Je vois des millions de vertes collines
recouvertes d'arbres fructifiant et des millions de fermes familiales bien ordonnées blotties dans ces collines.
Ces belles fermes forestières occupent les collines de Boston à Austin, d'Atlanta
à Des Moines. Dans ma vision, les exploitations agricoles sont adaptées à ces
collines et remplacent les pâturages pauvres, les ravines, et les terrains
abandonnés qui caractérisent aujourd'hui de si nombreuses collines. Les terres
non labourées sont partiellement ombragées par des arbres fruitiers (mûriers,
plaqueminiers, féviers, noyers noirs greffés, noyers du Japon greffés, caryers greffés,
chênes greffés, et autres arbres donnant des fruits. L'herbe sous ces arbres
est meilleure que celle qui recouvre les collines aujourd'hui.
J. Russell Smith, in Tree Crops : A
Permanent Agriculture (1929)
Je suis persuadé qu'une révolution peut commencer
partir de ce brin de paille. Au premier coup d'œil, ce brin de riz peut sembler
léger et insignifiant. Peu de gens croiraient qu'il peut initier une
révolution. Mais je me suis rendu compte du poids et du pouvoir de ce brin de
paille. Pour moi, cette révolution est bien réelle.
Masanobu Fukuoka,
in La Révolution d'un seul brin de paille :
Une introduction à l'agriculture sauvage
(2005 en France, 1975 au Japon, 1985 aux États-Unis)
(2005 en France, 1975 au Japon, 1985 aux États-Unis)
Dans un monde où nous sommes en train de perdre forêts,
espèces, et écosystèmes entiers, il y a trois réponses concomitantes et
parallèles pour l'environnement :
--> Soigner les
ensembles naturels survivants pour que la nature sauvage puisse se guérir
elle-même.
--> Réhabiliter
les terres dégradées ou érodées à l'aide d'espèces pionnières et d'ensembles de plantes
vivaces (arbres, arbustes, plantes couvre-sol).
--> Créer nos
propres environnements complexes de vie grâce à toutes les
espèces que nous pouvons sauver ou dont nous avons besoin, de quelque endroit
du monde qu'elles viennent.
Ce qui est nouveau et qu'on néglige souvent, c'est que
n'importe quel système conçu avec du bon sens, au service des communautés
humaines, est révolutionnaire.
Bill
Mollison in A Designer's Manual (1988)
L'humanité, et toute la planète,
est à un tournant aujourd'hui, au début du XXIe siècle. Les données recueillies partout montrent que
nous sommes entrés dans la sixième grande extinction massive des espèces. Et
pourtant, certains continuent à le nier et affirment que le
changement global qui nous entoure n'est qu'une
moyenne statistique à long terme, et qu'on ne
peut pas prouver que ce sont les activités humaines qui causent ces extinctions
massives d'espèces et sont en train de transformer l'atmosphère en quelque
chose que notre planète n'a jamais connu de toute son histoire. Pour les
besoins de la discussion, admettons. L'homme n'est peut-être pas à l'origine de
la plus grande extinction des espèces depuis l'âge des dinosaures et peut-être
que le CO2 émis par l'utilisation des combustibles fossiles n'est
pas la cause des perturbations climatiques, mais nous pouvons affirmer que...
depuis les débuts des civilisations humaines modernes, les hommes ont anéanti
des centaines de millions de kilomètres carrés d'écosystèmes de la planète en
dénudant le sol pour planter les semences de nos plantes annuelles. Certains
citent la sagesse d'anciens manuscrits pour affirmer que c'est le droit et
l'objectif de l'humanité de « soumettre et d'assujettir les
oiseaux du ciel et les animaux des champs »1.
Mais c'est ainsi que l'homme a
tout détruit au lieu de les rendre inoffensifs, en oubliant opportunément les
responsabilités qui vont de pair avec une domination bienveillante.
