La prière et l'Hostie, ces deux
conditions premières de toute croissance spirituelle étaient donc bien aussi
les meilleurs soutiens de ce Vouloir magnanime,
sans restriction et sans peur. Et si Raphaël avait tant insisté sur ces moyens
d'affermir ma résolution, c'est qu'une détermination invincible à la vie
héroïque lui semblait une bataille à demi gagnée.
Avais-je besoin qu'on me rappelât
cette seconde condition d'un vouloir héroïque ? Les paroles de mon Guide
n'avaient-elles pas soulevé en moi une tempête de désir qui m'emportait déjà
au-devant de la victoire ? Rien n'arrêterait cet enthousiasme prêt comme
l'ouragan à tout renverser devant lui. Oui le rêve se réaliserait. Je ne vivrai
plus que pour accroître la félicité du Sacré-Cœur. En toutes choses, à tout
instant, j'exaucerai dans l'allégresse le désir de l'Amour : Ad majus Dei gaudium.
Mais mon Guide voyait les zones
glacées que cette belle flamme devait traverser avant d'atteindre les brûlants
parages où vivent les héros. Climats fatals, à tous ceux qui ne furent pas les
farouches gardiens du feu sacré.
D'abord ce climat polaire que nous
font la plupart de ceux qui nous entourent, dont les joies ne sont pas les
nôtres et qui nous regardent comme si nous arrivions d'un monde inhabité.
Et puis ce ciel sibérien morne et
transi quand la lenteur des progrès fait croire que l'on n'arrivera jamais.
Enfin les longs hivers dont Dieu
lui-même nous enveloppe afin de nous purifier entièrement.
— Dans la guerre aérienne, me dit
Raphaël, toute la force d'un chasseur dépend de sa volonté combative et cette
volonté même de son enthousiasme. C'est la flamme qui emporte la victoire.
Celui qui prend son vol sans être
inviolablement résolu à la bataille n'attaquera guère l'ennemi ou se défendra
mal. L'isolement, la surprise de l'imprévu, l'angoisse du choc, la dépression
physique due à l'altitude, au froid, à l'émotion, tout concourt à détendre son
énergie. Cet aviateur qui perd au moins ce que l'altitude retire à son moteur,
3o pour 1oo de sa puissance, jamais ne
compenserait cette dépression, s'il n'avait accumulé en lui un excédent de
vitalité et de courage.
Ainsi l'âme fervente qui se détermine
à la vie héroïque connaîtra et pendant des années de tels refroidissements,
qu'elle abandonnerait inévitablement la poursuite, si elle ne réparait ces
déperditions par un continuel regain de chaleur. Affaiblie par l'atmosphère du
monde, désenchantée par les envieux, rabattue vers la terre par de prétendus
sages, troublée par le Maudit, lassée d'une lutte sans fin et sans succès, elle
sentira mille fois baisser en elle, avec les flammes du désir et de
l'espérance, sa valeur guerrière 1. Si, chaque jour, elle ne
vole au secours de ces flammes pour les alimenter, les relever, les abriter
inlassablement, elle commencera bientôt par douter de son rêve et, un jour,
elle ne le croira plus réalisable.
Comme mon âme inquiète appelait déjà
au secours tous les gardiens du feu sacré, l'Archange me montra une fois
encore, au-dessus de tous, Celui qui l'avait apporté sur la terre. Il
m'entraînait vers ce Foyer d'universel enthousiasme : le Cœur du Christ.
Et mon âme comme lancée par une fronde vers ce Soleil buvait le feu et la lumière,
aspirait de toutes ses forces comme pour emprisonner l'éternelle chaleur.
Ô Vous qui n'inspirez d'immenses désirs que pour donner
immensément !
Ô Vous qui faites désirer dans la mesure même où Vous voulez donner !
Ô Vous qui faites désirer dans la mesure même où Vous voulez donner !
m'écriai-je, Vous qui êtes magnifié par les
espérances magnanimes 2, puisqu'
Un désir invincible, malgré ma pauvreté
Me presse à devenir héros de sainteté,
Me presse à devenir héros de sainteté,
enflammez ce rêve d'héroïcité, qu'il
monte comme l'incendie, qu'il dévore, qu'il absorbe tout autre désir et qu'il
se réalise sur la terre.
