Le 11 mai 1940, vingt- quatre heures
après que l'assaut général du front français eut été ordonné par Hitler, les
Parisiens apprenaient le nom de leur nouvel évêque, Son Éminence le cardinal
Suhard. Et quelques semaines plus tard, l'archevêque de Reims qui était allé
visiter dans l'Ouest ses diocésains réfugiés, faisait son entrée à Paris.
L'automobile qui l'amenait croisait sans cesse des voitures qui filaient en
sens inverse... À l'heure où tout le monde s'en allait, lui gagnait son poste
calmement pour ne pas le quitter un instant pendant la terrible épreuve de la
capitale.
Le 31 mai 1940 était, paradoxalement,
la fête du Sacré-Cœur. C'est ce jour-là à Montmartre, que Son Éminence devait
faire son premier acte d'archevêque de Paris. Je me rappelle la cérémonie pour
y avoir assisté par chance entre deux missions militaires. La basilique abritait une foule
innombrable : les Parisiens se pressaient également sur les pentes de la
butte...
C'était l'heure de ferveur où la
France espérait encore le miracle ! Tout comme à Notre-Dame, le dimanche
de la Trinité ou à Saint-Étienne-du-Mont, lors d'une inoubliable procession de
la châsse de sainte Geneviève, le peuple de Paris, retrouvant entièrement les
réflexes de prière des siècles passés, suppliait Dieu de sauver la France. Les occupants
ont souri des prières publiques
ordonnées par le gouvernement, et s'il est peu probable que les officiels aient
chanté à Montmartre, comme on l'a prétendu, « Sauvez, sauvez la France au
nom du Sacré-Cœur », leur présence à la basilique étonnait à peine les
Parisiens de 1940.
Pour mon compte personnel, ce n'était
pas eux que je voulais voir, mais mon nouvel archevêque. La chose me fut
impossible et j'ai dû, tant la foule était dense, assister à la supplication
dans l'église voisine de Saint-Pierre-de-Montmartre, où les haut-parleurs
transmettaient les échos des cérémonies du Sacré-Cœur.
L'exode, la conversion in extremis de la Troisième République
agonisante, bientôt l'évacuation totale de Paris et l'arrivée des troupes
allemandes, tels étaient les événements qui marquaient le début d'un épiscopat
qui eût préféré connaître des jours plus tranquilles. La Providence dispose les
choses suivant un plan toujours imprévisible.
Nous n'entreprendrons pas de raconter
mois par mois, année par aimée, les faits marquants du pontificat de Son Éminence
le cardinal Suhard. On n'écrit pas l'histoire du présent. Certes, les huit
années qui nous séparent des jours tragiques de 1940 sont de celles qui
comptent et qu'on n'oublie pas facilement. Aussi bien ne pouvons-nous pas
mettre un point final à notre livre avant d'avoir évoqué plusieurs épisodes de
ce proche passé qui semblent devoir intéresser la postérité. On me permettra
seulement de prendre de grandes libertés avec l'ordre chronologique et de me
contenter d'ouvrir dans le maquis et la broussaille des faits, quelques avenues
dont, je l'espère, le tracé ne semblera pas trop artificiel.
L'essor missionnaire du catholicisme parisien est la grande caractéristique de ces années. D'autres épiscopats, et
spécialement celui du cardinal Verdier, ont connu aussi de hautes
préoccupations apostoliques, mais l'idée d'un redressement complet de la machine ecclésiastique, d'un coup de
volant donné à tout le clergé diocésain pour l'orienter vers les tâches
d'évangélisation est neuve dans son ampleur et dans sa hardiesse. Elle est un
véritable appel lancé à notre temps. Nous aurons l'occasion d'entrer dans le
détail de certaines réalisations. Qu'il nous suffise, pour l'instant, de mettre
à sa juste place, c'est-à-dire bien plus haut que les contingences politiques,
l'axe d'un épiscopat déjà fructueux.
Il est beau de voir le Pasteur
Angélique répandre à la même heure dans toute la chrétienté la lumière
fécondante de ses Messages incomparables.
