Emprises du Saint Esprit,
angoisses et ébranlements
La pratique active de la foi et de
l'espérance
Nous, avons vu que la fidélité au Saint-Esprit
implique une fidélité non seulement à l'esprit de Dieu, mais beaucoup plus à l'Esprit
Saint en personne, et cela va beaucoup plus loin.
Cette fidélité au Saint-Esprit en personne ne demande
pas seulement une fidélité au plan de l'amour : c'est-à-dire essayer d'être
tout à sa disposition, tout réceptifs, tout ouverts, tout accueillants... Il ne
faut jamais oublier que l'amour surnaturel se développe toujours dans la foi et
dans l'espérance. Il existe bien un amour naturel, qui reste indéterminé en
nous et que mettent très en lumière les mystiques naturelles ; mais Jésus,
en venant donner à son Église une mystique surnaturelle — celle qui est prêchée
par saint Paul — nous a fait comprendre qu'il y a un triple don de l'Esprit
Saint sur la terre : un don d'amour, mais aussi un don de foi et un don
d'espérance qui assurent la surnaturalité de cet amour.
Par exemple, si nous ne croyons pas aux trois
Personnes divines, nous ne pouvons pas nous laisser emporter par le Saint-Esprit
de telle manière qu'Il nous tire du milieu naturel dans lequel nous sommes pour
nous plonger dans le sein du Père. Nous n'avons vraiment de sécurité qu'en
connaissant le mystère de la très Sainte Trinité. Autrement, comme nous avons
toujours besoin de signes, nous restons sans nous en rendre compte au plan
naturel, au plan des forces de la nature — des forces peut-être très pures,
très éthérées, mais qui restent encore des choses créées.
Il est donc très important de voir que la fidélité au
Saint-Esprit n'implique pas simplement une certaine attitude passive, comme s'il
suffisait d'être ouvert et disponible. La fidélité au Saint-Esprit — le mot même
de fidélité le montre — exige aussi que nous ayons une attitude de foi, et la
foi n'est pas une vertu purement passive. La foi demande une adhésion de notre
part, elle nous demande de rester fermes dans les moments où Dieu nous éprouve
pour nous approfondir, dans les moments où Il se cache pour nous faire pénétrer
encore plus profondément dans son mystère.
De temps en temps il arrive que nous nous trouvions
avec des sentiments vagues : nous ne savons pas très bien s'il s'agit
d'une emprise qui vient de Dieu, ou simplement d'un petit malaise physique. Il
est très bon alors de faire des petites invocations toutes simples mais qui
sont une expression de notre foi, et qui peuvent écarter le démon s'il y est
pour quelque chose, et en tout cas montrer notre bonne volonté à Dieu, au lieu
de rester dans cet état vague qui n'est pas bon. Quelquefois nous pouvons nous
réveiller la nuit après un cauchemar ou un malaise, et nous ne nous sentons pas
très bien. À ce moment-là, si on ne peut pas tellement s'unir au bon Dieu, il
faut avoir le courage de se lever, de se mettre à genoux au pied de son lit, de
prendre une attitude de foi pour se remettre dans la présence de Dieu et
chasser tout ce qu'il y a de vague et d'indéterminé dans un tel état.
La fidélité au Saint-Esprit demande donc la fidélité
de l'amour qui est impliquée par la vie mystique et par la vie spirituelle comme
telle, mais elle demande aussi la fermeté de la foi, et plus encore la fermeté
de l'espérance.
L'espérance est une vertu active, ce n'est pas une
vertu passive. L'espérance nous fait tenir. Mais pour tenir dans la difficulté,
il faut être encore plus actif que pour attaquer. Déjà les anciens disaient qu'une
guerre défensive demande beaucoup plus de courage qu'une guerre offensive, où
l'on a le bénéfice de l'attaque. On sent beaucoup plus de courage,
naturellement, quand on monte à l'attaque, quand on prend l'initiative
soi-même, parce qu'on met en œuvre toute son agressivité. Tandis qu'il faut
beaucoup plus de force pour tenir en attendant qu'un secours arrive, quand on a
l'impression que l'adversaire est plus fort que vous. Et c'est continuellement
ce que nous demande le bon Dieu !
Il faut bien voir que la fidélité au Saint-Esprit
prend la forme des trois vertus théologales en nous. Si nous voulons avoir une
vie intérieure équilibrée, il faut nous rendre compte que jamais un amour
surnaturel ne peut subsister sans la foi et sans l'espérance. Tant que nous
serons sur la terre, notre vie intérieure demandera toujours, à côté des
moments où ce sont les effets de l'amour qui dominent, des moments de foi et
d'espérance. Au point de vue pratique, à ces moments-là, Dieu peut nous
demander des prières vocales, qui ne sont pas du tout incompatibles avec
l'union intérieure ; parfois Dieu pourra nous demander aussi des actes de
vertu. Les grands moyens surnaturels que Dieu nous a donnés pour l'espérance,
nous l'avons vu, sont les sacrements ; et les moyens naturels — mais qui
ne sont pas supprimés par le surnaturel — c'est toute l'armature des vertus en
nous, qui font que notre volonté s'oriente vers Dieu.