J'attendrai de la magnificence de
votre amour les merveilles de miséricorde opérées dans vos Saints et les
miracles de rénovation que réclame ma misère.
Sans vouloir autre chose que
l'accomplissement de vos desseins sur mon âme, je vous le demande pour elle
comme pour toute âme de désir, emportez-nous dans l'ouragan d'enthousiasme qui
a soulevé tous les héros, faites-nous regagner sur terre toutes pertes de temps et de grâces, que nous
arrivions au degré de gloire prédestiné.
Dans la profondeur de ma supplication
je sentis que nul foyer d'enthousiasme n'égalerait jamais la prière. Elle ne
suffisait pas. Nous devions nous-mêmes exalter cette volonté par un
tonique sublime.
Et comme j'interrogeai du regard mon
Guide…
— De fortes convictions, dit-il,
peuvent soutenir une vertu commune ; mais dès qu'elle est appelée aux
grandeurs du sacrifice total, elle a besoin d'une certaine ivresse que seule
donne la beauté. Le sublime qui fatigue vite les âmes ordinaires est le
breuvage quotidien des héros. Ils ne pourraient jamais sans cet élixir
s'acclimater au renoncement perpétuel, garder l'amour et l'allégresse au sein
d'une souffrance qui restera leur élément.
Et parmi ces breuvages enchantés
Raphaël m'en nomma un : la vie des Saints.
J'avais déjà appris de nos maîtres
que « les Saints marchent par constellations, que malgré leur diversité,
les Saints naissent des Saints par une ineffable génération ex Deo » ; et que de fois
m'étais-je redit les paroles de Pierre d'Alcantara : « Si pour des procès
ou des cas de conscience, il convient de prendre l'avis de juristes ou de
théologiens, quand il s'agit de perfection dans la vie, il ne faut s'adresser
qu'à ceux qui en vivent »3. Les plus accablés de labeur, un
Alphonse de Liguori, un Jean-Marie Vianney, n'auraient pas omis leur lecture
quotidienne dans la vie des Saints.
N'avais-je pas moi-même évoqué comme
des incantations certaines paroles magiques d'une Thérèse d'Avila 4, ou d'un
Vincent Ferrier nous exhortant à méditer jour et nuit la vie de ces
merveilleux frères entrevus prophétiquement : les Apôtres des derniers
temps.
Mais j'ignorais encore à quel point
les Saints avaient pour s'entraîner observé et suivi les traces des Saints.
— Après la splendeur du Christ,
disait l'Archange, quelle poésie plus enivrante que l'exemple de ces héros qui,
dans les tristesses de la terre, ont vécu l'épopée que vous rêvez. Nul n'a
chanté la Sainteté et ses joies et ses grandeurs comme ceux qui l'ont vécue.
Nul n'a versé plus de douceur et de gloire sur le sacrifice et n'a promené la
Croix par le monde sous des arcs de triomphe plus élevés ! Nul n'entraîna
dans le vent de sa course plus d'acclamateurs et ne sut comme eux leur inspirer
de plus hautes ambitions !
Laisse-toi donc emporter par ceux qui
te captivent. Certains par leur vocation, leur tonalité d'âme ont avec vous
d'étranges affinités, appelez-les à vous, réchauffez-vous à leur gloire,
enivrez vous de leurs paroles, de leurs prouesses.
Mais ce breuvage enchanté, reprit mon
Guide, ne se trouve pas tout fait. À vous de l'apprêter en détachant de la vie
des Saints ou de l'Écriture ces fleurs de parfum aigu dont vous tirerez une liqueur
accommodée à vos goûts. Beaucoup aimeraient ce cordial. Très peu ont la
patience de le composer, moins encore prennent le temps de l'assimiler.
Domptez le caprice ou le dégoût qui
parfois vous détournent vers des lectures curieuses, reprenez chaque jour et
quand même ces pages héroïques. L'attrait peu à peu renaîtra et souvent vous
les achèverez avec une chaleur nouvelle. Faites-vous violence surtout quand
cingle l'hiver qui vient des hommes, de votre propre faiblesse, de Dieu
lui-même.