Les quatre années d'occupation seront
émaillées d'événements intéressant l'histoire religieuse de Paris.
Dès leur arrivée dans la capitale,
les nazis se précipitent à l'archevêché, emprisonnent le Cardinal dans son
hôtel, l'isolent de son entourage, dévalisent ses archives, lui proposent
ridiculement de célébrer la messe à 4 heures de l'après-midi, se comportent,
non pas certes sauvagement, mais grossièrement. Les excuses vaguement
esquissées par un officier d'État-Major après la remise en liberté du Cardinal
n'effacent pas le caractère inadmissible de la perquisition faite à
l'archevêché. Elle a bien un sens profond, cette démarche policière. Le nazisme
veut atteindre le cœur même de la France : il sait où il est.
Les escarmouches entre l'autorité
d'occupation et le catholicisme parisien seront quotidiennes. On ne peut pas
parler de persécution ouverte, mais de tracasseries incessantes. Dès la fin
d'août 1940, une célèbre circulaire du Commandant général allemand interdisait
aux mouvements d'Action Catholique de continuer leurs réunions. Ce document
restera lettre morte non parce que l'autorité allemande fera le geste de la
rapporter, mais parce que les catholiques passeront outre.
Il est bien vrai que si la Gestapo
avait voulu en finir avec nos organisations, elle aurait pu employer des
procédés plus brutaux. Mais on espérait avoir raison de nous par
l'intimidation, par l'asphyxie, sans nous procurer la fierté d'avoir des
martyrs. Le procédé était assez habile. Il fallait le déjouer sans déchaîner
d'inutiles représailles. Assez rapidement, nos mouvements de Jeunesse
s'établirent dans une demi-clandestinité, qui leur fut, au fond, assez
favorable. Le rythme des arrestations pour délit
de reconstitution de ligues dissoutes était assez régulier et provoquait
une sorte de guerre d'usure. Des tentatives étaient faites, par ailleurs, pour
enrôler la Jeunesse Catholique dans des mouvements de collaboration ; les
offres étaient parfois subtiles, anodines, alléchantes... Mais on tint bon.
C'est un titre de gloire de
l'Épiscopat français que d'avoir défendu fermement cette autonomie des
mouvements chrétiens. On se rappelle la formule lapidaire des cardinaux et
archevêques en 1942 : « Jeunesse unie, oui ; jeunesse unique,
non », qui barrera la route à la superstructure de type fasciste que les
officiels voulaient imposer à l'Action Catholique.
Quand on lit un livre comme celui de
Guillain de Bénouville, Le Sacrifice du matin, relatant les exploits
héroïques des dirigeants de la Résistance militaire, quand on revit par la
pensée ce qu'a dû être l'existence de ces hommes extraordinaires, on n'a pas la
prétention de comparer les risques courus par les nôtres à ceux qui pesaient
continuellement sur les chefs des réseaux clandestins.
Ces risques n'étaient pourtant pas
nuls. Dès octobre 1940, un groupe de jeunes parisiens était arrêté pour délit de scoutisme. L'abbé Le Meur et
l'abbé Drouet feront leur premier séjour à Fresnes uniquement pour avoir organisé
dans la banlieue des défilés de gymnastes catholiques. Il n'est pas un seul de
nos mouvements ou de nos groupements de Jeunesse masculine qui n'ait connu les
charmes d'une perquisition. Au quartier général des Scouts de France, la
Gestapo laissera les scellés pendant près de deux ans. Il sera difficile
d'obtenir des nazis l'enlèvement du Saint-Sacrement placé, Lui aussi, sous le
sceau de la police secrète du Troisième Reich !... Il faut avoir vu
revenir de Fresnes, à Noël 1943, l'abbé Guérin, aumônier général de la J. O.
C., hâve et maigre comme un squelette, pour comprendre combien la résistance
spirituelle que menait – sans aucun
lien avec la politique – le catholicisme parisien, avait infiniment plus
d'importance aux yeux des occupants qu'on n'a bien voulu lui en attribuer
depuis la libération.
