La descente de l'Esprit sur Jésus qui clôt la scène du baptême
constitue une sorte d'inauguration formelle de sa charge. Ce n'est donc pas
sans raison que les Pères ont vu dans cette action une analogie avec l'onction
par laquelle, en Israël, les rois et les prêtres étaient officiellement
investis de leur fonction. L'expression Christ-Messie signifie l'Oint : dans l'ancienne Alliance,
l'onction était considérée comme le signe visible de l'attribution des dons
requis par la fonction, du don de l'Esprit de Dieu pour la charge. À partir de
là, en Isaïe (11, 2), se développe l'espérance d'un authentique Oint, dont l'onction consiste justement dans le fait que l'Esprit du Seigneur
repose sur lui : « Esprit de sagesse et de discernement, esprit de
conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ».
D'après le récit de saint Luc, Jésus, dans la synagogue de Nazareth, s'est
présenté lui-même, et a présenté sa mission en utilisant une phrase semblable à
celle d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le
Seigneur m'a consacré par l'onction » (Lc 4, 18 ; cf. Is 61,
1). Dans la conclusion de la scène du Baptême, il nous est dit que Jésus a reçu
la véritable onction, qu'il est l'Oint attendu : à ce moment-là,
lui a été formellement conférée
la dignité royale pour l’histoire et devant Israël.
Désormais, le Christ est investi de
cette mission. Les trois Évangiles synoptiques racontent, à notre surprise, que
la première disposition de l'Esprit fut de le conduire au désert, « pour
être tenté par le démon » (Mt 4, 1). L'action est précédée par un
temps de recueillement, qui est aussi nécessairement une lutte intérieure pour
la mission et une lutte contre les déformations de la mission, qui se
présentent comme ses vrais accomplissements. C'est une descente dans les
épreuves qui menacent l'homme, car c'est seulement ainsi que l'homme qui est
tombé peut être relevé. Se tenant au cœur originaire de sa mission, Jésus doit
entrer dans le drame de l'existence humaine, le traverser jusqu'au plus profond,
afin de retrouver ainsi la brebis égarée,
de la prendre sur ses épaules et de la ramener au bercail.
La descente de Jésus « aux
enfers », dont parle le Credo, ne s'est pas seulement accomplie
dans sa mort et après sa mort, elle fait à jamais partie de son
cheminement : Jésus doit reprendre toute l'histoire à partir de ses
commencements — depuis « Adam », la parcourir et en souffrir jusqu'au
bout afin de pouvoir la transformer. La Lettre aux Hébreux a tout
particulièrement insisté sur le fait que la mission de Jésus, sa solidarité
avec nous tous, préfigurée dans le Baptême, implique qu'il s'expose aux menaces
et aux épreuves de la condition humaine : « Il lui fallait donc
devenir en tout semblable à ses frères, pour être, dans leurs relations avec
Dieu, un grand prêtre miséricordieux et digne de confiance, capable d'enlever
les péchés du peuple. Ayant souffert jusqu'au bout l'épreuve de sa Passion, il
peut porter secours à ceux qui subissent l'épreuve » (He 2, 17 -18) . « En effet, le grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu
l'épreuve comme nous, et il n'a pas péché » (He 4, 15). Le récit
des tentations est donc étroitement lié à celui du Baptême, où Jésus devient solidaire
des pécheurs. Il faut ajouter à cela la lutte du mont des Oliviers, l'autre
grande lutte intérieure de Jésus pour sa mission. Mais les
« tentations » accompagnent Jésus tout au long de son parcours, et le
récit des tentations apparaît de ce point de vue — tout comme celui du Baptême
— comme une anticipation, dans laquelle est comme condensée la lutte de tout
son parcours.
Dans son bref récit des tentations
(1, 13), Marc a mis en relief le parallèle avec Adam, l'acceptation douloureuse
du drame de la condition humaine comme telle. Jésus « vivait parmi les
bêtes sauvages, et les anges le servaient ». Le désert — image opposée à
celle du jardin — devient le lieu de la réconciliation et du salut ; les
bêtes sauvages, qui représentent la forme la plus concrète de la menace que
font peser sur l'homme la rébellion de la création et la puissance de la mort,
deviennent des amis comme au Paradis. La paix, qu'Isaïe a annoncée pour le
temps du Messie, est rétablie : « Le loup habitera avec l'agneau, le léopard
se couchera près du chevreau » (Is, 11, 6). Là où le péché est vaincu, là où l'harmonie de l'homme avec Dieu est rétablie, il
s'ensuit la réconciliation de la création ; la création déchirée redevient
alors un lieu de paix, comme le dira Paul en évoquant les gémissements de la
création, qui « aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des
fils de Dieu » (Rm 8,
19).
