En cette fin d'année
Comment ne
pas penser à la fin de ma vie ?
En effeuillant mon calendrier dans les douze mois passés,
J'ai fait tomber la feuille où est inscrite la date de ma mort. Et... je n'ai pas frissonné.
En effeuillant mon calendrier dans les douze mois passés,
J'ai fait tomber la feuille où est inscrite la date de ma mort. Et... je n'ai pas frissonné.
I
Seigneur,
je Vous demande une grâce
Une grande
grâce :
Celle de ne
pas avoir peur de mourir, au contraire !
Celle de regarder ma mort comme un jour de fête,
Comme le plus beau jour de ma vie.
Celle de regarder ma mort comme un jour de fête,
Comme le plus beau jour de ma vie.
Seigneur,
donnez-moi la grâce d'une mort joyeuse,
Et même, si j'osais,
Et même, si j'osais,
La
grâce d'une mort magnifique
Les apôtres
allaient joyeux au-devant des fouets du Sanhédrin.
Saint André
saluait de loin la croix de son supplice :
Salut, ô Croix charmante !
Salut, ô Croix charmante !
Sainte
Perpétue et sainte Félicité, pour aller au martyre, s'étaient coiffées comme
pour le bal.
Les
Saint-Cyriens de Charleroi mirent leur casoar et leurs gants blancs pour
charger les mitrailleuses ennemies.
Et Vous
demandez, Seigneur, à vos Evêques, tout simplement, de mourir magnifiquement.
Je
ne suis ni Évêque
Ni apôtre,
ni martyr, ni Saint-Cyrien.
Je ne suis
qu'un petit chrétien, sans casoar, sans décorations ni galons.
Je ne suis
même qu'un enfant prodigue.
Et
cependant, quand même, j'ose Vous demander
De mourir magnifiquement.
De mourir magnifiquement.
Oh !
peu importe le décor !
Champ de
bataille, ou chambre quelconque.
Jour d'émeute,
adossé au mur,
Ou jour quotidien, couché dans mon lit,
Chez moi ou à l'hôpital.
Ou jour quotidien, couché dans mon lit,
Chez moi ou à l'hôpital.
La beauté
de la mort n'est pas sur la scène.
Sa
magnificence est d'ordre invisible.
C'est le secret de l'âme splendide,
Même quand le corps n'est plus qu'une défroque exténuée.
C'est le secret de l'âme splendide,
Même quand le corps n'est plus qu'une défroque exténuée.
Une
âme chrétienne
Que Vous
avez poursuivie Vous-même, ô Fils de Dieu,
Où, jusque dans les broussailles de
ses péchés, Vous avez laissé vos traces et vos parfums ;
Où Vous êtes venu en avant-garde,
Où Vous êtes encore,
Ô glorieux messager d'une gloire plus brillante !
Ô premier Feu d'une aurore éblouissante !
Ô Prélibation d'un ineffable Amour !
Ô glorieux messager d'une gloire plus brillante !
Ô premier Feu d'une aurore éblouissante !
Ô Prélibation d'un ineffable Amour !
Comment n'aurait-elle pas faim et
soif, cette âme, de vos
promesses et de Vous-même,
Ô Promesse entre toutes, excitante !
Ô Promesse entre toutes, excitante !
Bien-Aimé obscur et silencieux
Oh ! comme Vous aiguisez mon
espoir et ma soif !
Vous me faites tellement comprendre
Que je ne suis que le commencement d'une créature que Vous allez faire plus belle,
Et que, le meilleur de moi-même, c'est Vous qui le tenez en réserve.
Vous me faites tellement comprendre
Que je ne suis que le commencement d'une créature que Vous allez faire plus belle,
Et que, le meilleur de moi-même, c'est Vous qui le tenez en réserve.
Je sens que tout, tout est derrière
cette frêle cloison
De ma dernière minute ici-bas :
Ma tête, mon cœur, ma vie, dont je n'ai qu'un sordide acompte.
De ma dernière minute ici-bas :
Ma tête, mon cœur, ma vie, dont je n'ai qu'un sordide acompte.
Petit être rabougri, à peine ébauché,
comment n'appellerais-je pas à grands cris ma croissance, et mon sommet et ma
couronne ?
Comment, Seigneur, voulez-vous
empêcher qu'une ébauche ne crie vers sa plénitude ?
Ô
Plénitude
De Vérité, de Lumière et d'Amour !
Comme un pauvre qui se vide de tout
pour être rempli davantage, et qui laisse maison, ville, pays, famille,
métier, son corps lui-même et ses péchés.
Comme un prodigue qui quitte son péché
et qui bondit vers sa Maison, parce qu'il sent bien que, derrière la porte, il
y a des bras ouverts.
Je frappe à votre porte en cette
dernière minute ;
Pour la dernière fois je mendie.
Pour la dernière fois je mendie.
