout, tout ce qui est
possible, tout ce qui est imaginable. Il est au-delà de tout, et Il est le plus
proche de nos proches, plus intime et plus présent à chacun de nous que notre
propre âme peut l'être à notre corps.
Et c'est cela que Dieu a fait
comprendre de Lui, dès qu'Il a voulu mettre l'humanité sur le chemin qui mène à
Lui.
Réfléchissez
Ne passez pas trop vite. Ne dites pas
trop facilement : « C'est évident ». Car la plupart des idées
fausses que l'on a sur Dieu viennent de ce que l'on a oublié l'un ou l'autre de
ses deux aspects inséparables : le Très-Haut, le Tout-Proche.
Quand on réduit Dieu à être
distributeur de faveurs : bien vendre ma vache malade ou mon auto esquintée,
faire réussir à l'examen le candidat paresseux, c'est qu'on a oublié le Dieu
très grand qui attend de nous autre chose que des cierges intéressés ou des
prières de circonstance.
Et quand on ne prie plus, allant
raconter partout que Dieu nous a laissé tomber et qu'il ne s'occupe pas de
nous, et : « Après tout qu'est-ce que cela peut bien lui faire ? »
c'est qu'on ne comprend pas le Dieu très intime et tout présent. Et les deux
aspects de Dieu ne font qu'un, car s'il peut être si intime à chacun, c'est
parce qu'il est infiniment grand : celui qui sait à chaque seconde le
nombre des grains de sable de la mer, comment nous oublierait-il ? Celui
qui donne l'existence à chaque être, le soutenant littéralement au-dessus de
l'abîme du néant, comment ne serait-Il pas présent à celui qu'Il engendre ainsi
sans arrêt ?
Dieu, tu es, et tout ce qui est vient de toi
Oui, cet oiseau qui passe, il est,
et le chant de cet oiseau plus léger encore que lui, ce chant aussitôt
éteint que né, il est aussi.
Ça n'est pas du néant, et la terre la
plus compacte, le désert le plus stérile, c'est des milliards de
milliards de grains de sable, c'est une autre manière de ne pas être rien. Ils sont,
et moi je suis, et toi qui lis ceci, arrête-toi un instant et réfléchis
à cette merveilleuse qualité : tu es arrivé à l'existence. Des
milliards d'hommes auraient pu se succéder, mais toi, tu aurais pu ne pas
être. Un autre aurait pu être à ta place, un autre qui t'aurait peut-être
ressemblé comme un frère jumeau, mais qui ne serait pas toi et toi, tu
serais resté néant, une possibilité, mais à qui aurait manqué l'essentiel :
être, exister.
Une richesse inépuisable
Et comprends que cette existence,
c'est plus large encore que la vie : je suis, mais une pierre, elle est,
cette neige, elle est aussi.
Ainsi, je découvre peu à peu
l'immense richesse que représente cette naissance de chaque chose, de la plus
insignifiante et la plus éphémère à la plus durable et à la plus haute :
je suis, elle est...
Et cette naissance se poursuit, mon
être dure : le même pourtant à chaque instant renouvelé. Je regarde les
photos de mon enfance, ce bébé souriant, l'enfant sérieux devant l'objectif, le
jeune qui se croit quelqu'un, et moi maintenant aux cheveux blancs et au visage
lourd, c'est le même être et pourtant si différent d'apparence qu'un ami
d'école ne me reconnaîtrait plus...
Une fragilité douloureuse
Et tout d'un coup, mon expérience
aboutit à cette pensée : « Je ne serai pas toujours ». Ce verbe
être que je conjugue au présent depuis ma naissance, un jour, peut-être ce
soir, peut-être demain, on le dira de moi au passé : « Il était... il
a été... » Peu importe ce que l'on ajoutera : « Il était ceci...
ou cela... bon ou mauvais, désagréable ou aimable ». On finira par ces mots :
« Et maintenant, il n'est plus... »
Ainsi mon être, ma qualité
merveilleuse qui m'a accompagné, plus que cela, qui m'a constitué dans toutes
mes fibres, que je dorme ou que je veille, que je pleure ou que je rie, mon être,
c'est quelque chose de fragile, de menacé. Sorti du néant, il y retourne. Et
toute existence, même celle des montagnes les plus éternelles, un jour ne sera
plus : les étoiles et la voie lactée, un jour, dans dix ou cent ou
mille milliards d'années ou de siècles, peu importe, seront retombées dans le
néant.
