Nous n'avons pas l'intention
d'analyser, ni de discuter ici l'ensemble de la doctrine philosophique à
laquelle reste attaché le nom d'Henri Bergson. Nous n'aurions ni le temps, ni
le désir de soumettre à la critique les thèses si nombreuses et si variées que,
depuis son Essai
sur les données immédiates de la conscience jusqu'à La pensée et le mouvant, Bergson a progressivement développées
autour de quelques idées centrales. Ces thèses ont été passionnément discutées,
ce qui prouvait d'ailleurs leur caractère de profonde originalité ; elles
ont fait l'objet de nombreuses critiques dont assurément un grand nombre
étaient, du moins en partie, justifiées. Dans les livres de Bergson fréquentes
sont les suggestions brillantes qui, à la réflexion, apparaissent comme
fragiles ou exagérément paradoxales ; trop d'opinions qui réclameraient
une solide démonstration s'appuient seulement sur quelques belles, mais imprécises
images évoquées en un style admirable qui parfois dissimule sous la beauté de
la forme la faiblesse de l'argumentation. Néanmoins, ces réserves faites, on
doit reconnaître
que dans l'ensemble l'œuvre est puissante : il est impossible de la
parcourir sans éprouver, presque à chaque page, l'impression qu'elle nous fait
apercevoir une foule de questions sous des aspects nouveaux, qu'elle entr'ouvre
constamment devant nous des fenêtres par lesquelles nous apercevons, comme dans
un éclair, des horizons insoupçonnés.
Personnellement, dès notre prime
jeunesse, nous avions été frappé par les idées si profondément originales de
Bergson sur le temps, la durée et le mouvement. Plus récemment, feuilletant à
nouveau ces pages célèbres et réfléchissant aux progrès accomplis par la
science depuis le temps déjà lointain où nous les lisions pour la première
fois, nous avons été frappé par l'analogie de certaines conceptions nouvelles
de la Physique contemporaine avec quelques-unes des fulgurantes intuitions du
philosophe de la Durée. Et nous étions d'autant plus étonné de ce fait que la
plupart de ces intuitions se trouvent déjà exprimées dans l'Essai sur les données immédiates de la
conscience, le premier des ouvrages d'Henri Bergson qui est aussi
peut-être le plus remarquable, du moins à notre point de vue ; cet Essai,
qui fut la thèse de Doctorat de son auteur, date en effet de 1889 et est par
suite antérieur de près de quarante ans aux idées de MM. Bohr et Heisenberg sur
l'interprétation physique de la Mécanique ondulatoire.
Sans aucun doute, on pousserait les
choses beaucoup trop loin si l'on affirmait qu'on trouve chez Bergson,
formellement énoncés, certains principes de la Physique des Quanta : on ne
peut identifier les énoncés précis des théories quantiques avec les intuitions
profondes, mais souvent vagues et fuyantes, du célèbre penseur. Des analogies
existent cependant et c'est elles que. nous voudrions dans le présent exposé
dégager le plus nettement possible, sans nous laisser aller toutefois à
solliciter les textes du philosophe dans le sens qui nous intéresse, car c'est
là évidemment le principal danger d'une recherche de ce genre.
* * *
Toute sa vie, Bergson a été obsédé
par l'idée que notre intelligence se fait une fausse représentation de la
nature réelle du temps. Préoccupée avant tout de noter des coïncidences plutôt
que d'observer le temps qui s'écoule, elle substituerait inconsciemment à la
durée réelle un schéma géométrique, celui d'un temps homogène conçu comme une
sorte de continu à une dimension. Ce faisant, si l'on en croit Bergson, elle
refuse de regarder en face la véritable nature de la durée concrète qui serait
progrès véritable, création de formes nouvelles et invention continue. Nous ne
voulons pas discuter la conception Bergsonnienne de la durée concrète, mais on
peut accorder à son auteur que la science a bien en effet toujours admis,
presque sans discussion, la possibilité de représenter le temps comme une
simple variable, repérable le long d'une ligne, comme une dimension de l'espace
et que, par là même, elle s'est condamnée à ne plus pouvoir bien comprendre pourquoi le temps et
l'espace se présentent à nous dans notre expérience vécue sous des aspects si
différents, pourquoi, en particulier, le temps s'écoule toujours dans le même
sens, alors que toute dimension de l'espace peut être indifféremment parcourue
dans les deux sens. Notre intelligence projette en quelque sorte la succession
des événements sur un axe homogène et ne veut plus voir dans l'écoulement du
temps qu'un déplacement le long de cet axe. Il est fort possible, en effet,
qu'en schématisant ainsi à l'excès, elle laisse échapper certaines propriétés
essentielles du temps réel.
