Je
ne meurs pas, j'entre dans la vie.
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Pourquoi l'homme meurt-il, pourquoi
doit-il mourir ?
S'agit-il d'une loi
de nature, nécessaire ;
ou est-ce le
résultat d'un accident, un châtiment, une peine ?
La réponse à cette question nous est révélée dès les premiers chapitres
du Livre de la Genèse où la mort apparaît comme une conséquence de la désobéissance
de nos premiers parents. Conformément à l'avertissement
que Dieu avait donné Adam :
De l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le
jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort, tombe la sentence, après la
transgression :
Tu
retourneras en
poussière. 1
Saint Paul fait pour toute la
descendance d'Adam ce triste constat :
C'est par un seul homme que le péché
est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes. 2
Il est intéressant de remarquer ici
combien la Révélation justifie l'étonnement commun devant la mortalité
de l'homme et son sinistre cortège de souffrances et de drames : tout cela peut-il avoir une cause
simplement naturelle et surtout être voulu par le Créateur ?
Dieu n'a pas
fait la mort, est-il écrit dans le Livre de la Sagesse, il ne prend
pas plaisir à
la perte des vivants [...]. Oui, Dieu a
créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre
nature ;
c'est par l'envie du diable que la mort est entrée
dans le monde. 3
Et pourtant,
la mort ne devrait-elle
pas être naturelle à
l'homme, comme elle est naturelle tout être matériel, spécialement à tout corps organisé, dont la
complexité même fait la fragilité ?
Il en aurait
été ainsi en effet, si Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, n'avait conféré à l'homme, à titre de don gracieux
surajouté à la nature, l'immortalité
corporelle. Ce faisant, il lui épargnait la corruption commune aux êtres
vivants, eu égard à son âme immortelle.
Le Paradis perdu
Or cette
grâce n'était pas un bienfait isolé : elle faisait partie de l'état de perfection dans
lequel Dieu, par amitié, avait au commencement établi l'homme, dont il faisait
son ami. Fondamentalement, cet état, appelé justice originelle, consistait
dans la parfaite ordination et soumission de l'âme à Dieu. L'âme
unie à Dieu recevait
de Lui un surcroît de vigueur qui préservait son corps de la corruption. Au
terme d'une vie physique exempte de tout ennui et de toute lourdeur, l'homme
serait passé, sans angoisse ni séparation de l'âme et du corps, du Paradis de
la terre à celui des Cieux. Dans cette nouvelle naissance, l'âme, admise à la
Vision de Dieu, aurait entraîné son corps vers la gloire.
Les
déshérités du paradis terrestre, que nous sommes, ont bien du mal à se
remémorer la noblesse de leurs origines et à mesurer les splendeurs de nature
et de grâce dont Dieu s'était plu à doter leurs premiers parents, et qu'ils
auraient dû transmettre à leurs descendants.
Mais Dieu
nous l'a révélé et l'Église nous l'enseigne :
En créant
l'homme et la femme, Dieu leur avait donné une participation spéciale à Sa vie
divine, dans la sainteté et la justice. Dans le projet de Dieu, l'homme
n'aurait dû ni souffrir ni mourir. En outre, il régnait une harmonie parfaite
de l'homme en lui-même, entre la créature et le créateur, entre l'homme et la
femme, comme aussi entre le premier couple humain et la création. 4
Par le péché,
l'homme perdit librement l'amitié divine, il perdit donc la grâce et tous les
privilèges accordés à
l'ami, à l'enfant de
Dieu. L'âme rebelle à Dieu perdit la pleine domination sur ses passions, et
encore la pleine soumission de son propre corps. Celui-ci fut laissé à sa corruptibilité
naturelle.
Jésus,
le Bon Samaritain
Le cardinal Journet écrit :
D'emblée,
Dieu a aimé la race humaine d'un amour fou, jusqu'à vouloir se donner lui-même
à elle dans la vision du Ciel. L'offense du premier acte humain méprisant un
tel amour est terrifiante. Pourra-t-elle jamais être compensée ?