Les oasis de la création, qui ont fleuri
par exemple autour des monastères bénédictins en Occident, ne sont-ils pas des préfigurations de cette
réconciliation de la création, qui vient des fils de Dieu ? Inversement,
Tchernobyl, par exemple, n'est-il pas l'expression bouleversante de la création
asservie et plongée dans l'obscurité de Dieu ? Marc conclut son bref récit
des tentations par une phrase que l'on peut comprendre comme une allusion au
Psaume 91 [90], 11 : « Et les anges le servaient ». Cette phrase
se trouve aussi à la fin du récit plus développé des tentations chez Matthieu.
C'est seulement à partir de ce contexte plus vaste qu'elle devient pleinement
compréhensible.
Matthieu et Luc parlent de trois
tentations, dans lesquelles se reflète la lutte intérieure de Jésus pour sa
mission mais en même temps apparaît aussi la question concernant ce qui compte
vraiment dans la vie des hommes. Ici se manifeste clairement le cœur de toute
tentation : la mise à l'écart de Dieu qui, face à tout ce qui, dans notre
vie, apparaît plus urgent, semble secondaire, voire superflu et ennuyeux.
Mettre de l'ordre dans le monde par soi-même, sans Dieu, ne compter que sur
soi, n'admettre comme réelles que les réalités politiques et matérielles en
écartant Dieu comme illusion, telle est la tentation, qui nous menace sous de
multiples aspects.
La nature de la tentation comprend
aussi un comportement moral : elle ne nous invite pas directement au mal,
ce serait trop grossier. Elle prétend nous montrer ce qui est meilleur :
abandonner enfin les illusions et employer efficacement nos forces pour
améliorer le monde. Elle se présente aussi avec la prétention du vrai réalisme.
Le réel est ce qui se constate : le pouvoir et le pain. En comparaison,
les choses de Dieu apparaissent comme irréelles, comme un monde secondaire,
dont on n'a pas vraiment besoin.
Or, c'est de Dieu
qu'il s'agit : est-il, oui ou non, la réalité même ? Est-il le Bien,
ou devons-nous inventer nous-mêmes ce qui est bien ? La question de Dieu
est la question fondamentale, qui nous place à la croisée des chemins de
l'existence humaine. Que doit faire ou ne pas faire le Sauveur du monde ?
Telle est la question que sous-tendent les tentations de Jésus. Chez Matthieu
et Luc, les trois tentations sont identiques, seule leur succession diffère.
Suivons la démarche de Matthieu pour la cohérence dans le déroulement ascendant
de sa construction.
Jésus « après avoir jeûné
quarante jours et quarante nuits, eut faim » (Mt 4, 2). Du temps de Jésus, le chiffre quarante était
déjà chargé d'une riche signification symbolique pour Israël. Il nous rappelle
d'abord les quarante années qu'Israël a passées dans le désert, qui furent le
temps de sa tentation mais aussi le temps d'une proximité particulière de Dieu.
Ensuite, il nous fait penser aux quarante jours que Moïse a passés sur le mont
Sinaï, avant de pouvoir recevoir la parole de Dieu, les tables sacrées de l'Alliance.
Il peut aussi évoquer le récit rabbinique selon lequel Abraham, sur le chemin
du mont Horeb, où il aurait dû sacrifier son fils, s'est abstenu de tout
aliment et de toute boisson pendant quarante jours et quarante nuits, se
nourrissant de la vision et de la parole de l'ange qui l'accompagnait.
Dans une extension déjà quelque peu
poussée de la symbolique des chiffres, les Pères ont aussi considéré le chiffre
40 comme le chiffre cosmique, le chiffre du monde dans son ensemble : les
quatre points cardinaux délimitent le tout, et dix est le nombre des
commandements. Le chiffre
cosmique multiplié par le nombre de commandements devient l'expression
symbolique de l'histoire de ce monde. En quelque sorte, Jésus parcourt de
nouveau l'Exode d'Israël, puis les errements et les désordres de toute
l'histoire. Les quarante jours de jeûne embrassent le drame de l'histoire, que
Jésus assume en lui et supporte jusqu'au bout.
« Si tu es le Fils de Dieu,
ordonne que ces pierres deviennent des pains » (Mt 4, 3) — ainsi commence la première tentation.
« Si tu es le Fils de Dieu » — nous entendrons encore ces mots dans
la bouche de ceux qui se moqueront de Jésus au pied de la croix :
« Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Mt 27, 40). Le Livre de la
Sagesse avait déjà envisagé cette situation : « Si ce juste est fils
de Dieu, Dieu l'assistera » (Sg
2, 18). Dérision et tentation vont ici de pair : le Christ doit
prouver ce qu'il prétend être, afin de devenir crédible. Cette demande de
preuve traverse tout le cours de la vie de Jésus, où on lui reproche
continuellement de ne pas se justifier assez clairement : il devrait
accomplir le grand miracle qui, éliminant toute ambiguïté et toute
contradiction, démontrerait à tout un chacun, de façon indiscutable, qui il est
et ce qu'il est ou n'est pas.
