samedi 12 novembre 2016

En mourant... Un moine bénédictin, Tenez-vous prêts ! Priez !


Le sens de la mort
Je ne meurs pas, j'entre dans la vie.
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Pourquoi l'homme meurt-il, pourquoi doit-il mourir ? S'agit-il d'une loi de nature, nécessaire ; ou est-ce le résultat d'un accident, un châtiment, une peine ?
La réponse à cette question nous est révélée dès les premiers chapitres du Livre de la Genèse où la mort apparaît comme une conséquence de la désobéissance de nos premiers parents. Conformément à l'avertissement que Dieu avait donné Adam : De l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort, tombe la sentence, après la transgression :
Tu retourneras en poussière. 1
Saint Paul fait pour toute la descendance d'Adam ce triste constat :
C'est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes. 2
Il est intéressant de remarquer ici combien la Révélation justifie l'étonnement commun devant la mortalité de l'homme et son sinistre cortège de souffrances et de drames : tout cela peut-il avoir une cause simplement naturelle et surtout être voulu par le Créateur ?
Dieu n'a pas fait la mort, est-il écrit dans le Livre de la Sagesse, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants [...]. Oui, Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature ; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde. 3
Et pourtant, la mort ne devrait-elle pas être naturelle à l'homme, comme elle est naturelle tout être matériel, spécialement à tout corps organisé, dont la complexité même fait la fragilité ?
Il en aurait été ainsi en effet, si Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, n'avait conféré à l'homme, à titre de don gracieux surajouté à la nature, l'immortalité corporelle. Ce faisant, il lui épargnait la corruption commune aux êtres vivants, eu égard à son âme immortelle.
Le Paradis perdu
Or cette grâce n'était pas un bienfait isolé : elle faisait partie de l'état de perfection dans lequel Dieu, par amitié, avait au commencement établi l'homme, dont il faisait son ami. Fondamentalement, cet état, appelé justice originelle, consistait dans la parfaite ordination et soumission de l'âme à Dieu. L'âme unie à Dieu recevait de Lui un surcroît de vigueur qui préservait son corps de la corruption. Au terme d'une vie physique exempte de tout ennui et de toute lourdeur, l'homme serait passé, sans angoisse ni séparation de l'âme et du corps, du Paradis de la terre à celui des Cieux. Dans cette nouvelle naissance, l'âme, admise à la Vision de Dieu, aurait entraîné son corps vers la gloire.
Les déshérités du paradis terrestre, que nous sommes, ont bien du mal à se remémorer la noblesse de leurs origines et à mesurer les splendeurs de nature et de grâce dont Dieu s'était plu à doter leurs premiers parents, et qu'ils auraient dû transmettre à leurs descendants.
Mais Dieu nous l'a révélé et l'Église nous l'enseigne :
En créant l'homme et la femme, Dieu leur avait donné une participation spéciale à Sa vie divine, dans la sainteté et la justice. Dans le projet de Dieu, l'homme n'aurait dû ni souffrir ni mourir. En outre, il régnait une harmonie parfaite de l'homme en lui-même, entre la créature et le créateur, entre l'homme et la femme, comme aussi entre le premier couple humain et la création. 4
Par le péché, l'homme perdit librement l'amitié divine, il perdit donc la grâce et tous les privilèges accordés à l'ami, à l'enfant de Dieu. L'âme rebelle à Dieu perdit la pleine domination sur ses passions, et encore la pleine soumission de son propre corps. Celui-ci fut laissé à sa corruptibilité naturelle.
