jeudi 20 décembre 2018

En rappelant... Jean Rupp, Histoire de l'Église de Paris : vers l'avenir



Le 11 mai 1940, vingt- quatre heures après que l'assaut général du front français eut été ordonné par Hitler, les Parisiens apprenaient le nom de leur nouvel évêque, Son Éminence le cardinal Suhard. Et quelques semaines plus tard, l'archevêque de Reims qui était allé visiter dans l'Ouest ses diocésains réfugiés, faisait son entrée à Paris. L'automobile qui l'amenait croisait sans cesse des voitures qui filaient en sens inverse... À l'heure où tout le monde s'en allait, lui gagnait son poste calmement pour ne pas le quitter un instant pendant la terrible épreuve de la capitale.
Le 31 mai 1940 était, paradoxalement, la fête du Sacré-Cœur. C'est ce jour-là à Montmartre, que Son Éminence devait faire son premier acte d'archevêque de Paris. Je me rappelle la cérémonie pour y avoir assisté par chance entre deux missions militaires. La basilique abritait une foule innombrable : les Parisiens se pressaient également sur les pentes de la butte...
C'était l'heure de ferveur où la France espérait encore le miracle ! Tout comme à Notre-Dame, le dimanche de la Trinité ou à Saint-Étienne-du-Mont, lors d'une inoubliable procession de la châsse de sainte Geneviève, le peuple de Paris, retrouvant entièrement les réflexes de prière des siècles passés, suppliait Dieu de sauver la France. Les occupants ont souri des prières publiques ordonnées par le gouvernement, et s'il est peu probable que les officiels aient chanté à Montmartre, comme on l'a prétendu, « Sauvez, sauvez la France au nom du Sacré-Cœur », leur présence à la basilique étonnait à peine les Parisiens de 1940.
Pour mon compte personnel, ce n'était pas eux que je voulais voir, mais mon nouvel archevêque. La chose me fut impossible et j'ai dû, tant la foule était dense, assister à la supplication dans l'église voisine de Saint-Pierre-de-Montmartre, où les haut-parleurs transmettaient les échos des cérémonies du Sacré-Cœur.
L'exode, la conversion in extremis de la Troisième République agonisante, bientôt l'évacuation totale de Paris et l'arrivée des troupes allemandes, tels étaient les événements qui marquaient le début d'un épiscopat qui eût préféré connaître des jours plus tranquilles. La Providence dispose les choses suivant un plan toujours imprévisible.
Nous n'entreprendrons pas de raconter mois par mois, année par aimée, les faits marquants du pontificat de Son Éminence le cardinal Suhard. On n'écrit pas l'histoire du présent. Certes, les huit années qui nous séparent des jours tragiques de 1940 sont de celles qui comptent et qu'on n'oublie pas facilement. Aussi bien ne pouvons-nous pas mettre un point final à notre livre avant d'avoir évoqué plusieurs épisodes de ce proche passé qui semblent devoir intéresser la postérité. On me permettra seulement de prendre de grandes libertés avec l'ordre chronologique et de me contenter d'ouvrir dans le maquis et la broussaille des faits, quelques avenues dont, je l'espère, le tracé ne semblera pas trop artificiel.
L'essor missionnaire du catholicisme parisien est la grande caractéristique de ces années. D'autres épiscopats, et spécialement celui du cardinal Verdier, ont connu aussi de hautes préoccupations apostoliques, mais l'idée d'un redressement complet de la machine ecclésiastique, d'un coup de volant donné à tout le clergé diocésain pour l'orienter vers les tâches d'évangélisation est neuve dans son ampleur et dans sa hardiesse. Elle est un véritable appel lancé à notre temps. Nous aurons l'occasion d'entrer dans le détail de certaines réalisations. Qu'il nous suffise, pour l'instant, de mettre à sa juste place, c'est-à-dire bien plus haut que les contingences politiques, l'axe d'un épiscopat déjà fructueux.