Rappelez-vous l'enseignement de saint Jean de la
Croix, qui est très sévère pour tout ce qui est science, pour tout ce qui est
art, montrant que Dieu nous demande le détachement complet par rapport à tout
cela si nous voulons vraiment être unis à lui. Mais il dit d'autre part que
jamais il ne nous faudra sacrifier le domaine de la vertu. Jamais Dieu ne nous
demandera d'abandonner un point de vue de justice ou d'obéissance. Il nous
demandera peut-être de nous retirer du monde, de devenir tout à fait pauvres,
et d'avoir par là moins à exercer la justice, mais Il ne nous demandera jamais
de nous en moquer. Il nous demandera toujours au contraire une intention de
justice de plus en plus prononcée en nous. C'est d'ailleurs un critère :
quelqu'un qui progresse vraiment surnaturellement fait beaucoup plus attention
à la justice, il cherche par exemple à être tout à fait vrai dans ses paroles.
Dieu ne nous pousse pas du tout à une sorte d'attitude
nonchalante où l'on ne se surveillerait pas, où l'on dirait n'importe quoi. Au
contraire plus le Saint-Esprit est là, plus Il nous donne le souci que les
trois vertus théologales soient de plus en plus parfaites en nous. Cela exige
de nous la pratique des sacrements, parce que nous sommes de pauvres pécheurs
et que nous sentirons toujours le besoin de demander le pardon de Jésus, le
Corps même de Jésus, pour que Lui-même supplée à tout ce qu'il y a
d'imperfections en nous ; mais en même temps, cela exige aussi toujours un
effort dans la pratique des vertus. Pourquoi tous les saints recommandent-ils
la vie commune ? C'est toujours pour l'ascèse, c'est toujours pour la pratique
de la vertu, et non pas d'abord pour que nous ayons un peu plus
d'épanouissement humain. Nous avons toujours besoin de la vie commune pour
assurer l'exercice des vertus et pour pratiquer ce grand commandement qui
résume tous les autres : « Aimez-vous les uns les autres » (Jn
13,34). Il est sûr que dans la vie commune, la pratique effective de la charité
fraternelle nous oblige à pratiquer toutes les vertus.
La mort du moi
Le domaine où Dieu nous demande surtout de nous
purifier, c'est tout ce monde intérieur qui est en nous, ce monde de l'apparaître.
Il nous demande vraiment la mort de notre "moi". Et à notre époque,
c'est très difficile, parce que l'existentialisme et tout un esprit de la
philosophie et de la littérature contemporaines, dont nous vivons tous plus ou
moins, nous font sans cesse chercher un certain sens de notre existence dans ce
qui nous apparaît au plan de notre conscience. Nous avons toujours besoin,
comme nous disons, d'être "bien dans notre peau" ou nous avons
toujours un certain souci subjectif pour voir si nous sommes bien "en
situation", si nous sommes "présents" au monde, aux choses, aux
autres, à nous-même... Ces attitudes se ramènent toutes, au fond, au point de
vue de l'apparaître.
Or il est certain que pour être uni à Dieu intimement,
pour que ce soit l'Esprit Saint en personne qui nous conduise, et pour que nous
ne vivions plus simplement d'après le milieu dans lequel nous sommes, cela
demande un équilibre tout à fait différent. Il y a une brisure du moi qui est
évidemment nécessaire, c'est pourquoi il y a toujours une épreuve, et une
épreuve très radicale, pour tous ceux que Dieu veut faire entrer vraiment dans
une vie intérieure avec lui. Cette épreuve peut venir plus ou moins tôt, elle
peut impliquer plusieurs étapes, mais c'est toujours cette épreuve très
profonde qui implique la brisure du moi.
Première étape : l'harmonie
Il est très important de voir qu'il y a presque
toujours deux étapes dans notre vie surnaturelle, quand c'est une vie
surnaturelle vraiment intérieure.
Il y a les premières grâces, où Dieu donne sa
présence, dans la joie et dans la paix. Ce sont les grâces de lumière. Ce qui
est très significatif de ces grâces, c'est que nous disons spontanément à tout propos :
« La vie est belle », « C'est merveilleux ». Je ne dis pas
du tout que cette attitude ne soit pas profonde, je crois en fait qu'il faut
connaître cet état-là pour que Dieu puisse nous purifier plus profondément
encore. Ceux qui ont lu un peu saint Thomas d'Aquin trouvent cette résonance de
joie dans ses premiers écrits, par exemple dans le Contra gentiles : cette
joie extrême de saint Thomas de sentir l'harmonie de la grâce et de la nature,
joie de sentir que son esprit est tout à fait en harmonie avec sa foi.
On trouve le même écho chez saint François d'Assise,
dans son cantique du soleil et de toutes les créatures : saint François,
ayant fait tous les détachements qu'implique la pauvreté, découvre comme une
poésie nouvelle dans son âme, mais une poésie qui exprime l'harmonie entre le
monde intérieur où nous vivons avec Dieu et les réalités extérieures.
L'harmonie qui vient de la lumière naturelle, l'harmonie qui vient de la vie
telle que Dieu l'a voulue, l'harmonie qui nous donne un sens de la nature tout
nouveau, où l'on voit que la nature vient vraiment de Dieu, l'harmonie qui nous
fait sentir comme une espèce de fraternité avec tout ce qui entoure...