Bien vite d'ailleurs, la ferveur
patriotique du clergé parisien mit en contact avec les groupes politiques et
même les réseaux militaires, nombre de ses membres.
Certes l'Église hiérarchique n'a pas
opté officiellement pour ces formes de lutte contre l'envahisseur. Il suffit de
se rappeler, de sang-froid, la nature de sa mission, pour s'expliquer une
attitude que l'on a jugée parfois avec une précipitation regrettable. Mais les
Résistants du clergé parisien savaient bien qu'ils n'agissaient pas contre la volonté de leur archevêque.
Bien des militants laïcs ont pu s'en convaincre aussi. J'en veux citer un
exemple.
C'est en 1942. Hitler vient d'imposer
aux Israélites de France le port de l'étoile jaune. Un groupe de Jécistes —
ayant à sa tête Jean S..., futur maquisard chevronné — vient trouver l'aumônier
diocésain des étudiants de ce temps :
— Monsieur l'abbé, il faut que vous
exprimiez, dans la chaire de l'église de la Sorbonne, la protestation de la
conscience catholique.
— Je veux bien. Mais vous savez que
je représente au milieu de vous l'archevêque de Paris. Ou bien vous allez
m'obliger à dire : ‘C'est votre aumônier qui parle ici, en son nom
personnel’, ou bien nous allons aller, tous ensemble, trouver le Cardinal et
lui demander son avis.
— Allons chez le Cardinal.
La visite ne fut pas vaine. Son
Éminence voulut bien approuver ces quelques paroles que je me rappelle à peu
près littéralement après six années : « Une mesure incompréhensible
pour l'âme française et où elle refuse de se reconnaître, vient d'être prise
par les autorités d'occupation. L'immense émotion qui étreint le Quartier Latin
ne nous laisse pas insensibles. Nous assurons les victimes de notre affection
bouleversée et prions Dieu qu'Il leur donne la force de surmonter cette
terrible épreuve ». Ce n'était peut-être pas aussi virulent que ce qu'on
lisait dans les tracts anonymes. Mais la clandestinité à ciel ouvert avait ses
risques. Celui que nous ne courions pas ce matin-là — et que nous n'aurions
voulu courir, ni les uns ni les autres — était que le Chef du diocèse nous
désavouât.
Je pourrais citer bien d'autres
faits, pour ne parler que de ce que je connais personnellement. Mais on voit
assez combien il est faux de prétendre que la Résistance catholique était en
rupture de ban avec l'autorité hiérarchique.
Car on ne peut contester l'ampleur
des activités catholiques dans la lutte du peuple de Paris pour sa libération.
Que de courage ! que de noblesse ! que d'intelligence, souvent !
que de sang versé ! quel esprit de pardon ! quel refus obstiné chez
beaucoup, de recourir, après la Victoire, aux vengeances faciles.
On a déjà trop écrit sur la
Résistance pour que nous ajoutions un long couplet aux hymnes sonores qui ont
résonné un peu partout. Le culte que nous devons à nos morts — j'ai des noms et
des prénoms sur les lèvres — m'interdisait le silence absolu. Mais on
comprendra pourquoi je ne veux rien dire des journées d'août 1944...
Si marquée qu'elle ait pu être par
l'épisode de l'occupation, par les luttes et les joies de la libération, la
période qui va de 1940 à nos jours est pourtant dominée par quelque chose de
plus grand encore : la prise de conscience par l'Église de Paris d'un véritable
devoir missionnaire au sein des
masses paganisées.
Le grand héraut de cette réalisation (au sens anglais du mot) est
l'abbé Godin, mort prématurément à Paris en janvier 1944.
Originaire de Franche-Comté, aumônier jociste depuis l'avant-guerre, le Père
Godin acquiert bien vite une expérience consommée de l'âme populaire et devient
le guide spirituel le plus aimé des garçons et des filles du faubourg. Sa
petite chambre de la rue Ganneron — où il mourra tragiquement d'une asphyxie
due au mauvais fonctionnement d'une bouillotte électrique — est un vrai
sanctuaire où d'innombrables consciences sont venues se former et se purifier.