Puisque Dieu ne peut nous contraindre à l'aimer, puisqu'il accepte de jouer
avec nous le jeu si périlleux de notre libre arbitre et de notre libre amour
donné ou refusé, il faudrait que d'un cœur humain, non touché par nos
déchéances — mais ayant
expérimenté notre détresse et souffert en sa chair, qui est la nôtre, la
tragédie de notre péché — monte pour nous vers le Ciel un acte de libre et
infaillible amour d'une telle intensité qu'il surcompense
infiniment la première offense :
il faudra qu'un Dieu se fasse homme. S'il n'avait pas
songé à cette seconde
folie de son amour, Dieu n'aurait pas permis la première offense, il n'aurait
même pas créé le genre humain et tout l'univers des choses visibles. 5
Quand vint
donc la plénitude du temps, Dieu, cause de l'amour extrême dont il nous a
aimés, nous envoya son propre Fils, Jésus-Christ ; lequel ayant pris chair
de la Vierge Marie s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de
la Croix 6. Ayant offert, avec un grand cri et avec larmes, ses
prières et supplications à Celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé en
raison de sa piété [...],
devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui
lui obéissent 7. Aussi, remontant au Ciel après sa
Résurrection, peut-il dire à ses disciples :
Toute
puissance m'a été donnée dans le Ciel et sur la Terre. Allez donc et instruisez
tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne
croira pas sera condamné. 8
En
incorporant le croyant au Christ mort et ressuscité, le Baptême détruit la
faute originelle et tous les autres péchés ; il en efface la souillure, restituant à l'âme la grâce
divine. Il délivre de la peine éternelle qui nous privait de la vision de Dieu.
Quant à la
mort, elle ne sera définitivement vaincue qu'à la résurrection générale, mais
dès maintenant, la grâce lui donne un sens nouveau : sans cesser d'être pénible et
odieuse à la nature,
elle perd pour le fidèle son amertume, elle lui devient douce, précieuse,
heureuse. Car ce décès de la vie terrestre lui donne accès à la vie béatifiante : c'est
l'entrée dans la vraie vie, c'est le jour de sa naissance, son véritable Noël,
c'est l'heure même de la Rencontre ; c'est la joie d'aller au Christ, de souffrir pour Lui,
de mourir avec Lui et en Lui, suivant l'ardent désir de saint Paul :
Le connaître,
Lui, avec la puissance de Sa Résurrection et la communion à Ses souffrances,
Lui devenir semblable dans Sa mort, afin de parvenir si possible à la
résurrection d'entre les morts. 9
...Car, en
nous sauvant, Dieu n'est pas venu nous dispenser d'aimer ! Au contraire,
il nous appelle à aimer dans le
Christ, en donnant —
nous aussi — notre vie, à entrer dans ce mystère d'amour qui
est la gloire du Christ :
Il n'y a pas
de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. 10
Aux chrétiens
qui voulaient empêcher son martyre, saint Ignace d'Antioche écrivait :
Laissez-moi imiter la
Passion de mon Dieu !
Je vous écris vivant et désirant mourir : mon amour terrestre est crucifié et il n'y a plus en moi d'ardeur pour la matière, il n'y a plus qu'une eau vive qui murmure au-dedans de moi et me dit : viens vers le Père. 11
Je vous écris vivant et désirant mourir : mon amour terrestre est crucifié et il n'y a plus en moi d'ardeur pour la matière, il n'y a plus qu'une eau vive qui murmure au-dedans de moi et me dit : viens vers le Père. 11
Tel qu'en lui-même enfin, l'éternité le change.
Mallarmé
Mallarmé
Le choix décisif
Avec la mort
cessent le temps du mérite et la possibilité de la conversion. C'est là une
vérité que l'Église a toujours professée explicitement et expressément 12. Elle est de foi. Elle s'oppose aux
doctrines de réincarnation et aux théories selon lesquelles les mauvais anges
et les damnés, à la fin, se
convertiraient.
Saint Paul :
Nous devons
tous comparaître devant le tribunal du Christ afin que chacun recueille le prix de ce qu'il aura
fait pendant qu'il était dans son corps, soit en bien, soit en mal. 13
Saint François de Sales :
C'est chose
assurée que l'état auquel nous nous trouverons à la fin de nos
jours, lorsque Dieu coupera le fil de notre vie, sera celui où nous demeurerons
pour toute l'éternité. 14
Déjà saint
Benoît, commentant l'Évangile (cf. Jn 12, 35), nous avertissait en ces termes :
Si nous
voulons échapper aux peines de l'enfer et parvenir la vie éternelle, tant que
nous sommes encore dans ce corps et que nous pouvons, a la lumière de cette
vie, accomplir tout cela, il nous faut courir et faire maintenant ce qui nous
profitera pour l'éternité. 15
Le sort de
l'homme est donc définitivement fixé au dernier instant de sa vie corporelle.
