L'été dernier j'ai fait un peu de
montagne avec une famille délicieuse : un garçon et deux filles de dix à
quatorze ans. Arrivés au sommet, c'était si beau que j'ai proposé de faire une
prière, et j'ai tout de suite lancé énergiquement un Notre Père, puis repris dans la foulée notre conversation.
J'ai senti un silence gêné. Éric, qui
à dix ans a encore tous les culots, m'a carrément tancé.
― On n'a pas dit un vrai Notre Père.
― Il était tout sec, tout nu, il
n'avait pas d'écrin, a précisé Océane.
― Un écrin ?
― Ben oui, un peu de silence avant et
après.
Devant mon étonnement, la maman a
pris le relais.
― Nous avons découvert cela dans une
abbaye. Les moines faisaient naître doucement du silence tous leurs Notre Père. À la fin, ils couchaient
aussi dans le silence leur dernier Notre
Père. C'étaient des silences courts mais enveloppants, on avait
l'impression que ces Notre Père
étaient présents sur un bel écrin très beau et très doux. On croyait que ce serait
pareil avec vous.
Je n'ai pas oublié cette leçon
gentille mais ferme. Je souffre maintenant quand j'entends massacrer n'importe
quel Notre Père, je pense qu'ils
méritent tous d'être déposés sur un écrin de silence. Que ce soit le Notre Père dit en groupe, ou le Notre Père que nous chuchotons seul pour
reprendre intérieurement contact avec Dieu.
Il me semble que toute prière a un
extérieur et un intérieur. Ceux qui nous voient prier ont vite fait de voir si
vraiment nous sommes intérieurement avec Dieu.
Nous détestons n'être pas écoutés.
Mais nous infligeons très souvent à Dieu cet affront et cette peine.
Cela vient peut-être de ce que nous
ne voyons pas très bien, dans nos vies, l'union entre le silence et la prière.
Instinctivement nous sentons que notre prière a besoin d'un écrin de silence,
mais, comme le silence devient maintenant une denrée rare, au lieu de le
chercher un peu mieux nous décidons très vite que « ce n'est tout de même
pas là qu'on peut prier » !
Résultat, on gâche même les meilleurs
écrins de silence ! Quand je me revois sur ce sommet avec cette famille,
je regrette d'avoir brisé la prière qu'ils désiraient, née du silence, pour
faire un peu plus de bruit avec un Notre
Père mal intériorisé.
C'est finalement cela, l'écrin de silence :
l'ouverture de notre intérieur, pendant quelques minutes, à des retrouvailles
avec le Seigneur de telle sorte que nous ayons vraiment envie de lui parler,
comme lui a envie de nous écouter.
Non seulement nous perdrons moins
d'extraordinaires écrins de silence, comme celui que nous offre un sommet de
montagne mais, de retour à la vie plus ordinaire, nous saurons mieux sauver
tous nos silences. Près d'un malade où nous devons prier pour deux. Pendant une
attente chez le dentiste. Ou près d'un gosse entêté qui ne veut pas manger :
« Seigneur, tu les aimais, ces tout-petits. Je suis plus que jamais près
de toi quand ils m'offrent de curieux écrins de silence ! »
André Sève, in Mes quatre saisons