Mais quelle est donc cette qualité
sans laquelle rien n'est, par qui tout est, et qui, en même temps
s'écoule comme le sable dans la main d'un enfant qui s'efforce de le retenir et
qui constate : « Il n'y en a plus... »
L’extraordinaire verbe être
C'est que l'être ne peut se
conjuguer pour nous, créatures, qu'avec le verbe avoir. Ce n'est pas :
je suis, mais j'ai l'être.
Je l'ai, mais comme quelque
chose que je puis perdre. Je dis : « J'ai la vie », et il ne me
viendrait pas à l'idée de dire : « Je suis la vie ». J'ai l'être,
j'ai l'existence, mais comme un cadeau reçu, qui s'use, qui s'amenuise.
Le soleil n'aura plus d'être
un jour, l'univers lui-même ne sera plus. Et pourtant, en même temps, ce
n'est pas une illusion : je suis ! Un néant ne tient pas un
stylo à la main. Oui, je suis et en même temps je ne suis pas plus
l'être que la vie, puisqu'un jour je ne serai plus. Tout ce que je suis,
je l'ai ; c'est-à-dire, je l'ai reçu. Tout ce que je suis m'est donné.
Alors je fais le bilan : je
suis, mais je ne suis pas le « Je suis ». J'ai. Mais d'où me
vient donc cette qualité, passagère mais si réelle ? Et sans laquelle rien
n'est... ?
Dieu, source de l’être
Oui, l'existence je l'ai, mais je ne
la tiens pas de moi-même. Sinon je ne consentirais jamais à la lâcher. Je la
tiens d'un autre qui me la prête, qui me la donne, me la communique.
Je ne suis pas plus l'existence que
le miroir pourtant tout illuminé n'est la lumière lui-même : il l'a, cette
lumière, il la reflète, mais la source de la lumière, elle est ailleurs
que dans le miroir, elle est dans le soleil ou dans la lampe qui eux sont la
lumière.
Ainsi Dieu par rapport à tout ce qui
existe est comme le soleil par rapport à tout ce qui est éclairé. La source de
la lumière, c'est le soleil.
La source de tout ce qui existe,
c'est Dieu. Tout ce qui est éclairé à la minute présente le doit au soleil qui
lui donne la lumière.
De même tout ce qui existe le doit à
Dieu qui lui donne à la minute même cette qualité unique : exister...
Dieu lui ne dit pas : J'ai l'Être,
l'Existence, la Vie, mais « JE suis l'Être, l'Existence, la Vie », et :
« C'est Moi qui les donne à tout ce qui existe ».
Dieu est amour
Dieu est le Tout-Autre, mystérieux et
terrifiant, mais en même temps le Tout-Proche, attrayant et attirant.
En s'approchant de Lui, l'homme est
saisi d'un frisson, il éprouve violemment le sentiment de son néant, comme le
plongeur qui va se jeter de haut dans la mer, comme le parachutiste au bord de
la trappe d'où il va sauter en plein vide.
Devant Dieu, Abraham se sent « poussière
et cendre », Moïse se cache dans un creux de rocher comme le bédouin au
milieu de la tempête de sable, Élie voile son visage d'un pan de son manteau.
Le soudeur à l'arc ne peut regarder
la flamme sans que ses yeux n'en soient atteints, les savants atomistes sont
brûlés par les radiations invisibles. Dieu est plus brûlant que toutes les
flammes et tous les rayons : « Nul ne peut me voir et demeurer en
vie », dit Dieu à Moïse (Exode, 33, 22).
Nous rapetissons toujours cette
grandeur terrifiante de Dieu et pourtant devant ce gouffre inépuisable de
grandeur une terreur sacrée s'empare de l'homme : « Où me
cacherai-je, Seigneur, loin de ta face ? »
Cela l'homme d'aujourd'hui l'oublie
quand il demande des comptes à Dieu. Mais Dieu lui-même lui répond :
À qui pourriez-vous me comparer et
m'assimiler ?
À qui me feriez-vous semblable et comparable ?
Je suis Dieu sans égal,
Dieu qui n'a pas de pareil (Isaïe, 46).
À qui me feriez-vous semblable et comparable ?
Je suis Dieu sans égal,
Dieu qui n'a pas de pareil (Isaïe, 46).
On ne traite pas Dieu comme un copain
ou un domestique chargé de faire nos commissions. Paraître devant Lui est
infiniment redoutable.
Certaines époques comprennent cela
mieux que nous, mais peut-être le deuxième aspect de Dieu (qui nous est plus
familier) leur échappait-il un peu. Car le Redoutable est aussi et en même
temps l'Infiniment Tendre.
L'amour mutuel d'un homme et d'une
femme, aussi abîmé soit-il parfois, reste l'expérience la plus haute que
l'humanité puisse éprouver de chaleur, d'intimité, de tendresse et de confiance
dans l'abandon.