Et
ce n'est plus un petit sou
Ce ne sont plus des miettes, un
croûton que j'attends,
Ou des restes.
Ou des restes.
Mon audace est à la mesure même de
votre richesse, de votre Amour.
Je sais que Vous aimez les mendiants
affamés
Qui veulent toute la table.
Je serai donc ce mendiant qui veut tout avoir, parce qu'il Vous veut, Vous, tout entier.
Qui veulent toute la table.
Je serai donc ce mendiant qui veut tout avoir, parce qu'il Vous veut, Vous, tout entier.
Ô Portes Eternelles,
ouvrez-vous !
Laissez passer le mendiant de Dieu !
Laissez passer le mendiant de Dieu !
II
Dans
une chambre modeste
Aux rideaux tirés, tous sont à genoux
Autour d'un chrétien étendu dont on entend les souffles courts et précipités.
Autour d'un chrétien étendu dont on entend les souffles courts et précipités.
Comme l'esprit a du mal à se désincarner !
Ce travail de l'enfantement de la Mort est aussi laborieux, aussi douloureux que celui de la vie.
Comme il faut suer pour mourir !
Doucement, sur le front du moribond, une main passe avec un linge qui boit les gouttes.
Ce travail de l'enfantement de la Mort est aussi laborieux, aussi douloureux que celui de la vie.
Comme il faut suer pour mourir !
Doucement, sur le front du moribond, une main passe avec un linge qui boit les gouttes.
Et c'est le dernier souffle.
Votre Serviteur Paul, Jacques, ou Louis nous a quittés, Seigneur,
Tandis qu'on récitait les Litanies des Saints.
Votre Serviteur Paul, Jacques, ou Louis nous a quittés, Seigneur,
Tandis qu'on récitait les Litanies des Saints.
Deux
ou trois jours après
L'enterrement de 3ème
classe, au village.
Quelques hommes suivent, qui parlent
du prix du blé ou du maïs ou des bestiaux.
Quelques femmes en noir, qui pleurent.
Dix à quinze mètres de cortège.
Un chantre avec un surplis jeté comme un sarrau sur son pantalon,
Qui chante faux, appuyant les versets du Miserere aux rauques poussées d'un bugle enrhumé.
Quelques femmes en noir, qui pleurent.
Dix à quinze mètres de cortège.
Un chantre avec un surplis jeté comme un sarrau sur son pantalon,
Qui chante faux, appuyant les versets du Miserere aux rauques poussées d'un bugle enrhumé.
Tristesse. Moins de la mort elle-même
que de la médiocrité dont on l'entoure, que de la vulgarité des pensées où
baigne ce cercueil.
Toujours les mêmes apparences
mesquines sur...
Un
événement grandiose
Vous qui pleurez, vous qui l'aimiez,
vous qui, après l'Extrême-Onction, récitiez avec tant de ferveur les Prières des Agonisants,
Autour de ce chrétien bien confessé et bien nourri et bien sanglé pour le Retour,
Autour de ce chrétien bien confessé et bien nourri et bien sanglé pour le Retour,
N'avez-vous pas entendu une voix –
une voix humaine sans doute – mais qui semblait prêtée à
Quelqu'un de lointain et de plus grand, la voix d'un
chef qui commande, douce, ferme, et peut-être – après tout – divine.
Cette voix disait :
Pars, âme chrétienne !
Au nom du Père tout-puissant qui t'a
créée,
Au nom du Fils de Dieu vivant qui a
souffert pour toi sa passion,
Au nom du Saint-Esprit qui t'a
remplie de sa grâce,
Que le cortège des Anges t'accompagne !
Que le Sénat des apôtres qui doivent
juger Israël vienne à ta rencontre !
Que l'armée rayonnante des martyrs marche
avec toi !
Que la troupe blanche et lumineuse
des confesseurs t'environne !
Que le chœur des Vierges joyeuses te
reçoive !
Que l'assemblée des patriarches
t'ouvre le sein de la paix bienheureuse !
Et que le Christ Jésus t'apparaisse
enfin, doux et radieux, comme aux joins de fête, pour te donner ta place au
milieu des élus !
N'est-ce
pas l'entrée d'une reine
En sa capitale, avec de la douceur
jointe à la magnificence ?
Et ce n'est pourtant qu'un petit chrétien qui part... et dans quel accoutrement !
Mais qui a voulu se perdre pour gagner son Christ et son Dieu et qui lui a dit simplement :
Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre Vous.
Et ce n'est pourtant qu'un petit chrétien qui part... et dans quel accoutrement !
Mais qui a voulu se perdre pour gagner son Christ et son Dieu et qui lui a dit simplement :
Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre Vous.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et tout le ciel
s'est précipité pour le recevoir.
Ô
Mort magnifique du chrétien !
François Desplanques, sj, in Le
Christ sur tous nos chemins