L'âge
de l'entraide
Connaissez-vous cette histoire ?
C'est un mythe des années 1980, mais on dit qu'il vient d'une époque bien plus
lointaine. Il était une fois la vie, une arène impitoyable où des millions de
gladiateurs se battaient et s'entretuaient. Pas de cadeaux, pas de quartier,
pas de pitié. L'agressivité était devenue un atout essentiel, c'était une
question de survie. Dans ce monde, l'intelligence — pardon, la ruse — servait à
passer devant les autres, ou, mieux, à les enfoncer. Il fallait surveiller ses
arrières. « Que le meilleur gagne ! » entendait-on à l'envi. Le
grand mangeait le petit, le plus rapide mangeait le plus lent, le plus fort
mangeait le plus faible. C'était comme ça depuis la nuit des temps, disaient
les sages. Si vous ne faisiez pas partie des gagnants, c'était pas de chance.
D'ailleurs, c'était sûrement un peu de votre faute... « Bon sang !
Relevez-vous, battez-vous ! Gagner ! Réussir ! Vous ne comprenez
donc pas ? »
Ce mythe a la vie dure. On dit qu'il
se raconte encore de nos jours, un peu partout dans le monde. Entre employés
pour grimper dans la hiérarchie des organisations, ou entre ces dernières pour
conquérir des parts de marché. On raconte que, au plus haut niveau de l'État,
c'est l'obsession de la compétitivité, ou la bataille pour la conquête du
pouvoir. Ailleurs, c'est la lutte entre les équipes de foot, les candidats aux
grandes écoles, les demandeurs d'emploi...
Bien entendu, ce ne sont pas de
vraies guerres ; elles sont simulées, cathartiques, parfois théâtrales. Il
paraît qu'elles canalisent les pulsions humaines pour nous empêcher de sombrer.
Mais empêchent-elles les vrais affrontements, délits, crimes, conflits armés,
guerres des classes, guerres des peuples ou guerres contre le vivant ?
La loi de la jungle
Si vous observez les êtres vivants
(les autres qu'humains) à travers ce
filtre, celui de la compétition, le tableau vous sautera aux yeux : le
lion mange l'antilope, les chimpanzés s'entretuent, les jeunes arbres jouent
des coudes pour l'accès à la lumière, les champignons et les microbes ne se
font pas de cadeaux. Le mythe se déploie à la lumière de cet univers
impitoyable. L'état de nature est synonyme de chaos, de lutte, de pillage et de
violence. C'est la loi de la jungle, la loi
du plus fort, la guerre de tous
contre tous, selon l'expression d'un des pères du libéralisme, le
philosophe Thomas Hobbes.
Les mythes donnent une couleur au
monde. Et une idée répétée mille fois finit par devenir vraie. Faites l'expérience
autour de vous : dites que l'être humain est naturellement altruiste, et
l'on vous prendra probablement pour un naïf ou un idéaliste. Dites qu'il est
naturellement égoïste, et vous aurez les faveurs des réalistes.
Depuis le siècle dernier, la culture
occidentale, moderne et utilitariste, est effectivement devenue hypertrophiée
en compétition, délaissant sa partie généreuse, altruiste et bienveillante,
passablement atrophiée. L'entraide ? Mais qui y croit encore ?
Parfois elle resurgit miraculeusement, à la faveur d'un fait divers exceptionnel
relaté au 20 Heures ou dans une vidéo animalière sur Internet visionnée des
millions de fois. Fascinant !
Soyons sincère : qui n'a jamais
ressenti cette profonde joie d'aider un proche ou de se voir tendre la main ?
Et que se passe-t-il quand une région est sinistrée par une inondation ? Y
a-t-il plus de pillages que d'actes de solidarité ? À l'évidence, non !
Les voisins se serrent les coudes, d'autres accourent des alentours et prennent
des risques insensés pour sauver ceux qui doivent l'être. Des inconnus, à des
centaines ou des milliers de kilomètres de là, s'organisent et envoient de
l'argent. Plus largement, la sécurité sociale, la redistribution des richesses,
l'aide humanitaire, l'école ou encore les coopératives ne sont-elles pas
d'incroyables institutions d'entraide ? Pourquoi cela nous est-il devenu
si invisible ?