Cette demande, c'est celle que nous
aussi nous adressons à Dieu, au Christ et à son Église tout au long de
l'histoire : Dieu, si tu existes, alors tu dois aussi te montrer. Alors tu
dois déchirer le nuage qui te cache et nous donner la clarté à laquelle nous
avons droit. Si toi, ô Christ, tu es vraiment le Fils et non un des illuminés
qui ont paru continuellement dans l'histoire, alors tu dois te montrer plus
clairement que tu ne le fais. Alors, tu dois donner à ton Église, si elle doit
bien être la tienne, un degré d'évidence d'un autre ordre que celui dont elle
dispose actuellement.
Nous reviendrons sur ce point quand
nous arriverons à la deuxième tentation, dont il constitue le véritable centre.
La preuve de l'existence de Dieu que
le tentateur propose dans la première tentation consiste à transformer les
pierres du désert en pain. Au commencement, il s'agit de la faim de Jésus
lui-même, ainsi que l'a vu saint Luc : « Ordonne à cette pierre de
devenir du pain » (Lc 4,
3). Mais Matthieu interprète la tentation de façon plus large, telle qu'elle
fut présentée à Jésus durant sa vie terrestre, et ensuite renouvelée à travers
toute l'histoire.
Quoi de plus tragique, quoi de plus
contraire à la foi en un Dieu bon et à la foi en un rédempteur des hommes que la
faim de l'humanité ? Le premier critère d'identification du Rédempteur
devant le monde et pour le monde ne devrait-il pas consister à donner du pain
et à faire en sorte que cesse la faim de tout homme ? Quand le peuple
d'Israël errait dans le désert, Dieu l'avait nourri en lui envoyant le pain du
ciel, la manne. On croyait pouvoir déceler dans cet épisode une image du temps
messianique : le Sauveur du monde ne devait-il pas, et ne doit-il pas
toujours, montrer son identité en donnant à manger à tout le monde ? Le
problème de la faim dans le monde et, plus généralement, les problèmes sociaux
ne sont-ils pas le critère premier et authentique pour mesurer la
rédemption ? Quelqu'un qui ne satisfait pas à ce critère peut-il à bon droit
s'appeler Rédempteur ? On peut tout à fait comprendre que le marxisme ait
précisément fait de cet idéal le cœur de sa promesse de salut : il aurait
fait en sorte que toute faim cesse et que « le désert devienne du
pain ».
« Si tu es le Fils de Dieu... »,
quel défi ! Ne doit-on pas le lancer aussi à l'Église ? Si tu veux
être l'Église de Dieu, alors préoccupe-toi d'abord du pain pour le monde — le reste viendra après. Il est difficile
de répondre à ce défi, justement
parce que le cri des affamés nous pénètre et doit nous pénétrer très profondément
dans l'oreille et dans l'âme. On ne peut pas comprendre la réponse de Jésus
seulement à la lumière du récit des tentations. Le thème du pain traverse tout
l'Évangile et doit être considéré dans toute son ampleur.
Il y a deux autres grands récits sur
le pain dans la vie de Jésus. L'un est la multiplication des pains pour les
milliers de personnes qui avaient suivi le Seigneur dans un lieu désert.
Pourquoi accomplir maintenant un acte qui a été rejeté auparavant comme une
tentation ? Les gens étaient venus pour entendre la parole de Dieu et,
pour ce faire, ils avaient laissé tomber tout le reste. Et ainsi, en tant que personnes
qui ont ouvert leur cœur à Dieu, puis les uns aux autres, ils peuvent recevoir
le pain comme il se doit. Ce miracle suppose trois éléments : en
premier il y a eu la quête de Dieu, de sa parole et de la juste orientation de
la vie entière. Par ailleurs, le pain est demandé à Dieu. Enfin, la
disponibilité réciproque au partage constitue un élément essentiel du miracle.
L'écoute de Dieu devient une vie avec Dieu et elle conduit de la foi à l'amour,
à la découverte d'autrui. Jésus n'est pas indifférent à la faim des hommes, à
leurs besoins matériels, mais il les replace dans leur juste contexte et leur
donne la place qui leur revient.
Ce deuxième récit sur le pain renvoie
par avance au troisième et il en constitue la préparation : la dernière
Cène, qui devient l'Eucharistie de l'Église et le miracle permanent de Jésus
sur le pain. Jésus lui-même est devenu le grain de blé qui, en mourant, porte
du fruit en abondance (cf. Jn 12,
24). Il est lui-même pain pour nous, et cette multiplication des
pains durera de manière inépuisable jusqu'à la fin des temps. Ainsi, nous
comprenons maintenant les paroles de Jésus, qu'il emprunte à l'Ancien Testament
(cf. Dt 8, 3) pour repousser le tentateur : « Ce n'est pas
seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu » (Mt 4,
4). À ce sujet, il y a une phrase éclairante du jésuite allemand Alfred Delp,
qui fut exécuté par les nazis : « Le pain est important, la liberté
est plus importante, mais la chose la plus importante de toutes, c'est la
fidélité constante et l'adoration jamais trahie ».