Nous avons une responsabilité
vis-à-vis de toute vie sur notre planète. Notre statut privilégié d'êtres pensants
doués de conscience et capables de créer des formes sociales complexes, des
véhicules qui peuvent aller sur la lune, ou des armes capables de détruire cinq
millions d'âmes en un clin d'œil, s'accompagne d'une responsabilité ultime.
Nous sommes responsables, non seulement de la vie humaine, mais aussi de la
santé et du bien-être de toute la vie sur terre, et pas seulement de la vie
humaine. Ce qui nous ramène à l'une des interprétations des
principes premiers de la permaculture :
la seule décision éthique que nous
pouvons prendre est d'être responsables de notre propre existence et de celle
de nos enfants.
Oui, nous sommes à un tournant.
Nous arrivons à un moment de l'histoire où les technologies évoluent
plus vite que jamais. Nous vivons à une époque où les populations
humaines n'ont jamais été aussi grandes et où la majeure partie de l'humanité
vit dans des villes plutôt que dans des milieux naturels. Et de fait, nous vivons
une époque où très peu de milieux peuvent être considérés comme naturels. Le
vent emporte des sacs en plastique qui se retrouvent au sommet de montagnes les
plus isolés du monde. La radioactivité des armes nucléaires et de la fission
des centrales électriques se retrouve en Antarctique et dans la graisse des
animaux marins. La tâche qui nous attend est énorme mais elle n'est pas
impossible.
Elle n'est pas impossible parce
que nous sommes là, nous qui avons atteint le stade où, livre en main, nous
allons agir. Nous allons nous charger de redonner la santé, la vitalité et la
productivité à notre planète. Nous, les fermiers en agriculture de
régénération, nous le ferons tout en créant des entreprises durables et rentables.
Nous venons peut-être de milieux
socio-économiques différents, nous n'avons peut-être pas la même couleur de
peau ni les mêmes points de vue religieux ou politiques, mais nous avons une
chose en commun :
nous agissons. Quand il s'agit de
créer des écosystèmes pour garantir l'abondance du futur, il n'est plus temps
de tergiverser :
plantez, s'il vous plaît, des tas
de pacaniers 2 !
Nous devons tous manger. Nous
mangeons tous et, quel que soit l'endroit où nous vivons, nous pouvons tous
prendre la responsabilité de restaurer des polycultures pérennes productrices
d'aliments. Nous pouvons nous charger, personnellement, de transformer les milieux
naturels qui nous entourent en plantant des systèmes d'arbres, d'arbustes, de
plantes grimpantes, de fruits à tiges, de champignons, du
fourrage, et élever des animaux, qui fourniront à
peu de frais des récoltes
abondantes d'aliments hautement nutritifs pour l'humanité, pour l'éternité.
Qui va faire
tout cela ?
Vous et moi.
Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre que les universités ou les
gouvernements, ou n'importe qui d'autre s'y mettent. Nous ne pouvons plus attendre que d'autres études se fassent
ou qu'on trouve les variétés optimales. Nous ne pouvons pas attendre des
incitations ou des programmes à coûts partagés qui peuvent
très bien ne jamais arriver et dont la paperasserie bureaucratique risque de
nous paralyser. Nous ne pouvons pas renoncer au pouvoir révolutionnaire de
chacun d'entre nous et attendre qu'une organisation parfaite, que nous appelons
de nos vœux, se mette en place.
C'est à nous de le faire, et c’est maintenant. Nous sommes tous embarqués,
en tant que fermiers, colons ou propriétaires terriens, dans un voyage qui
durera le restant de nos jours.
Nous devons convertir nos exploitations d'annuelles en écosystèmes de
polycultures pérennes. Un arbre après l'autre. Une plante grimpante après
l'autre. Encore et encore, aussi longtemps que nous vivrons (je ne lâcherai mon
plantoir que lorsqu’on détachera de sa poignée mes doigts engourdis par la mort).
C'est un voyage d'un millier de miles qui commence par un seul pas. Mettez un
pied devant l'autre et ne vous arrêtez pas.