Il est beau de voir le Pasteur Angélique répandre à la même heure dans toute la chrétienté la lumière fécondante de ses Messages incomparables.
Les quatre années d'occupation seront émaillées d'événements intéressant l'histoire religieuse de Paris.
Dès leur arrivée dans la capitale, les nazis se précipitent à l'archevêché, emprisonnent le Cardinal dans son hôtel, l'isolent de son entourage, dévalisent ses archives, lui proposent ridiculement de célébrer la messe à 4 heures de l'après-midi, se comportent, non pas certes sauvagement, mais grossièrement. Les excuses vaguement esquissées par un officier d'État-Major après la remise en liberté du Cardinal n'effacent pas le caractère inadmissible de la perquisition faite à l'archevêché. Elle a bien un sens profond, cette démarche policière. Le nazisme veut atteindre le cœur même de la France : il sait où il est.
Les escarmouches entre l'autorité d'occupation et le catholicisme parisien seront quotidiennes. On ne peut pas parler de persécution ouverte, mais de tracasseries incessantes. Dès la fin d'août 1940, une célèbre circulaire du Commandant général allemand interdisait aux mouvements d'Action Catholique de continuer leurs réunions. Ce document restera lettre morte non parce que l'autorité allemande fera le geste de la rapporter, mais parce que les catholiques passeront outre.
Il est bien vrai que si la Gestapo avait voulu en finir avec nos organisations, elle aurait pu employer des procédés plus brutaux. Mais on espérait avoir raison de nous par l'intimidation, par l'asphyxie, sans nous procurer la fierté d'avoir des martyrs. Le procédé était assez habile. Il fallait le déjouer sans déchaîner d'inutiles représailles. Assez rapidement, nos mouvements de Jeunesse s'établirent dans une demi-clandestinité, qui leur fut, au fond, assez favorable. Le rythme des arrestations pour délit de reconstitution de ligues dissoutes était assez régulier et provoquait une sorte de guerre d'usure. Des tentatives étaient faites, par ailleurs, pour enrôler la Jeunesse Catholique dans des mouvements de collaboration ; les offres étaient parfois subtiles, anodines, alléchantes... Mais on tint bon.
C'est un titre de gloire de l'Épiscopat français que d'avoir défendu fermement cette autonomie des mouvements chrétiens. On se rappelle la formule lapidaire des cardinaux et archevêques en 1942 : « Jeunesse unie, oui ; jeunesse unique, non », qui barrera la route à la superstructure de type fasciste que les officiels voulaient imposer à l'Action Catholique.
Quand on lit un livre comme celui de Guillain de Bénouville, Le Sacrifice du matin, relatant les exploits héroïques des dirigeants de la Résistance militaire, quand on revit par la pensée ce qu'a dû être l'existence de ces hommes extraordinaires, on n'a pas la prétention de comparer les risques courus par les nôtres à ceux qui pesaient continuellement sur les chefs des réseaux clandestins.
Ces risques n'étaient pourtant pas nuls. Dès octobre 1940, un groupe de jeunes parisiens était arrêté pour délit de scoutisme. L'abbé Le Meur et l'abbé Drouet feront leur premier séjour à Fresnes uniquement pour avoir organisé dans la banlieue des défilés de gymnastes catholiques. Il n'est pas un seul de nos mouvements ou de nos groupements de Jeunesse masculine qui n'ait connu les charmes d'une perquisition. Au quartier général des Scouts de France, la Gestapo laissera les scellés pendant près de deux ans. Il sera difficile d'obtenir des nazis l'enlèvement du Saint-Sacrement placé, Lui aussi, sous le sceau de la police secrète du Troisième Reich !... Il faut avoir vu revenir de Fresnes, à Noël 1943, l'abbé Guérin, aumônier général de la J. O. C., hâve et maigre comme un squelette, pour comprendre combien la résistance spirituelle que menait – sans aucun lien avec la politique – le catholicisme parisien, avait infiniment plus d'importance aux yeux des occupants qu'on n'a bien voulu lui en attribuer depuis la libération.