Là où cet ordre des biens n'est pas
respecté, mais renversé, il n'y a plus alors de justice, on ne se soucie plus
de l'homme qui souffre, mais se créent aussi des bouleversements et des
destructions dans le domaine des biens matériels. Là où Dieu est considéré
comme une grandeur secondaire que l'on peut écarter temporairement ou
complètement, au nom de choses plus importantes, alors ces choses supposées
plus importantes échouent aussi. L'issue négative de l'expérience marxiste
n'est pas la seule à le montrer.
Les aides de l'Occident aux pays en
voie de développement, fondées sur des principes purement techniques et
matériels, qui non seulement ont laissé Dieu de côté, mais ont encore éloigné
les hommes de Dieu par l'orgueil de leur prétendu savoir, ont fait du Tiers
Monde le Tiers Monde au sens moderne. De telles aides ont écarté les
structures religieuses, morales et sociales existantes et elles ont introduit
leur mentalité techniciste dans le vide ainsi créé. Elles croyaient pouvoir
transformer les pierres en pain, mais elles ont donné des pierres à la place du
pain. Or il s'agit du primat de Dieu. Il s'agit de le reconnaître comme
réalité, une réalité sans laquelle rien d'autre ne peut être bon.
L’histoire ne saurait être gouvernée
par de simples structures matérielles, faisant abstraction de Dieu. Si le cœur
de l'homme n'est pas
bon, alors rien d'autre ne pourra le devenir. Et la bonté du cœur ne peut venir
que de Celui qui est lui-même la Bonté, le Bien.
On peut, bien sûr, se demander
pourquoi Dieu n'a pas créé un monde où sa présence serait plus manifeste ;
pourquoi le Christ n'a pas laissé derrière lui une tout autre splendeur de sa
présence, qui toucherait tout un chacun de manière irrésistible. C'est le
mystère de Dieu et de l'homme, que nous ne pouvons pénétrer. Nous vivons dans ce
monde, où Dieu n'a justement pas l'évidence du tangible, mais où il peut être
cherché et trouvé uniquement par l'élan du cœur, l'exode d'Égypte. Dans ce monde, nous devons résister
aux illusions de fausses philosophies et reconnaître que nous ne vivons pas
seulement de pain, mais d'abord de l'obéissance à la parole de Dieu. C'est
seulement là où cette obéissance est vécue que naissent et grandissent les
sentiments qui permettent aussi de procurer du pain à tous.
Venons-en maintenant à la deuxième
tentation de Jésus, dont la signification exemplaire est à beaucoup d'égards la
plus difficile à comprendre. La tentation est à comprendre comme une sorte de
vision, dans laquelle est résumée une réalité, une menace particulière pour
l'homme et pour la mission de Jésus. D'emblée, un point nous intrigue. Pour
attirer Jésus dans son piège, le diable cite l'Écriture Sainte : le Psaume
91 [90], qui évoque la protection que Dieu accorde à l'homme fidèle :
« Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te
porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres » (v.
11-12). Ces paroles prennent une importance plus grande du fait qu'elles ont
été prononcées dans la Ville sainte, dans le lieu
saint. En effet, le
psaume cité est lié au Temple ; celui qui le récite attend une protection
dans le Temple, car la maison de Dieu doit être un lieu particulier de
protection divine. En quel autre lieu l'homme qui croit en Dieu devrait-il se
savoir plus à l'abri que dans l'enceinte sacrée ? 1 Le diable
se révèle un connaisseur de l'Écriture, il est capable de citer le psaume avec
précision. Tout le dialogue de la
deuxième tentation se présente comme un débat entre deux experts en Écriture
Sainte : le diable y fait figure de théologien, ainsi que nous le fait
remarquer Joachim Gnilka.
Vladimir Soloviev a repris ce thème
dans son Court récit sur l'Antéchrist : l'Antéchrist est fait
docteur honoris causa en théologie de l'université de Tübingen ;
c'est un grand expert de la Bible. Ainsi, Soloviev a voulu exprimer, de façon
radicale, son scepticisme envers un certain type d'exégèse érudite de son
temps. Il ne s'agit pas d'un refus de l'interprétation scientifique de la Bible
en tant que telle, mais d'un avertissement particulièrement nécessaire et salutaire
face à ses errances possibles. L'interprétation de la Bible peut effectivement
devenir un instrument de l'Antéchrist. Ce n'est pas seulement Soloviev qui le
dit, c'est ce qu'affirme implicitement le récit même des tentations. Les pires livres
qui détruisent la figure de Jésus, qui démolissent la Foi, ont été écrits avec
de prétendus résultats de l'exégèse.
