LES
ATTITUDES DE L'ÂME DANS LA PRIÈRE
Dans les rapports personnels du
chrétien avec le Père, peuvent apparaître diverses attitudes d'âme, selon les
circonstances, le moment de la journée, le temps liturgique, la situation ou
les goûts particuliers, les événements qui marquent l'existence. La prière se
formera et se nuancera donc différemment suivant qu'elle cherchera à exprimer l'adoration,
la louange, l'action de grâces, le repentir,
la demande, l'offrande.
Repentir
Si la vérité nous demande de reconnaître en premier lieu
la perfection de Dieu et de son amour, elle nous impose d'avouer nos péchés et
imperfections. Aussi la prière comporte-t-elle l'attitude du repentir, et
implore-t-elle le pardon divin.
Ici, la prière du Christ ne pourrait nous servir proprement
de modèle, en raison de la sainteté absolue du Fils de Dieu. Cependant, on
pourrait dire que le Sauveur, par son souci constant de se conformer à la
volonté du Père, nous engage à une grande délicatesse de conscience. Lui qui
avait pour seul désir de rendre gloire au Père, veut promouvoir en nous une
mentalité analogue ; il nous invite par conséquent à regretter vivement
toute infidélité, si ténue soit-elle, et à demander pardon au Père pour toute
offense qui lui a été faite. L'intention dominante de la vie du Christ, celle
de plaire au Père céleste, devient, en se communiquant à nous, promptitude à
regretter tout ce qui lui déplaît. En ce sens, il est vrai que notre repentir
procède du Christ, de l'amour du Père qu'il partage avec nous. S'il est resté
pur tandis que nous sommes pécheurs, c'est lui néanmoins qui nous inspire le
regret de nos fautes, car en nous faisant aimer le Père, il nous apprend à lui
demander pardon pour toute blessure infligée à son amour paternel, pour toute
entrave à notre intimité avec lui.
Dans la prière idéale qu'il a enseignée à ses disciples,
il n'a pas manqué de formuler pour eux cette supplication : Pardonne-nous nos offenses comme
nous-mêmes nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »1. La
demande est sûre d'être exaucée, car le Christ est mort pour nous obtenir le
pardon du Père ; il a mérité d'une manière définitive pour toute
l'humanité la rémission des péchés. Cependant cette rémission, acquise en
principe pour tous, doit encore s'appliquer individuellement à chaque homme.
Aussi chaque chrétien doit-il implorer ce pardon pour lui-même et pour les
autres. Tout en ayant la certitude de le recevoir, il doit avoir l'humilité de
le demander. Le Père veut faire de son pardon une réponse à notre prière.
Cette prière trouve plus spécialement
son expression dans le sacrement de pénitence. Il n'est d'ailleurs pas superflu
de rappeler que le recours à ce sacrement doit s'accompagner d'une demande de
pardon. Contrition et aveu des fautes comportent un retour sur soi-même ;
ce qui est plus important encore pour le pénitent, c'est de diriger vers le
Père céleste cette contrition et cet aveu, en implorant sa miséricordieuse
bonté, en lui présentant les fautes commises pour qu'il les efface. La demande
de pardon ouvre l'âme qui, à la suite de la déception causée par ses péchés,
serait tentée de se replier sur elle-même ; elle la fait regarder vers le
haut.
Cependant, le Christ a manifesté sa
volonté que nous ne limitions pas au sacrement de pénitence l'expression de
notre repentir et nos demandes de pardon. Le Pater est une prière
quotidienne. Chaque jour, le chrétien reprend les mots :
« Pardonne-nous nos offenses ». En effet chaque journée lui apporte
une nouvelle preuve de sa faiblesse ; s'il veut y réfléchir, il la trouve
pleine d'imperfections, Il fait sans cesse l'expérience de son manque de
docilité à la grâce, de ses indélicatesses vis-à-vis des suggestions divines.
Cette conscience de pécheur doit donc
entrer dans la mentalité de sa prière. Le chrétien ne peut s'adresser au Père
céleste comme si sa vie terrestre était irréprochable. Sans un sincère repentir
de ses péchés et de ses imperfections, sa prière ne pourrait être agréée de
Dieu. La reconnaissance de l'indignité personnelle est essentielle au comportement
chrétien.