La fin vers laquelle tend l'âme au moment où elle se sépare de son corps
devient sa fin irrévocable pour le bien ou pour le mal. Cet instant de la mort
est l'analogue de celui où les anges, en un acte unique, se portèrent au bien
ou au mal, fixant sans retour leur sort éternel. Seulement l'épreuve humaine,
que l'instant de la mort termine, aura duré toute la vie terrestre. 16
À l'approche de la mort, Satan et
les anges rebelles s'efforcent d'entraîner à la perdition la pauvre âme qui se
débat et qui, trop souvent, ne s'est guère préparée au choix décisif auquel
désormais elle ne peut plus se soustraire. Ceux qui assistent les mourants
peuvent en témoigner : même après la mort apparente, le visage trahit parfois
la lutte qui semble se livrer mystérieusement jusqu'à ce que l'âme quitte le corps.
Appelons
saint Michel et les saints anges notre secours, pour qu'ils nous arrachent aux
pièges du Prince des Ténèbres :
Saint Michel
Archange, défendez-nous dans le combat, afin que nous ne périssions pas au jour
du Jugement redoutable ! 17
Au cours de
chaque vie humaine, de manière plus ou moins explicite, les prévenances et les
invitations de la grâce divine ne manquent jamais. Le temps qui s'écoule nous
donne libéralement le loisir de nous convertir et de répondre enfin par des
actes à Celui qui nous a aimés d'un amour éternel. Le dernier acte de la vie
terrestre, celui de la mort, devrait alors consacrer et mettre le sceau de
l'irrévocable à cette
personnalité spirituelle qu'avec l'aide de Dieu, l'homme a été à même de se former au cours de son
existence.
N'est-ce pas
ignorer l'intention même de la vie que de la faire servir à des délais
sans fin, d'autant plus périlleux que la trame peut se déchirer soudainement ? 18
Qui peut se
promettre aujourd'hui d'être encore vivant demain ?
Insensé, dit le Seigneur
au riche de la parabole, cette nuit même on va te redemander ton âme. 19
Tenez-vous
prêts !
Comprenez
bien ceci, nous dit encore Jésus : si le maître de maison savait
quelle heure le voleur doit venir, il ne laisserait pas percer le mur de la maison.
Vous aussi tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme
va venir. 20
Nous tenir
prêts, c'est nous rappeler sans cesse notre condition mortelle, et considérer
chaque jour de notre vie comme un sursis accordé par Dieu pour notre conversion ; c'est vivre constamment sous le
regard de Dieu et donner à
chaque instant son poids d'éternité et d'amour. Les saints n'ont pas fait
autre chose 21,
et c'est de cette façon qu'ils ont pu rendre les plus grands services à l'humanité.
Le monde, au
contraire, s'emploie à endormir nos consciences, à camoufler la mort et à faire oublier la vie future :
Les mortels, disait
Bossuet, n'ont pas moins soin d'ensevelir les pensées de la mort que
d'enterrer les morts mêmes. 22
Même lorsque
la réalité de la mort s'impose de manière brutale, à l'occasion d'un accident
par exemple, le corps médical a la consigne de s'appliquer à restaurer l'illusion de l'immortalité chez
les survivants. Ceci s'enseigne très officiellement, du haut de la chaire de
Médecine légale, à l'Université. 23
Le
croira-t-on ? Certains vont jusqu'à espérer que les progrès de la science
permettront d'échapper un jour à
la mort elle-même.
Cette
illusion non avouée d'une possible immortalité de l'homme sur terre, écrit Damien
Le Guay, d'un accès
imminent à un paradis ici-bas, sans dieux,
sans fin, sans peur, est une
illusion vénéneuse. Elle vient polluer les débats et corrompre la réflexion.
Nous avons perdu la mort comme cérémonie sociale d'accompagnement, nous sommes
en train de perdre, petit à petit, de petits mensonges en flatteuses avancées
scientifiques, la certitude que l'homme est mortel et qu'il nous faut nous
préparer à cette fatale
évidence. 24
Une telle
constatation rejoint l'analyse de Jean-Paul II :
La civilisation
contemporaine fait tout ce qui est en son pouvoir pour détourner la conscience
humaine de l'inéluctable réalité de la mort en tentant de pousser l'homme a vivre comme
si la mort n'existait pas !
La réalité de la mort est cependant évidente. Il n'est
pas possible de la faire taire ; il n'est pas possible de dissiper la peur
qui l'accompagne.