Ce sens de l'harmonie de la grâce et de la nature,
cette joie sont des grâces authentiques de Dieu. Et je dirais même que ce sont
des grâces tout à fait nécessaires, dans la mesure où elles peuvent nous purifier
de certaines angoisses naturelles, de tout ce qu'il peut y avoir de malsain en
nous, de notre tendance à être trop retournés sur nous-mêmes. C'est dans ce
sens-là que la Sainte Vierge aime nous épanouir dans les mystères joyeux, quand
nous nous mettons à son école par le Rosaire. De même la Sainte Vierge aime
nous faire saisir ce qu'il peut y avoir de si beau dans les cérémonies liturgiques
de l'Église, elle aime nous donner le sens de la fête, en tant que c'est une
célébration de Dieu sur la terre. C'est la même chose pour le chant, la musique :
bien souvent Dieu s'en sert pour nous donner des grâces très fortes de paix, de
présence, avec en même temps toute une harmonie.
Presque toutes les vies intérieures commencent un peu
comme cela — au moins normalement, car il y a toujours beaucoup d'exceptions,
surtout à notre époque.
Deuxième étape : la croix
Mais ensuite, il y a nécessairement des moments d'épreuve,
avant que Dieu puisse se donner à nous dans une plénitude beaucoup plus grande.
Dans ces premières grâces de paix, on ne peut pas dire qu'il y ait une
connaissance de l'Esprit Saint en personne. C'est beaucoup plus l'esprit de
Dieu, l'esprit de Dieu dans la lumière, dans la vie, mais ce n'est pas encore
la personne de l'Esprit Saint. Cette connaissance de la personne de l'Esprit
Saint ne peut être donnée dans des grâces de quiétude, mais seulement dans des
grâces d'union : il faut que le Saint-Esprit nous retire du milieu dans
lequel nous sommes — avant, c'était au contraire l'harmonie avec le milieu —
pour nous faire entrer dans le sein du Père.
Cela nous fait comprendre pourquoi dès le début de
l'Ancien Testament, dans le livre de l'Exode, il est toujours question de partir,
de quitter la maison de son père, de quitter son pays, d'être des pèlerins, de
ne pas s'installer. Dieu veut nous faire découvrir qu'il faut dépasser ces
grâces de quiétude qui nous font dire : « Comme c'est bon ! »,
qui nous font vivre un petit peu Noël sans la Croix. Ces grâces de quiétude
nous font dire : « C'est Noël, Dieu est venu visiter la terre. C'est
si bon quand Jésus est avec nous ! », et on n'a plus tellement le
désir de quitter la terre, puisque Jésus est avec nous ! Mais il ne faut
pas oublier que le mystère de Noël n'est qu'un commencement. C'est la Croix qui
va être le sommet de la vie de Notre Seigneur, et c'est là le message tout
nouveau qu'apporte Jésus.
Quand on regarde l'Évangile, on s'aperçoit que les
apôtres avaient admis assez vite que Jésus était le Messie, « le Fils du
Dieu vivant », qu'Il était leur Maître, le bon Pasteur ; mais comme
ils ont eu des difficultés à admettre que c'était par la Croix que tout cela allait
se réaliser ! Et au fond, nous-mêmes, nous ne pouvons jamais nous habituer
à la Croix... Et pourtant, pour que Dieu puisse se donner à nous dans des
grâces de résurrection, pour qu'Il puisse vraiment tout prendre en nous, il
faut nécessairement une mort de notre moi.
Il est très rare que cette brisure du moi ait lieu au
tout début de notre vie surnaturelle. Ce qui fait confusion, c'est que la
plupart du temps, quand Dieu se donne à nous au début, Il endort notre moi par
sa présence — mais Il ne le brise pas — Il endort notre agressivité, Il endort
un peu tous nos défauts, Il met en veilleuse tous les instincts inférieurs qui
sont en nous, notre moi agressif ou dépressif. Plus tard, quand Il veut nous
purifier, Il laisse se réveiller tous ces défauts, qui réapparaissent
quelquefois avec encore plus de vigueur qu'avant que nous nous soyons donnés à
Jésus, à cause du démon qui les attise, et puis avec cette sorte d'angoisse
beaucoup plus forte qui vient du fait que nous sommes plus tiraillés.
Le déséquilibre consiste à se sentir tiraillé. Il y a
beaucoup de personnes qui ne veulent pas s'engager à fond dans la vie surnaturelle,
dans l'amour de Dieu, de peur de perdre une certaine tranquillité. Combien de
fois entend-on, même d'un simple point de vue humain, ce genre de réflexion :
« J'ai aimé plusieurs fois dans ma vie et j'ai été trop déçu, je ne veux
plus recommencer ! »
Ces personnes qui, pour garder une certaine
tranquillité de vie, ne veulent plus aimer vraiment... Au plan divin, cette
tentation risque d'être d'autant plus forte que Dieu nous prend infiniment plus
profondément. Saint Jean de la Croix le décrit admirablement dans le Cantique
spirituel : souvent le Bien-Aimé, après nous avoir pris très fort, après
nous avoir fait tout quitter pour le suivre, se cache. Si nous restons au plan
de l'apparaître, nous disons : « Dieu ne m'aime plus ! », « Dieu
m'a abandonné ! », parce que nous ne sentons plus les effets de son
amour. Mais c'est justement pour que nous l'aimions d'une façon plus
désintéressée, par la foi et par l'espérance. Si à ce moment-là Dieu laisse en
même temps tous nos défauts, nos vieilles difficultés, tout le vieil homme se
réveiller en nous, la difficulté est d'autant plus grande et l'équilibre plus difficile.
