vendredi 19 octobre 2018

En priant... André Sève, L'écrin de silence



L'été dernier j'ai fait un peu de montagne avec une famille délicieuse : un garçon et deux filles de dix à quatorze ans. Arrivés au sommet, c'était si beau que j'ai proposé de faire une prière, et j'ai tout de suite lancé énergiquement un Notre Père, puis repris dans la foulée notre conversation.
J'ai senti un silence gêné. Éric, qui à dix ans a encore tous les culots, m'a carrément tancé.
― On n'a pas dit un vrai Notre Père.
― Il était tout sec, tout nu, il n'avait pas d'écrin, a précisé Océane.
― Un écrin ?
― Ben oui, un peu de silence avant et après.
Devant mon étonnement, la maman a pris le relais.
― Nous avons découvert cela dans une abbaye. Les moines faisaient naître doucement du silence tous leurs Notre Père. À la fin, ils couchaient aussi dans le silence leur dernier Notre Père. C'étaient des silences courts mais enveloppants, on avait l'impression que ces Notre Père étaient présents sur un bel écrin très beau et très doux. On croyait que ce serait pareil avec vous.
Je n'ai pas oublié cette leçon gentille mais ferme. Je souffre maintenant quand j'entends massacrer n'importe quel Notre Père, je pense qu'ils méritent tous d'être déposés sur un écrin de silence. Que ce soit le Notre Père dit en groupe, ou le Notre Père que nous chuchotons seul pour reprendre intérieurement contact avec Dieu.
Il me semble que toute prière a un extérieur et un intérieur. Ceux qui nous voient prier ont vite fait de voir si vraiment nous sommes intérieurement avec Dieu.
Nous détestons n'être pas écoutés. Mais nous infligeons très souvent à Dieu cet affront et cette peine.
Cela vient peut-être de ce que nous ne voyons pas très bien, dans nos vies, l'union entre le silence et la prière. Instinctivement nous sentons que notre prière a besoin d'un écrin de silence, mais, comme le silence devient maintenant une denrée rare, au lieu de le chercher un peu mieux nous décidons très vite que « ce n'est tout de même pas là qu'on peut prier » !
Résultat, on gâche même les meilleurs écrins de silence ! Quand je me revois sur ce sommet avec cette famille, je regrette d'avoir brisé la prière qu'ils désiraient, née du silence, pour faire un peu plus de bruit avec un Notre Père mal intériorisé.
C'est finalement cela, l'écrin de silence : l'ouverture de notre intérieur, pendant quelques minutes, à des retrouvailles avec le Seigneur de telle sorte que nous ayons vraiment envie de lui parler, comme lui a envie de nous écouter.
Non seulement nous perdrons moins d'extraordinaires écrins de silence, comme celui que nous offre un sommet de montagne mais, de retour à la vie plus ordinaire, nous saurons mieux sauver tous nos silences. Près d'un malade où nous devons prier pour deux. Pendant une attente chez le dentiste. Ou près d'un gosse entêté qui ne veut pas manger : « Seigneur, tu les aimais, ces tout-petits. Je suis plus que jamais près de toi quand ils m'offrent de curieux écrins de silence ! »
André Sève, in Mes quatre saisons