dimanche 28 octobre 2012

En discernant... André Manaranche, l'art de bien choisir

À partir de quelques principes fondamentaux des Exercices Spirituels de saint Ignace...
Comment se livrer aux choix dans nos vies quotidiennes, comment entendre et faire cette volonté de Dieu en toute chose ? Comment vivre dans la cohérence et la fidélité aux choix fondamentaux de notre existence ?
Quelques préliminaires majeurs...
La volonté divine ne surplombe pas celle de l'homme, elle ne se juxtapose pas non plus à elle comme un destin anonyme pour lesquels les jeux sont déjà faits, ou comme un secret à dénicher coûte que coûte par tous les moyens.
Dieu est personnel, pas un anonyme. Il est amour. Il désire se communiquer librement sans qu'on lui force la main.
Dieu est dans son éternité, pas dans l'espace-temps, c'est pourquoi on ne recourt pas à sa prescience, mais on invoque sa présence. Dieu et moi, nous travaillons, mais chacun à son niveau, Dieu fait ce qu'Il veut et moi aussi.
C'est le fameux chiasme ignatien : Fie-toi à toi comme si la suite des choses dépendait totalement de toi et en rien de Dieu. Toutefois adonne-toi à l'ouvrage comme si Dieu faisait tout et toi rien.
Cela est fondamental.
Quel choix poser ?
Si le choix s'effectue dans plusieurs domaines (doctrinal, moral, affectif, vocationnel) il se concrétise et s'oriente dans le choix de vie qui n'est pas obligatoire mais essentiel, ce pour quoi l'on voudrait des repères, des règles. La matière du choix doit être bonne, c'est-à-dire en accord avec le combat que mène l'Église. Je ne choisis pas une chose mauvaise, ni même de me perfectionner à l'intérieur même d'une existence mauvaise. Les préceptes négatifs sont absolus et non négociables : c'est ce que Jésus rappelle au jeune homme riche avant d'aller plus loin.
Le choix d'une conversion totale ou partielle. C'est le choix qui entraîne des décisions concrètes. C'est celui des commençants ou des re-commençants.
Le choix d'une vocation ou d'une première bifurcation. La prise de décision aura été préparée par un long discernement avec un accompagnement sérieux. Il faudra vérifier si ce qui semble un appel de Dieu mérite ce nom et si l'on peut tenter au moins une première démarche, sans pour autant multiplier les retraites d'élection pour harceler un Dieu qui se tait.
Le choix de mieux vivre sa vocation ou dans son état de vie. Il ne s'agit pas de revenir en arrière pour juger une décision déjà prise en refaisant une expérience passée : l'opération serait fausse car je ne me trouve plus à la même place pour la réévaluer. En revanche, je puis revitaliser des motivations anciennes qui ont suffi en leur temps. Nous pouvons enrichir des désirs antérieurs.
À quel moment ?
Dans un temps calme, pas dans la désolation où il ne faut rien décider ni changer. Un temps tranquille où le cœur n'est pas agité par divers esprits et utilise librement ses puissances naturelles. Certes l'élection, le choix se fait dans la mouvance de l'oblation du Christ à la Cène, dans l'esprit du Hoc est corpus meum, mais la Cène appartient au récit de la Passion : c'est une marche à la Croix que Jésus a commencé bien avant. La croix suit l'élection mais ne la précède pas. Le Christ ne l'a pas choisie pour elle-même.
Comment ?
Il faut préparer son cœur au choix en se remémorant toute l'économie du salut, dans laquelle nous est montré ce que le Père attend de nous à la suite de son Fils Jésus. Ne lançons pas à Dieu d'ultimatum pour "qu'il se manifeste dans les délais les plus brefs sous peine de ..."
Il faut rassembler les données. Trois alternatives sont possibles : ou bien sans douter, ni pouvoir douter, ce qui n'est pas impossible, même si nous ne devons pas rechercher l'évidence qui nous évite de choisir. Ou bien regarder la dernière tranche de vie en jugeant des alternances de consolations et de désolations (voir ci-dessous). Cette méthode de la relecture est excellente. Le temps permet ici de se repérer, il est le lieu où l'Esprit se manifeste en intervenant, en répétant, en éprouvant, en confirmant. Et cette durée est bénéfique. Elle évite de succomber à la première impression comme si elle était forcément la bonne. Elle évite donc d'avoir un jour à suspecter une décision prise à la légère et trop hâtivement. Ou bien faire appel à la raison et aux facultés naturelles qui ont elles aussi leur mot à dire. La sagesse est aussi un don de Dieu, d'un Dieu qui est lui-même Sagesse. Agir autrement, c'est de l'illuminisme.
Le choix de la foi.
Tous les choix n'ont pas la même importance. Le plus radical est celui de la foi, qui vise non pas le meilleur (par comparaison) mais l'unique et qui le choisit pour toujours sans avoir fait le tour des articles du souk du religieux, ni pris des garanties pour prévoir une reprise (satisfait ou remboursé). La foi est le risque d'un chèque en blanc : c'est tout soi pour toujours. Cette foi ne cherche pas à savoir l'avenir ; on ne donne pas sa vie après l'avoir vécue. Le temps n'est pas pour elle une menace mais une promesse.
Nos engagements absolus sont du même type. Ils se prennent après réflexion, bien sûr, mais, une fois la parole donnée, on ne se posera plus la question de savoir s'il ne faut pas revenir en arrière. C'est alors qu'on sera pleinement libre.
André Manaranche, sj, in Sub signo Martini