Un examen attentif de l'éventail du
vivant — des bactéries aux sociétés humaines en passant par les plantes et les
animaux — révèle que l'entraide est non seulement partout, mais présente depuis
la nuit des temps. C'est simple : tous les êtres vivants sont
impliqués dans des relations d'entraide. Tous. L'entraide n'est pas un simple
fait divers, c'est un principe du vivant. C'est même un mécanisme de
l'évolution du vivant : les organismes qui survivent le mieux aux
conditions difficiles ne sont pas les plus forts, ce sont ceux qui arrivent à
coopérer.
En réalité, dans la jungle, il règne
un parfum d'entraide que nous ne percevons plus. Ce livre sera une tentative de
grande et profonde inspiration.
Hémiplégiques à en mourir
L’agressivité et la compétition
existent dans le monde vivant : il ne s'agit pas de le nier. C'est par
exemple la compétition qui permet d'éviter que des bactéries pathogènes
n'envahissent l'écosystème microbien de notre bouche. Elle aussi qui permet aux
félins de conserver leur territoire, ou encore à certains humains de stimuler
leur goût de l'effort, voire leur esprit d'équipe. Le sport tel que nous le
pratiquons est une façon ritualisée de canaliser la compétition. Cette dernière
nous force à nous dépasser, et, pour certains, à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Mais la compétition a aussi de
sérieux inconvénients. Elle est épuisante. La plupart des animaux et des
plantes l'ont bien compris : ils la minimisent et évitent au maximum les
comportements d'agression, car ils ont trop à perdre. C'est trop risqué, trop
fatigant. Pour un individu bien équipé, bien entraîné et psychologiquement au
meilleur de sa forme, la compétition est un défi qui permet de progresser grâce
à un effort puissant (et le plus court possible). Mais, pour les autres, ceux
qui ne sont pas prêts, ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas entrer dans
l'arène, ou ceux qui y sont depuis trop longtemps, cet effort est une source
infinie de stress.
De plus, la compétition sépare ;
elle fait ressortir les différences. Les compétiteurs focalisent leur attention
sur ce petit delta, ce petit quelque
chose qui les différencie de leurs concurrents et qu'il faut garder secret, car
il leur permettra de gagner la course. Ne dit-on pas : « J'ai fait la
différence » ? La compétition ne favorise pas le lien, elle pousse à
tricher, détourne du bien commun. En effet, pourquoi investir dans le commun si
cela peut favoriser les concurrents ?
Au fond, qu'est-ce que gagner ? Se retrouver sur la
première marche du podium... dramatiquement seul ? Attirer le regard des
autres par des passions tristes comme l'envie, la jalousie ou même le
ressentiment ? Contribuer à créer une planète qui compte 99 % de perdants ?
En poussant le culte de la compétition
à son extrême, et en l'institutionnalisant, notre société n'a pas seulement
engendré un monde violent, elle a surtout ôté une grande partie de son sens à
la vie. La compétition sans limite est une invitation — voire une obligation —
à une course à l'infini. Le délitement des liens entre humains et des liens
avec le vivant a créé un grand vide, un immense besoin de consolation, que nous
tentons de combler
en permanence par l'accumulation frénétique d'objets, de trophées, de conquêtes
sexuelles, de drogues ou de nourriture. La démesure, que les Grecs appelaient
l'hubris, devient alors la seule
manière d'être au monde.
Compétition, expansion infinie et
déconnexion du monde vivant sont trois mythes fondateurs de notre société
depuis déjà plusieurs siècles. Leur mécanique s'est révélée extrêmement toxique :
de la même manière qu'une cellule en expansion perpétuelle finit par détruire
l'organisme dont elle fait partie, un organisme qui détruit l'environnement
dans lequel il vit et empoisonne ses voisins finit par mourir seul dans un
désert.