Sans doute avais-je trahi à ces
derniers mots quelque surprise inquiète, car Raphaël, avec une grande douceur,
me montra tout le bienfait de ces délaissements divins. C'est là que nos
puissances et notre enthousiasme se purifiaient de tout amour-propre pour
prendre une force incorruptible.
— Des deux pôles qui se disputent
votre âme, l'égoïsme et la charité, celui-ci ne pourrait jamais vous entraîner,
disait mon Guide, s'il ne vous attirait d'abord à la façon de l'aimant opposé.
Une fois l'élan pris, Dieu vous retire peu à peu la ravissante attraction. Ou
plutôt sa grâce quittant la région sensible se porte sur les hauteurs de votre
âme. Comme un aimant arme un autre aimant, il veut vous charger d'ardeurs
toutes spirituelles pour vous permettre d'aimer vraiment de tout votre être, en
esprit et en vérité.
Mais cette aimantation de la volonté
ne se fait pas sans vous. Devant cette privation imprévue beaucoup d'âmes
oscillent entre les deux pôles, indécises et désorientées. Il leur
semble avoir perdu tous leurs moyens qui n'étaient qu'humains et leur ferveur de vertu
qui n'était que recherche de soi. Ils ignorent encore que cette perte est un gain,
ce délaissement un secours, puisqu'ils vous aident à créer une vie nouvelle, la
vie de l'Esprit.
Et mon Guide imagina cette parabole.
— Dans les fjords de Norvège, dès que
se lève le vent de tempête, les patineurs érigent devant eux une voile sur cadre
léger et ils se livrent au souffle qui
les emportera. Suppose de jeunes skieurs habitués ainsi à dévorer sans peine la
blanche étendue. Le calme plat d'un ciel sans haleine les déconcertera. Ils
sentiront le poids des skis. Privés de cette force d'emprunt, ils se
connaissent tels qu'ils sont : inhabiles et sans courage.
Cet envol du skieur n'est-il pas
l'image des premières ferveurs qui vous emportent à Dieu ; ces voiles et
ces skis, l'appareil des vertus infuses et des dons qui prêtent à vos facultés
leur puissance d'essor ?
Au début de la course l'Esprit
souffle en ces voiles, les gonfle d'enthousiasme, mais comme un tel secours à
la longue serait funeste, Il vous retire bientôt non sa grâce, mais ses ardeurs
sensibles. Vous découvrez alors tout ce que votre âme recèle de sensualité et
d'orgueil, ses pesanteurs, ses lâchetés, les raideurs de la volonté propre et
toutes ses recherches égoïstes. Croyant voler à Dieu, était-ce donc à votre
plaisir que vous couriez ? La nature gémit. Heure de flottement et
d'angoisse où Dieu vous attend, mais beaucoup, hélas ! abandonnent. Cet
appareil des vertus et des dons leur paraît d'un usage trop pénible. Ils
rejettent voiles et skis pour reprendre le petit pas, la vie commune.
Les forts au contraire, les vrais
champions, sans s'étonner de leur impuissance, raniment leur élan. Vainqueurs
entraînés par la rigueur des longs hivers, ils savent que plus dure est
l'épreuve, plus le triomphe est beau. Ils attaquent allégrement la montagne et
s'exercent inlassablement.
D'abord saisis par la grâce sensible
du Christ, ils poursuivent leur course pour l'atteindre cette fois par sa grâce
insensible comme l'héroïque Paul : « Oubliant ce qui est derrière eux
et tendant tous leurs nerfs vers ce qui est devant eux, ils courent droit au
but vers la palme où Dieu, là-haut, les appelle vers le Christ Jésus »
(Philip III, 12-14).
« Je m'en irai et je retournerai
vers vous, » disait Jésus à ses disciples. Ce départ et ce retour, Il les
renouvelle sans cesse avec vos âmes dans cette lente ascension. Il se cache
sans vous quitter, vous privant seulement de sa grâce sensible et tout à coup
revient, pour disparaître encore. Jaloux d'être cherché pour Lui-même et non
pour ses dons, Il répète jusqu'à la mort de l'égoïsme ce jeu d'amour. C'est dans l'effort d'une telle poursuite que les
attaches terrestres se rompent et que l'on avance, c'est là que s'infusent les
vertus. Longtemps vous croyez rester sur place, mais revienne l'éclaircie, la
vallée s'est creusée, l'horizon élargi vous avez pris de l'altitude.