Bien vite d'ailleurs, la ferveur patriotique du clergé parisien mit en contact avec les groupes politiques et même les réseaux militaires, nombre de ses membres.
Certes l'Église hiérarchique n'a pas opté officiellement pour ces formes de lutte contre l'envahisseur. Il suffit de se rappeler, de sang-froid, la nature de sa mission, pour s'expliquer une attitude que l'on a jugée parfois avec une précipitation regrettable. Mais les Résistants du clergé parisien savaient bien qu'ils n'agissaient pas contre la volonté de leur archevêque. Bien des militants laïcs ont pu s'en convaincre aussi. J'en veux citer un exemple.
C'est en 1942. Hitler vient d'imposer aux Israélites de France le port de l'étoile jaune. Un groupe de Jécistes — ayant à sa tête Jean S..., futur maquisard chevronné — vient trouver l'aumônier diocésain des étudiants de ce temps :
— Monsieur l'abbé, il faut que vous exprimiez, dans la chaire de l'église de la Sorbonne, la protestation de la conscience catholique.
— Je veux bien. Mais vous savez que je représente au milieu de vous l'archevêque de Paris. Ou bien vous allez m'obliger à dire : ‘C'est votre aumônier qui parle ici, en son nom personnel’, ou bien nous allons aller, tous ensemble, trouver le Cardinal et lui demander son avis.
— Allons chez le Cardinal.
La visite ne fut pas vaine. Son Éminence voulut bien approuver ces quelques paroles que je me rappelle à peu près littéralement après six années : « Une mesure incompréhensible pour l'âme française et où elle refuse de se reconnaître, vient d'être prise par les autorités d'occupation. L'immense émotion qui étreint le Quartier Latin ne nous laisse pas insensibles. Nous assurons les victimes de notre affection bouleversée et prions Dieu qu'Il leur donne la force de surmonter cette terrible épreuve ». Ce n'était peut-être pas aussi virulent que ce qu'on lisait dans les tracts anonymes. Mais la clandestinité à ciel ouvert avait ses risques. Celui que nous ne courions pas ce matin-là — et que nous n'aurions voulu courir, ni les uns ni les autres — était que le Chef du diocèse nous désavouât.
Je pourrais citer bien d'autres faits, pour ne parler que de ce que je connais personnellement. Mais on voit assez combien il est faux de prétendre que la Résistance catholique était en rupture de ban avec l'autorité hiérarchique.
Car on ne peut contester l'ampleur des activités catholiques dans la lutte du peuple de Paris pour sa libération. Que de courage ! que de noblesse ! que d'intelligence, souvent ! que de sang versé ! quel esprit de pardon ! quel refus obstiné chez beaucoup, de recourir, après la Victoire, aux vengeances faciles.
On a déjà trop écrit sur la Résistance pour que nous ajoutions un long couplet aux hymnes sonores qui ont résonné un peu partout. Le culte que nous devons à nos morts — j'ai des noms et des prénoms sur les lèvres — m'interdisait le silence absolu. Mais on comprendra pourquoi je ne veux rien dire des journées d'août 1944...
Si marquée qu'elle ait pu être par l'épisode de l'occupation, par les luttes et les joies de la libération, la période qui va de 1940 à nos jours est pourtant dominée par quelque chose de plus grand encore : la prise de conscience par l'Église de Paris d'un véritable devoir missionnaire au sein des masses paganisées.