Il y a très peu de gens à notre époque qui sont tout à
fait équilibrés. Il peut nous arriver à chacun d'avoir des défauts naturels,
n'importe quel petit ou grand handicap, que ce soit un handicap physique, ou au
plan nerveux, ou psychologique, etc. Et puis on est déséquilibré par le milieu
dans lequel on se trouve : on peut être soi-même très équilibré, mais
étant continuellement en contact avec d'autres qui ne le sont pas, cela influe
nécessairement, et nous risquons d'avoir souvent en nous des troubles très
forts. Ce qui est très consolant dans le christianisme, c'est qu'il n'y a pas
que les grâces de quiétude, il n'y a pas que ces grâces de présence de Dieu
dans la joie, il n'y a pas que le mystère de Noël. Il y a tous les mystères
douloureux. C'est cela qui est tout à fait nouveau dans le christianisme, et
que Jésus est venu faire connaître surtout à Marie. Elle nous le fait découvrir
quand nous nous mettons à son école : Jésus s'est incarné non pas d'abord
pour partager la joie de ceux qui étaient sur la terre, ni pour chanter la
gloire de son Père — les prophètes suffisaient pour cela. Jésus est venu avant
tout sur la terre pour les pécheurs, pour ceux qui souffrent.
Notre misère... Jésus Sauveur
Moïse sera un peu cette image de Jésus comme Sauveur.
C'est très sensible : qu'est-ce qui suscite la vocation de Moïse ? Ce
n'est pas même la pauvreté, mais c'est l'oppression que connaît son peuple. Dieu
a vu la misère de son peuple : c'est la misère du peuple qui attire la
miséricorde de Dieu. Il y a une très grande différence entre la pauvreté et la
misère. La pauvreté c'est une privation, mais il suffit d'un rayon de lumière
dans l'instant présent pour que souvent cette pauvreté soit bienheureuse.
Les saints découvrent tous cet aspect, mais même au
simple point de vue humain, les philosophes, les artistes aiment et recherchent
une certaine pauvreté, parce qu'elle est positive. La misère, c'est tout à fait
autre chose. Le plus souvent, la misère nous apparaît venir à la fois de
contingences indépendantes de notre volonté, des circonstances extérieures :
nous nous sentons brimés dans notre liberté, et en même temps nous avons
toujours un peu l'impression qu'il y a une culpabilité de notre part.
Il y a ces deux aspects contradictoires dans la
misère. C'est ce qui fait que si souvent nous ne comprenons pas les gens qui
sont dans la misère, parce qu'ils nous apparaissent pleins de contradictions. Dans
la même conversation, ils vous diront : « C'est injuste, on me laisse
tomber, tout le monde m'abandonne ». Mais quand ils se sentiront plus en
confiance, ils ajouteront : « Et puis c'est de ma faute ». La
plupart du temps, c'est ce qu'il y a de particulier dans les angoisses humaines :
on a l'impression à la fois que c'est de sa faute et qu'on n'y peut rien, parce
que cela vient de l'extérieur. Les deux sont vrais.
Quand un malheur nous arrive — à nous-même ou à
quelqu'un qui nous est proche — mais que nous n'y sommes absolument pour rien,
c'est relativement facile à supporter, beaucoup plus que lorsqu'on sent qu'il y
a eu une imprudence, ou même une faute de notre part. Quand on est un peu
coupable, on n'a même pas la consolation de se dire que l'on est innocent, et
c'est très dur quelquefois de sentir nos culpabilités, nos complicités avec le
mal. Il est très bon alors de voir que Jésus par sa Croix vient nous secourir
aussi dans notre misère de pécheur. Jésus ne fait pas tellement la distinction,
et je pense que, dans notre vie intérieure, il ne faut pas trop la faire, mais
profiter des deux pour une attitude d'humilité et de pénitence.
Humilité et pénitence
Nous avons parlé tout à l'heure du détachement, de la
mort de notre moi qui est nécessaire si nous voulons laisser Dieu nous prendre
pleinement. Il est sûr que c'est la vertu d'humilité qui nous fait le plus
disparaître à nous-même, mais il faut ajouter tout de suite à l'humilité la
pénitence. Je prends ce mot dans son sens théologique. Le mot pénitence, nous
le comprenons souvent très mal. La pénitence, ce n'est pas « faire des
pénitences », ce n'est pas faire des austérités, ce n'est pas jeûner.
C'est une vertu intérieure qui fait que nous nous détachons, que nous voudrions
nous détacher de tout ce qui nous empêche d'aller à Dieu. C'est le fait de
détester le mal qui est en nous, le mal essentiel qui est le péché, et tout ce qui
est en liaison intime avec le péché. C'est pourquoi la pénitence est la grande
vertu qui nous purifie.