Jésus, le Bon Samaritain
Le cardinal Journet écrit :
D'emblée, Dieu a aimé la race humaine d'un amour fou, jusqu'à vouloir se donner lui-même à elle dans la vision du Ciel. L'offense du premier acte humain méprisant un tel amour est terrifiante. Pourra-t-elle jamais être compensée ? Puisque Dieu ne peut nous contraindre à l'aimer, puisqu'il accepte de jouer avec nous le jeu si périlleux de notre libre arbitre et de notre libre amour donné ou refusé, il faudrait que d'un cœur humain, non touché par nos déchéances mais ayant expérimenté notre détresse et souffert en sa chair, qui est la nôtre, la tragédie de notre péché — monte pour nous vers le Ciel un acte de libre et infaillible amour d'une telle intensité qu'il surcompense infiniment la première offense : il faudra qu'un Dieu se fasse homme. S'il n'avait pas songé à cette seconde folie de son amour, Dieu n'aurait pas permis la première offense, il n'aurait même pas créé le genre humain et tout l'univers des choses visibles. 5
Quand vint donc la plénitude du temps, Dieu, cause de l'amour extrême dont il nous a aimés, nous envoya son propre Fils, Jésus-Christ ; lequel ayant pris chair de la Vierge Marie s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la Croix 6. Ayant offert, avec un grand cri et avec larmes, ses prières et supplications à Celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé en raison de sa piété [...], devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent 7. Aussi, remontant au Ciel après sa Résurrection, peut-il dire à ses disciples :
Toute puissance m'a été donnée dans le Ciel et sur la Terre. Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné. 8
En incorporant le croyant au Christ mort et ressuscité, le Baptême détruit la faute originelle et tous les autres péchés ; il en efface la souillure, restituant à l'âme la grâce divine. Il délivre de la peine éternelle qui nous privait de la vision de Dieu.
Quant à la mort, elle ne sera définitivement vaincue qu'à la résurrection générale, mais dès maintenant, la grâce lui donne un sens nouveau : sans cesser d'être pénible et odieuse à la nature, elle perd pour le fidèle son amertume, elle lui devient douce, précieuse, heureuse. Car ce décès de la vie terrestre lui donne accès à la vie béatifiante : c'est l'entrée dans la vraie vie, c'est le jour de sa naissance, son véritable Noël, c'est l'heure même de la Rencontre ; c'est la joie d'aller au Christ, de souffrir pour Lui, de mourir avec Lui et en Lui, suivant l'ardent désir de saint Paul :
Le connaître, Lui, avec la puissance de Sa Résurrection et la communion à Ses souffrances, Lui devenir semblable dans Sa mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d'entre les morts. 9
...Car, en nous sauvant, Dieu n'est pas venu nous dispenser d'aimer ! Au contraire, il nous appelle à aimer dans le Christ, en donnant nous aussi notre vie, à entrer dans ce mystère d'amour qui est la gloire du Christ :
Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. 10
Aux chrétiens qui voulaient empêcher son martyre, saint Ignace d'Antioche écrivait :
Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu !
Je
vous écris vivant et désirant mourir : mon amour terrestre est crucifié et il n'y a plus en moi d'ardeur pour la matière, il n'y a plus qu'une eau vive qui murmure au-dedans de moi et me dit : viens vers le Père. 11

L'importance de la mort
Tel qu'en lui-même enfin, l'éternité le change.
Mallarmé
Le choix décisif
Avec la mort cessent le temps du mérite et la possibilité de la conversion. C'est là une vérité que l'Église a toujours professée explicitement et expressément 12. Elle est de foi. Elle s'oppose aux doctrines de réincarnation et aux théories selon lesquelles les mauvais anges et les damnés, à la fin, se convertiraient.
Saint Paul :
Nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ afin que chacun recueille le prix de ce qu'il aura fait pendant qu'il était dans son corps, soit en bien, soit en mal. 13
Saint François de Sales :
C'est chose assurée que l'état auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours, lorsque Dieu coupera le fil de notre vie, sera celui où nous demeurerons pour toute l'éternité. 14
Déjà saint Benoît, commentant l'Évangile (cf. Jn 12, 35), nous avertissait en ces termes :
Si nous voulons échapper aux peines de l'enfer et parvenir la vie éternelle, tant que nous sommes encore dans ce corps et que nous pouvons, a la lumière de cette vie, accomplir tout cela, il nous faut courir et faire maintenant ce qui nous profitera pour l'éternité. 15
Le sort de l'homme est donc définitivement fixé au dernier instant de sa vie corporelle. La fin vers laquelle tend l'âme au moment où elle se sépare de son corps devient sa fin irrévocable pour le bien ou pour le mal. Cet instant de la mort est l'analogue de celui où les anges, en un acte unique, se portèrent au bien ou au mal, fixant sans retour leur sort éternel. Seulement l'épreuve humaine, que l'instant de la mort termine, aura duré toute la vie terrestre16
À l'approche de la mort, Satan et les anges rebelles s'efforcent d'entraîner à la perdition la pauvre âme qui se débat et qui, trop souvent, ne s'est guère préparée au choix décisif auquel désormais elle ne peut plus se soustraire. Ceux qui assistent les mourants peuvent en témoigner : même après la mort apparente, le visage trahit parfois la lutte qui semble se livrer mystérieusement jusqu'à ce que l'âme quitte le corps.