Le grand héraut de cette réalisation (au sens anglais du mot) est l'abbé Godin, mort prématurément à Paris en janvier 1944. Originaire de Franche-Comté, aumônier jociste depuis l'avant-guerre, le Père Godin acquiert bien vite une expérience consommée de l'âme populaire et devient le guide spirituel le plus aimé des garçons et des filles du faubourg. Sa petite chambre de la rue Ganneron — où il mourra tragiquement d'une asphyxie due au mauvais fonctionnement d'une bouillotte électrique — est un vrai sanctuaire où d'innombrables consciences sont venues se former et se purifier. C'est Montmartre. Une note de joie et de clarté illumine le paysage pourtant funèbre du cimetière où dort Henri Heine. Là-haut, la silhouette rouge et nerveuse du campanile des Batignolles entraîne les cœurs à la foi. Saint Michel y foule aux pieds, vigoureusement, l'hydre de l'impiété.
Un livre rédigé concurremment par l'abbé Yvon Daniel et l'abbé Godin, France, pays de Mission ? vient mettre le feu aux poudres et secouer la torpeur des catholiques tièdes — disons même des chrétiens, car protestants et orthodoxes seront atteints par les remous de la petite brochure blanche et violette — à Paris, en France, puis dans le monde entier. Au premier abord on ne comprend pas bien ce qui a pu déclencher un tel mouvement. J'ai eu du mal à lire jusqu'au bout France, pays de Mission ?. Aucune harmonie dans le style et la composition. Les statistiques sont parfois contestables, les critiques souvent exagérées, les solutions peu claires. Il reste qu'un souffle puissant anime ce petit livre qui donne l'alarme devant l'irréligion des masses et gonfle les cœurs d'espoir en dévoilant les merveilleuses ressources spirituelles encore vierges de la classe ouvrière. On sent confusément qu'il fallait que ce mot fût dit. Pourquoi n'a-t-il pas été prononcé autrement ? C'est le mystère de la Providence.
L'homme et son livre ont ouvert la voie à un large flux missionnaire qui déferle désormais sur l'Église de Paris et sur la France tout entière. Le stade du Christ dans la banlieue, et des Chantiers du Cardinal 1 est dépassé. Son Éminence le cardinal Suhard qui anime la nouvelle croisade nous entraîne à un immense redressement apostolique qui doit atteindre le clergé séculier, les congrégations des deux sexes, les catholiques d'action et même la masse des fidèles.
On ne peut pas encore apprécier les fruits de cette campagne. Sans doute l'œuvre d'évangélisation entreprise doit-elle, pour réussir, prendre consistance, s'armer de moins d'héroïsme que de persévérance. Nous avons, dans les temps modernes, l'exemple d'une grande réussite : celle des frères Wesley qui ont arraché à l'impiété les masses populaires anglaises, à l'heure même de la Révolution industrielle et permis au socialisme britannique d'être chrétien et non pas athée. Ce magnifique résultat a été obtenu — hélas, en dehors de l'Église catholique et même de l'Église anglicane — par un travail coordonné, cohérent et profondément religieux. L'exemple mérite d'être médité. Pour calmer nos impatiences, nous avons assisté à la naissance de la Mission de Paris qui étudie de nouvelles méthodes de conquête, lance ses prêtres-ouvriers dans les usines, constitue les premiers noyaux de pénétration religieuse en pleine masse, glane déjà de belles conversions et rend témoignage de l'ardeur apostolique toute juvénile de l'Église Catholique. Sa mère, la Mission de France (dont la fondation, à Lisieux, est due en très grande partie à l'action de l'archevêque de Paris), éduque une génération de plus en plus nombreuse de prêtres séculiers généreux, ardents, sportifs — au sens moral du terme — qui vont, demain, apporter une vie nouvelle à de nombreuses paroisses de Paris et de province. L'esprit souffle dans la ville de sainte Thérèse et une grande œuvre de reconstruction chrétienne s'y élabore dans la prière, la vie communautaire et la culture intensive des ambitions apostoliques. Les mouvements de pénétration populaire comme le M. P. F. enregistrent, eux aussi, de beaux succès. Dans un ordre tout différent, deux grandes séries de manifestations religieuses en l'honneur de sainte Thérèse de Lisieux, puis de Notre-Dame de Boulogne ont montré que la masse parisienne se laissait émouvoir par un spectacle de ferveur populaire qui prend assez facilement le caractère d'une Mission.