Nous avons malheureusement dépassé
l'étape du simple avertissement. C'est là notre réalité. Notre rapport au monde
a provoqué des basculements irréversibles : certains systèmes naturels qui
constituent la biosphère ont été gravement déstabilisés, au point de menacer
sérieusement les conditions de survie de nombreuses espèces sur terre, y
compris la nôtre. Et compter sans la fin imminente de l'ère des énergies
fossiles, l'épuisement des ressources minérales, les pollutions généralisées,
l'extrême fragilité de notre système économique et financier ou la croissance
des inégalités entre pays et du nombre de réfugiés. Nous avons là une situation
qui ressemble à un immense jeu de dominos instable, c'est-à-dire aux prémices
d'un effondrement de civilisation 1.
Le bilan des possibles formes que
pourrait prendre cet enchaînement de catastrophes est appelé la collapsologie 2, une
discipline qui, au-delà de sa fonction d'information, permet de mettre en lien
différents milieux et différentes sensibilités : écologistes,
survivalistes, universitaires, militaires, ingénieurs, paysans, activistes,
artistes, politiciens, etc. Au cours de nos rencontres avec tous ces acteurs
préoccupés par la situation, nous avons été frappés de constater à quel point
la question de l'entraide était récurrente et urgente. Fréquentes étaient les
questions et les réactions telles que : « Comment faire pour que tout
cela ne dégénère pas ? », « Nous allons tout droit vers un
scénario à la Mad Max... Il faudrait faire ressortir le meilleur de
l'être humain pour l'éviter ! », « Nous sommes égoïstes, les
gens vont s'entretuer ! »
Si le climat économique, politique et
social se dégrade rapidement, notre imaginaire, lui, gavé de cette monoculture
de la compétition, produira toujours la même histoire : la guerre de tous
contre tous et l'agressivité préventive. Par une prophétie auto-réalisatrice,
les croyants se prépareront à la
violence dans un climat de peur et créeront les conditions parfaites pour que
naissent de vraies tensions. Alors qu'un autre scénario, celui de la
coopération, pourrait tout aussi bien émerger... si tant est que nous
l'incluions dans le champ des possibles !
Ce livre est né de l'idée d'explorer
les conditions d'émergence des comportements d'entraide. À l'étincelle de départ — une curiosité
scientifique qui date de plus de dix ans — s'est récemment ajouté un élan pour
contacter une autre mythologie, enrichir un autre imaginaire, raconter de
belles histoires bien enracinées dans l'évolution du vivant, avec le souci de
minimiser les dégâts de cette spirale d'autodestruction et de violence, et,
pourquoi pas, de contribuer à favoriser une spirale vertueuse.
L'émergence d'une autre loi de la
jungle
Nous ne sommes ni les seuls ni les
premiers à penser l'entraide. Ces dernières années, les articles scientifiques
sur ce sujet se sont enchaînés à un rythme effréné. Mais ils restent
malheureusement relativement inaccessibles au grand public et rares dans les
cursus scolaires. Il en va de même pour la longue filiation intellectuelle
philosophique et religieuse qui remonte à l'Antiquité et prend une dimension
véritablement scientifique au XIXe siècle sous la plume, entre
autres, du naturaliste Charles Darwin, du sociologue Alfred Victor Espinas, du
géographe Pierre Kropotkine ou encore de l'anthropologue Marcel Mauss.
Qu'on ne s'y trompe pas : les
héritiers de ces idées naïves sont
nombreux. On pense au mouvement du MAUSS 3, lancé en 1981 par
Alain Caillé et qui aujourd'hui regroupe un grand panel d'intellectuels sous la
bannière (très stimulante !) du convivialisme 4. On pense aussi
au tour d'horizon naturaliste de Jean-Marie Pelt (La Solidarité chez les
plantes, les animaux, les humains, 2004), ainsi qu'aux monumentales
synthèses de Jacques Lecomte (La Bonté humaine, 2012), de Matthieu
Ricard (Plaidoyer pour l'altruisme, 2013) et de Pierre Dardot et
Christian Laval (Communs, 2014). Philosophes, managers, écologues,
économistes, anthropologues ou sociologues se démènent pour remettre sur le
devant de la scène des notions aussi démodées et ringardes que
l'altruisme 5, la bonté 6, la gentillesse 7, l'association 8,
l'égalité 9, les communs 10, l'empathie 11 ou la solidarité 12.