Appelons saint Michel et les saints anges notre secours, pour qu'ils nous arrachent aux pièges du Prince des Ténèbres :
Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, afin que nous ne périssions pas au jour du Jugement redoutable ! 17
Au cours de chaque vie humaine, de manière plus ou moins explicite, les prévenances et les invitations de la grâce divine ne manquent jamais. Le temps qui s'écoule nous donne libéralement le loisir de nous convertir et de répondre enfin par des actes à Celui qui nous a aimés d'un amour éternel. Le dernier acte de la vie terrestre, celui de la mort, devrait alors consacrer et mettre le sceau de l'irrévocable à cette personnalité spirituelle qu'avec l'aide de Dieu, l'homme a été à même de se former au cours de son existence.
N'est-ce pas ignorer l'intention même de la vie que de la faire servir à des délais sans fin, d'autant plus périlleux que la trame peut se déchirer soudainement 18
Qui peut se promettre aujourd'hui d'être encore vivant demain ?
Insensé, dit le Seigneur au riche de la parabole, cette nuit même on va te redemander ton âme. 19
Tenez-vous prêts !
Comprenez bien ceci, nous dit encore Jésus : si le maître de maison savait quelle heure le voleur doit venir, il ne laisserait pas percer le mur de la maison. Vous aussi tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme va venir. 20
Nous tenir prêts, c'est nous rappeler sans cesse notre condition mortelle, et considérer chaque jour de notre vie comme un sursis accordé par Dieu pour notre conversion ; c'est vivre constamment sous le regard de Dieu et donner à chaque instant son poids d'éternité et d'amour. Les saints n'ont pas fait autre chose 21, et c'est de cette façon qu'ils ont pu rendre les plus grands services à l'humanité.
Le monde, au contraire, s'emploie à endormir nos consciences, à camoufler la mort et à faire oublier la vie future :
Les mortels, disait Bossuet, n'ont pas moins soin d'ensevelir les pensées de la mort que d'enterrer les morts mêmes. 22
Même lorsque la réalité de la mort s'impose de manière brutale, à l'occasion d'un accident par exemple, le corps médical a la consigne de s'appliquer à restaurer l'illusion de l'immortalité chez les survivants. Ceci s'enseigne très officiellement, du haut de la chaire de Médecine légale, à l'Université. 23
Le croira-t-on ? Certains vont jusqu'à espérer que les progrès de la science permettront d'échapper un jour à la mort elle-même.
Cette illusion non avouée d'une possible immortalité de l'homme sur terre, écrit Damien Le Guay, d'un accès imminent à un paradis ici-bas, sans dieux, sans fin, sans peur, est une illusion vénéneuse. Elle vient polluer les débats et corrompre la réflexion. Nous avons perdu la mort comme cérémonie sociale d'accompagnement, nous sommes en train de perdre, petit à petit, de petits mensonges en flatteuses avancées scientifiques, la certitude que l'homme est mortel et qu'il nous faut nous préparer à cette fatale évidence. 24
Une telle constatation rejoint l'analyse de Jean-Paul II :
La civilisation contemporaine fait tout ce qui est en son pouvoir pour détourner la conscience humaine de l'inéluctable réalité de la mort en tentant de pousser l'homme a vivre comme si la mort n'existait pas ! La réalité de la mort est cependant évidente. Il n'est pas possible de la faire taire ; il n'est pas possible de dissiper la peur qui l'accompagne.
