Ce
qui nous fait avancer, c'est avant tout le désir de rendre grâce à Dieu et de Le
louer car, après tout, « Sa miséricorde s'étend
d'âge en âge sur ceux qui Le craignent » (Lc
1, 50). Nous nous sentons aussi appelés à la conversion, poussés à demander et
recevoir le pardon de Dieu et heureux de renouveler notre foi, notre espérance
en Ses promesses 1.
À l'école de la Vierge
Marie, c'est par l'action de grâce, l'adoration et la louange que nous faisons
mémoire de la miséricorde du Dieu qui nous soutient. Et l'espérance fondée sur
Lui nous dispose à livrer le bon combat de la foi et de l'Amour, pour le peuple
qui nous est confié.
Au commencement de ces Exercices
spirituels, afin que nous soyons prêts à recevoir le don de l'espérance, il
me faut beaucoup insister sur la prière au Saint-Esprit. Lui sait graver et
imprimer dans nos cœurs tout ce qui est bon.
Cette espérance spirituelle
est beaucoup plus que de l'optimisme. Elle n'est pas tapageuse, elle ne craint
pas le silence. Au contraire, elle s'enfouit en nous comme la sève dans les
racines en hiver. L'espérance est certaine, c'est le Père de la vérité qui nous
la donne. Elle fait la différence entre le bien et le mal. Elle ne voue pas un
culte à la réussite : elle ne verse pas dans l'optimisme ; ni ne se complaît
dans l'échec : elle n'est pas pessimiste. Puisque l'espérance distingue le
bien du mal, elle est appelée au combat ; et elle lutte sans anxiété ni
illusion, avec l'assurance de celui qui sait qu'il poursuit un objectif
certain, ainsi qu'il est dit dans la Bible : « Nous devons rejeter
tout fardeau et le péché qui nous assiège, et courir avec constance l'épreuve
qui nous est proposée » (He
12, 1). C'est précisément ainsi que nous allons commencer ces Exercices
spirituels : en demandant la grâce d'une espérance combative.
Le Magnificat contre la
désespérance
Puisque
la combativité de notre espérance s'exprime d'abord en un travail de
discernement, il va nous falloir regarder en face les attitudes de désespérance
qui, parfois, viennent se nicher jusqu'au cœur des institutions auxquelles nous
appartenons. Ces attitudes de désespérance progressent en empruntant les mêmes
échelons que ceux qui conduisent à se placer sous « l'étendard de l'ennemi
de la nature humaine » et font advenir l'Anti-Règne 2 :
elles commencent par un simple manque de modestie, puis passent par la vanité
et elles finissent par atteindre à l'orgueil (Exercices Spirituels, 142).
Le
Magnificat se chante dans la pauvreté
« Le Seigneur renvoie
les riches les mains vides ». Très souvent, notre manque d'espérance est le signe de nos
richesses dissimulées, de notre éloignement de la pauvreté évangélique.
Ainsi, devant la pénurie de
vocations, nous faisons parfois des diagnostics de riches : riches du
savoir des sciences anthropologiques modernes qui, avec leur masque de
suffisance absolue, nous éloignent de l'humble prière de supplication et de
demande au Maître de la moisson.
De même, devant l'ampleur
et la complexité des problèmes que pose à l'Église le monde actuel, nous
cherchons à déguiser en richesse la pauvreté des solutions qui sont à notre
disposition.
Et l'on pourrait continuer
l'énumération.
Il
serait bon que pendant cette retraite nous soumettions à la prière ces signes
de notre attachement à la richesse, afin que le Seigneur veuille bien nous
dépouiller de
ces attitudes désespérantes d'être riches, et qu'Il nous rappelle que
l'espérance du Royaume ne saurait faire l'économie des douleurs de
l'enfantement.
Le
Magnificat se chante dans la petitesse
et l'humiliation
Sur une terre qui n'a pas
été labourée par la douleur, le fruit est condamné à l'insignifiance (Lc 8,
13). Les vanités qui nous assaillent sont nombreuses mais la plus vaine et la
plus commune chez les évêques et les prêtres est paradoxalement le défaitisme.
Le défaitisme est une forme de vanité parce qu'en étant défaitiste, on se
positionne en tant que Général en chef, mais d'une armée vaincue ! Au lieu
d'accepter d'être le simple soldat d'un escadron qui, bien que décimé, continue
à lutter. Combien de fois, nous évêques, faisons-nous ces rêves expansionnistes
propres aux généraux vaincus ! En l'occurrence, nous renions l'histoire de
notre Église qui est une histoire glorieuse car elle est faite de sacrifices,
d'espoirs et de combat quotidien. La foi de nos pères s'est construite sur des
ressources humaines bien précaires, mais au lieu d'en être découragés, ils en
étaient vivifiés. Parce que leur espérance était plus forte que toute
adversité.