En tant que producteurs de
nourriture, nous gérons bien plus de terres que nos frères des zones urbaines
et périurbaines. Nous sommes donc à même de produire des tonnes de
surplus alimentaire pour nourrir les cités. Nous détenons le pouvoir de gestion
sur des centaines de milliers d'acres, par conséquent, nous avons la capacité
d'initier un changement écologique à grande échelle. Eh oui,
l'augmentation du nombre de fermiers qui mettent en œuvre les méthodes
d'agriculture de régénération permettra de constater que rivières, lacs, et
cours d'eau d'Amérique du Nord deviennent véritablement plus propres, et que
les zones mortes du golfe du Mexique, de la Chesapeake Bay, et dans d'autres endroits
pollués diminuent spectaculairement.
Les fruits de mer et les poissons
d'eau douce seront plus abondants et en meilleure santé. Les coûts des
productions agricoles baisseront dans tout le pays. Notre dépendance sur les
combustibles fossiles diminuera. Les pollinisateurs
sauvages auront plus d'espace pour
s'épanouir, et les oiseaux migrateurs insectivores trouveront plus de
nourriture et auront plus de couloirs de migration.
Prenons par exemple une ferme carrée
de 160
acres (env. 64 ha). Son
périmètre est de 2 miles (3,2 km). Si on divise cette surface en
4 carrés de 40 acres (env. 16 ha), elle
donnerait encore un mile (1,6 km) de lignes de clôtures
intérieures où l'on pourrait planter des polycultures vivaces. Si nous nous
contentions de planter un seul rang de polycultures vivaces sur chaque parcelle
de 40 acres à la place des 95
millions d'acres (environ 38 millions d’ha) de soja cultivés aux Etats-Unis, cela ferait
quasiment 2 millions de miles (3,2 millions
de km) de
systèmes pérennes de production alimentaire. Deux millions de miles ! Des systèmes
linéaires de ce gabarit formeraient une ligne continue de polyculture pérenne
qui sillonnerait le pays près de 650 fois. Le pouvoir multiplicateur de
l'agriculture de régénération pour la ruralité
du pays est réellement renversant.
Cependant, puisque la plupart des états-uniens ne vivent pas à la campagne mais plutôt dans les
banlieues et les villes, que peuvent faire les citadins ?
« Nous sommes ce que nous mangeons ». Il semblerait, à l'heure actuelle,
que la majorité des états-uniens soient des poulets ! (et la
plupart des poulets sont faits de maïs et de soja génétiquement modifiés). Il
faut oser et ne pas avoir peur. Nous planterons des systèmes alimentaires écologiques pérennes dans tous les coins et recoins de
toutes les parcelles périurbaines et urbaines, et beaucoup partiront de là pour
planter dans les parcelles abandonnées, les espaces entre les voies de chemins
de fer, dans les ruelles, et partout où un noisetier, un noyer, ou un
framboisier peut trouver sa place. Même s'il n'y trouve pas sa place, nous le
laisserons libre de faire son chemin. Quand nous nous serons entourés de tous
côtés par des systèmes de production alimentaire pérennes, nous aurons fait un
grand pas vers plus de sécurité alimentaire en tant que nation. Pourquoi est-ce
que des gens parfaitement bien intentionnés restent assis à discuter pour
savoir comment résoudre le problème des déserts alimentaires urbains au lieu
d'être dehors à planter de la nourriture dans les déserts en question ?
Tous ! Partout !
Si vous ne plantez pas des
systèmes de production alimentaire partout, échangez votre régime d'annuelles
contre un régime de vivaces, en mangeant surtout des aliments produits par des
fermiers en agriculture de régénération. Votre alimentation créera la demande
du marché qui tire les méthodes
de production. Allez chez votre épicier du coin et demandez-lui de vendre des
aliments pérennes, surtout les aliments produits par les fermiers permaculturels en agriculture de régénération. Ou, encore mieux,
trouvez près de chez vous un fermier en agriculture de régénération et achetez
directement chez lui ou, à tout le moins, faites connaissance et présentez
l'épicier au fermier pour qu'ils puissent entamer le duo qui transformera et la
façon dont nous nous nourrissons et l'écologie de notre planète.
