lundi 16 octobre 2017

En écrivant... Marie-Antoinette, Qu'il ne cherche jamais à venger notre mort !



À Madame Élisabeth 1
1793, 16 octobre

Ce 16 octobre, à 4h1/2 du matin 


C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois, je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur. Vous qui aviez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous. 2
Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre. Je ne sais pas même si celle-ci vous parviendra. Recevez pour eux deux ici ma bénédiction ; j’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer : que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelles en fera le bonheur. Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins, les services que l’amitié peuvent inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union ; qu’ils prennent exemple de nous. Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations ! Et, dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort.  3 
J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine 4 pardonnez-lui, ma chère sœur, pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. 
Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide que je n’en aurais réellement pas eu le temps. 
Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée et que j’ai toujours professée. N’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s’ils y entraient une fois, je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe ; j’espère que, dans sa bonté, Il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’Il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. 
Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu leur causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis ; l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant ; qu’ils sachent du moins que jusqu’à mon dernier moment j’ai pensé à eux. 
Adieu, ma bonne et tendre sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! Pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu, qu’il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu, adieu ; je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre ; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger. 5


Lettres de Marie-Antoinette,
Recueil des lettres authentiques de la Reine,
Alphonse Picard et Fils, 1896.



1. Après sa condamnation à mort, la Reine avait été ramenée à la Conciergerie. Elle avait demandé de l’encre au concierge Bault, et avait écrit l’admirable lettre qu’on a si justement nommée son testament. Cette lettre ne parvint pas à son adresse ; Bault la remit à l’accusateur public ; mais celui-ci, au lieu de la faire parvenir, la conserva. Lorque Fouquier fut traduit à son tour devant le tribunal révolutionnaire, ses papiers furent saisis, et c’est ainsi que la lettre porte les signatures de Fouquier d’abord, puis des commissaires chargés de l’inventaire : Legot, Guffroy, Massieu et Laurent Le Cointre. Elle fut retrouvée en 1816 dans les papiers du conventionnel Courtois.

2. C’était une erreur. Madame Royale n’avait point été séparée de sa tante ; Madame Élisabeth ne la quitta que pour monter sur l’échafaud.

3. « Il – le Roi – raconte Madame Royale, donna ensuite de bonnes instructions religieuses à mon frère ; il lui recommanda surtout de pardonner à ceux qui le faisaient mourir ; il donna sa bénédiction à mon frère et à moi ». Et, pour produire sur l’enfant une impression plus forte, il le prit sur ses genoux et lui dit : « Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de vous dire ; mais comme le serment est quelque chose d’encore plus sacré que les paroles, jurez, en levant la main, que vous accomplirez la dernière volonté de votre père ». Le Dauphin obéit en fondant en larmes.

4. On sait que, le 6 octobre, Hébert et Chaumette s’étaient transportés au Temple et avaient arraché à l’innocence du jeune Louis XVII, gorgé d’eau-de-vie et terrorisé par Simon, une accusation immonde contre sa mère. On sait aussi que cette ignominie fut pour la Reine, au jour de son procès, l’occasion d’un éclatant triomphe. Un des jurés ayant fait observer au président que l’accusée n’avait rien répondu sur le fait allégué par Hébert : « Si je n’ai pas répondu, dit-elle, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille accusation faite à une mère ! » Et se tournant vers l’auditoire : « J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici ». L’impression fut immense, les tricoteuses même furent émues et, pour couper court à ce mouvement, le président leva presque aussitôt la séance.

5. La Reine tint parole ; le curé constitutionnel de Saint-Landry, l’abbé Girard, s’étant présenté à la Conciergerie, elle refusa de l’écouter. Une tradition respectable, appuyée sur des témoignages sérieux, affirme qu’elle aurait reçu, quelques jours auparavant, les secours d’un prêtre fidèle, l’abbé Magnin, depuis curé de Saint-Germain-l’Auxerrois. Voir sur ce sujet : La communion de Marie-Antoinette à la Conciergerie (Revue des questions historiques, janvier 1870, t. VIII, p. 170-229), et Marie-Antoinette à la Conciergerie, par Victor Pierre (même Revue, janvier 1890, t. XLVII, p. 192-231). Quelques heures après avoir écrit cette lettre, à onze heures, la Reine était extraite de la Conciergerie et, à midi un quart, sa tête roulait sur l’échafaud de la place de la Révolution.