L'homme craint la mort, comme il craint ce qui vient après la mort. Il craint le jugement et la punition, et cette crainte a une valeur
salvifique : elle ne doit pas être effacée de l'homme. 25
Priez !
Sur notre planète, il meurt environ mille huit cents personnes tous les quarts d'heure, soit deux décès par seconde 26. Demandons pour elles, dans notre prière quotidienne, des grâces spéciales de lumière et de conversion. Invoquons spécialement Notre-Dame. Jésus n'a pas dédaigné son secours maternel lorsque son heure fut venue : Debout, au pied de la Croix, se tenait sa Mère 27. Comment les chrétiens pourraient-ils négliger d'avoir recours à elle à cet instant suprême ? C'est bien ce qu'ils lui demandent tous les jours dans le Je vous salue Marie : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort ».
Quant à saint Joseph, il eut la grâce de mourir entouré de la présence et de l'affection de Marie, dont il était le virginal époux, et de Jésus lui-même, son fils adoptif. Tout chrétien rêve d'une pareille compagnie pour le jour de son trépas et c'est pourquoi il prie saint Joseph, patron de la Bonne Mort.
Cependant nous ne pourrons affronter dans la paix cette ultime épreuve si nous négligeons de nous y préparer en étant fidèles, jour après jour, aux engagements de notre baptême, aux vérités de la foi et à la pratique de la charité. Aujourd'hui encore, le Christ ne cesse de nous y aider, par l'intermédiaire de ses représentants sur la terre.
Un moine bénédictin, in Petit guide du Pèlerin d’Éternité
(Traditions monastiques)



1. Genèse 2, 17 et 3, 19.
2. Romains 5, 12 ; cf. Concile de Trente, session V.
3. Sagesse 1, 13 et 2, 23-24.
4. Compendium du CEC, n°72.
5. La Rédemption, Drame de l'Amour de Dieu, Genève, 1972, p. 27.
6. Philippiens 2, 8.
7. Hébreux 5, 7-9.
8. Matthieu 28, 18-19 et Marc 16, 16.
9. Philippiens 3, 10-11.
10. Jean 15, 13.
11. Saint Ignace d'Antioche, Épître aux Romains, VI, 3 et VII, 2.
12. Cf. Synode de Constantinople (543) ; Léon X (1520) ; CEC, n° 1013.
13. 2 Corinthiens 5, 10.
14. Sermon pour le Vendredi Saint, Éd. d'Annecy, t. IX, p. 283.
15. Prologue de la Règle.
16. Envisager un instant, au-delà de la séparation de l'âme et du corps, où l’homme pourrait encore se convertir serait une dangereuse illusion, contraire à la Sainte Écriture, à la Tradition et à la condition naturelle de l'agir humain où le corps est intimement uni à l'âme. Ce serait assimiler cette dernière à un esprit pur et cela aboutirait dépouiller la vie terrestre de sa portée d'éternité, la réduisant à un stage plus ou moins long dans un monde tranquillement profane, où l'homme serait comme un enfant incapable de s'engager vraiment dans un choix décisif.
17. Verset de l'Alléluia de la fête de Saint-Michel.
18. Dom Delatte, Commentaire sur la Règle de saint Benoît, op. cit., p. 19.
19. Luc 12, 20.
20. Luc 12, 39-40.
21. Saint Antoine le Grand disait : Chaque jour, en nous levant, pensons que nous ne subsisterons pas jusqu'au soir, et le soir, en nous couchant, pensons que nous ne nous réveillerons pas (Vie, 19).
22. Sermon pour le vendredi de la IVe semaine de Carême 1666, Exorde.
23. Cf. cours donné le 25 mars 2005, dans le cadre du 3e cycle, à des médecins spécialistes dans une faculté française.
24. Qu'avons-nous perdu en perdant la mort ?, Ed. du Cerf, 2003, p. 15.
25. Homélie du 23 avril 1995, ORF n° 8.
26. Cf. Encyclopédie de la population mondiale, Syrinx, 1999.
27. Jean 19, 25.