Or, Dieu s'est servi des comparaisons
les plus fortes pour enseigner et témoigner le choix unique qu'il a fait de
nous, et la tendresse la plus affectueuse de son amour : Dieu a comparé
son amour pour nous à l'amour d'un homme pour la femme « de sa vie »,
même infidèle, à l'amour d'un père pour le fils de « sa propre chair ».
Où trouver une plus belle déclaration
d'amour ?
Je te fiancerai à moi pour toujours,
Je te fiancerai dans la tendresse et dans l'amour,
Je te fiancerai à moi dans la fidélité
Et tu me connaîtras
Dans une réciprocité de tendresse (Osée, 2).
Je te fiancerai dans la tendresse et dans l'amour,
Je te fiancerai à moi dans la fidélité
Et tu me connaîtras
Dans une réciprocité de tendresse (Osée, 2).
À ces mots d'amour Dieu ajoute, comme
un homme attentionné, ses plus beaux cadeaux :
Je te donnai des vêtements brodés,
des chaussures de cuir fin et un manteau de soie.
Je te parai de bijoux, je mis des bracelets à tes poignets et un collier à ton cou.
Je mis des boucles à tes oreilles, et sur ta tête un splendide diadème.
Tu étais parée d'or et d'argent, vêtue de lin fin, de soie et de splendides broderies. La fleur de farine, le miel, l'huile étaient ta nourriture.
Tu devins de plus en plus belle et tu parvins à la royauté (Ézéchiel, 16).
Je te parai de bijoux, je mis des bracelets à tes poignets et un collier à ton cou.
Je mis des boucles à tes oreilles, et sur ta tête un splendide diadème.
Tu étais parée d'or et d'argent, vêtue de lin fin, de soie et de splendides broderies. La fleur de farine, le miel, l'huile étaient ta nourriture.
Tu devins de plus en plus belle et tu parvins à la royauté (Ézéchiel, 16).
Mais la bien-aimée est indigne :
elle pousse l'infidélité et l'inconscience jusqu'à offrir à des amants les
cadeaux dont elle a été comblée.
Malgré l'inconstance de l'humanité,
Dieu reste fidèle :
Comment t'abandonnerais-je ?
Mon cœur en moi se retourne,
Toutes mes entrailles frémissent,
Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère,
Je ne te détruirai pas...
Car je suis Dieu et non pas homme :
Je suis le Saint et je n'aime pas à détruire... (Osée, 11).
Mon cœur en moi se retourne,
Toutes mes entrailles frémissent,
Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère,
Je ne te détruirai pas...
Car je suis Dieu et non pas homme :
Je suis le Saint et je n'aime pas à détruire... (Osée, 11).
Reviens que nous retrouvions le
bonheur... (Osée,
14).
À l'amour véhément d'un homme dévoré
de chagrin, Dieu ajoute toute la force recueillie d'un père pour ses enfants :
Quand Israël était enfant, je
l'aimais,
Mais plus je les appelais, plus ils s'écartaient de moi.
Moi, pourtant, je leur apprenais à marcher.
Je les pressais de mes bras.
Mais plus je les appelais, plus ils s'écartaient de moi.
Moi, pourtant, je leur apprenais à marcher.
Je les pressais de mes bras.
Et ils n'ont pas compris que je
prenais soin d'eux,
Je les menais avec des liens d'amour,
J'étais pour eux comme celui
Qui élève un nourrisson tout contre sa joue.
Je me penchais sur lui et lui donnais à manger... (Osée, 11).
Je les menais avec des liens d'amour,
J'étais pour eux comme celui
Qui élève un nourrisson tout contre sa joue.
Je me penchais sur lui et lui donnais à manger... (Osée, 11).
Mais à l'amour paternel il manque
encore quelque chose :
Une femme oublie-t-elle l'enfant
qu'elle nourrit ?
Cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ?
Même s'il s'en trouvait une pour l'oublier, moi je ne t'oublierai jamais... (Isaïe, 49).
Cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ?
Même s'il s'en trouvait une pour l'oublier, moi je ne t'oublierai jamais... (Isaïe, 49).
Violence de l'époux délaissé,
attention intarissable du père, patience toujours en éveil de la maman, ainsi
Dieu a-t-il enfoui, au cœur même de nos sentiments d'homme, la qualité de sa
force, de sa tendresse, de son intimité avec nous.
Le Redoutable est le plus proche, le
plus aimant. C'est l'inépuisable mystère de Dieu que cette alliance d'altitude
inaccessible et d'intimité inconcevable.
Jacques Loew, Dans la nuit j’ai
cherché