De nos jours, la Bible est assujettie
chez beaucoup au critère de la prétendue vision moderne du monde, dont le dogme
fondamental est que Dieu ne peut nullement agir dans l'histoire, et que, par
conséquent, tout ce qui le concerne est à reléguer dans la sphère du
subjectif. Alors la Bible ne parle plus de Dieu, du Dieu vivant, mais c'est
nous-mêmes seulement qui parlons et qui déterminons ce que Dieu peut faire et ce que nous voulons ou devons faire.
Et l'Antéchrist nous dit alors, se présentant comme un grand érudit, qu'une exégèse qui lit
la Bible dans la perspective de la foi au Dieu vivant, lui prêtant attention,
relève d'une attitude fondamentaliste ; seule son exégèse,
l'exégèse considérée comme authentiquement scientifique, dans laquelle Dieu
lui-même ne dit rien et n'a rien à dire, serait à la pointe du progrès.
La dispute théologique entre Jésus et
le diable est une dispute qui concerne chaque époque et qui a comme objet
l'interprétation correcte de la Bible, dont la question herméneutique
fondamentale est la question de l'image de Dieu. La dispute sur
l'interprétation est en fin de compte une discussion qui porte sur qui est
Dieu. Cette discussion autour de l'image de Dieu, dont il s'agit dans la
dispute sur l'interprétation correcte de l'Écriture, trouve son expression
concrète dans l'image du Christ : celui qui est resté sans pouvoir
terrestre est-il réellement le Fils du Dieu vivant ?
Ainsi, la question concernant la
structure de l'étrange dialogue sur l'Écriture entre Jésus et le Tentateur
conduit directement au cœur de la question du contenu. De quoi est-il
question ? On a associé cette tentation au thème du panem et
circenses : après le pain, doit être offert quelque chose de
sensationnel. Comme il ne suffit manifestement pas à l'homme d'être
physiquement rassasié, celui qui ne veut pas laisser entrer Dieu dans le monde
et dans les hommes doit offrir la stimulation d'expériences excitantes, dont le
frémissement remplace et refoule l'émotion religieuse. Mais ce ne peut pas être
le sens de ce passage, car, à ce qu'il semble, il n'y a pas de spectateurs.
L'enjeu apparaît dans la réponse de
Jésus empruntée encore au Deutéronome (6, 16) : « Vous ne mettrez pas
à l'épreuve le Seigneur votre Dieu ». Dans le Deutéronome, c'est une
allusion à l'histoire d'Israël qui risquait de mourir de soif dans le désert.
S'ensuit une rébellion contre Moïse qui devient une rébellion contre Dieu. Dieu
doit montrer qu'il est Dieu. Dans la Bible, cette rébellion contre Dieu est
décrite ainsi : « Ils avaient mis le Seigneur au défi en
disant : "Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n'y
est-il pas ?” » (Ex 17,
7). Il s'agit donc de ce que nous avons déjà mentionné
précédemment : Dieu doit se prêter à l'expérimentation. Il est « mis
à l'épreuve », comme on teste les marchandises. Il doit se soumettre aux
conditions que nous considérons comme nécessaires à notre certitude. S'il
n'accorde pas maintenant la protection promise par le Psaume 91 [90], alors il
n'est pas Dieu. Alors il a falsifié sa parole, et de ce fait il s'est falsifié
lui-même.
Nous avons ici devant nous dans sa
totalité la grande question de savoir comment on peut connaître Dieu et comment
on peut ne pas le connaître, comment l'homme peut être en relation avec lui et
comment il peut le perdre.
La présomption qui veut transformer
Dieu en objet et lui imposer nos conditions expérimentales de laboratoire ne saura
trouver Dieu. Car il présuppose déjà que nous nions Dieu en tant que Dieu,
parce que nous nous mettons au-dessus de lui, parce que nous mettons de côté
toute la dimension de l'amour, de l'écoute intérieure, et que nous ne
reconnaissons comme réel que ce dont on peut faire l'expérience, que ce qui a
été mis entre nos mains. Celui qui pense ainsi se fait lui-même Dieu et
rabaisse ainsi non seulement Dieu mais aussi le monde et lui-même.