Le Magnificat se chante
dans l'humilité
Comme nous venons de le
dire, l'orgueil nous a conduits parfois à dénigrer les humbles moyens de
l'Évangile. Il y a un paragraphe des Constitutions de la Compagnie de
Jésus qui s'applique parfaitement à l'Église d'aujourd'hui. Saint Ignace
dit :
La
Compagnie [ou l'Église] qui n'a pas été fondée sur des moyens humains, ne peut
ni se conserver ni se développer par eux, mais par la main toute-puissante du
Christ, notre Dieu et Seigneur. Il faut
mettre en Lui seul L'ESPÉRANCE qu'Il conservera et fera
avancer ce qu'Il a daigné commencer pour Son service et Sa louange et pour
l'aide des âmes (Const., 812).
Si le Seigneur nous accorde
la possibilité de vivre ce que nous demande saint Ignace, nous aurons atteint
l'humilité de nous considérer comme des intendants fidèles, et non pas comme le
Maître de maison. Nous serons des humbles serviteurs, à l'image de la Sainte
Vierge Marie, et non pas des princes. Cette humilité se nourrit de l'opprobre
et du mépris et non de la flatterie et de l'auto-complaisance.
Voyez l'exemple évangélique
des vierges sages (Mt 25, 1-13). Il me semble que cette parabole dispense un
enseignement primordial pour l'Église. Vous vous rappelez que les vierges sages
refusaient de partager l'huile de leur lampe. Une lecture rapide et primaire
nous porterait à condamner leur mesquinerie et leur égoïsme. Une lecture plus
approfondie nous montre pourtant la grandeur de leur attitude. Elles n'ont pas
partagé ce qui ne peut être partagé... Elles n'ont pas risqué ce qui ne
doit pas être risqué : la rencontre avec leur Seigneur et la rétribution
de cette rencontre. Peut-être que, dans l'Église même, nous deviendrons objets
d'opprobre et de mépris si, pour suivre le Seigneur, nous renonçons à « essayer
les bœufs » ou à « acheter un champ » (Lc 14, 18-20). À
la suite de notre Seigneur, cependant, notre humilité épousera la pauvreté,
puisqu'elle sera alors très proche de connaître « cela
seul qui compte ».
Avec le regard de Marie
Le regard de Marie dans le Magnificat
peut nous aider à contempler ce Seigneur toujours plus grand. La dynamique
du « davantage »
(magis) inspire le rythme du Magnificat
qui est l'hymne que l'humilité chante à la grandeur.
Cette grandeur du Seigneur,
contemplée à travers les yeux purs de Marie, purifie notre regard, purifie
notre mémoire dans ces deux mouvements : celui du « souvenir »
et celui du « désir ».
Le regard de la Sainte
Vierge est combatif dans l'ordre du « souvenir » : rien
n'assombrit ni ne souille le passé, les merveilles que le Seigneur a faites.
Il la regarda avec bonté dans son humilité et cet amour premier
devient le fondement de toute sa vie. La mémoire de Marie est aussi une mémoire
qui rend grâce.
Nous
regardons avec elle nos « commencements » et nous demandons la grâce
d'y découvrir comment le Seigneur nous a aimés le
premier (en ceci consiste l'amour, comme le dit saint Jean).
À
la lumière du Christ, Image du Dieu invisible, Premier-né
de toute créature, [qui] est
avant toutes choses et tout subsiste en lui (Col 1, 15-17), nous
faisons mémoire de nos « débuts » :
—
notre commencement en Dieu,
—
le commencement de notre vie chrétienne,
—
le commencement de notre vocation,
—
le commencement de notre vie sacerdotale et épiscopale ...
En
chantant le cantique du Magnificat, nous
sentons le regard fortifiant et fondateur du Seigneur posé sur ces commencements
de notre vie. Et nous prions pour que le regard de Marie fortifie notre propre
regard et qu'en lui nous osions soutenir le regard du Seigneur.
Jorge Mario Bergoglio,
in Amour, Service & Humilité (Magnificat)
retraite prêchée en 2006 auprès des évêques d’Espagne
in Amour, Service & Humilité (Magnificat)
retraite prêchée en 2006 auprès des évêques d’Espagne
1. La
fidelidad de Dios dura siempre. Mirada de fe al siglo XX, Madrid, 26 novembre 1999.
2. L'auteur,
en employant ici l'expression « Anti-Règne », fait allusion à sa
manière à la méditation des deux étendards proposée par saint Ignace de Loyola
dans les Exercices spirituels. Dans le texte ignatien, il n'est pas
question de « Royaume » et d'« Anti-Royaume », mais de
« l'étendard de Jésus Christ, notre excellent commandant en chef, et de
celui de Lucifer, le plus mortel ennemi des hommes ». Nous citons donc ici
les mots employés par saint Ignace dans le numéro des Exercices auquel
se réfère précisément Jorge Mario Bergoglio. [NdE]