Nous sommes au début de toute une fermentation.
Dieu seul sait si l'effort aboutira. Selon toutes les lois de la vie de la grâce et de la psychologie humaine, il doit porter des fruits. S'il échoue, c'est qu'il aura manqué de racines dans le tréfonds de la vie ecclésiale. La sagesse des directives données par la Hiérarchie, si hardie par ailleurs, empêchera les déviations possibles. Mais il dépend du sens catholique des laïcs et des clercs que l'action missionnaire déclenchée en France, et spécialement à Paris, n'avorte pas.
L'heure est venue où nous devons dire adieu à nos lecteurs et regarder, du rivage, la nef millénaire de Paris et de son Église, voguer vers d'autres horizons, Combien de temps encore ? Où ? C'est le secret de l'avenir.
L'aventure d'une Église particulière a quelque chose d'un peu angoissant au premier regard.
S'il est avéré, pour un chrétien, que la grande Ecclesia bâtie par Jésus sur le roc de la Papauté ne peut périr, rien n'est moins sûr, semble-t-il, que l'immortalité d'un diocèse. Il y a des chrétientés ensevelies. Mais avouons que, dans l'ensemble, les Églises ont la vie dure. Les nouveaux printemps fleurissent là où, hier, tout n'était que stérilité. De Carthage à Pékin, de Glasgow à Antioche, nous avons assisté à plus d'une résurrection. Les Églises mortes elles-mêmes conservent une existence de droit, ici-bas (les évêchés in partibus en portent témoignage), et une existence de fait dans l'autre monde. Nous n'avons donc rien à craindre pour l'avenir de notre mère, l'Église de Paris. D'une façon ou d'une autre, le vaisseau a mis le cap sur l'éternité.
Nous lui disons donc bon voyage, avec la paix dans le cœur.
Fort de ses dix-sept siècles d'existence, il est bien armé d'ailleurs pour le présent et l'avenir immédiat. La coque est solide, les mâts et le gréement sont robustes, les voiles claquent au vent et les couches de peinture fraîche empêchent la moisissure...
L'Église de Paris a un bon clergé, entreprenant, zélé, industrieux qui compte maintes personnalités distinguées. Le nombre des vocations a décru depuis les lois de séparation, mais la remontée s'accentuait nettement entre les deux guerres et, sans les malheurs des années 1939-45, la remise en état du diocèse eût été presque complète. Avec l'aide de nombreuses communautés religieuses et de prêtres venus d'ailleurs, les vides sont à peu près comblés.
Combien y a-t-il vraiment de catholiques dans le diocèse ? C'est difficile à dire, en l'absence de statistiques gouvernementales. Un travail effectué récemment m'a permis d'établir que, pendant les quatorze années qui ont précédé 1944, 7o% environ des enfants nés dans le département de la Seine avaient reçu le sacrement de baptême. Les catholiques de nom, de tradition et d'origine sont donc largement majoritaires à Paris et c'est déjà un résultat si l'on songe à tout ce qu'a fait l'irréligion militante pour arracher notre peuple à sa foi. Le nombre moyen des pratiquants, un dimanche ordinaire, oscille, dans le diocèse, entre quatre et cinq cent mille. Mais ce ne sont pas tous des réguliers. Il est assez probable que sept à huit cent mille Parisiens pénètrent, chaque année, dans l'une ou l'autre de nos églises.
Nos coreligionnaires des pays anglo-saxons, nordiques et germaniques seront un peu surpris du flou de nos statistiques et de l'inconstance relative des catholiques parisiens. Mais il faut tenir compte de la pression sociale qui rend l'assistance régulière aux offices moralement impossible à une foule de chrétiens de chez nous. Si la persévérance n'est pas brillante — ce qui est pour nous une souffrance aiguë — nous savons que le peuple de Paris garde des antennes chrétiennes et qu'il suffit d'un coup de grâce pour arracher à l'impiété les indifférents les plus obstinés.