À partir de cette scène sur le
pinacle du Temple, le regard s'ouvre également sur la Croix. Le Christ ne s'est
pas jeté du pinacle du Temple. Il n'a pas sauté dans l'abîme. Il n'a pas mis
Dieu à l'épreuve. Mais il est descendu dans l'abîme de la mort, dans la nuit de
l'abandon ; il s'est exposé comme un être sans défense. Il a osé ce saut-là comme acte
d'amour de Dieu pour les hommes. Et donc il savait qu'en sautant, il ne pouvait
tomber finalement qu'entre les mains clémentes du Père. Ainsi apparaît le sens
véritable du Psaume 91 [90], le droit à la confiance extrême et illimitée, dont
il parle : celui qui fait la volonté de Dieu sait qu'au milieu de toutes
les terreurs qu'il traverse, il ne perdra jamais une ultime protection. Il sait
que le fondement du monde est l'amour et que, par conséquent, même là où aucun
humain ne peut ou ne veut l'aider, il peut continuer à cheminer dans la
confiance en Celui qui l'aime. Cette confiance, à laquelle l'Écriture nous
autorise et à laquelle le Seigneur, le Ressuscité, nous invite, est quelque
chose de tout à fait autre que le défi aventureux adressé à Dieu, qui voudrait
faire de Lui notre serviteur.
Venons-en maintenant à la troisième
et dernière tentation, point culminant de tout le récit. Le diable emmène le
Seigneur en vision sur une haute montagne. Il lui montre tous les royaumes de
la terre avec leur splendeur et il lui offre la domination du monde. N'est-ce
pas justement la mission du Messie ? Ne doit-il pas être le roi du monde
qui réunira la terre entière dans un grand royaume de paix et de
bien-être ? Comme la tentation du pain a deux correspondants singuliers
dans l'histoire de Jésus, la multiplication des pains et la dernière Cène, il
en va de même ici.
Le Seigneur ressuscité réunit les
siens « sur la montagne » (Mt 28, 16). Et à ce moment-là, il
dit effectivement : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la
terre » (Mt 28,
18). Ici nous trouvons deux aspects nouveaux et différents : le Seigneur a
pouvoir au ciel et sur la terre. Et seul celui qui est doté de tout ce pouvoir
a le pouvoir authentique, salvifique. Sans le ciel, le pouvoir terrestre reste
toujours ambigu et fragile. Seul le pouvoir qui accepte le critère et le
jugement du ciel, c'est-à-dire de Dieu, peut devenir un pouvoir orienté vers le
bien. Et seul le pouvoir qui se place sous la bénédiction de Dieu peut être
fiable.
À cela s'ajoute encore un autre
aspect : Jésus a ce pouvoir en tant que ressuscité, ce qui signifie que ce
pouvoir présuppose la croix, présuppose sa mort. Il présuppose l'autre montagne
— le Golgotha —, où il meurt, suspendu à la croix, moqué par les hommes et
abandonné des siens. Le Royaume du Christ est différent des royaumes du monde
et de leur splendeur, que Satan lui donne à voir. Cette gloire-là est, comme le
dit le mot grec doxa, une apparence qui se dissipe. Le Royaume du Christ
n'a pas une telle splendeur. Grâce à l'humilité de la prédication, il grandit
en ceux qui veulent se faire ses disciples, qui seront baptisés au nom du Dieu
Trinité et qui observeront ses commandements (cf. Mt 28, 19-20).
Mais revenons à la tentation. Son
vrai contenu devient visible lorsque nous constatons que, dans l'histoire, elle
prend sans cesse une forme nouvelle. L'Empire chrétien a cherché très tôt à
transformer la foi en un facteur politique pour l'unité de l'Empire. Le règne
du Christ devait donc prendre la forme d'un royaume politique et de sa
splendeur. La faiblesse de la foi, la faiblesse terrestre de Jésus Christ
devait être soutenue par le pouvoir politique et militaire. Au cours des
siècles, cette tentation — asseoir la foi par le pouvoir — est revenue
continuellement, sous des formes diverses, et la foi a toujours couru le risque
d'être étouffée sous l'étreinte du pouvoir. Le combat pour la liberté de l'Église,
combat parce que le royaume de Jésus ne peut être identifié à aucune structure
politique, doit être mené tout au long des siècles. Car la confusion entre la
foi et le pouvoir politique a toujours un prix : la foi se met au service
du pouvoir et doit se plier à ses critères.
Dans le récit de la Passion du
Seigneur, l'alternative dont il est question ici apparaît sous une forme
provocante. Au point culminant du procès, Pilate fait choisir entre Jésus et
Barrabas. L'un des deux sera libéré. Mais qui est Barabbas ? D'ordinaire,
nous avons en mémoire la formulation de l'Évangile de Jean : « Ce
Barabbas était un bandit » (Jn
18, 40). Dans la situation politique qui régnait à l'époque en
Palestine, le mot grec utilisé pour bandit a une connotation particulière. Il
signifiait plutôt une sorte de « combattant de la résistance ».
Barabbas avait participé à une émeute (cf. Mc 15, 7) et, dans ce
contexte, il était en outre accusé de meurtre (cf. Lc 23, 19-25). Quand
Matthieu dit que Barabbas était un « prisonnier bien connu », il
ressort qu'il avait été un des résistants les plus éminents, voire le véritable
meneur de cette émeute (cf. Mt 27, 16).