Quand on se place à ce plan, on considère bien sûr les
péchés en tant que péchés pleinement volontaires, mais aussi tout ce qui nous empêche
d'être à Dieu : toutes ces fautes dont nous ne savons même pas trop si
elles sont pleinement volontaires, toutes ces petites complicités avec le mal
qui ont toujours un petit lien dans notre volonté, toutes nos fautes un peu
acceptées, auxquelles nous restons attachés et qui tiennent trop de place dans
notre vie. Cet attachement intérieur à « tout ce qui nous empêche d'être à
Dieu » se présente particulièrement sous la forme d'une certaine
tristesse. Je vous l'ai souvent dit, il nous est beaucoup plus difficile de nous
détacher de nos tristesses que de nos joies. Si facilement nous prenons un
masque de tristesse, et au fond nous y sommes attachés comme à l'unique
richesse qui nous reste, l'unique moyen d'attirer en quelque sorte la
compassion des autres sur nous, alors que Jésus attend pour nous aider que nous
nous en détachions, que nous ne cherchions plus de soutien de ce côté-là, mais
de Son côté ! Cela exige une attitude à la fois d'humilité et de pénitence
très poussée.
Une fois qu'on a vu que ces deux vertus sont
intimement liées, concrètement on sent très bien que Dieu nous demande avant
tout d'avoir confiance en Lui. Nous savons qu'Il est le Sauveur dans les deux
sens. Il peut nous sauver au plan de nos maladies comme au plan de nos péchés.
Alors il faut avoir la simplicité qu'on voit dans l'Évangile, de venir à Lui
comme à un Sauveur. On sait qu'on est misérable et malheureux ; on ne
cherche pas trop à savoir quelle en est l'origine. Mais on sait que Lui seul
peut nous sauver, et on veut le Lui demander très fort.
Les emprises du Saint-Esprit
Il y a une manière toute
particulière dont le Saint-Esprit en personne se donne à nous : ce sont
ces emprises dont je vous ai déjà parlé.
Je vous rappelle encore une fois les trois manières
dont le Saint-Esprit se donne à nous. Il se donne à nous par des inspirations, à bien distinguer de nos
caprices, ou simplement des inspirations naturelles. Il se donne aussi à nous
par des motions : des grâces de
force qui nous permettent d'agir, et qui se traduiront dans le travail par
exemple. Nous pouvons en faire souvent l'expérience : nous n'avons aucun
goût pour travailler, nous ne sentons pas du tout d'inspiration, et de
nous-même à ce moment-là, nous ne travaillerions pas. Mais Dieu nous demande de
nous mettre au travail, et c'est à ce moment-là qu'Il nous donne une force. Ces
grâces de motions, je vous ai montré qu'elles sont données spécialement quand
on s'occupe des plus pauvres. Je vous en ai fait déjà la confidence :
toujours, quand je suis allé visiter les malades de l'hôpital psychiatrique de
Clermont, j'en suis revenu avec une force nouvelle. De fait, Dieu nous donne
une grâce parce que nous avons fait un petit acte de miséricorde. Nous sommes
toujours tentés de dire : « je suis tellement fatigué » ou « je
suis tellement découragé, je ne vais pas aller voir des gens encore plus
découragés », alors qu'en fait très souvent on s'aperçoit que c'est par là
que Dieu nous sauve. Si on veut attendre d'avoir retrouvé en soi-même un peu de
force, eh bien on ne la retrouve pas du tout ! C'est ce petit effort qui
attire une grâce de motion, une grâce de force.
La troisième manière dont le Saint-Esprit peut se
donner à nous, c'est par ses emprises.
Dans les grâces de quiétude, il y a une grâce de Dieu qui n'est pas la lumière,
ni la force, mais qui est la présence de Dieu. Ces grâces-là vont jouer encore
plus, quand le moi sera tout à fait brisé, et que le Saint-Esprit unifiera tout
en nous. Mais quand il s'agit des emprises du Saint-Esprit, il faut voir que le
Saint-Esprit peut se donner à nous de manière beaucoup plus cachée. Par exemple
dans certaines grâces d'angoisse, nous ne pouvons absolument pas savoir de
nous-même s'il s'agit d'une épreuve ou si cela vient de quelque chose d'extérieur.
Je dis bien "grâces" d'angoisse, parce qu'il y a des grâces qui
peuvent être données sous ce mode. Mais nous, nous les éprouvons tout à coup comme
si nous étions ébranlés : « Je n'ai jamais connu cela, j'ai l'impression
que tout bouge en dessous de moi, et en moi-même, je me sens comme ébranlé... »
C'est très consolant de se souvenir, à partir des trois vertus théologales,
qu'il y a quelquefois dans les ébranlements de cet ordre quelque chose de Dieu.
Dieu peut vouloir nous ébranler pour dissocier deux choses qu'au fond nous avions
unies. Il y a comme un petit blocage, mais un petit blocage qui ne se remarque
pas beaucoup, qui ne nuit pas du tout à nos rapports avec les autres, au
contraire ; un petit blocage qui assure une petite vie bien confortable,
parce qu'il nous donne une assise beaucoup plus solide, mais très humaine.
Quand Dieu veut briser ce petit blocage, c'est toujours désagréable !
Un choc opératoire est toujours désagréable. C'est
très significatif : on parle de choc opératoire, il n'y a pas simplement
l'opération, la blessure locale, mais il y a un choc dans tout le corps.
Ne pas se tendre
Notre corps est toujours le signe de ce qui se passe
au plus intime de notre être. L'Incarnation vient nous faire connaître que
c'est encore à partir de notre corps que nous comprenons le mieux nos difficultés
intérieures, ces moments où quelquefois les choses qui nous paraissaient les
plus solides sont comme ébranlées. Nous risquons alors d'être pris de panique,
et d'ajouter quelque chose d'humain à l'ébranlement qui vient de Dieu.
