Oui, je les
vois hocher la tête,
Mes compagnons du temps ancien,
Et s'étonner que le poète
Veuille finir en citoyen.
Je sais qu'ils ne m'approuvent guère
Et qu'ils ont froncé le sourcil,
Quand j'ai pris ma plume de guerre
Ainsi qu'on empoigne un fusil,
Et quand, portant une cocarde,
Moi si pacifique et si doux,
Je vins me mettre à l'avant-garde,
Au rang où l'on tire à genoux.
Leur surprise, je me l'explique.
Jadis ils m'ont vu, tourmenté
Bien moins par la chose publique
Que par l'art et par la beauté.
Puis, dans les souffrances de l'âge,
Quand Dieu, pris de pitié pour moi,
À mon âme, avant le naufrage,
Montra le phare de la Foi,
Ils m'ont vu changer d'existence
Et, converti par la douleur,
Devenir, dans la pénitence,
Moins impur, plus sage et meilleur.
Et plus d'un m'enviait sans doute,
Chrétien plein d'un serein espoir,
Voyageur achevant ma route
Dans la douce paix d'un beau soir ;
Poète dont l'œuvre dernière
Montrait à son siècle étonné
La reconnaissante prière
D'un pauvre pécheur pardonné ;
Et vieillard dont le front s'incline,
Voyant, dans le champ du repos,
Briller une clarté divine
Entre les pierres des tombeaux.
Ils m'enviaient, tous ces sceptiques ;
Et profond fut l'étonnement,
Quand, dans les luttes politiques,
Je me suis jeté bravement.
« C'est son bonheur qu'il sacrifie »,
Disent-ils, ne pouvant savoir
Qu'avec la foi dans l'autre vie
L'homme accepte un nouveau devoir,
Et n'a, pour le fuir, nul refuge,
Quand il se sent, et pour toujours,
Responsable devant un juge
Dont les arrêts sont sans recours.
Ces gens à mine satisfaite,
Je serais aussi calme qu'eux,
Si j'étais encore un poète
Égoïste et voluptueux.
Mais tout est changé dans mon âme.
Je lis, dans un code idéal,
Cet ordre écrit en mots de flamme :
« Faire le bien, vaincre le mal ».
Mes compagnons du temps ancien,
Et s'étonner que le poète
Veuille finir en citoyen.
Je sais qu'ils ne m'approuvent guère
Et qu'ils ont froncé le sourcil,
Quand j'ai pris ma plume de guerre
Ainsi qu'on empoigne un fusil,
Et quand, portant une cocarde,
Moi si pacifique et si doux,
Je vins me mettre à l'avant-garde,
Au rang où l'on tire à genoux.
Leur surprise, je me l'explique.
Jadis ils m'ont vu, tourmenté
Bien moins par la chose publique
Que par l'art et par la beauté.
Puis, dans les souffrances de l'âge,
Quand Dieu, pris de pitié pour moi,
À mon âme, avant le naufrage,
Montra le phare de la Foi,
Ils m'ont vu changer d'existence
Et, converti par la douleur,
Devenir, dans la pénitence,
Moins impur, plus sage et meilleur.
Et plus d'un m'enviait sans doute,
Chrétien plein d'un serein espoir,
Voyageur achevant ma route
Dans la douce paix d'un beau soir ;
Poète dont l'œuvre dernière
Montrait à son siècle étonné
La reconnaissante prière
D'un pauvre pécheur pardonné ;
Et vieillard dont le front s'incline,
Voyant, dans le champ du repos,
Briller une clarté divine
Entre les pierres des tombeaux.
Ils m'enviaient, tous ces sceptiques ;
Et profond fut l'étonnement,
Quand, dans les luttes politiques,
Je me suis jeté bravement.
« C'est son bonheur qu'il sacrifie »,
Disent-ils, ne pouvant savoir
Qu'avec la foi dans l'autre vie
L'homme accepte un nouveau devoir,
Et n'a, pour le fuir, nul refuge,
Quand il se sent, et pour toujours,
Responsable devant un juge
Dont les arrêts sont sans recours.
Ces gens à mine satisfaite,
Je serais aussi calme qu'eux,
Si j'étais encore un poète
Égoïste et voluptueux.
Mais tout est changé dans mon âme.
Je lis, dans un code idéal,
Cet ordre écrit en mots de flamme :
« Faire le bien, vaincre le mal ».
Or la France
souffre et je souffre ;
Et nul n'a rien à ménager,
Quand on la conduit droit au gouffre,
Quand la patrie est en danger.
Celui qui s'abstient est un lâche,
Celui qui se réserve a peur.
Je me suis donc mis à la tâche
En honnête et bon travailleur.
Oui, je maudis et j'incrimine
Ce vieux juge, près de la mort,
Mettant, laquais fourré d'hermine,
Les lois aux ordres du plus fort ;
Ce pamphlétaire sans patrie,
Outrageant drapeaux et soldats,
Et que l'étranger salarie
Avec les deniers de Judas ;
Ce tribun menteur qui se drape
Dans ses vertus de jacobin,
Quand de sa bouche encor s'échappe
L'odeur du dernier pot-de-vin ;
Et cet imbécile sectaire
Osant crier : « Je le défends ! »
Devant l'acte sacré d'un père
Qui confie à Dieu ses enfants.