L'homme craint la mort, comme il craint ce qui vient après la mort. Il craint le jugement et la punition, et cette crainte a une valeur salvifique : elle ne doit pas être effacée de l'homme. 25
L'homme craint la mort, comme il craint ce qui vient après la mort. Il craint le jugement et la punition, et cette crainte a une valeur salvifique : elle ne doit pas être effacée de l'homme. 25
Priez !
Sur notre
planète, il meurt environ mille huit cents personnes tous les quarts d'heure,
soit deux décès par seconde 26.
Demandons pour elles, dans notre prière quotidienne, des grâces spéciales
de lumière et de conversion. Invoquons spécialement Notre-Dame. Jésus n'a pas
dédaigné son secours maternel lorsque son heure fut venue : Debout, au pied de la Croix, se
tenait sa Mère 27. Comment les chrétiens
pourraient-ils négliger d'avoir recours à elle à cet instant suprême ? C'est bien ce qu'ils lui
demandent tous les jours dans le Je vous salue Marie : « Priez pour nous,
pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort ».
Quant à saint
Joseph, il eut la grâce de mourir entouré de la présence et de l'affection de
Marie, dont il était le virginal époux, et de Jésus lui-même, son fils adoptif.
Tout chrétien rêve d'une pareille compagnie pour le jour de son trépas et c'est
pourquoi il prie saint Joseph, patron de la Bonne Mort.
Cependant
nous ne pourrons affronter dans la paix cette ultime épreuve si nous négligeons
de nous y préparer en étant fidèles, jour après jour, aux engagements de notre
baptême, aux vérités de la foi et à la pratique de la charité. Aujourd'hui
encore, le Christ ne cesse de nous y aider, par l'intermédiaire de ses
représentants sur la terre.
Un moine bénédictin, in Petit guide
du Pèlerin d’Éternité
(Traditions monastiques)
(Traditions monastiques)
1. Genèse 2, 17 et 3, 19.
2. Romains 5, 12 ; cf. Concile de
Trente, session V.
3. Sagesse 1, 13 et 2, 23-24.
4. Compendium du CEC, n°72.
5. La Rédemption, Drame de l'Amour de
Dieu, Genève, 1972, p. 27.
6. Philippiens 2, 8.
7. Hébreux 5, 7-9.
8. Matthieu 28, 18-19 et Marc 16, 16.
9. Philippiens
3, 10-11.
10. Jean 15, 13.
11. Saint Ignace d'Antioche,
Épître aux Romains, VI,
3 et VII, 2.
12. Cf.
Synode de Constantinople (543) ;
Léon X (1520) ; CEC, n° 1013.
13. 2 Corinthiens 5, 10.
14. Sermon pour le Vendredi Saint, Éd. d'Annecy, t. IX, p. 283.
15. Prologue
de la Règle.
16. Envisager
un instant, au-delà de la séparation de l'âme et du corps, où l’homme pourrait
encore se convertir serait une dangereuse illusion, contraire à la Sainte
Écriture, à la Tradition
et à la condition
naturelle de l'agir humain où le corps est intimement uni à l'âme. Ce serait assimiler cette
dernière à un esprit pur
et cela aboutirait dépouiller la vie terrestre de sa portée d'éternité, la
réduisant à un stage plus
ou moins long dans un monde tranquillement profane, où l'homme serait
comme un enfant incapable de s'engager vraiment dans un choix décisif.
17. Verset de
l'Alléluia de la fête de Saint-Michel.
18. Dom Delatte, Commentaire
sur la Règle de saint Benoît, op. cit., p. 19.
19. Luc 12, 20.
20. Luc 12, 39-40.
21. Saint Antoine
le Grand disait :
Chaque jour, en nous levant, pensons que nous ne
subsisterons pas jusqu'au soir, et le soir, en nous couchant, pensons que nous
ne nous réveillerons pas (Vie, 19).
22. Sermon pour le vendredi de la IVe semaine de Carême 1666, Exorde.
23. Cf. cours
donné le 25 mars 2005, dans le cadre du 3e cycle, à des médecins spécialistes dans une
faculté française.
24. Qu'avons-nous perdu en perdant la mort ?, Ed. du Cerf, 2003, p. 15.
25. Homélie du 23
avril 1995,
ORF n° 8.
26. Cf. Encyclopédie
de la population mondiale, Syrinx, 1999.
27. Jean 19,
25.