L'augmentation des ventes à
l'épicerie incitera les fermiers à planter plus de systèmes ligneux pérennes.
L'argent que vous dépensez pour vous nourrir est essentiel pour créer la
nouvelle dynamique vers l'agriculture pérenne. Au lieu d'acheter des haricots
et du riz, achetez plus de fruits des vergers, des noix, des baies, des jus de
fruits au lieu de lait, et des produits issus d'animaux nourris à l'herbe.
Créer une organisation à but non
lucratif pour attirer l'attention sur nos problèmes de production alimentaire
n'est utile que si cette cause est ancrée dans la réalité du terrain. Ces
derniers temps, le monde est submergé de coquilles vides à but non
lucratif qui ne font que parler ou faire prendre conscience d'un problème.
Elles n'ont aucune réalité concrète sur le terrain pour montrer à quoi le monde
ressemblerait s'il fonctionnait selon les méthodes qu'elles préconisent. Si
vous connaissez une de ces organisations ou si vous en faites partie vous-même,
il est temps d'en faire quelque chose de concret. Faites de votre vision d'un
avenir sain, abondant, et verdoyant, une réalité sur le terrain. Pas à pas,
encore et encore. Rien d'autre.
Growing Power, fondé par Will Allen à Milwaukee, Wisconsin, est un exemple
remarquable d'une vraie organisation
à but non lucratif. Au lieu de se contenter de parler des déserts alimentaires
et de la faim dans les villes, Growing Power bâtit des serres et des
jardins dans lesquels on élève des chèvres, des volailles, des vers de terre,
des légumes et du poisson, dans des systèmes fortement intégrés au cœur des
villes. Growing Power a pris aujourd'hui une
envergure nationale surtout parce que, je crois, elle fait réellement quelque
chose. Elle fait vraiment pousser de la nourriture et elle forme des gens pour
qu'ils le fassent en milieu urbain. Elle ne fait pas que d'en parler, elle aide
à résoudre le problème des déserts
alimentaires.
Les auteurs de blogs sans contenu ne comprennent pas non plus tout à fait ce qu'est
l'agriculture de régénération même si ce qu'ils écrivent donne l'impression que
si. Et même, de nombreux blogs sur la permaculture
et sur l'agriculture de
régénération ne comprennent pas la situation. Des douzaines de blogueurs très populaires commentent la permaculture
et l'agriculture de régénération
sans avoir l'expérience du terrain. Je connais même quelques auteurs qui ont
écrit des livres et des matériels pédagogiques, résultats de longues années de
recherches minutieuses. Ils donnent des conférences sur le sujet, puis
s'assoient pour manger un sandwich au falafel
certifié bio, fait avec des céréales annuelles. Ils ne font même pas pousser un plant de
brocoli vivace ni un buisson de noisetiers dans le jardin devant leur immeuble.
Sur notre planète aujourd'hui la
réalité concrète doit prendre le pas sur la réalité virtuelle. L'urgence de la
situation exige que nous ne nous contentions pas d'être, mais de faire, et
surtout, de ne pas nous contenter de parler. Quand vous aurez implanté votre
système, vous aurez de quoi parler. À partir du moment où vous aurez planté
votre premier arbre, vous trouverez à tout instant des gens de tous niveaux de
compétence et à diverses étapes de succession en agriculture de régénération
avec qui échanger.
L'urgence de la situation demande
que nous plantions des systèmes de polyculture partout et de ne plus résister, procrastiner, discuter à n'en plus finir, ou à trouver des
excuses pour notre inaction. Nous devons faire ce que nous prêchons.
Faites-le d'abord et parlez-en
ensuite, pas le contraire.
Nous devons commencer tout de
suite, là où nous nous sommes, avec les ressources dont nous disposons. Un
arbre après l'autre, inlassablement, pour l'éternité.