Mais notre grande raison d'espérer n'est pas là.
Elle est dans le zèle de nos militants si nombreux, si généreux et si actifs, dans la ferveur des cent soixante et onze congrégations de femmes présentes dans le diocèse et de leurs trois cent trente-cinq maisons (non compris celles, si nombreuses à Paris, des Filles de la Charité), dans la floraison des œuvres charitables et sociales (l'aumônerie des prisonniers, œuvre du chanoine Rodhain, a été, pendant toute la guerre, un centre incomparable d'action charitable. Elle se continue par le Secours Catholique qui a déjà fait brillamment ses preuves), dans l'élan du Mouvement liturgique, dans le nombre et la valeur de nos groupes de Jeunesse (plus de vingt-cinq mille scouts et douze mille guides enregistrés. Cinquante mille Jeunes à la messe de Jeanne d'Arc en 1946, quatre-vingt mille enfants à la fête des Cœurs Vaillants et Ames Vaillantes la même année. Plus de cinq mille étudiants à la Messe pascale des Facultés, ce printemps. Entre 6o et 8o% de pascalisants dans beaucoup de grandes écoles. Trente mille jeunes dans notre enseignement libre diocésain etc.) L'action catholique ouvrière avec, à sa pointe, l'admirable J. O. C., a créé un type nouveau de chrétien, authentiquement populaire et souvent mystique qui montre, jusqu'à l'évidence, l'erreur commise par Marx quand il a identifié christianisme et bourgeoisie. L'intérêt porté aux Missions Étrangères par la ville qui compte les centres incomparables de la rue du Bac, de la rue de Sèvres et de la rue Lhomond ne s'est pas démenti. Paris demeure la ville de la pensée, de la science, des Lettres et des Arts. Dans tous ces domaines, les catholiques sont actifs et prestigieux. La politique même connaît chez nous, malgré la puissance des courants athées, un nouveau souffle de spiritualisme chrétien.
Vous voulez voir des masses chrétiennes ? Assistez, sur la terrasse du Palais de Chaillot le 23 avril 1945, à la messe des Scouts et des Guides, et, en juillet de la même année, à la Messe des prisonniers et déportés, qui a donné un sens rétroactif aux indicibles souffrances endurées dans les camps, et figé dans la prière cent cinquante mille Parisiens assemblés aux pieds de la Tour Eiffel. Allez aux Carêmes du Révérend Père Riquet à Notre-Dame, ou bien, le 30 juin 1946 à cette messe nocturne du stade de Colombes où plus de cent mille chrétiens, unis autour de leur archevêque et de deux cents de leurs curés, ont offert à Dieu, ensemble, d'une même voix et d'un même cœur, la louange collective de l'Église de Paris.
Vous préférez le recueillement des sanctuaires fervents ? Allez au Sacré-Cœur. L'hostie y est toujours visible et entourée d'adorateurs muets qui vous entraîneront à l'oraison. Allez à Notre-Dame des Victoires, à la Médaille Miraculeuse, à l'abbaye de la Source, chez les Pères du Saint-Sacrement. Ou, plus simplement, entrez dans une de nos églises paroissiales. Vous y serez rarement seul. La prière silencieuse de vos frères et de vos sœurs dans le Christ vous aidera à trouver Dieu, tout autant que les volutes d'encens qui, depuis des siècles, se sont enroulées autour des piliers noircis, pour les consacrer, irrémédiablement, au service du Seigneur.
À Paris, tout parle du Christ, quand on sait écouter la voix des choses.
Le vieux vaisseau de Lutèce, fort de son passé et de ses rajeunissements miraculeux, en a encore pour de longs siècles à voguer vers les mêmes rives que la barque de Pierre.
On peut faire confiance à l'Église de saint Denis.
Monseigneur Jean Rupp, in Histoire de l’Église de Paris (1948)

1. Mais l'œuvre conserve toute son utilité.