Quand on doit subir une opération chirurgicale ou
quand on est chez le dentiste, si on est trop tendu, le médecin ne peut même
pas agir. Il faut une espèce d'état où l'on est détendu, et c'est encore là qu'on
souffre le moins, tandis qu'on se fait souffrir soi-même si on se tend.
C'est ce que nous expérimentons tous plus ou moins au
plan intérieur. Dieu nous apprend à découvrir qu'il y a des moments où c'est Lui qui nous ébranle. Si nous avons une foi et une espérance solides et si nous
sommes très fidèles, nous pouvons recevoir un tout petit signe qu'il y a
quelque chose de Dieu dans notre épreuve. Alors, par le fait même, on abandonne
un aspect de panique, et on découvre qu'il y a certains ébranlements qui
peuvent vraiment venir de Dieu. Il y a quelquefois des grâces d'emprise de Dieu
qui finiront d'une façon extrêmement intérieure et profonde, et qui commencent
non pas dans la quiétude, non pas dans une espèce de paix très forte, mais par
un moment de souffrance assez aiguë. Si à ce moment-là on se regarde, on est
perdu, parce qu'on y met tout un aspect humain, on s'affole et finalement on
empêche l'œuvre de Dieu de se réaliser. Mais si, au contraire, on a une espèce
de patience dans la souffrance, on s'aperçoit que c'est Dieu qui nous détache
et qui nous unit plus profondément à Lui.
Cette analyse est un peu sommaire. Évidemment dans la
vie, cela se réalise d'une façon beaucoup plus complexe. Mais il ne faut pas nous
étonner quand nous avons connu des grâces d'intimité avec Dieu, dans notre vie
intérieure, qu'Il puisse nous donner à certains moments ces grâces qui sont de
vraies emprises, mais qui nous ébranlent profondément.
Dieu prend tout notre être
Pourquoi ce terme d'emprise de Dieu ? C'est que
de fait, dans notre vie, il n'y a pas simplement les lumières, l'inspiration
pour l'esprit, ou les motions pour nos bras en tant que nous agissons. Comme
l'Incarnation nous le montre, c'est tout notre être, dans sa substance même,
qui peut être un signe, un instrument de sanctification. Jésus a voulu dans sa
naissance même nous donner un signe de la vie divine. C'est tout le sens de
l'Incarnation, donc de la grâce sanctifiante : grâce qui n'est pas
simplement donnée pour un ministère, pour une action, comme la grâce de motion,
ou qui n'est pas simplement donnée pour une parole comme l'inspiration ;
cette grâce vient habiter en nous, vient nous imbiber, vient nous pénétrer profondément.
Bref, cette grâce implique une emprise sur tout notre être. C'est bien là ce
que l'Esprit Saint vient réaliser en nous, comme Époux divin.
Nous comprenons très bien cette action de l'Esprit
Saint quand ses grâces sont des grâces qui viennent tout unifier en nous, et
nous plonger dans une très grande paix. Mais nous avons beaucoup de mal à
admettre ces grâces d'angoisse, d'ébranlement par lesquelles l'Esprit Saint
veut nous purifier radicalement. Dieu alors ne veut pas simplement endormir
notre moi, mais, ayant plus de confiance en nous, Il veut l'extirper. Un petit
peu comme dans la médecine humaine : quand des gens sont trop malades, on
ne peut pas les opérer ; ce n'est pas la peine ; on tâche de les
soulager, mais ils resteront avec leur mal. Et puis d'autre fois, quand le
médecin voit que le malade est assez résistant encore, ou qu'il a montré qu'il
reprenait des forces, il essaie d'opérer pour enlever la source du mal... Cela
arrive constamment dans la vie surnaturelle : Dieu agit de la même manière
vis-à-vis de nous. Nous sentant un petit peu plus forts, plus vigoureux, il
nous fait passer par des épreuves plus rudes, pour nous purifier plus
radicalement, et enlever la racine du mal.
Il y a une certaine brisure du moi qui suppose
nécessairement des épreuves : des épreuves qui viennent des autres, des
épreuves intérieures, toujours un peu les deux... En effet, soit l'épreuve vient
de l'extérieur d'abord et a des répercussions intérieures, soit elle vient de
l'intérieur d'abord et puis a des répercussions extérieures. Nous sommes
nécessairement âme et corps, et les deux entrent toujours en ligne de compte
dans notre vie surnaturelle.
Quand nous connaissons ces ébranlements, il est
beaucoup trop simple de considérer tout de suite que cela vient du démon ou uniquement
de notre déséquilibre. Très souvent il y a aussi quelque chose de Dieu, parce
que justement Dieu veut fortifier en nous les trois vertus théologales.
L'espérance est une vertu qui ne peut se développer en nous sans l'épreuve.
Nous voyons que dans la vie de la Sainte Vierge — elle qui était pourtant
immaculée ! — il y a eu des épreuves. L'espérance est une vertu qui nous
demande de progresser. Ce progrès, nécessairement, demande que l'on coupe des branches,
comme on taille la vigne pour que la vigueur aille toute dans un sens. Même
sans le péché, nous avons toujours besoin de recevoir une éducation intérieure,
qui implique toujours l'épreuve. C'est pourquoi le travail est nécessaire, il y
a une certaine ascèse qui est toujours nécessaire.