Autrement dit : Barabbas était
une figure messianique. Le choix entre Jésus et Barabbas n'est donc pas
fortuit : deux figures messianiques, deux formes du messianisme
s'opposent. Cela devient encore plus évident lorsque nous prenons en compte que
« Bar-Abbas » signifie fils du père. C'est une désignation
typiquement messianique, le nom religieux d'un des chefs éminents du mouvement
messianique. La dernière grande guerre messianique des Juifs a été menée en 132
par Bar-Kokhba, fils de l'étoile. Le nom est formé de la même façon, la même
intention est affichée.
Chez Origène, nous trouvons un autre
détail intéressant : dans beaucoup de manuscrits des Évangiles jusqu'au
IIIe siècle, l'homme en question s'appelait « Jésus
Barabbas », Jésus fils du père. Il se présente comme une sorte d'alter
ego de Jésus, qui revendique la même prétention, mais de façon très
différente. Le choix est donc entre un Messie qui est à la tête d'un combat,
qui promet la liberté et son propre royaume, et ce mystérieux Jésus qui
proclame de se perdre soi-même pour trouver le chemin vers la vie. Faut-il
s'étonner que les foules aient préféré Barabbas ? 2
Si nous devions choisir aujourd'hui,
Jésus de Nazareth, le fils de Marie, le Fils du Père, aurait-il une
chance ? Mais connaissons-nous vraiment Jésus ? Le
comprenons-nous ? Ne devons-nous pas chercher à le connaître de manière
complètement nouvelle, hier comme aujourd'hui ? Le tentateur n'a pas la
grossièreté de nous inciter directement à adorer le diable. Il nous incite seulement
à choisir ce qui est rationnel, à donner la priorité à un monde planifié et
organisé, où Dieu en tant que question privée peut avoir une place, sans avoir
pourtant le droit de se mêler de nos affaires essentielles. Soloviev attribue
un livre à l'Antéchrist, Le Chemin public vers la paix et le bien-être du
monde, livre qui devient pour ainsi dire la nouvelle Bible dont le contenu
véritable est l'adoration du bien-être et de la planification raisonnable.
La troisième tentation de Jésus se
révèle ainsi comme la tentation fondamentale. La question qu'elle pose est de
savoir ce que doit faire un sauveur du monde. Et cette question traverse toute
la vie de Jésus. Elle se manifeste encore une fois clairement à un tournant
décisif de son chemin. Au nom des disciples, Pierre avait exprimé sa confession
de foi en Jésus Messie-Christ, le Fils du Dieu vivant, donnant ainsi une
expression à la foi qui construit l'Église et qui inaugure la nouvelle
communauté de foi fondée sur le Christ. Mais précisément à ce moment crucial
où, face à « l'opinion des gens », se manifeste la connaissance
spécifique et décisive de Jésus, et où commence alors à se former sa nouvelle
famille, voici le tentateur : le danger de tout inverser. Le Seigneur
explique immédiatement que le concept de Messie doit être compris à partir de
l'ensemble du message prophétique : cela ne signifie pas un pouvoir
terrestre, mais la croix et une communauté complètement différente qui naît par
la croix.
Cependant, Pierre ne l'avait pas
entendu ainsi : « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de
vifs reproches : "Dieu t'en garde, Seigneur ! Cela ne t'arrivera
pas" » (Mt 16,
22). Si nous lisons ces paroles dans le contexte du récit des tentations, comme
leur nouvelle évocation au moment décisif, alors nous comprenons la réponse
incroyablement dure de Jésus : « Passe derrière moi, Satan, tu es un
obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais
celles des hommes » (Mt 16,
23).
Mais, tous, ne continuons-nous pas
sans cesse à dire à Jésus que son message conduit à contredire les opinions
dominantes et qu'ainsi il risque l'échec, la souffrance et la
persécution ? Aujourd'hui, l'Empire chrétien ou la papauté temporelle ne
constituent plus une tentation, mais voir dans le christianisme une recette
conduisant au progrès et reconnaître le bien-être commun comme la véritable
finalité de toute religion, et donc aussi de la religion chrétienne, telle est
la nouvelle forme de cette même tentation. Aujourd'hui, elle apparaît sous la
forme de la question suivante : que nous a apporté Jésus s'il n'a pas fait
advenir un monde meilleur ? Ne serait-ce pas là le contenu de l'espérance
messianique ?