C'est Montmartre. Une note de joie et de clarté illumine le paysage pourtant
funèbre du cimetière où dort Henri Heine. Là-haut, la silhouette rouge et
nerveuse du campanile des Batignolles entraîne les cœurs à la foi. Saint Michel
y foule aux pieds, vigoureusement, l'hydre de l'impiété.
Un livre rédigé concurremment par
l'abbé Yvon Daniel et l'abbé Godin, France, pays de Mission ? vient
mettre le feu aux poudres et secouer la torpeur des catholiques tièdes — disons
même des chrétiens, car protestants et orthodoxes seront atteints par les
remous de la petite brochure blanche et violette — à Paris, en France, puis
dans le monde entier. Au premier abord on ne comprend pas bien ce qui a pu déclencher
un tel mouvement. J'ai eu du mal à lire jusqu'au bout France, pays de Mission ?. Aucune harmonie dans le style et la
composition. Les statistiques sont parfois contestables, les critiques souvent
exagérées, les solutions peu claires. Il reste qu'un souffle puissant anime ce
petit livre qui donne l'alarme devant l'irréligion des masses et gonfle les
cœurs d'espoir en dévoilant les merveilleuses ressources spirituelles encore
vierges de la classe ouvrière. On
sent confusément qu'il fallait que ce mot fût dit. Pourquoi n'a-t-il pas été
prononcé autrement ? C'est le mystère de la Providence.
L'homme et son livre ont ouvert la
voie à un large flux missionnaire qui déferle désormais sur l'Église de Paris
et sur la France tout entière. Le stade du Christ
dans la banlieue, et des Chantiers du
Cardinal 1 est dépassé. Son Éminence le cardinal Suhard qui
anime la nouvelle croisade nous entraîne à un immense redressement apostolique
qui doit atteindre le clergé séculier, les congrégations des deux sexes, les
catholiques d'action et même la masse des fidèles.
On ne peut pas encore apprécier les
fruits de cette campagne. Sans doute l'œuvre d'évangélisation entreprise
doit-elle, pour réussir, prendre consistance, s'armer de moins d'héroïsme que
de persévérance. Nous avons, dans les temps modernes, l'exemple d'une grande
réussite : celle des frères Wesley qui ont arraché à l'impiété les masses
populaires anglaises, à l'heure même de la Révolution industrielle et permis au
socialisme britannique d'être chrétien et non pas athée. Ce magnifique résultat
a été obtenu — hélas, en dehors de l'Église catholique et même de l'Église
anglicane — par un travail coordonné, cohérent et profondément religieux.
L'exemple mérite d'être médité. Pour calmer nos impatiences, nous avons assisté
à la naissance de la Mission de Paris
qui étudie de nouvelles méthodes de conquête, lance ses prêtres-ouvriers dans les usines, constitue les premiers noyaux de
pénétration religieuse en pleine masse,
glane déjà de belles conversions et rend témoignage de l'ardeur apostolique
toute juvénile de l'Église Catholique. Sa mère, la Mission de France (dont la fondation, à Lisieux, est due en très
grande partie à l'action de l'archevêque de Paris), éduque une génération de
plus en plus nombreuse de prêtres séculiers généreux, ardents, sportifs — au sens moral du terme — qui
vont, demain, apporter une vie nouvelle à de nombreuses paroisses de Paris et
de province. L'esprit souffle dans la ville de sainte Thérèse et une grande
œuvre de reconstruction chrétienne s'y élabore dans la prière, la vie communautaire
et la culture intensive des ambitions apostoliques. Les mouvements de
pénétration populaire comme le M. P. F. enregistrent, eux aussi, de beaux
succès. Dans un ordre tout différent, deux grandes séries de manifestations
religieuses en l'honneur de sainte Thérèse de Lisieux, puis de Notre-Dame de
Boulogne ont montré que la masse parisienne se laissait émouvoir par un
spectacle de ferveur populaire qui prend assez facilement le caractère d'une
Mission.