Si notre représentation du temps est
peut-être exagérément schématisée, n'en serait-il pas de même aussi de notre
représentation de l'espace ? Pour nous représenter la localisation des
objets dans l'espace, nous les projetons également sur un cadre homogène à
trois dimensions qui est l’espace géométrique conçu abstraitement. En procédant ainsi, ne
risquons-nous pas encore de méconnaître certains caractères essentiels de
l'espace concret ? Cette question, Bergson dans ses écrits l'a beaucoup
moins souvent abordée que la question analogue relative au temps. Tandis qu'il
n'est pas un de ses ouvrages où l'on ne retrouve, reprise un grand nombre de
fois, l'idée d'une opposition profonde de la durée concrète telle qu'il
l'imagine et du temps homogène et abstrait que la science emploie, c'est
seulement dans quelques passages, notamment au chapitre IV de Matière et
Mémoire, qu'il a opposé l'espace abstrait et la durée concrète. « Nous
tendons, nous dit-il, au-dessous de la continuité des qualités sensibles, qui
est l'étendue concrète, un filet aux mailles indéfiniment déformables et
indéfiniment décroissantes : ce substrat simplement conçu, ce schème tout
idéal de la divisibilité abstraite et indéfinie, est l'espace homogène...
Espace homogène et temps homogène ne sont donc ni des propriétés des choses, ni
des conditions essentielles de notre faculté de connaître : ils expriment
sous une forme abstraite le double travail de solidification et de division que
nous faisons subir à la continuité mouvante du réel pour nous y assurer des
points d'appui, pour nous y fixer des centres d'opération »1.
Insistant sur ce point, il dit encore qu'on peut voir l'origine de toutes les
difficultés relatives au temps et à l'espace « non plus dans cette durée
et cette étendue qui appartiennent effectivement aux choses et se manifestent
immédiatement à l'esprit, mais dans l'espace et dans le temps homogènes que
nous tendons au-dessous d'elle pour diviser le continu, fixer le devenir et
fournir à notre activité des points d'application ». Plus loin, résumant
sa pensée, il conclut : « Ce qui est donné, ce qui est réel, c'est
quelque. chose d'intermédiaire entre l’étendue divisée et l'inétendu pur :
c'est ce qu'on peut appeler l'extensif. L'extension est la qualité la plus
apparente de la perception. C'est en la consolidant, en la subdivisant au moyen
d'un espace abstrait tendu par nous au-dessous d'elle que nous constituons
l'étendue multiple et indéfiniment divisible »2. Nous avons
cité ces textes, peut-être moins connus que ceux relatifs à la durée, pour
montrer que la philosophie de Bergson devait le conduire, et l'ont en fait
parfois conduit, à considérer la représentation de l'étendue par l'espace
géométrique homogène comme ayant, au moins en partie, le caractère fallacieux
qu'avait à ses yeux la
représentation de la durée par le temps homogène des mathématiciens et des
physiciens.
Il se peut donc que notre représentation de l'étendue par
l'espace géométrique homogène soit trop schématique et qu'elle ait le tort de
pulvériser l'extension du monde matériel en une simple juxtaposition de
localisations dans un cadre abstrait. Néanmoins, et c'est probablement la
raison pour laquelle Bergson a beaucoup plus insisté sur le cas de la durée que
sur celui de l'étendue, la représentation de l'écoulement du temps par le
déplacement le long d'un axe homogène implique un abandon beaucoup plus complet
de plusieurs des propriétés les plus incontestables de la réalité vécue. Rien
ne nous empêche dans cette représentation abstraite de supposer que nous
puissions remonter le cours du temps, contrairement à la propriété la plus
certaine de la durée réelle. Rien ne s'oppose non plus, comme Bergson l'a très
bien noté (à la page 365 de l'Évolution créatrice), à ce que nous supposions le flux du temps s'opérant
avec une vitesse infinie de telle sorte que toute l'histoire passée, présente
et future de l'univers se trouve instantanément étalée devant nous. C'est bien à une telle représentation,
au fond contraire à toutes les données de notre expérience vécue, qu'est
parvenue la théorie de la relativité lorsqu'elle nous a invités à figurer
l'ensemble des événements passés, présents et futurs dans le cadre d'un continu
abstrait à quatre dimensions, l'espace-temps. D'après elle, chaque observateur découvrirait successivement les
événements contenus dans l'espace-temps : à chaque instant de son temps
propre, il pourrait regarder comme simultanés tous ceux de ces événements qui
sont localisés dans une certaine section plane à trois dimensions de
l'espace-temps et, au fur et à mesure que s'écoulerait son temps propre, cette
section balayerait progressivement l'espace-temps tout entier. Ainsi, d'après
cet audacieux schéma, tout l'ensemble des événements serait en quelque sorte
donné a priori : ce ne serait que par une sorte d'infirmité de
nos moyens de percevoir que nous les découvririons successivement au cours de
notre durée propre. Une telle vision purement statique de l'univers qui exclut
toute nouveauté et toute spontanéité, Bergson l'a toujours rejetée avec la plus
grande énergie. « Si le temps, dit-il, s'étendant ainsi en espace et la
succession devenant juxtaposition, la science n'a rien à changer à ce qu'elle
nous dit, c'est que dans ce qu'elle nous disait elle ne tenait compte ni de la succession
dans ce qu'elle a de spécifique, ni de la durée dans ce qu'elle a de
fluent. Elle n'a aucun signe pour exprimer de la succession et de la durée ce
qui frappe notre conscience. Une telle représentation ne s'applique pas plus au
devenir dans ce qu'il a de mouvant que les ponts jetés de loin en loin sur le
fleuve ne suivent l'eau qui coule sous leurs arches »3.