Dans la parabole du Pharisien et du
publicain, Jésus a mis en scène un homme à qui fait défaut le véritable
repentir, la conscience d'être pécheur. Le sens de l'action de grâces est
faussé chez le Pharisien parce qu'il estime ne pas avoir besoin du pardon
divin ; il remercie Dieu de sa propre conduite comme si elle était
parfaite : « Mon Dieu, je te rends grâces que je ne suis pas comme le
reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères... »2
Une telle prière ne peut plaire à Dieu, alors que l'exclamation du
publicain : « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! »3
se fait écouter favorablement du ciel et lui vaut le pardon.
Ici apparaît le vrai rôle du repentir
dans le contact avec Dieu. Le souvenir des péchés, chez celui qui se repent et
demande pardon, ne met aucun obstacle à l'intimité avec le Père céleste. Au
contraire, ce souvenir est pour lui un stimulant à prier, à recourir à la bonté
du Père. Il favorise le désir de la réconciliation ou de l'union avec lui. De
la part du Père, également, ce repentir suscite un plus vif amour,
l'empressement de la miséricorde heureuse de pardonner, et de la
toute-puissance avide de guérir toutes les plaies. Loin de provoquer un
malaise, l'aveu des fautes et des
imperfections détermine un rapprochement, une fusion plus ardente dans l'amour.
La parabole de l'enfant prodigue suffirait à le montrer. Le Père réussit à
utiliser même le péché pour renforcer la confiance et l'affection filiale de
ses enfants, pour se les attacher plus profondément.
Il n'y a donc aucun désaccord entre une prière remplie de
louange et d'action de grâces, et une autre où s'exprime le repentir. Les deux
genres de prière s'enracinent dans l'amour filial. La demande de pardon est
même une sorte de louange, car elle fait honneur à la miséricorde du Père et
proclame sa bonté. Elle aboutit à l'action de grâces, au merci qui suit
l'octroi du pardon ; en effet le chrétien ne peut se dispenser de
remercier le Père dès qu'il se sait pardonné par lui, et il le fera d'autant
plus vivement que plus profonde était la conscience de son indignité.
Si on en comprend bien le sens filial, le repentir n'a pas
d'effet déprimant ; il contribue à l'élan de la prière. Il provoque un
recours plus humble mais aussi plus éperdu à l'amour divin. En se souvenant de
ses fautes, le chrétien est heureux d'en recevoir le pardon, heureux d'être
demeuré un fils pour le Père céleste et même d'accroître son amour filial à la
suite de ses faiblesses.
L'élargissement qui se produit dans l'âme par la demande
de pardon, le Christ a voulu le rendre plus complet en soulignant l'importance
du climat de charité. Il invite ses disciples à un plus grand amour du
prochain : « Pardonne-nous nos offenses comme nous-mêmes nous pardonnons
à ceux qui nous ont offensés ». Il lie la sincérité de la demande de
pardon à la sincérité de notre pardon à nous. Pour pouvoir obtenir la
miséricorde divine, le chrétien doit faire tomber les limites et les
restrictions où il aurait désiré enfermer sa charité. Réciter le Pater, c'est
s'obliger à pardonner tous les torts comme nous souhaitons que le Père céleste
nous pardonne les nôtres. Le chrétien ne peut s'approprier cette prière qu'avec
un cœur grand ouvert, avec un amour décidé à la plus magnanime générosité.
Nous y trouvons la confirmation que selon l'intention du
Christ le souvenir de nos fautes doit aboutir à la dilatation de l'âme, à
l'épanouissement de l'amour. La supplication pour obtenir la rémission des
péchés est destinée à fortifier l'intimité filiale avec le Père, en même temps
que l'entente fraternelle avec le prochain.
Jean Galot, sj, in La Prière, intimité filiale (DDB 1965)
1. Mt,
VI,12.
2. Lc, XVIII, 11.
3. Lc, XVIII, 13.