Si, après avoir lu ce livre, vous
décidez de ne pas mettre en application au moins quelques-unes des stratégies
qu'il présente, faites un trou, jetez le dedans, et plantez un pécanier par-dessus. Ce livre aura au moins servi à
cela. Mieux encore, donnez-le à quelqu'un qui
fera quelque chose.
Quand nous aurons commencé, nous
nous organiserons et collaborerons pour appliquer cette agriculture à une
grande échelle. Il faut que les producteurs ruraux s'organisent s'ils veulent
transformer de manière efficace leurs produits ligneux comestibles pour en
faire des aliments à valeur ajoutée pour la consommation de leurs
partenaires urbains et périurbains. La relation entre producteurs et
consommateurs d'aliments est une symbiose qui permet de recréer des écologies
pérennes de produits alimentaires sains. Oui, on peut à la fois avoir
une planète verte et saine et manger des chips de noisettes au fromage !
Il fut un temps, avant que
l'histoire soit écrite, où le monde était dominé par des reptiles géants, les
dinosaures. À l'époque de leur gloire, avant leur disparition définitive, les
dinosaures étaient vraiment extraordinaires. Certains étaient aussi grands
qu'un immeuble de deux étages, et d'autres aussi longs qu'un wagon. Il fallait
donc, juste à cause de sa taille, qu'un dinosaure consomme
littéralement des tonnes de nourriture rien que pour se maintenir en vie. C'est
un bon exemple d'un système d'organisation linéaire descendante de dimensions
titanesques. Le fonctionnement de l'économie globalisée et de ses organes gouvernementaux se rapproche beaucoup aujourd'hui de
ce qu'était un dinosaure. Un tout petit cerveau, avec l'aide peut-être de
quelques autres cerveaux minuscules le long de sa colonne vertébrale, mène la
barque. Il faut une quantité phénoménale d'énergie juste pour faire marcher la
machine, et tout changement prend une éternité. La majorité des dinosaures se
spécialisa, autant dans leur nourriture que dans leurs habitats. De même, les
gouvernements d'aujourd'hui semblent voir les choses uniquement à partir de
leur propre perspective, pas de celle du commun des mortels. Les dinosaures
n'avaient qu'une connaissance limitée de leur propre niche écologique, et leurs
fossiles prouvent qu'ils ne pouvaient pas s'adapter facilement aux changements.
Les mammifères ont commencé à apparaître
vers la fin du règne des dinosaures. Ces petites créatures, qui ressemblaient à des souris et
qui se déplaçaient rapidement, s'adaptèrent aux nouvelles conditions de vie. Au
lieu d'être une créature de 3 tonnes de biomasse avec un cerveau
de la taille d'une noix, 3 tonnes de souris correspondaient probablement à 20 000 ou 30 000 individus avec chacun son propre cerveau pour prendre
des décisions et pour interagir au niveau collectif. Nous connaissons tous
cette histoire. Les souris finirent par prendre le dessus et les dinosaures
disparurent, à l'exception de quelques espèces reliques ou, peut-être, d'un
monstre marin non encore découvert. Il a suffi qu'une météorite s'écrase au
Mexique pour modifier les conditions du système à
une telle vitesse que les
dinosaures ne purent s'adapter. En revanche, l'intelligence décentralisée et en
réseau des multitudes de souris leur permit de s'adapter. Prise
individuellement, chacune des souris n'aurait peut-être pas su s'adapter, mais
la population dans son ensemble pouvait le faire et elle l'a fait. Elle a
survécu.
Le monde des organisations
hiérarchiques, de commandement et de contrôle descendants, touche à sa fin.
L'époque où des rois régnaient sur des royaumes entiers a cédé la place dans de
nombreux endroits à la démocratie, et dans d'autres à des ploutocraties et des kleptocraties. L'époque des entreprises géantes fonctionnant avec la
hiérarchie descendante faite de PDG, d'équipes dirigeantes, d'équipes de
cadres, de personnels administratifs, de fabrication et de distribution, vit
ses derniers jours.