La force de cette culture renaissante
et émergente est de ne pas se contenter de rester dans les bibliothèques. Elle
sort dans la rue, transforme le monde grâce à de nouveaux modes de
consommation, de travail, de construction, d'apprentissage, de communication,
de gestion 13 ou de production 14. L'émergence
d'une culture des biens communs, du peer-to-peer et de la collaboration
prend une dimension mondiale et touche tous les secteurs. Il est trop tard pour
l'arrêter.
Au siècle dernier, notre monde est
devenu extrêmement performant en matière de mécanismes de compétition. Il est
grand temps de devenir tout aussi compétents en matière de coopération, de
bienveillance et d'altruisme. L’autre objectif de ce livre est d'apporter une
pierre à cet édifice, de participer à la structuration de cette nouvelle
culture. En puisant dans plusieurs disciplines, de l'éthologie à
l'anthropologie en passant par l'économie, la psychologie, la biologie, la
sociologie ou les neurosciences, nous proposons un tour d'horizon des plus
récentes découvertes sur cette tendance très puissante qu'ont les êtres vivants
(et pas seulement les humains) à s'associer. L'idée d'inclure le reste du monde
vivant dans la synthèse était d'arriver à dégager des principes généraux et une
architecture générale de ce que l'on pourrait désormais appeler l'autre loi de la jungle.
Le chantier du siècle
Notre surprise a été de constater
l'incroyable diversité des processus, des sentiments et des mécanismes à l'œuvre
depuis la nuit des temps. Mais comment nommer ce monde infiniment complexe,
riche et coloré ? Comment nommer cette tendance qui décrit aussi bien une
association entre bactéries qu'une entente entre humains ou entre grands singes
impliquant des sentiments aussi subtils que l'altruisme, la bonté, l'amitié, la
gratitude, la réconciliation ou le sens de la justice ? Nous avions besoin
d'un terme qui inclue à la fois les actes et les intentions, mais aussi tous
les organismes vivants et tous les processus.
Nous avons choisi le terme d'entraide,
conscients qu'il n'a pas la même définition pour tous, et qu'il peut
parfois impliquer une touche d'anthropomorphisme, surtout lorsqu'il s'agit de
décrire les comportements d'êtres vivants qui ne nous ressemblent en rien. Mais
ce mot a aujourd'hui l'avantage d'être à la fois bien accepté par le langage
courant et suffisamment oublié des sciences pour être à l'abri d'une définition
trop étroite. C'est aussi et surtout un clin d'œil au grand géographe et
anarchiste Pierre Kropotkine, l'un des pionniers de cette aventure
scientifique, qui écrivit en 1902 une remarquable synthèse dont le titre, Mutual
Aid, fut traduit par son ami, le non moins géographe et anarchiste Élisée
Reclus, par entr’aide, mot qu'il
offrit à la langue française 15.
Le sujet est évidemment colossal.
Chaque chapitre de notre livre pourrait faire l'objet d'un traité de plusieurs
tomes ! Le but n'était pas d'en faire un travail encyclopédique, mais
d'établir des ponts entre les disciplines, en particulier entre les sciences humaines et les sciences
biologiques. Voir leur discipline croquée à grands traits génère évidemment
d'inévitables frustrations chez les spécialistes, et il en va de même pour
nous, qui aurions aimé partager encore plus d'extraordinaires détails des
mécanismes du vivant 16.
Nous avons démarré ce chantier il y a
une douzaine d'années, avec autant d'enthousiasme que de naïveté. Notre label biologique 17 ne nous
avait pas préparés à absorber les incroyables avancées des sciences humaines,
ni les paradoxes qui émergeaient de ce foisonnement de découvertes 18.
Explorer tout cela a été une véritable aventure qui n'a fait qu'attiser
toujours davantage notre curiosité. Ce bilan est donc loin d'être définitif, et
il se révèle être au final une invitation à continuer l'exploration.