Après vous être longtemps assouplis
et musclés sous la conduite de l'Esprit, vous découvrez enfin le merveilleux
secours de ces vertus et de ces dons, dont l'appareil si pesant autrefois est
devenu si léger et qui facilite l'accès des plus hautes cimes. Voici dans les
voiles, plus puissant que jamais, le souffle d'autrefois dont, Dieu le sait,
vous n'abuserez plus. Dans un tourbillon de ferveur, dans une rafale de joie,
l'Amour vous reprend et vous emporte et vous montez toujours plus vite,
chantant, avec Augustin, le Cantique mystérieux des Degrés.
Heureux les hommes qui ont en toi leur force ;
Ils ne pensent qu'aux saintes montées ;
Lorsqu'ils traversent le val des larmes,
Ils le changent en un lieu plein de sources.
Ils ne pensent qu'aux saintes montées ;
Lorsqu'ils traversent le val des larmes,
Ils le changent en un lieu plein de sources.
Pendant la marche s'accroît leur vigueur
Et ils paraissent devant Dieu à Sion !
Et ils paraissent devant Dieu à Sion !
Psaume
de David
— Tu jettes, ô Raphaël, une vive
clarté sur mes épreuves passées. Comme certains êtres se privent parfois de
nourriture et de sommeil pour mieux exercer dans un corps affaibli la force de
leur volonté, Dieu ne nous retire donc sa grâce sensible et nos soutiens
naturels que pour nous obliger à ravir la plus haute flamme. Je crois même
l'avoir expérimenté. Depuis que je travaille et lutte avec des forces mutilées, ne me suis-je pas trouvé dans
l'heureuse nécessité de compenser cette diminution par un appel d'énergies qui
n'étaient pas en moi ? N'ai-je pas perçu au lendemain d'épreuves physiques
comme un accroissement de vie et d'ardeur ? C'était comme le rebondissement
d'un avion subitement allégé d'un lourd chargement. Mon âme s'échappait de
cette lutte avec des énergies neuves, un élan insolite.
Je comprends pourquoi Celui qui
trouve sa gloire à tout opérer en nous m'a retiré parfois jusqu'à l'usage de
cette Furie, ma fierté juvénile.
C'était me délivrer d'un enthousiasme trop fragile. Cette défiance de moi
devenait ma force. Je ne perdais ce pauvre soutien que pour m'appuyer sur
l'Infini.
— Bienheureuse impuissance, s'écria
Raphaël, qui oblige Dieu à « produire en vous le vouloir et le faire »
et à tenir sa promesse : « Ma grâce te suffit, car c'est dans la faiblesse
que ma puissance éclate ».
Glorifie-toi donc de tes infirmités,
afin que la puissance du Christ habite en toi, car lorsque tu es faible, c'est alors
que tu deviens fort ! (II Corinthiens 12).
— O Raphaël ! que n'ai-je
compris plus tôt l'immense fortune de ces dépouillements. Mais tout l'effort du
Malin est de la cacher pour mieux éteindre notre enthousiasme. Une de ses ruses
est de nous épouvanter par quelque sacrifice redoutable, un bastion du pauvre moi encore rebelle à la grâce et dont le
Maudit défend l'accès par un feu d'enfer. Pour briser notre énergie, il nous
tient là comme hypnotisés, en insinuant que toute autre victoire est vaine.
Je tâche de déjouer cette ruse par
une tactique d'offensive que j'aime à évoquer sous l'image symbolique de notre
attaque de Champagne. En septembre 1915, une marée humaine submergeait les
tranchées ennemies, déferlait en vagues bleues jusqu'aux horizons. Elle
refluait parfois, s'incurvait, se rompait, se disloquait et toujours se
reformait pour avancer toujours. Malgré la digue d'un fortin qui retenait
l'assaut sur un point, rien n'arrêta l'emportement de notre armée et quelques
heures plus tard ce brise-lames sautait.