Laissons de côté les belles images
dont le charme peut être trompeur, laissons de côté ce qui peut prêter à
contestation dans la conception Bergsonienne de la durée : il n'en reste
pas moins vrai que la représentation schématique du temps employée par la
science classique et poussée à ses extrêmes conséquences par la théorie de la
Relativité peut être un schéma commode, mais fallacieux, qui nous masque une
partie du caractère véritable de l'écoulement des choses. Et, nous l'avons vu,
même pour l'étendue, il n'est pas en somme certain qu'elle puisse se laisser
entièrement décrire par des localisations dans le cadre homogène de l'espace
géométrique.
Bergson a tenté de tirer à lui, si
l'on peut dire, la théorie de la relativité et de montrer qu'elle n'est pas en
contradiction avec les idées qui lui étaient chères. Il a été ainsi conduit à
écrire le moins bon de ses livres Durée et simultanéité, ouvrage qui a été justement
critiqué parce qu'il semble bien que son auteur ait mal compris le véritable sens
des conceptions d'Einstein et de ses
continuateurs. À vrai dire, la Physique relativiste apparaît bien
comme étant en opposition flagrante avec les vues de Bergson, précisément parce
qu'elle pousse à l'extrême limite la spatialisation du temps et la géométrisation
de l'espace, parce qu'elle est à ce point de vue le couronnement final de la
Physique classique. Mais la Physique relativiste n'est pas le dernier mot de la
science, car il n'y a jamais de
dernier mot en matière de progrès scientifique : malgré les indéniables et
admirables clartés qu'elle nous a apportées sur bien des questions, la théorie
de la Relativité n'a aucunement réussi à interpréter les phénomènes où les
quanta interviennent et pour y parvenir, il a fallu, on le sait, développer des
théories plus étranges encore que celle de la Relativité. Il est aujourd'hui
certain que les théories quantiques pénètrent dans des couches beaucoup plus
profondes de la réalité que toutes les théories antérieures. La théorie de la
Relativité elle-même ne nous apparaît plus que comme une vue macroscopique et
statistique des phénomènes : elle décrit les choses en gros et globalement
et ne descend pas assez profondément dans la description détaillée des
processus élémentaires pour nous y faire apercevoir les discontinuités
quantiques. C'est la Physique quantique, dont la forme la plus avancée est la
Mécanique ondulatoire, qui est parvenue à nous faire pénétrer dans les mystères
de ces processus élémentaires et à tenir compte des discontinuités liées à l'existence
du quantum d'Action. La question se pose alors de savoir si cette Physique
nouvelle ne serait
pas mieux en accord que la doctrine relativiste avec certaines des idées de
Bergson. C'est là une question que nous examinerons plus loin.
Avant de l'aborder, il nous faut
d'abord rappeler comment Bergson a critiqué la notion habituelle de mouvement.
À cette critique, il a consacré un nombre considérable de pages semées à
travers ces divers ouvrages. Son idée essentielle paraît avoir été qu'en
décrivant le mouvement d'un point comme une suite continue de positions
successivement atteintes au cours du temps, la science commet une erreur
profonde parce qu'elle laisse échapper ainsi ce qui est l'essentiel du
mouvement : la mobilité, le dynamisme. La variable t des
mécaniciens classiques qui sert à repérer les instants de passage du mobile aux
divers points de sa trajectoire peut être conçue comme se déroulant infiniment
vite sans que rien soit changé aux coïncidences prévues : toute la
trajectoire se trouve alors spatialisée et c'est bien ainsi que l'imaginent les
Relativistes de stricte observance dans leur espace-temps quand ils évoquent la
ligne d'univers d'un mobile. Mais
Bergson n'a jamais admis ce point de vue qui selon lui, enlève à la durée son
caractère concret et en quelque sorte créateur. Et plus d'une fois, dans sa
critique de l'image classique du mouvement, il a appelé à son aide les arguments de Zénon
d'Élée, arguments grâce auxquels le philosophe antique a si curieusement
cherché à faire entrevoir tout le mystère qui se cache sous la notion
apparemment simple de mouvement. Le plus frappant de ces arguments est à notre
sens celui de la Flèche qui, selon Zénon, ne peut à aucun instant de son vol
occuper une position vraiment déterminée puisque, si elle occupait une telle
position, elle serait immobile. Commentant cette subtile remarque de
l'Eléate, Bergson écrit : « Le passage est un mouvement et l'arrêt
une immobilité. Quand je vois le mobile passer en un point, je conçois sans
doute qu'il puisse s'y arrêter et, lors même qu'il ne s'y arrête pas,
j'incline à considérer son passage comme un repos infiniment court. Tout point
de l'espace étant nécessairement fixe, j'ai bien de la peine à ne pas attribuer
au mobile lui-même l'immobilité du point avec lequel il coïncide. Comment un progrès
coïnciderait-il avec une chose, un mouvement avec une
immobilité ? »4 Aussi
le philosophe de la Durée garde-t-il une méfiance invincible à l'égard de la
représentation du mouvement par le déplacement d'un point sur une trajectoire.