Il y a des grâces de purification qui sont simplement
des purifications morales, portant sur les vertus morales, qui sont un peu extérieures,
si vous voulez, qui dépendent de notre conscience de raison et de volonté. Mais
il y a aussi une purification plus spirituelle, une purification en vue d'une
union vraiment mystique avec Dieu, quand Dieu veut vraiment prendre le plus
profond de nous-même. Alors nécessairement, il y a des épreuves plus rudes, des
épreuves qui nous ébranlent complètement, comme on voit dans l'Écriture. C'est
très frappant, chaque fois que Moïse, Abraham ou Jacob s'approchent de Dieu,
ils éprouvent une espèce de peur de Dieu, comme un ébranlement. C'est parce
qu'au fond on sort un peu de son mode habituel, et c'est un autre équilibre que
Dieu veut établir en nous. De même pour le passage de l'enfance à l'adolescence,
il n'y a pas nécessairement une crise, mais il y a nécessairement une épreuve —
je distingue les deux, parce que la crise implique une épreuve qu'on a mal
vécue, elle implique même tout un aspect un peu maladif, qui peut être évité.
Mais il y a toujours une épreuve qui est absolument nécessaire dans les desseins
de Dieu.
Obéir dès la première épreuve
Saint Jean de la Croix et tous les auteurs spirituels
montrent qu'il y a des étapes différentes dans notre vie surnaturelle. C'est si
frappant dans la vie de Marie... Voyez par exemple l'Annonciation. Marie avait
pris Joseph comme compagnon, et il va falloir qu'elle le quitte pour un moment.
Si la Sainte Vierge n'avait pas été tout à fait immaculée, elle aurait dit à
l'ange : « Comment peux-tu me demander cela ? Mais alors, je
n'ai plus d'appui si tu me retires Joseph ! Mais je ne peux pas ! »
La Sainte Vierge se serait affolée, et il aurait fallu que le bon Dieu s'y
reprenne peut-être à dix fois, avant qu'elle donne son fiat ! C'est
ce qu'Il est obligé de faire avec nous ! En effet il est très rare que dès
la première épreuve, immédiatement nous obéissions au bon Dieu. La plupart du
temps, nous regimbons. Nous disons : « non », nous avons trop
peur ! Nous reculons, et nous rendons par le fait même l'épreuve plus
difficile. Quand un cheval n'a pas sauté un obstacle la première fois, c'est
encore plus difficile quand on le fait revenir. C'est la même chose pour nous.
Mais Dieu est fidèle, Il nous aime profondément, Il nous fortifie d'autre part,
et puis Il nous fait revenir devant l'épreuve.
Dans ces ébranlements qu'on peut avoir, dans ces
grâces d'angoisse, il semble qu'il y a à la fois quelque chose de la nature, quelque
chose d'un petit peu maladif, quelque chose du démon, et puis quelque chose de
Dieu. Et la plupart du temps, les trois choses sont liées, et le discernement
n'est pas si facile. Cela nous fait comprendre la parabole de l'ivraie et du
bon grain. Aussi nous faut-il avoir, dans ces moments-là, une attitude pratique
plutôt qu'une attitude théorique. La fidélité au Saint-Esprit, alors, nous demande
surtout d'éviter des attitudes qui sont assez dangereuses à notre époque, comme
de vouloir trop être lucide, "voir clair". C'est vrai qu'en un sens,
nous avons à tâcher d'être lucides. Il faut être lucide pour tout ce que nous
pouvons discerner par nous-même. Mais il y a des choses que nous ne pouvons pas
discerner par nous-même. Quand Dieu nous ébranle pour nous unir plus intimement
à lui, nous ne pouvons pas voir que cela vient de l'Esprit Saint. Nous verrons
toutes les traces qui montrent que cela peut venir du démon, nous verrons tous
les manques qui viennent de nous, nous nous rappellerons toute notre vie
passée, toutes les causes un peu morbides, ou sociales, qui expliquent l'état
dans lequel nous sommes. Mais nous ne verrons pas la cause propre. Si l'Esprit
Saint a permis tout cela, et même l'a voulu un peu, en un sens, pour nous
donner quelque chose de plus profond, de plus intime, cela, nous ne le
discernerons jamais.
Les emprises de l'Esprit Saint sont justement des
ébranlements pour nous faire dépasser ce que nous pouvons voir et ce que nous pouvons
faire par nous-même. Donc nécessairement, nous ne pouvons pas en voir la cause.
C'est pourquoi je parle d'emprises : quelquefois le bon Dieu nous aime
tellement qu'Il veut nous aimer en nous-même, mais bien plus profondément
encore que nous ne pouvons atteindre par nos actes, et ce n'est pas par nos
activités que nous pouvons nous y préparer. Il veut aussi nous faire aimer beaucoup
plus profondément que ce ne peut être exprimé par des mots. L'Écriture parle de
la lutte de Dieu et de Jacob. On peut prendre cela comme une métaphore.
Qu'est-ce que c'est exactement ? Il est très difficile de le dire.