J'aime à me représenter ainsi
l'envahissement de la grâce dans nos âmes, quand, sans nous troubler des
obstacles, nous soutenons son offensive sur tous les points où cède la nature.
Une résistance surgit-elle ? J'attaque à droite, j'attaque à gauche, je
déborde, je cerne le bastion. Ainsi en ai-je vu tomber d'inexpugnables, sans
doute en récompense d'autres victoires.
Et mon Guide :
— Plus vite encore fussent tombées
ces redoutes, si plus soucieux de la façon de te battre que de ces victoires mêmes,
tu n'avais cherché dans la lutte qu'à réjouir le Christ ; si tu l'avais
cherché avec ce vouloir enthousiaste qui facilite toute
conquête, en immensifie la valeur et attire l'attention du Dieu des
Armées.
Ce n'est pas l'intention seule qui
fait la valeur d'une action, mais l'ardeur du feu qui l'anime. Quand cette
jubilation volontaire s'ajoute à la tendresse de l'amour, elle le revêt d'un
éclat de magnificence qui donne au Christ les joies magnifiques.
Ainsi des héros, comme Gabriel de l'Addolorata, purent si vite accumuler ce poids de gloire prodigieux 5.
Et il y parvint, vous dit l'un de ses frères, en apportant aux tâches les plus
vulgaires un perpétuel transport.
Ici, mon Guide m'exposa les deux
genres d'héroïcité, soit dans la substance, soit dans le mode des actions. Dans
l'un, c'est la grandeur de l'exploit qui dépasse la commune aptitude et réclame
des dons spéciaux ; dans l'autre, c'est seulement la manière d'agir, une
promptitude, une allégresse, une constance qui dépassent les fidélités et les
températures habituelles.
Thérèse de Lisieux, Louis de Gonzague,
Jean Berchmans, Gabriel de l'Addolorata ont incarné cette seconde
héroïcité qui accomplit avec cette flamme extraordinaire les actions les plus
ordinaires.
— Tes paroles me ravissent, Raphaël,
car certains, que fatigueraient sans doute ces altitudes, découragent les
grands essors. À les entendre, la vie héroïque serait réservée à des
êtres et à des circonstances exceptionnels, la trame des
jours ne nous offrant que l'occasion de ne pas déchoir. Et c'est ainsi que
beaucoup d'âmes ne voient plus dans leur obscure
existence la matière d'une œuvre sublime. À quoi bon tant de ferveur,
disent-elles, pour de si petites choses ! Et le grand ressort peu à peu se
détend. Ah ! comme se rallumerait vite leur enthousiasme, si
elles savaient le prix de l'amour !
Pour moi tu me donnes un grand
courage, un immense espoir, mais dis-moi, dans le jour d'obscurité et de tempête ?
— C'est là, interrompit l'Archange,
dans la tristesse et dans le gel, que se conquiert peu à peu le véritable
enthousiasme, comme la force se conquiert dans la
souffrance et le péril. Mais engage dans la lutte toutes les puissances et
toute la grâce actuelle. Certaines âmes réagissent, mais d'une volonté sèche,
d'une charité sombre et tragique. Elles n'entreront jamais dans la zone
ardente.
« J'entourerai l'autel, chante
le Psalmiste, et j'immolerai dans son tabernacle une victime avec des cris de
joie ! » (Psaume XXVI, 6).
Que cette victime soit la nature et
que ses plaintes soient étouffées sous des hymnes. C'est surtout aux
heures où souffle le vent arctique qu'il faut arracher à son engourdissement
votre âme transie, la dégeler en agissant pour le
Christ comme si vous sentiez la plus brûlante tendresse. Quand les volontés
du Seigneur crucifient la nature, plus vous vous efforcez de les aimer et
d'exulter jusqu'en vos puissances sensibles, plus vous pénètre cet
Esprit de jubilation qui règle ses largesses sur vos efforts 6. C'est là que
votre enthousiasme humain se transmue peu à peu en cet Enthousiasme surnaturel qui brûle d'ardeurs
toutes spirituelles et que « les grandes eaux n'éteignent plus ».