Nous sommes au début de toute une
fermentation.
Dieu seul sait si l'effort aboutira.
Selon toutes les lois de la vie de la grâce et de la psychologie humaine, il
doit porter des fruits. S'il échoue, c'est qu'il aura manqué de racines dans le
tréfonds de la vie ecclésiale. La sagesse des directives données par la
Hiérarchie, si hardie par ailleurs, empêchera les déviations possibles. Mais il
dépend du sens catholique des laïcs et des clercs que l'action missionnaire
déclenchée en France, et spécialement à Paris, n'avorte pas.
L'heure est venue où nous devons dire
adieu à nos lecteurs et regarder, du rivage, la nef millénaire de Paris et de
son Église, voguer vers d'autres horizons, Combien de temps encore ?
Où ? C'est le secret de l'avenir.
L'aventure d'une Église particulière
a quelque chose d'un peu angoissant au premier regard.
S'il est avéré, pour un chrétien, que
la grande Ecclesia bâtie par Jésus
sur le roc de la Papauté ne peut périr, rien n'est moins sûr, semble-t-il, que
l'immortalité d'un diocèse. Il y a des chrétientés ensevelies. Mais avouons
que, dans l'ensemble, les Églises ont la vie dure. Les nouveaux printemps fleurissent là où, hier, tout n'était que
stérilité. De Carthage à Pékin, de Glasgow à Antioche, nous avons assisté à
plus d'une résurrection. Les Églises mortes
elles-mêmes conservent une existence de droit, ici-bas (les évêchés in partibus en portent témoignage), et
une existence de fait dans l'autre monde. Nous n'avons donc rien à craindre
pour l'avenir de notre mère, l'Église de Paris. D'une façon ou d'une autre, le
vaisseau a mis le cap sur l'éternité.
Nous lui disons donc bon voyage, avec la paix dans le cœur.
Fort de ses dix-sept siècles
d'existence, il est bien armé d'ailleurs pour le présent et l'avenir immédiat.
La coque est solide, les mâts et le gréement sont robustes, les voiles claquent
au vent et les couches de peinture fraîche empêchent la moisissure...
L'Église de Paris a un bon clergé,
entreprenant, zélé, industrieux qui compte maintes personnalités distinguées.
Le nombre des vocations a décru depuis les lois de séparation, mais la remontée
s'accentuait nettement entre les deux guerres et, sans les malheurs des années
1939-45, la remise en état du diocèse eût été presque complète. Avec l'aide de
nombreuses communautés religieuses et de prêtres venus d'ailleurs, les vides
sont à peu près comblés.
Combien y a-t-il vraiment de
catholiques dans le diocèse ? C'est difficile à dire, en l'absence de
statistiques gouvernementales. Un travail effectué récemment m'a permis
d'établir que, pendant les quatorze années qui ont précédé 1944, 7o% environ
des enfants nés dans le département de la Seine avaient reçu le sacrement de
baptême. Les catholiques de nom, de tradition et d'origine sont donc largement
majoritaires à Paris et c'est déjà un résultat si l'on songe à tout ce qu'a
fait l'irréligion militante pour arracher notre peuple à sa foi. Le nombre
moyen des pratiquants, un dimanche ordinaire, oscille, dans le diocèse, entre
quatre et cinq cent mille. Mais ce ne sont pas tous des réguliers. Il est assez
probable que sept à huit cent mille Parisiens pénètrent, chaque année, dans
l'une ou l'autre de nos églises.
Nos coreligionnaires des pays
anglo-saxons, nordiques et germaniques seront un peu surpris du flou de nos
statistiques et de l'inconstance relative des catholiques parisiens. Mais il
faut tenir compte de la pression sociale qui rend l'assistance régulière aux
offices moralement impossible à une foule de chrétiens de chez nous. Si la
persévérance n'est pas brillante — ce qui est pour nous une souffrance aiguë —
nous savons que le peuple de Paris garde des antennes chrétiennes et qu'il
suffit d'un coup de grâce pour arracher à l'impiété les indifférents les plus
obstinés.