Le jeu des esprits en nous
Dans ses Exercices Spirituels, saint Ignace nous donne quelques repères pour discerner et sentir, dans notre vie quotidienne, les mouvements suscités dans l'âme par le bon esprit, afin de les recevoir, ou par le mauvais esprit, afin de les repousser.
Ce discernement du bon et du mauvais esprit est fondamentalement guidé par la certitude intérieure que Dieu nous aime et veut nous sauver mais que Satan nous déteste et veut notre perte. La tradition ignacienne envisage deux cas de figure : dans le premier cas, le chrétien est en progrès spirituel, dans le second, son âme est en danger, en régression.
Dans une âme qui progresse dans la vie spirituelle :
Le bon esprit :
invite doucement, attire suavement,
illumine, fait la vérité,
libère, fait progresser (ouverture, disponibilité, détermination),
encourage (diminue ou supprime difficultés et obstacles),
apaise, donne l'équilibre (ordre, réalisme, unité intérieure, sérénité),
fortifie (ardeur, courage, persévérance, constance),
aide à assumer le moment présent (confiance, abandon à la grâce, recueillement, réalisme),
nourrit et entretient la foi, l'espérance, l'amour (générosité, don, émerveillement), l'abandon, l'humilité (appui sur Dieu), la joie...
console (donne goût spirituel, dévotion, inspirations).
Le mauvais esprit :
pousse, presse, contraint (impatience, raideurs, empressement),
aveugle, embrouille, trompe,
enchaîne, enlise, fait reculer (fermeture, repli sur soi, indécision),
décourage (amplifie ou multiplie difficultés et obstacles), agite, trouble (désordre, irréalisme, éparpillements, peurs),
affaiblit, mine, sabote (paresse, laisser-aller, inconstance), fait sortir du moment présent (inquiétudes pour le passé et l'avenir, appréhensions, distractions), nourrit et entretient le doute, le pessimisme, l'égoïsme, le repli sur soi, la méfiance, l'insécurité, l'orgueil (appui sur soi, sur ses façons de voir et de faire), la tristesse, le mécontentement…
désole (dégoût, aridité, attrait vers les plaisirs sensibles).
Dans une âme en régression spirituelle :
Le bon esprit :
ronge et aiguillonne la conscience,
suscite le remords, l'insatisfaction,
incite fortement à la crainte de Dieu et à la conversion, fait voir notre misère,
incite au plus, cherche à aiguiser le sens moral, à faire voir les vraies valeurs,
vient en aide, suggère des moyens de s'en sortir,
nourrit l'espérance, la foi en la grâce toute puissante de Dieu,
incite au regret sincère de nos fautes, à la confiance et à l'aveu.
Le mauvais esprit :
séduit, captive par des plaisirs apparents, asservit (fascination de l'argent, du pouvoir, du « soi », activisme), encourage doucereusement le laisser-aller, la facilité aveugle, fait croupir dans notre misère (suffisance, endurcissement),
minimise les fautes, appelle bien ce qui est mal et mal ce qui est bien,
nuit davantage, envenime la situation, fait croire que tout est sans issue, qu'on ne peut s'en sortir,
endurcit dans nos voies erronées,
provoque le désespoir.