Il voit là une description illusoire. « Au fond, dit-il, l'illusion vient
de ce que le mouvement, une fois effectué, a déposé le long de son
trajet une trajectoire immobile sur laquelle on peut compter autant d'immobilités
qu'on voudra. De là, on conclut que le mouvement s'effectuant dépose à chaque
instant au-dessous de lui une position avec laquelle il coïncidait ».
* * *
Sans insister davantage sur l'exposé
des idées essentielles de Bergson sur la durée et sur le mouvement, idées qui
ont été bien souvent analysées, abordons maintenant la question qui fait
l'objet principal de cet article : existe-t-il quelque analogie entre la
critique Bergsonienne de l'idée de mouvement et les conceptions des théories
quantiques contemporaines ? Il semble bien que la réponse doive être
affirmative.
Un des résultats capitaux du
développement de la nouvelle Mécanique ondulatoire et quantique a été de
montrer l'impossibilité d'attribuer simultanément à un corpuscule élémentaire
un état de mouvement bien défini et une position entièrement déterminée.
L'existence du quantum d'Action dont la grandeur est mesurée par la constante
de Planck, s'oppose à toute détermination simultanée et parfaitement précise
des coordonnées qui fixent la position du corpuscule et des grandeurs, telles qu'énergie et quantité de mouvement,
qui spécifient son état dynamique. En d'autres termes, il est impossible de
connaître en même temps avec précision l'aspect dynamique des processus
élémentaires et leur localisation dans l'espace et cette impossibilité
s'exprime quantitativement par les fameuses relations d'incertitude
d'Heisenberg. Certes, il est toujours possible par une mesure appropriée de
déterminer la position dans l'espace d'une entité physique élémentaire, mais
cette mesure qui projette en quelque sorte l'entité élémentaire en un point du
cadre fixe de notre espace géométrique la prive, peut-on dire, de toute
mobilité et nous laisse dans l'ignorance complète de son mouvement. Inversement
une autre sorte de mesure peut nous permettre de fixer l'aspect dynamique de
l'entité physique en lui attribuant une énergie et une quantité de mouvement déterminées,
mais alors, ayant précisé sa mobilité, nous ignorerons tout de sa localisation
dans l'espace. Des cas intermédiaires peuvent se présenter où nous arriverons à
connaître partiellement à la fois l'aspect géométrique et l'aspect dynamique,
mais cette connaissance partielle de chacun des deux aspects est toujours
limitée et reste soumise aux incertitudes d'Heisenberg. Tout ceci est vrai à
l'échelle microscopique des atomes et des particules élémentaires. Par contre,
si l'on fait seulement des observations macroscopiques à grande échelle, les
incertitudes expérimentales et l'imperfection de nos sens peuvent nous donner l'illusion
de connaître simultanément la position et le mouvement d'un
corpuscule ; alors, nous pourrons lui attribuer une trajectoire sur
laquelle, à chaque instant, il possédera une certaine vitesse, mais ce ne sera
là qu'une image approximative et, si nous pouvons analyser plus finement les
choses en mesurant avec plus de précision les positions, nous ne pourrons plus
saisir qu'une suite de localisations entre lesquelles le mouvement nous
échappera.
L'analogie de ces idées avec celles
de Bergson paraît réelle et l'on peut même dire que, si la critique
Bergsonienne du mouvement a ici péché par quelque endroit, ce serait plutôt par
excès de prudence. Elle conserve en effet, comme le montrent entre antres les
citations faites à la fin du dernier paragraphe, l'idée d'une trajectoire
décrite par le mobile et elle a dès lors quelque peine à expliquer que le
mouvement dans son dynamisme ne coïncide pas avec le déplacement géométrique le
long de la trajectoire. Mais, avec les idées quantiques, quand on regarde les
choses à une échelle assez fine, il n'y a pas de trajectoire assignable au
mobile, car on ne peut jamais déterminer par une série de mesures
nécessairement discontinues que quelques positions instantanées de l'entité
physique en progression et chacune de ces déterminations implique un
renoncement total à saisir en même temps l'état de mouvement. Toujours guidé
par Zénon d'Élée, Bergson paraît avoir pressenti ce point quand il a écrit :
« Il n'y a dans l'espace que des parties d'espace et en quelque point que
l'on considère le mobile, on n'obtiendra qu'une position »5. Il aurait pu
dire en empruntant le langage des théories quantiques : « Si l'on
cherche à localiser le mobile, par une mesure ou une observation, en un point
de l'espace, on n'obtiendra qu'une position et l'état de mouvement échappera
complètement ». Mais il écrivait les lignes qui viennent d'être citées en
1889, près de quarante ans avant l'apparition dans la science des incertitudes
d'Heisenberg !
