Considérez
et voyez s’il est douleur pareille à la mienne (Jérémie 1,12)
Chaque année, le temps de la Passion
nous fait revivre les derniers jours de vie de Jésus, sa passion et sa mort,
avec un crescendo de tension qui arrive à son paroxysme lors de ce cri
mystérieux lancé par Jésus à la face du monde en mourant ; cri qui a fendu
la roche, ébranlé la terre et ému l’univers. Mais touche-t-il notre cœur ?...
Nous accompagnerons Jésus pendant
toutes les étapes de sa Passion. Le Jeudi Saint, en se donnant lui-même tout
entier en nourriture à chacun de nous, son Cœur Sacré nous parlera avec des
accents si sublimes que rien de semblable n’a jamais été entendu par une oreille
humaine. Le Vendredi Saint a le goût de poussière et de sang, mêlé à la fureur
de la populace. Seul le silence atroce et digne de la Vierge Marie semble
rompre le tumulte assourdissant autour de Jésus. « Tout est consommé » : Jésus exhale, son âme, inclinant
doucement la tête (imaginons le doux visage de Jésus crucifié de Velasquez)
vers Celle qu’Il a aimé plus qu’aucune autre créature, sa Mère, vers Saint
Jean, le disciple préféré, et vers l’humanité tout entière. Le Samedi Saint,
c’est le calme après la tempête, prélude au « Soleil de justice » qui se lèvera et éclairera toutes
choses de sa gloire, mystère pascal qui renouvelle à tout instant le monde et
l’accorde à l’éternelle jeunesse de Dieu. C’est comme l’aube d’un nouveau jour
qui n’a pas de fin, frais comme le premier matin du monde. Pour tous ceux qui
aiment Jésus, il s’agira de revivre la Passion, et de faire nôtres les sentiments
qui furent ceux du Christ, comme le dit Saint Paul.
Pour moi, prêtre de Jésus Christ, je
ressens cela dans ma chair. Oui, je vois Jésus présent devant moi, haletant,
courbé sous le poids de la Croix, poids de mes péchés. Je vois son visage,
ensanglanté, défiguré par la souffrance, qui se tourne vers moi ; son
regard m’interroge, me parle… Plus que jamais, je ressens cette « parenté »
de sang qui me lie en tant que prêtre à Jésus.
Mais nous tous, n’avons-nous pas été
baptisés dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui à la vie de la Grâce ?
On peut presque dire que dans nos veines coule son sang… Il ne s’agit pas
d’avoir une espèce de complaisance morbide des souffrances du Christ, mais de
lui exprimer tout notre amour et toute notre compassion, en réponse à son
immense compassion pour nos infirmités. Vouloir « conceptualiser »
froidement la Passion du Christ parce que nous sommes désormais dans la joie de
sa Résurrection, serait faux. Car c’est par ses souffrances et sa mort que nous
avons été sauvés et c’est par sa Résurrection que nous avons été introduits
dans son Règne. Passion et Résurrection ne peuvent aller l’une sans l’autre.
Les saints, avaient une perception aiguë
de la Passion : livre dans lequel, disaient-ils, on peut lire tout l’amour
que Dieu nous a porté. Certains l’ont même vécue dans leur chair, comme Saint
François, Sainte Catherine de Sienne, Sainte Gemma ou Saint Padre Pio. Si l’amour
se manifeste par des sentiments, alors comment rester insensibles au plus « Grand
Amour » qui nous a jamais aimé ?
Voilà pourquoi je vous invite à
participer aux offices du Triduum Sacré, pour manifester à Jésus toute
notre affection et reconnaissance. Non, ce n’est pas du « sentimentalisme »,
mais une palette de sentiments mêlant la compassion et la tristesse à la
sérénité et à l’action de grâces, en restant unis à Jésus et à Marie, pour
plonger dans le mystère ineffable de la Rédemption. « Car, la Création toute entière gémit dans les douleurs de l’enfantement
et le chrétien attend impatiemment la transformation définitive de son corps de
misère en corps de gloire, tout en possédant déjà les arrhes de son état futur
(Rm 8 et II Cr 5,5) ». À l’approche du Vendredi-Saint, mon cœur est effaré
par la nudité de la Croix, par les tabernacles vides, mais je tressaille déjà à
l’annonce de la Résurrection du Christ : « Non est hic »,
il n’est pas ici, nous dit l’ange. Non, il ne nous précède plus en Galilée, il
nous attend au Ciel !
Toi, qui ne meurs jamais, empêche-moi
de mourir.
Toi, qui nais tous les jours,
fais-moi renaître.
Don
Carlo Cecchin