Dans l'Ancien Testament, deux
espérances se confondent encore sans se différencier : l'attente d'un
monde sain, où le loup reposera à côté de l'agneau (cf. Is 11, 6), où les
peuples du monde se mettront en route vers le mont Sion et pour lequel vaut la
prophétie : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrue, et
de leurs lances, des faucilles » (Is
2, 4 ; cf. Mi 4, 1-3). Mais à côté, il y a la perspective du
serviteur de Dieu en proie à la souffrance, celle d'un Messie qui sauve en
endurant le mépris et la souffrance tout au long de son chemin ; et encore,
dans les rencontres postpascales, Jésus allait montrer à ses disciples que
Moïse et les prophètes parlaient de lui, de celui qui n'a pas de pouvoir
apparent, qui souffre, qui est crucifié et qui est ressuscité ; il devait
montrer que c'est ainsi que s'accomplissaient les promesses. « Vous n'avez
donc pas compris ! comme votre cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit
les prophètes ! » — c'est ainsi que le Seigneur s'adresse aux
disciples d'Emmaüs (Lc 24,
25) et c'est ainsi qu'il doit toujours nous parler à travers les siècles, car
nous continuons de penser que, si Jésus voulait être le Messie, il aurait dû
nous apporter l'âge d'or.
Mais Jésus nous dit aussi ce qu'il a
opposé à Satan, ce qu'il a dit à Pierre et qu'il a expliqué de nouveau aux
disciples d'Emmaüs : aucun royaume de ce monde n'est le Royaume de Dieu,
la condition du salut de l'humanité par excellence. Le royaume humain reste un
royaume humain, et celui qui affirme qu'il peut ériger un monde sauvé approuve
l'imposture de Satan et fait tomber le monde entre ses mains.
Dès lors, nous sommes confrontés à la
grande question qui nous accompagnera tout au long de ce livre : qu'est-ce
que Jésus a vraiment apporté, s'il n'a pas apporté la paix dans le monde, le
bien-être pour tous, un monde meilleur ? qu'a-t-il apporté ?
La réponse est très simple : Dieu.
Il a apporté Dieu. Il a apporté le Dieu dont la face s'est lentement et
progressivement dévoilée depuis Abraham jusqu'à la littérature sapientielle, en
passant par Moïse et les Prophètes — le Dieu qui n'avait montré son vrai visage
qu'en Israël et qui avait été honoré dans le monde des gentils sous des avatars
obscurs, c'est ce Dieu-là, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu
véritable qu'il a apporté aux peuples de la terre.
Il a apporté Dieu : dès lors,
nous connaissons sa face, dès lors nous pouvons l'invoquer. Dès lors, nous
connaissons le chemin que, comme hommes, nous devons emprunter dans ce monde.
Jésus a apporté Dieu et avec lui la vérité sur notre origine et notre
destinée ; la foi, l'espérance et l'amour. Seule la dureté de notre cœur
nous fait considérer que c'est peu de chose. Assurément, le pouvoir de Dieu
dans le monde est discret, mais c'est le pouvoir véritable, durable. Encore et
toujours, la cause de Dieu semble continuellement comme à l'agonie. Mais elle se montre toujours comme ce qui véritablement
demeure et sauve. Les royaumes du monde, que Satan a pu montrer jadis au
Seigneur, se sont tous écroulés entre-temps. Leur gloire, leur Doxa, n'était
qu'apparence. Mais la gloire du Christ, la gloire de son amour, faite d'humilité
et d'acceptation de la souffrance, n'a pas décliné et ne déclinera pas.
Du combat contre Satan, Jésus sort
vainqueur : à la divinisation fallacieuse du pouvoir et du bien-être, à la
promesse fallacieuse d'un avenir garantissant tout à tous, en vertu du pouvoir
et de l'économie, il a opposé la nature divine de Dieu — Dieu comme véritable
bien de l'homme. À l'invitation qui lui est faite d'adorer le pouvoir, le
Seigneur oppose les paroles du Deutéronome, le livre même que le diable avait
déjà cité : « C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te
prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras » (Mt 4, 10 ; cf. Dt 6, 13). Le commandement
fondamental pour Israël est aussi celui des chrétiens : seul Dieu doit
être adoré. Plus loin, lorsque nous réfléchirons sur le Sermon sur la montagne,
nous verrons que cette adhésion inconditionnelle au premier commandement du
Décalogue inclut aussi une adhésion au deuxième : le respect de l'homme,
l'amour du prochain. Chez Matthieu, le récit de la tentation se conclut, comme
chez Marc, par ces mots : « Des anges s'approchèrent de lui, et ils
le servaient » (Mt 4,
11 ; cf. Mc 1, 13). Dès lors, s'accomplit le Psaume 91 [90],
11 : les anges le servent. Il s'est révélé comme Fils, c'est pourquoi le
ciel s'est ouvert au-dessus de lui, le nouveau Jacob, le père d'un Israël
devenu universel (cf. Jn 1, 51 ; Gn 28, 12).
Joseph Ratzinger, in Jésus de
Nazareth I (Flammarion)
1. Voir à ce sujet plus en détail J. Gnilka, Das Matthaüsevangelium, op. cit. p88.
2. Voir à ce sujet l’important ouvrage de Vittorio
Messori, Pati sotto Ponzio Pilato,
Turin (1922), p52-56.