Une page plus loin, il dit
encore : « Bref, il y a deux choses à distinguer dans le mouvement,
l'espace parcouru et l'acte par lequel on le parcourt, les positions
successives et la synthèse de ces positions... Mais ici un phénomène
d'endosmose se produit, un mélange entre la sensation purement intensive de mobilité
et la représentation extensive de l'espace parcouru ». Au point de vue de
la Mécanique ondulatoire, cette manière de parler ne nous paraît pas tout à
fait satisfaisante.
Ce qu'il faudrait dire, c'est qu'une
entité physique élémentaire peut être tour à tour représentée par le concept de
corpuscule, c'est-à-dire en somme de point bien localisé dans l'espace
géométrique, et par le concept d'onde, l'onde représentant en Mécanique
ondulatoire le mouvement à l'état pur sans aucune localisation spatiale. Ainsi
la Mécanique ondulatoire, en jouant sur deux images opposées, parvient-elle à
séparer la mobilité de la localisation et elle considère que ces deux images ne
peuvent jamais être simultanément employées dans toute leur précision, car
c'est là le contenu des incertitudes d'Heisenberg. Du même coup, remarquons-le
en passant, s'obscurcit dans le domaine microscopique la notion classique de
vitesse liée à la description continue d'une trajectoire. C'est seulement dans
la limite de l'expérience macroscopique, dont la précision est limitée, qu'il
peut y avoir emploi simultané des deux images, connaissance approchée des
localisations et des mouvements justifiant à titre d'approximation l'usage de
la notion de trajectoire. C'est dans le macroscopique, donc dans le domaine des
perceptions usuelles des hommes, que peut s'opérer ce mélange de l'idée de
mobilité et de celle d'espace parcouru dont parle Bergson dans le texte que
nous avons cité plus haut.
Dans un autre passage de l'Essai sur les données immédiates de la
conscience, nous relevons encore la phrase suivante :
« Or, dans l'analyse du mouvement varié comme dans celle du mouvement
uniforme, il n'est question que d'espaces une fois parcourus et de positions
simultanées une fois atteintes. Nous étions donc fondés à dire que, si la Mécanique
ne retient du temps que la simultanéité, elle ne retient du mouvement lui-même
que l'immobilité »6. Cette affirmation peut être vraie de la
Mécanique classique qui ne sait représenter le mouvement que par des positions
successives sur une courbe continue, mais elle nous paraît beaucoup moins
exacte pour la Mécanique ondulatoire, qui, elle, sait représenter la mobilité
sans aucune préoccupation de localisation par l'image analytique de l'onde
plane monochromatique. En Mécanique ondulatoire, localisation précise et
mobilité pure peuvent se rencontrer tour à tour, étant d'après cette nouvelle
doctrine et selon le mot de M. Bohr des aspects complémentaires de la réalité.
Les exemples que nous venons de citer
montrent que certaines phrases de Bergson seraient à modifier assez
profondément si l'on voulait rendre plus précise l'analogie entre les
conceptions du philosophe et les nouvelles théories des physiciens, mais dans
le texte même de ses livres, l'analogie apparaît par moments assez clairement.
Ainsi, quand, à l'heure actuelle, un professeur de Mécanique ondulatoire veut
expliquer à ses élèves comment l'onde plane monochromatique représente le
mouvement rectiligne et uniforme d'un corpuscule, il doit commencer son exposé
en disant : « Considérons un corpuscule animé d'un état de mouvement
parfaitement bien défini, c'est-à-dire correspondant à une énergie et à une
quantité de mouvement exactement connues et faisons complètement abstraction
de la position du corpuscule dans l'espace : cet état de mouvement
sans localisation est décrit en Mécanique ondulatoire par la propagation d'une
onde plane monochromatique... » Et maintenant écoutons Bergson : « Attachez-vous
au mouvement en vous dégageant de l'espace divisible qui le sous-tend pour n'en
plus considérer que la mobilité ! »7 N'y a-t-il pas entre l'enseignement du savant
et l'exclamation du philosophe une indéniable analogie ?
Et comment ne pas penser au
corpuscule de la Mécanique ondulatoire qui se trouve représenté par une onde
étendue à toute une région de l'espace et qui, non localisé, peut manifester sa présence en tout point de celte région quand on
lit dans l'Évolution
créatrice : « Comme le schrapnell éclatant avant de
toucher terre couvre d'un indivisible danger la zone d'explosion, ainsi la
flèche qui va de A en B déploie d'un seul coup son indivisible mobilité »8.
