CYRANO
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand risposteur du tac au tac,
Amant aussi – pas pour son bien ! –
Ci-gît Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien.
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand risposteur du tac au tac,
Amant aussi – pas pour son bien ! –
Ci-gît Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien.
… Mais je m’en vais, pardon, je ne peux
faire attendre
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
(Il est retombé assis, les pleurs de
Roxane le rappellent à la réalité, il la regarde, et caressant ses voiles.)
Je ne veux pas que vous pleuriez moins
ce charmant,
Ce bon, ce beau Christian ; mais je veux seulement
Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
Ce bon, ce beau Christian ; mais je veux seulement
Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
ROXANE
Je vous jure !…
CYRANO, est secoué
d’un grand frisson et se lève brusquement.
Pas là ! non ! pas dans ce
fauteuil !
(On veut s’élancer vers lui.)
Ne me soutenez pas ! Personne !
(Il va s’adosser à l’arbre.)
Rien que l’arbre !
(Silence.)
Elle vient. Je me sens déjà botté de
marbre,
Ganté de plomb !
Ganté de plomb !
(Il se raidit.)
Oh ! mais !… puisqu’elle est
en chemin,
Je l’attendrai debout,
Je l’attendrai debout,
(Il tire l’épée.)
et l’épée à la main !
LE BRET
Cyrano !
ROXANE, défaillante.
Cyrano !
(Tous reculent épouvantés.)
CYRANO
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
(Il lève son épée.)
Que dites-vous ?… C’est inutile ?…
Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
(Il frappe de son épée le vide.)
Tiens, tiens ! -Ha ! ha !
les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Les Préjugés, les Lâchetés !…
(Il frappe.)
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Jamais, jamais ! Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
(Il fait des moulinets immenses et
s’arrête haletant.)
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et
la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
(Il s’élance l’épée haute.)
et c’est…
(L’épée s’échappe de ses mains, il
chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)
ROXANE, se penchant
sur lui et lui baisant le front.
C’est ?…
CYRANO, rouvre les
yeux, la reconnaît et dit en souriant.
Mon panache.
Edmond Rostand, in Cyrano de Bergerac