Dire « entrée dans le
Carême » revient à dire entrée dans une certaine période de désert,
c'est-à-dire d'épreuve purifiante préparant de plus intimes formes d'union à
Dieu. En un mot, il s'agit d'une période de fiançailles : « Voici que
je vais te séduire, dit le Seigneur, je te conduirai au désert et parlerai à
ton cœur » (Os 2, 16). Pour devenir plus attentif à la brise divine
parlant au cœur et mieux combattre les fortes voix des mauvais esprits,
l'Évangile recommande d'intensifier la prière. Cela nous est rappelé entre
autres dans un épisode curieux, qui souligne un échec des disciples. Ceux-ci
avaient essayé en vain de guérir un jeune épileptique. Le père de l'enfant s'en
plaignit à Jésus : « Tes disciples n'en ont pas eu la force (ouk
iskhusan) ! » (Mc 9, 18). Contristé, Jésus s'exclama :
« Génération incrédule ! Jusqu'à quand serai-je près de vous et vous
supporterai-je ? » Puis il guérit aussitôt l'enfant. Plus tard et
prudemment à l'écart, les disciples
l'interrogèrent sur la raison de leur insuccès. Jésus leur répondit :
« Rien ne peut faire sortir cette espèce-là [d'esprit], sauf la
prière » (Mc 9, 29). C'est du moins ce que proposent de lire la Bible de
la Liturgie, la Bible de Jérusalem, Osty, la T.O.B., etc.
Les fidèles qui ont connu
l'avant-Concile Vatican II pourraient ici s'étonner : le verset de Marc ne
parlait-il pas aussi du jeûne ? Les bibles actuelles expliquent que la
variante longue de l'évangéliste
Marc, celle qui précisément parle du jeûne, est probablement une interpolation
d'un verset de Mt 17, 21 qui, dans le même contexte, dit : « ...
sinon par la prière et le jeûne ». Si l'on va alors consulter la table
biblique du lectionnaire, on découvre, non sans surprise pour une traduction
des Évangiles prétendument complète, que les liturges ont également supprimé le
fameux verset 21 de Matthieu 17, lui aussi sujet à caution. Et puis, mettre sur
le même plan la prière et le jeûne était peut-être un enseignement « trop
dur à entendre » (Jn 6, 60) pour une catholicité qui ne souhaite plus trop
se priver, sinon de manière intelligente,
c'est-à-dire vraiment utile à la santé et aux autres.
Oui, diront certains, mais
cette mention du jeûne chez saint Marc ne se trouve en fait que dans quelques
manuscrits tardifs : ce serait une glose de copiste ! Certes, les
manuscrits grecs S et B du IVe siècle ne le mentionnent pas, mais
pourquoi nos biblistes oublient-ils de dire que la version longue se trouve déjà
dans un papyrus du IIIe siècle, le P45 ? Puisque l'exégèse
protestante, qui prévaut chez beaucoup, impose la leçon la plus antique et la
plus « gênante », allons-y sans hésiter et acceptons cette leçon
longue de la prière et du jeûne ! Si enfin quelques catholiques
craignent le retour d'un ascétisme forcené, peut-être pourraient-ils remplacer
le mot jeûne par celui qu'utilisa la Vierge à Lourdes le 24 février
1858 : Pénitence !
L'important, en tout cas, est de vivre dans la présence de Dieu, véritable
nourriture « suressentielle » (Mt 6, 11) pour un corps lui aussi à
convertir, à réorienter
vers le Règne qui vient.
N.B. Cette exégèse de Marc 9, 29
figure également dans notre révision du Nouveau Testament Crampon, qui est
revêtue de l'Imprimatur.
Bernard-Marie, ofs, in Questions insolites sur la foi catholique
(Salvator)