Continuons notre parallèle. D'après les nouvelles
conceptions de la Physique, quand une expérience ou une observation a permis de
définir l'état d'un corpuscule à un instant t, avec toute la précision
que permettent les incertitudes d'Heisenberg, la Mécanique ondulatoire est en
état d'annoncer quelles seront les localisations possibles du corpuscule à un
instant ultérieur t, et leurs probabilités respectives ; mais elle
ne peut en général faire de prévisions certaines et c'est en substituant ainsi aux
prévisions certaines de l'ancienne Mécanique de simples probabilités portant
sur diverses possibilités que la Mécanique quantique se trouve renoncer au
déterminisme rigoureux de la Physique classique. Si maintenant, à l'instant t,
postérieur à t, une expérience ou une observation nous permet de
localiser exactement le corpuscule, la situation change complètement pour nous,
puisque c'est une des possibilités, et aucune autre, qui se réalise. Ainsi, dans
les théories quantiques, beaucoup plus que dans les théories classiques, le
temps paraît apporter, en s'écoulant, des éléments nouveaux et imprévisibles.
Or ce sont les mots mêmes qui viennent sous la plume de Bergson quand il écrit :
« Plus j'approfondis ce point, plus il m'apparaît que, si l'avenir est
condamné à succéder au présent au lieu d'être donné à côté de lui, c'est
qu'il n'est pas tout à fait déterminé au temps présent et si le temps occupé
par cette succession est autre chose qu'un nombre, c'est qu'il s'y crée sans
cesse, de l'imprévisible et du nouveau »9.
Si Bergson avait pu étudier en détail les théories
quantiques, il eut sans doute constaté avec joie que dans l'image qu'elles nous
offrent de l'évolution
du monde physique, elle nous montre à chaque instant la nature comme hésitant
entre plusieurs possibilités et il eut sans doute répété, comme dans La
Pensée et le Mouvant que « le temps est cette hésitation même ou qu'il
n'est rien »10.
On a parfois fait aux affirmations d'Heisenberg sur les
incertitudes quantiques l'objection suivante : « Considérons un
corpuscule qui se meut en dehors de tout champ ; déterminons par deux
mesures successives d'abord sa position exacte à un instant t1, puis
sa position exacte B à un instant
postérieur t2, ce qui est possible même
en tenant compte des incertitudes d'Heisenberg. Nous pourrons alors admettre
tout naturellement que le corpuscule, a décrit d'un mouvement rectiligne et
uniforme pendant l'intervalle de temps t2 - t1, le
segment de droite AB avec la vitesse AB/( t2 - t1)
connaît donc ainsi la trajectoire du corpuscule, pendant cet intervalle de
temps et aussi sa vitesse, ce qui est contraire
à l'impossibilité postulée par Heisenberg de connaître à la fois la
localisation et le mouvement ». À cela, on a répondu à juste titre que la
trajectoire rectiligne AB n'est attribuable au mobile qu'après coup, quand il s'est manifesté au point B, et que par
suite cette trajectoire ne pouvait aucunement être prévue à l'instant t1,
où l'on ne connaissait encore que la position A. De plus, c'est une hypothèse en somme arbitraire d'admettre que le corpuscule, parce que
l'on a saisi successivement sa présence en A puis en B, a
réellement décrit la droite AB en coïncidant progressivement avec tous ses
points. Cette argumentation est
assez curieuse à comparer avec celle que
Bergson a développée, avec une habileté peut-être parfois exagérément subtile,
dans les pages 134 et suivantes de l'Essai
sur les données immédiates de la conscience à propos de la question
si controversée du libre arbitre.
À la page 139 notamment, on peut lire :
Le
temps n'est pas une ligne sur laquelle on repasse. Certes, une fois qu'il est
écoulé, nous avons le droit de nous en représenter les moments successifs comme
extérieurs les uns aux autres et de penser ainsi à une ligne qui traverse
l'espace ; mais il demeure entendu que cette ligne symbolise non pas le
temps qui s'écoule, mais le temps écoulé. C'est ce que défenseurs et partisans
du libre arbitre oublient également — les premiers quand ils affirment et les
autres quand ils nient la possibilité d'agir autrement qu'on a fait. Les
premiers raisonnent ainsi : « Le chemin n'a pas encore été tracé,
donc il peut prendre une direction quelconque » à quoi l'on
répondra : « Vous oubliez qu'on ne peut parler de chemin qu'une fois
l'action accomplie, mais alors il aura été tracé ».
Les
autres disent : « Le chemin a été tracé ainsi : donc sa direction
possible n'était pas quelconque, mais bien cette direction même » à quoi
l'on répliquera : « Avant que le chemin fut tracé, il n'y avait pas
de directions possibles ou impossibles par la raison fort simple qu'il ne
pouvait être question de chemin »...