Ce livre n'est pas un traité de
collapsologie, ni une critique de la société de consommation et du capitalisme,
pas plus qu'une encyclopédie naturaliste ou un traité philosophique. C'est une
tentative pour faire du lien entre tout cela et poser un jalon sur le chemin de
notre génération.
Nous commencerons notre voyage en
tordant le cou au mythe d'une nature agressive où ne régnerait qu'une seule
loi. Puis nous découvrirons au fil des chapitres les mécanismes et les
subtilités de l'entraide humaine. Enfin, nous terminerons en revenant à
l'ensemble du monde vivant, ce qui nous permettra d'effleurer quelques grands principes
de la vie sur terre.
Pablo Servigne & Gauthier
Chapelle, in L’entraide, l’autre loi de la jungle
1. Pour
l'instant, les pays industrialisés sont relativement épargnés, mais uniquement
grâce à un fragile écran de technologie.., qui dépend de ressources
énergétiques et minérales de moins en moins accessibles.
2. Servigne
et Stevens R. (2015).
3. Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales. Voir
la préface de ce livre, ainsi que le site de La Revue du MAUSS, wvvw.revuedumauss.com.fr/.
4. Manifeste des
convivialistes (2013) ; Alain Caillé (dir.) et
les Convivialistes (2016) ; wvvw.lesconvivialistes.org.
5. Kourilsky (2009) ; Kourilsky (2011) ; Ricard (2013) ;
Ricard et Singer (dit) (2015).
6. Lecomte (2012).
7. Jaffelin (2015) ; Martin (2014).
8. Laville (2010).
9. Wilkinson et Pickett (2013).
10. Dardot et Laval (2014) ; Coriat (dit) (2015).
11. De Waal (2009) ; Rifkin (2011).
12. Pelt (2004) ; Supiot (dit.) (2015) ; Mathevet (2011).
13. Malgré les progrès récents de certaines entreprises,
force est de constater la consternante inertie de ce milieu. Gauthier Chapelle
a été conseiller en développement durable (en biomimétisme) pendant dix ans
pour les entreprises. Il s'efforçait de leur montrer que, en s'inspirant des
relations d'entraide du monde vivant, leur organisation serait non seulement
durable, mais bien plus efficace. Malheureusement, il s'est souvent rendu
compte que de nombreuses entreprises ne voulaient pas prendre le risque de
changer leur structure et leur raison d'être.
14. Pour
un tour d'horizon, voir Novel (2013) ; Riot, Nove ! (2012) ;
Filippova (coord.) (2015). Sur les moyens de communication, voir Rifkin (2014) ;
Bauwens (2015). Sur les entreprises, voir Laloux (2015) ; Lecomte (2016).
Sur l'énergie, voir Rifkin (2012).
15. L'apostrophe
disparut en 1931. À ce sujet, lire Enckell (2009).
16. Nous n'avons malheureusement pu inclure dans ce
travail qu'environ un tiers de notre bibliographie, et nous sommes conscients
que celle-ci ne doit représenter qu'une petite partie de ce qui est disponible
sur le sujet...
17. Nous sommes tous deux agronomes de formation et
spécialistes de biologie animale. Nous avons surtout le point commun
d'éprouver, depuis notre plus tendre enfance, un grand malaise à baigner dans
ce mythe d'une nature cruelle, agressive et compétitive. Cela ne colle ni avec
notre expérience, ni avec nos observations, ni avec notre ressenti. Même si
notre sensibilité naturaliste nous a vaccinés contre une telle soupe
idéologique, il nous a tout de même fallu plus de vingt-cinq ans pour
transformer cette intuition en certitude, et quelques années de plus pour
inscrire cette dernière dans une synthèse cohérente.
18. Pendant des années, les résultats, les hypothèses et
les théories de chaque discipline sont restés contradictoires. Aucun tableau
global n'émergeait. Il y avait trop de fossés entre les disciplines, et chacune
travaillait en ignorant les autres. Ce n'est que très récemment que des progrès
fulgurants ont permis de proposer une structure globale de cette autre loi de la jungle.