Même au faîte de leur gloire,
quand ils étaient les plus gros et les plus féroces, les dinosaures étaient
condamnés d'avance. Leur règne s'est achevé. Les souris avaient gagné. La
nature a montré, souvent et toujours, que le gigantisme n'a qu'une efficacité
limitée. Dès qu'un organisme devient trop gros et trop spécialisé, il devient
mortellement vulnérable au moindre changement dans le système écologique et son
extinction devient certaine. Les anthropologues ont montré maintes et maintes
fois qu'une organisation hiérarchique qui devient trop étendue et trop complexe finit par atteindre un point où l'énergie nécessaire à l'entretenir dépasse
de loin les avantages que le gigantisme pouvait lui apporter.
L'économie globale a atteint ce
point. Bien des raisons définissent ce point, mais la principale dont nous
traitons dans ce livre, c'est qu'aucun système fondé sur la destruction et
l'extraction ne peut persister longtemps. L'économie mondiale actuelle se
nourrit d'un système d'agriculture annuelle qui, de par sa nature, est obligée
de détruire des écosystèmes pour planter du riz, du blé, du maïs, des haricots,
etc., et la liste est longue. Ce processus hautement spécialisé, borné et à
court-terme, a toujours entraîné l'effondrement des sociétés qui l'ont adopté.
La perte de terre arable, qui entraîne la perte de fertilité du sol, a pour
résultat de produire des aliments de plus en plus pauvres en nutriments pour
des populations qui vivent dans des sociétés de plus en plus complexes, qui
consomment plus d'énergie pour se maintenir qu'elles n'en gagnent grâce à ce
processus de maintenance. Les résultats scolaires baissent ? L'obésité et
le diabète infantiles augmentent ? Ces problèmes ne sont pas causés
par le conservatisme ou le progressisme 3. Ils sont dus à une
trop grande spécialisation, au gigantisme, à la complexité sociétale excessive, et se nourrissent des calories creuses qu'apportent les
annuelles cultivées dans des sols de plus en plus toxiques et de plus en plus
stériles.
Cela aussi, passera... C'est
terminé. L'agriculture dinosaure, industrielle, Big-Ag,
qui cultive des monocultures, est
en train de se tordre de douleur et vit ses dernières heures. Espérons que ses
dernières convulsions ne seront pas trop traumatisantes. Le système simpliste et réducteur des
cultures annuelles est en voie d'être supplanté par l'étape suivante de
succession. Comme la gravitation, rien n'arrêtera le processus de succession
naturelle. La vie sur terre est en train de prendre le virage. Les mauvaises herbes
annuelles (qu'on appelle récoltes) céderont la place à des herbages vivaces qui
nourriront de multitudes de formes de vie. Les arbustes et les arbres qui
aiment le soleil et qui donnent des fruits à coques et autres seront légions.
Les plantes grimpantes et à tiges ployant sous les fruits grimperont sur les
jeunes arbres et sur les débris du passé à venir. Vous ne pouvez pas arrêter les successions.
Vous le savez, vous, parce que dans vos jardins, vous n'avez jamais pu empêcher
les mauvaises herbes de proliférer.
Je sais que le tournant a été
pris. Le vieux monde est mort et la nouvelle planète, luxuriante et vivante,
est en train de naître. Je le sais parce que cette petite souris que je suis...
plante des arbres. Vous joindrez-vous à moi ?
Tout commence avec vous.
Mark Shepard, in Agriculture de régénération (Imagine Un Colibri, 2016)
1. Résumé un peu déformé d'un verset de la Bible (Genèse 1, 28). [NdT]
2. Carya illinoinensis, le pacanier vient comme son nom latin l'indique d’Illinois, et donne les noix
de pécan, appelées aussi... pacanes. [NdVI]
3. L'auteur parle du libéralisme, ce qui en Amérique du Nord,
équivaut presque à extrême gauche. [NdT]