La question étudiée par Bergson dans
ce passage n'est évidemment pas identique au problème de Mécanique ondulatoire
que nous citions plus haut, mais en opérant dans le texte de Bergson quelques
transformations, on pourrait l'adapter à ce problème et le rapprochement des
deux arguments deviendrait alors très suggestif.
Pour achever ces comparaisons, nous
citerons le texte suivant qu'on pouvait lire récemment dans un travail présenté
à la Faculté des Sciences de Paris : « En Physique quantique, si l'on
se place à l'état t1 les événements de l'intervalle t1 t2 seront
décrits par des prévisions incertaines ; si l'on se place à
l'instant t2 les événements de l'intervalle t1 t2 seront décrits par des mesures
effectuées et par leurs résultats. En raison de l'indéterminisme, le futur
de maintenant apparaît comme distinct du passé qui sera... Le futur de maintenant est beaucoup
plus riche en possibilités que le passé qui sera »11. Ce résumé
très exact de la position actuelle de la Physique quantique ne dégage-t-il pas
un certain parfum de Bergsonisme ?
* * *
D'autres passages encore des œuvres
de Bergson sont intéressants à comparer aux conceptions nouvelles des théories quantiques.
On sait qu'en Mécanique ondulatoire 12,
il est en général impossible, quand on a affaire à un ensemble de particules de
même nature physique, d'attribuer à chacune une individualité permettant, par
exemple, de lui affecter une numérotation permanente. La raison profonde en est
que, des particules de la même espèce physique ayant des propriétés identiques,
ne peuvent être distinguées entre elles que par leur position différente dans
l'espace : or, en Mécanique ondulatoire, on ne peut pas en général
attribuer aux particules des positions bien définies dans l'espace et ces
particules peuvent se trouver dans
toute une région étendue de l'espace. Si leurs régions de présence possible
empiètent ou se recouvrent, ce qui arrivera le plus souvent, comment pourrait-on
encore suivre leur individualité ? Aussi la Mécanique ondulatoire a-t-elle
renoncé à individualiser les particules et à suivre l'évolution de chacune d'elles
séparément au cours du temps : elle ne peut plus que considérer les
nombres globaux de particules de même nature et les variations de ces nombres. Et encore ces nombres globaux ne
sont-ils effectivement constatables que si de nouvelles observations, en isolant et localisant les diverses
particules, permettent de les compter.
Ainsi est apparu clairement en
Physique quantique combien toute possibilité de dénombrement est liée à la
localisation dans l'espace et pourquoi chaque fois que la localisation dans
l'espace s'estompe ou disparaît, il devient impossible d'attribuer à des unités
semblables une numérotation permanente. Or, Bergson, dès le temps déjà lointain
où il écrivit son Essai sur les données immédiates de la conscience, paraît
avoir entrevu quelques-unes de ces idées fondamentales. On le constatera en relisant
les curieuses pages 13 qu'il a consacrées dans ce livre à la
multiplicité numérique et à l'espace. Ainsi il écrit : « Nous disons
donc que l'idée de nombre implique l'intuition simple d'une multiplicité de
parties ou d'unités absolument semblables les unes aux autres. Et pourtant, il
faut bien qu'elles se distinguent par quelque endroit puisqu'elles ne se
confondent pas en une seule. Supposons tous les moutons d'un troupeau
identiques entre eux : ils diffèrent au moins par la place qu'ils occupent
dans l'espace, sinon ils ne formeraient pas un troupeau »14. De
là à dire que, si la localisation des moutons était impossible, on ne pourrait
les distinguer, il n'y a qu'un pas et si on le franchit, on parvient à l'idée
d'indiscernabilité des particules identiques introduite par la Mécanique ondulatoire.
En Mécanique ondulatoire, la
possibilité pour deux particules de se trouver au même point de l'espace
conduit à atténuer la vieille notion de l'impénétrabilité de la matière. Cette
notion s'obscurcit donc en même temps que devient impossible la numérotation
permanente des particules. Et ce fait peut être rapproché d'une pensée profonde
de Bergson :
« Poser
l'impénétrabilité de la matière, c'est donc simplement reconnaître la
solidarité des notions de nombre et d'espace : c'est énoncer une propriété
du nombre plutôt que de la matière »15.
L'une des notions essentielles qui se
sont introduites dans les théories quantiques dès leur début est celle d'états stationnaires. Selon
Bohr, les édifices de l'échelle atomique sont susceptibles d'états
stationnaires ou quantifiés qui ne comportent aucune évolution dans le temps et
sont comme placés en dehors de la durée. Mais ces systèmes quantifiés sont
aussi susceptibles de passer par une transition brusque d'un état stationnaire
à un autre et c'est par la succession de ces transitions brusques, dont la
Physique quantique parvient aujourd'hui à calculer les probabilités, que
s'effectue l'évolution du monde matériel envisagée à l'échelle microscopique.
