mercredi 24 octobre 2018

En traversant... André Sève, Le voyage chrétien



Chrétiens, nous sommes des voyageurs. Toute la Bible le dit à partir d'Abraham : « Il s'en alla sans savoir où il allait ». Au début de notre vie, nous ne savons pas où nous allons. Au milieu de notre vie, nous ne savons pas comment nous finirons.
Mais nous savons que nous pouvons toujours marcher avec Dieu. Quelle certitude ! Quel soleil dans n'importe quelle nuit ! Par la foi, nous tenons la main de Dieu, nous n'avons rien de plus précieux que la foi : « Par la foi, répondant à l'appel, Abraham obéit et partit pour un pays qu'il devait recevoir en héritage » (Hébreux 11, 8). C'est notre grand voyage et, à l'intérieur de celui-ci, tous nos voyages.
Ou plutôt nos pèlerinages, car le voyage chrétien n'est pas une route ordinaire, puisqu'il se fait avec Dieu. Et il est trilogie selon le grand modèle biblique de l'Exode : le départ, la traversée du désert et l'entrée en Terre promise.
Deux moments festifs encadrant un moment difficile, c'est la clé de l'existence chrétienne et nous vivons mal quand nous ne savons pas reconnaître un de ces trois temps.
Un seul sera pure joie : le grand final, la rencontre, l'entrée dans les soleils d'éternité. On y pense un peu à vingt ans, beaucoup à partir de soixante-dix ans ; on l'oublie trop en pleine maturité active. L'Évangile, pourtant, ne cesse de nous rappeler que nous sommes embarqués. Nous ne saurons ce qu'était la vie, ce qu'était un homme et qui est Dieu qu'en débarquant sur l'autre rive.
En attendant, il y a les grands et les petits départs, à la manière de notre père Abraham. À la manière de Jésus, Verbe éternel quittant le Père pour s'engager dans l'aventure humaine. À la manière de Marie quittant la très ordinaire vie de Nazareth pour commencer l'extraordinaire chemin de l'Assomption.
Nous avons nous aussi nos commencements et, en fait, nous sommes toujours en train de faire nos valises : le départ du nid pour la maternelle, les débuts d'une vie professionnelle (le premier salaire !), le mariage, la paternité, la vocation religieuse et nos cent départs, changements de vie, voyages-vacances, voyages-famille. Ils sont le plus souvent des exodes joyeux, des appels à s'ouvrir à d'autres frères, d'autres réalités de la vie. Qui n'est pas souple au changement n'est pas fait pour la vie.
La partie longue de la route est souvent la traversée d'un désert. Une chose importante que les jeunes doivent apprendre : partout les attend l'épreuve de la durée. Même pour une simple croisière de plaisir, après l'excitation du départ, il y a les incidents, les petites déceptions, les ennuis physiques, les gens désagréables.
À plus forte raison, la croisière de l'existence exige cette endurance dont nous parlent tant les lettres des apôtres. Tenir ! Un homme est un homme dans la mesure où il tient. C'est moins glorieux que les grands rires des départs et les émerveillements des arrivées, mais les longues patiences sont aussi notre grandeur.
Elles, surtout, tiennent la main de Dieu. Traversée du deuil, de la solitude, de la maladie, avancée vers la dernière escale. Quand Dieu appelle et que nous nous lançons vers une autre rive, c'est toujours une offre de traversée dans les eaux de la foi.
André Sève, in Mes quatre saisons