Pourtant, quelquefois nous sentons une lutte intérieure profonde en nous-même,
et au fond cela nous soutient de penser que c'est peut-être de Dieu. Et en faisant
confiance à Notre Seigneur, en lui disant « qu'on s'appuie surtout sur lui »,
on voit qu'on a juste la force de tenir.
Il y a des emprises qui peuvent être douloureuses, qui
peuvent être dans l'angoisse, mais qui peuvent en même temps venir de l'Esprit
Saint. Alors, c'est dans une attitude de confiance, par des actes d'espérance,
qu'on peut retrouver un peu de force. Mais ici il faut faire très attention de
ne pas s'impatienter. Prenez encore l'exemple de la chirurgie : un médecin
qui vous ligote pour faire une opération, cela vous met peut-être dans un état
désagréable, mais il faut y passer si on veut la guérison. Le Saint-Esprit
parfois nous ébranle d'une manière très forte. Il sait bien que nous ne pouvons
pas rester dans cet ébranlement, mais si cela vient de lui, Il le supprimera
quand Il le voudra. Si alors nous nous impatientons, si nous nous disons :
« Cela ne me sert à rien de faire des actes de confiance : cela me
permet de tenir maintenant, mais je ne pourrai plus arriver à tenir encore
demain, je n'en sortirai pas », etc., alors évidemment nous ne sommes pas
obéissants à l'épreuve de l'Esprit Saint. Le Saint-Esprit nous demande tout
simplement d'attendre en sachant que quand Il le voudra, Il nous donnera le
secours, mais un secours que nous ne pouvons même pas imaginer. C'est cela qui est
important dans les choses divines : nous ne pouvons jamais imaginer quel
sera le secours qui nous viendra. Et ce qui nous perd, c'est que nous avons
toujours tendance à vouloir un peu imaginer ou raisonner, en disant : « Dans
l'état où je suis, je ne vois pas une possibilité de secours ». C'est
vrai, nous ne pouvons imaginer aucun secours. Mais il suffit que Dieu nous
donne sa présence pour que tout se dissipe ! Et cela, nous ne pouvons pas
l'imaginer au moment de l'épreuve.
Ne pas imaginer
La grande souffrance du surnaturel, je vous l'ai
souvent dit — mais je crois que c'est tellement important de le noter — c'est
cette discontinuité. Si le Saint-Esprit s'occupe Lui-même de nous, Il nous fait
passer par des étapes absolument différentes sans transition. Et, nous, nous
avons toujours besoin de jalons, nous avons toujours besoin d'imaginer. Or il y
a des épreuves de Dieu où nous sommes perdus dès que nous imaginons.
La confiance
C'est si vrai qu'on retrouve la même chose dans toutes
les grandes épreuves humaines. Prenez une épouse qui vient de perdre son mari,
ou une maman qui vient de perdre son fils : à ce moment-là elle a
l'impression que c'est absolument intolérable, qu'elle ne pourra pas vivre. Et
puis, de fait, si elle a le courage de rester, elle retrouve une force pour
vivre. Elle ne sait pas d'où vient cette force. Cela ne vient pas du fait
qu'elle s'est tenu toutes sortes de raisonnements. Mais il y a des forces
intérieures, même au plan purement naturel, auxquelles nous ne nous attendons
pas du tout. Pour les recevoir, il faut toujours une espèce d'attitude de
confiance. Les médecins disent que, la plupart du temps, les vieillards meurent
quand ils n'ont plus confiance. Tant qu'on garde un peu confiance, on tient.
C'est encore beaucoup plus vrai au plan surnaturel, parce que là, nous savons
que nous avons toujours la grâce de la confiance. Mais une confiance peut-être
tout autre que celle que nous imaginons, une confiance peut-être tout
simplement dans la volonté.
Il y a des emprises de Dieu qui nous laissent dans une
faiblesse très radicale, l'Esprit Saint est là, mais Il nous tient sans que
nous le comprenions. C'est souvent les autres qui le voient mieux que nous. Ou
nous-même, quelquefois, quand nous voyons les choses avec un peu de recul, nous
nous disons : « Tiens, c'est curieux, je suis arrivé tout de même à
tenir ». Et puis quand on a beaucoup de lucidité sur soi-même, on se dit :
« C'est vrai, j'ai cessé de tenir dès que j'ai commencé à me laisser aller
à l'imagination, dès que je ne suis pas resté dans une attitude toute simple de
confiance... »
C'est comme pour la Sainte Vierge, quand elle a
souffert à la Croix : elle ne pouvait supporter la mort de Jésus que par
le Saint-Esprit. Marie a vécu très fort la descente de Jésus aux Enfers, par le
fait même qu'après la mort de Jésus elle était comme une morte-vivante. Si
Marie n'avait pas été la sainte qu'elle est, elle se serait dit : « Mais
c'est impossible, je ne peux pas rester dans cet état-là ». Et plus elle
se serait agitée, plus elle se serait mise dans un état de panique. Marie est
restée dans l'instant présent. Et quand la Résurrection s'est produite, elle a
vécu le mystère de la Résurrection, et cela a été absolument discontinu. Il en
est constamment ainsi dans une vie intérieure : Dieu se cache, Dieu nous
ébranle, Dieu nous purifie, et puis tout un coup, Il revient Lui-même ou, d'une
manière ou d'une autre, par ses instruments.
Père Thomas Philippe, op, in Fidélité au Saint Esprit