Mais notre grande raison d'espérer
n'est pas là.
Elle est dans le zèle de nos
militants si nombreux, si généreux et si actifs, dans la ferveur des cent
soixante et onze congrégations de femmes présentes dans le diocèse et de leurs
trois cent trente-cinq maisons (non compris celles, si nombreuses à Paris, des
Filles de la Charité), dans la floraison des œuvres charitables et sociales
(l'aumônerie des prisonniers, œuvre du chanoine Rodhain, a été, pendant toute
la guerre, un centre incomparable d'action charitable. Elle se continue par le Secours Catholique qui a déjà fait
brillamment ses preuves), dans l'élan du Mouvement
liturgique, dans le nombre et la valeur de nos groupes de Jeunesse (plus de
vingt-cinq mille scouts et douze mille guides enregistrés. Cinquante mille
Jeunes à la messe de Jeanne d'Arc en 1946, quatre-vingt mille enfants à la fête
des Cœurs Vaillants et Ames Vaillantes la même année. Plus de cinq mille
étudiants à la Messe pascale des Facultés, ce printemps. Entre 6o et 8o% de
pascalisants dans beaucoup de grandes écoles. Trente mille jeunes dans notre
enseignement libre diocésain etc.) L'action catholique ouvrière avec, à sa
pointe, l'admirable J. O. C., a créé un type nouveau de chrétien,
authentiquement populaire et souvent mystique qui montre, jusqu'à l'évidence,
l'erreur commise par Marx quand il a identifié christianisme et bourgeoisie.
L'intérêt porté aux Missions Étrangères par la ville qui compte les centres
incomparables de la rue du Bac, de la rue de Sèvres et de la rue Lhomond ne
s'est pas démenti. Paris demeure la ville de la pensée, de la science, des
Lettres et des Arts. Dans tous ces domaines, les catholiques sont actifs et
prestigieux. La politique même connaît chez nous, malgré la puissance des
courants athées, un nouveau souffle de spiritualisme chrétien.
Vous voulez voir des masses
chrétiennes ? Assistez, sur la terrasse du Palais de Chaillot le 23 avril
1945, à la messe des Scouts et des Guides, et, en juillet de la même année, à
la Messe des prisonniers et déportés, qui a donné un sens rétroactif aux
indicibles souffrances endurées dans les camps, et figé dans la prière cent
cinquante mille Parisiens assemblés aux pieds de la Tour Eiffel. Allez aux
Carêmes du Révérend Père Riquet à Notre-Dame, ou bien, le 30 juin 1946 à cette
messe nocturne du stade de Colombes où plus de cent mille chrétiens, unis
autour de leur archevêque et de deux cents de leurs curés, ont offert à Dieu,
ensemble, d'une même voix et d'un même cœur, la louange collective de l'Église
de Paris.
Vous préférez le recueillement des
sanctuaires fervents ? Allez au Sacré-Cœur. L'hostie y est toujours
visible et entourée d'adorateurs muets qui vous entraîneront à l'oraison. Allez
à Notre-Dame des Victoires, à la Médaille Miraculeuse, à l'abbaye de la Source,
chez les Pères du Saint-Sacrement. Ou, plus simplement, entrez dans une de nos
églises paroissiales. Vous y serez rarement seul. La prière silencieuse de vos
frères et de vos sœurs dans le Christ vous aidera à trouver Dieu, tout autant
que les volutes d'encens qui, depuis des siècles, se sont enroulées autour des
piliers noircis, pour les consacrer, irrémédiablement, au service du Seigneur.
À Paris, tout parle du Christ, quand
on sait écouter la voix des choses.
Le vieux vaisseau de Lutèce, fort de
son passé et de ses rajeunissements miraculeux, en a encore pour de longs
siècles à voguer vers les mêmes rives que la barque de Pierre.
On peut faire confiance à l'Église de
saint Denis.
Monseigneur Jean Rupp, in Histoire de
l’Église de Paris (1948)
1. Mais l'œuvre conserve toute son
utilité.