Jacques
d’Arnoux, in Les sept Colonnes de l’héroïsme
La Grâce, septième colonne de l'héroïsme
1. Vouloir être saint avec l'audace des magnanimes, sans restriction et sans peur, à tout prix.
2. Vouloir être saint avec enthousiasme.
3. Vouloir être saint avec concentration, de toutes vos forces.
4. Vouloir être saint avec persévérance, dans la certitude du succès.
1. Sainte Thérèse d'Avila, dans une belle page de
sa Vie écrite par elle-même, après avoir signalé les dangers qui
menacent ces deux puissances indispensables du désir et de la confiance, nous
exhorte en ces termes : « Ainsi, que ces âmes ne s'affligent point si
elles ne peuvent tout à coup s'élever si haut ; qu'elles se confient sans
réserve en la bonté de Dieu : un jour Il changera leurs désirs en effets,
pourvu qu'elles persévèrent dans l'oraison et lassent de leur côté tout ce qui
est en leur pouvoir. Étant si faibles, nous avons un extrême besoin d'ouvrir
notre âme à une grande confiance ; ne nous laissons jamais abattre, et
animons-nous sans cesse par la pensée que de constants efforts nous assurent la
victoire ». (Vie, p 352).
2. Dans son beau livre de la Doctrine spirituelle, le P. Lallemant écrit : « Nous devons espérer et attendre de Dieu de grandes choses, parce que les mérites de Notre-Seigneur sont à nous ; et que c'est honorer beaucoup Dieu que d'espérer beaucoup de Lui. Plus nous espérons, plus nous l'honorons » (p. 75). « Plusieurs n'arriveront jamais à une grande perfection, parce qu'ils n'espèrent pas assez ». Idem.
2. Dans son beau livre de la Doctrine spirituelle, le P. Lallemant écrit : « Nous devons espérer et attendre de Dieu de grandes choses, parce que les mérites de Notre-Seigneur sont à nous ; et que c'est honorer beaucoup Dieu que d'espérer beaucoup de Lui. Plus nous espérons, plus nous l'honorons » (p. 75). « Plusieurs n'arriveront jamais à une grande perfection, parce qu'ils n'espèrent pas assez ». Idem.
D'après le P. Surin, « une tentation fort
ordinaire à plusieurs serviteurs de Dieu, c'est de vouloir borner son amour et
de prendre des idées trop petites et trop basses dans le service de Dieu. Je ne
vois point de mal qui soit plus général, ni qui se coule plus aisément, ni
auquel on remédie plus difficilement que celui-là. Si on me presse de dire
pourquoi, y ayant tant de personnes qui font profession de servir Dieu, il y a
si peu de saints, je répondrai que la vraie cause est celle-là : on ne
prend pas ses mesures assez hautes » L'Amour de Dieu, t. I, chap. X).
3. Dans une lettre à sainte Thérèse d'Avila en
1562. Documentos n°6 (Obras de santa
Teresa, ed La Fuente, t. VI).
4. « Ouvrons notre âme à une grande confiance
et ne rétrécissons pas nos désirs, c'est d'une haute importance. Croyons
fermement qu'en nous appuyant sur Dieu, nous pourrons, par de constants efforts
soutenus de sa grâce acquérir, nous aussi, par succession de temps, cette
perfection à laquelle sont parvenus un si grand nombre de saints. Si jamais ils
n'avaient conçu ces grands désirs et si peu à peu ils n'en étaient venus à
l'exécution, jamais ils ne seraient montés si haut. Dieu demande et aime des
âmes courageuses, pourvu qu'elles soient humbles et ne se confient nullement en
elles-mêmes. Je n'ai jamais vu aucune de ces âmes rester dans les basses
régions de la vie spirituelle. Jamais non plus, je n'ai vu aucune de ces âmes
lâches qui s'abritent sous le couvert de l'humilité, faire en de longues années
les progrès que font les premières en quelques années seulement. Je suis saisie
d'étonnement quand je considère la marche rapide de ces âmes dont le courage va
au-devant des grandes choses. Ah ! combien il importe dans la vie
spirituelle de s'animer aux grandes choses ! » (Vie de Thérèse d'Avila, écrite
par elle-même, chap. XIII). La page prophétique sur les Apôtres des derniers
temps se trouve dans la Vie spirituelle de saint Vincent Ferrier.