De ces conclusions des théories modernes, on peut peut-être rapprocher la
phrase suivante de l'Évolution créatrice : « Disons seulement que l'intelligence se représente le devenir comme
une série d’états dont chacun est homogène avec lui-même
et paraît ne pas changer »16, ainsi que les passages du même
ouvrage où il décrit le caractère kaléidoscopique de notre connaissance des
choses, bien qu'assurément l'analogie soit ici plus vague.
* * *
Nous ne voulons pas poursuivre plus
loin ces comparaisons, la pensée subtile et souvent fuyante du philosophe étant
très difficile à comparer aux énoncés précis des théories scientifiques. Les
rapprochements que nous avons cru apercevoir entre ceux-ci et celle-là ne
portent d'ailleurs que sur certaines des idées nouvelles, si variées et parfois
si paradoxales, que Bergson s'est plu à soutenir au cours de ses ouvrages. Mais
ces idées, celles relatives au temps, à la durée, au mouvement, sont au cœur
même de la doctrine : c'est elles qui ont servi de bases de départ à la pensée du
philosophe, c'est vers elles qu'elle est toujours revenue sous des formes
diverses.
Il eût été très curieux de connaître
l'opinion de Bergson sur les aspects philosophiques des théories contemporaines
de la Physique, de voir comment son esprit eût réagi en face d'une évolution
scientifique qui semble, nous avons cherché à le montrer, conduire à des
conclusions présentant quelques analogies, avec certaines des affirmations qui
lui étaient chères. Malheureusement, quand les théories quantiques ont commencé
à prendre leur figure actuelle, Bergson était déjà âgé et en mauvaise
santé : il n'a sans doute pas pu les approfondir assez pour chercher à en
utiliser les résultats dans ces investigations philosophiques. Cependant, dans
son dernier ouvrage La pensée et le mouvant, il a fait allusion à ces théories dans une note en bas de page
1 dont voici le texte : « On peut donc, et même on doit, parler
encore de déterminisme physique lors même qu'on postule avec la Physique la
plus récente l'indéterminisme des phénomènes élémentaires dont se compose le
fait physique. Car ce fait physique 17 est perçu par nous comme
soumis à un déterminisme inflexible et se distingue radicalement par là des
actes que nous accomplissons quand nous nous sentons libres. Ainsi que nous le
suggérons ci-dessus, on peut se demander si ce n'est pas précisément pour
couler la matière dans ce déterminisme, pour obtenir dans les phénomènes qui
nous intéressent une régularité de succession nous permettant d'agir sur eux,
que notre perception s'arrête à un certain degré particulier de condensation
des phénomènes élémentaires »18. Curieuse suggestion suivant
laquelle les êtres vivants auraient nécessairement une perception
« macroscopique », parce que dans le macroscopique seulement règne le
déterminisme apparent qui rend possible leur action sur les choses. Combien, en
lisant ce texte isolé, on se prend à regretter que le grand philosophe n'ait
pas pu parcourir de son regard perçant les horizons imprévus de la nouvelle
Physique ! 19
Louis de Broglie, in Physique et
microphysique (1947)
1. Matière et Mémoire, p. 234-235.
2. Matière
et Mémoire, p. 274.
3. Évolution créatrice, p. 366.
4. Matière et Mémoire, p. 207.
5. Essai
sur les données immédiates de la conscience, p. 84.
6. Essai
sur les données immédiates de la conscience, p.90.
7. Matière et Mémoire, p. 232.
8. Évolution créatrice, p. 364.
9. Évolution créatrice, p. 367.
10. La Pensée et le
Mouvant, p.101.
11. Diplôme d'études supérieures de Mile
Pasturaud.
12. Voir l'article de l'auteur Individualité
et interaction dans le monde physique.
R. M. M. t. XLIX, 1937, p. 353 (ou le volume Continu et Discontinu, p.
117).
13. Pages 57 à 67.
14. Essai sur les données
immédiates de la conscience p. 58.
15. Essai, p. 67.
16. Évolution créatrice, p. 177.
17. Nous ajouteri0ns « macroscopique ».
18. La
Pensée et le Mouvant, p.61.
19. D'autres ressemblances entre les
idées de Bergson et celles de la Physique moderne pourraient encore être
signalées. M. André George a bien voulu attirer mon attention sur certaines
analogies entre les conceptions de Bergson sur la causalité et la distinction
entre causalité forte et causalité faible que nous avions nous-même introduite,
il y a quelques années, à la lumière des idées quantiques (voir notamment Continu
et Discontinu, page 64). Ainsi, parlant de la causalité faible, Bergson
écrit à la page 161 de l'Essai :
« Si donc on se décide à concevoir sous cette seconde forme la relation
causale, on peut affirmer a priori qu'il n'y aura plus entre
la cause et l'effet un rapport de détermination nécessaire, car l'effet ne sera
plus donné dans la cause. Il n'y résidera qu'à l'état de possible et comme une
représentation confuse qui ne sera peut-être pas suivie de l'action correspondante ».
L'analogie avec la conception probabiliste, de la relation causale telle
qu'elle est conçue par l'actuelle Physique des Quanta est évidente.