Sans cesse mon verbe qui vibre,
À présent sévère et viril,
Répète à tous : « Le traître est libre
Et le héros est en exil ! »
Et, pioche en main, plein de colère,
Je creuse avec lenteur, hélas !
Un canal au flot populaire,
Vers le parlement d'Augias !
C'est le devoir, il est austère ;
Car mon cœur ne sait point haïr.
Mais n'est-ce pas, France, ô ma mère,
Que me taire serait trahir ?
Dans un tel danger, la prudence
Et le besoin de paix ont tort.
Tout vaut mieux que la décadence,
Que la lente marche à la mort.
Voyez, devant l'ignoble histoire
Que nous font nos bas tyranneaux,
Pâlir les noms d'or que la gloire
Broda jadis sur nos drapeaux !
Et nul n'a rien à ménager,
Quand on la conduit droit au gouffre,
Quand la patrie est en danger.
Celui qui s'abstient est un lâche,
Celui qui se réserve a peur.
Je me suis donc mis à la tâche
En honnête et bon travailleur.
Oui, je maudis et j'incrimine
Ce vieux juge, près de la mort,
Mettant, laquais fourré d'hermine,
Les lois aux ordres du plus fort ;
Ce pamphlétaire sans patrie,
Outrageant drapeaux et soldats,
Et que l'étranger salarie
Avec les deniers de Judas ;
Ce tribun menteur qui se drape
Dans ses vertus de jacobin,
Quand de sa bouche encor s'échappe
L'odeur du dernier pot-de-vin ;
Et cet imbécile sectaire
Osant crier : « Je le défends ! »
Devant l'acte sacré d'un père
Qui confie à Dieu ses enfants.
Sans cesse mon verbe qui vibre,
À présent sévère et viril,
Répète à tous : « Le traître est libre
Et le héros est en exil ! »
Et, pioche en main, plein de colère,
Je creuse avec lenteur, hélas !
Un canal au flot populaire,
Vers le parlement d'Augias !
C'est le devoir, il est austère ;
Car mon cœur ne sait point haïr.
Mais n'est-ce pas, France, ô ma mère,
Que me taire serait trahir ?
Dans un tel danger, la prudence
Et le besoin de paix ont tort.
Tout vaut mieux que la décadence,
Que la lente marche à la mort.
Voyez, devant l'ignoble histoire
Que nous font nos bas tyranneaux,
Pâlir les noms d'or que la gloire
Broda jadis sur nos drapeaux !
Donc, luttons
toujours, car nous sommes
Las d'être vaincus et trahis
Et las d'obéir à des hommes
Qui déshonorent le pays ;
Et nous rêvons d'une autre France,
Maternelle et clémente à tous,
Où la bonté, la tolérance,
Régneraient enfin parmi nous.
Ah ! qu'elle serait grande et belle,
Citoyens, si vous le vouliez,
Cette République nouvelle
Des Français réconciliés !
Oui, devant la démagogie,
Devant nos maîtres prêts à tout
Pour garder leur place à l'orgie,
On doute d'en venir à bout.
Mais deux forces sur notre terre
Restent intactes pour le bien,
L'esprit de devoir militaire
Et de sacrifice chrétien.
Nous sortirons, je veux le croire,
De la honte et du désarroi,
Par la prière et la victoire,
Le Patriotisme et la Foi.
Las d'être vaincus et trahis
Et las d'obéir à des hommes
Qui déshonorent le pays ;
Et nous rêvons d'une autre France,
Maternelle et clémente à tous,
Où la bonté, la tolérance,
Régneraient enfin parmi nous.
Ah ! qu'elle serait grande et belle,
Citoyens, si vous le vouliez,
Cette République nouvelle
Des Français réconciliés !
Oui, devant la démagogie,
Devant nos maîtres prêts à tout
Pour garder leur place à l'orgie,
On doute d'en venir à bout.
Mais deux forces sur notre terre
Restent intactes pour le bien,
L'esprit de devoir militaire
Et de sacrifice chrétien.
Nous sortirons, je veux le croire,
De la honte et du désarroi,
Par la prière et la victoire,
Le Patriotisme et la Foi.
Je garde
l'espérance heureuse
D'un chef, d'un général vainqueur,
Suivi, sur la route poudreuse,
De soldats qui chantent en chœur ;
Et dans un rêve d'épopée,
Je vois le sauveur de demain
Faire le salut de l'épée
À toutes les croix du chemin !
D'un chef, d'un général vainqueur,
Suivi, sur la route poudreuse,
De soldats qui chantent en chœur ;
Et dans un rêve d'épopée,
Je vois le sauveur de demain
Faire le salut de l'épée
À toutes les croix du chemin !
14 février 1900.
François Coppée, in Dans la prière et
dans la lutte (1901)