5. N'est-ce pas Gabriel de l'Addolorata qui sur son
lit de mort arrachait ces mots à l'un de ses Frères : « Il y a tant
d'années que je suis au service de Dieu et je me trouve tellement en
retard ! Lui, en quelques années est devenu Saint ! » ; « Notre-Seigneur
fit savoir à sainte Thérèse d'Avila qu'une jeune professe, Isabelle des Anges,
morte après cinq ans de vie religieuse, avait autant mérité que d'autres en
cinquante ans de vie parfaitement régulière » (L'Idéal de l' Âme fervente, par Mgr Saudreau).
6. Ce suprême effort d'amour et d'allégresse semble
bien être chez Thérèse de Lisieux l'un des secrets de sa fulgurante ascension
dans l'héroïcité : « Plus les âmes sont heureuses de faire la volonté
de Dieu, disait-elle, plus elles sont parfaites » (Esprit de sainte Thérèse). Plus les âmes s'efforcent
d'aimer avec jubilation cette volonté de Dieu parfois crucifiante, peut-on dire
aussi, plus la grâce diminue les résistances de la nature et accroît l'énergie
de cette allégresse. On ne multiplie pas en vain ces déclarations d'amour avec preuves, à Celui qui aime tant les dons
joyeux. « Jusqu'à l'âge de quatorze ans, nous dit Thérèse, j'ai pratiqué
la vertu sans en sentir la douceur, je désirais la souffrance, mais sans penser
à en faire ma joie » (Esprit
de sainte Thérèse, p. 111). Et, coïncidence suggestive, cet
élancement dans la joie volontaire semble ouvrir une ère nouvelle dans sa vie
et lui faire commencer à cette époque même ce qu'elle appellera plus tard une course de géant. Elle nous donne
d'ailleurs, au soir de sa vie, son témoignage que cette violence faite à la
nature pour aimer et sourire par amour, « malgré ce que
l'on ressent au premier moment », est bien le chemin de la vraie
joie : « L'unique bonheur ici-bas, c'est de s'appliquer à trouver
toujours délicieuse la part que Jésus nous donne » (Lettre de juillet
1897, Esprit de sainte Thérèse, p. 548).
Est-ce à dire que l'enthousiasme sensible puisse être conquis et gardé ici-bas en toutes circonstances. Loin de nous cette pensée. S'il paraît très fructueux d'y tendre de tout son être pour en mieux imprégner la volonté, cette joie sentie dans la souffrance reste en définitive une grâce spéciale que le Seigneur accorde ou retire à son gré aux plus grands Saints comme Lui‑même s'en est privé, dans sa Passion. Une Marguerite-Marie qui aima la croix à la folie a souvent gardé, malgré son allégresse de volonté, les plus violentes répugnances de la nature et nous voyons que dans ses Novissima verba Thérèse de Lisieux expérimenta quelque chose des affres de Gethsémani.
Cet amour exultant au sein des souffrances qui caractérise à nos yeux le véritable héroïsme n'est donc essentiellement qu'une délectation de volonté pour tout ce que Dieu désire, mais qui peut laisser dans l'amertume et l'angoisse nos puissances sensibles.
Est-ce à dire que l'enthousiasme sensible puisse être conquis et gardé ici-bas en toutes circonstances. Loin de nous cette pensée. S'il paraît très fructueux d'y tendre de tout son être pour en mieux imprégner la volonté, cette joie sentie dans la souffrance reste en définitive une grâce spéciale que le Seigneur accorde ou retire à son gré aux plus grands Saints comme Lui‑même s'en est privé, dans sa Passion. Une Marguerite-Marie qui aima la croix à la folie a souvent gardé, malgré son allégresse de volonté, les plus violentes répugnances de la nature et nous voyons que dans ses Novissima verba Thérèse de Lisieux expérimenta quelque chose des affres de Gethsémani.
Cet amour exultant au sein des souffrances qui caractérise à nos yeux le véritable héroïsme n'est donc essentiellement qu'une délectation de volonté pour tout ce que Dieu désire, mais qui peut laisser dans l'amertume et l'angoisse nos puissances sensibles.