LETTRE APOSTOLIQUE DU PAPE
JEAN-PAUL II
À TOUS LES JEUNES DU MONDE
À L’OCCASION DE L’ANNÉE
INTERNATIONALE
DE LA JEUNESSE
Chers amis,
1. « Toujours prêts à
justifier l’espérance qui est en vous devant ceux qui vous en demandent
raison ».
Tel est le vœu que je vous
adresse, à vous les jeunes, depuis le début de cette année. L’an 1985 a été
proclamé par l’Organisation des Nations Unies Année internationale de la
Jeunesse, et ce fait a une grande portée à plusieurs titres : pour
vous-mêmes d’abord, également pour les autres générations, pour chaque
personne, pour les communautés et pour toute la société. Cela prend aussi un
sens tout particulier pour l’Église, elle qui a la garde des vérités et des
valeurs fondamentales, et qui sert la destinée éternelle que l’homme et toute
la grande famille humaine ont en Dieu même.
Si l’homme est la route
fondamentale et la route quotidienne de l’Église, on comprend bien pourquoi l’Église
accorde une importance particulière à la période de la jeunesse : elle est
une étape clé dans la vie de tout homme. Vous, les jeunes, vous incarnez
précisément cette jeunesse : vous êtes la jeunesse des nations et des
sociétés, la jeunesse de toute famille et celle de l’humanité entière ;
vous êtes aussi la jeunesse de l’Église. Tous, nous portons notre regard sur
vous, car tous, grâce à vous, nous redevenons sans cesse, pour ainsi dire,
jeunes avec vous. C’est pourquoi votre jeunesse n’est pas seulement votre
propriété, propriété personnelle ou celle d’une génération : elle fait
partie de l’ensemble de cette durée que tout homme parcourt au long de son
itinéraire pendant sa vie, et, en même temps, elle est un bien propre à tous.
Elle est le bien de l’humanité elle-même.
L’espérance est en vous,
parce que vous appartenez à l’avenir, comme l’avenir vous appartient.
L’espérance, en effet, est toujours liée à l’avenir, elle est l’attente des
« biens à venir ». En tant que vertu chrétienne, elle ne fait qu’un
avec l’attente des biens éternels que Dieu a promis à l’homme en Jésus Christ.
Et simultanément l’espérance, comme vertu à la fois chrétienne et humaine, est
l’attente des biens que l’homme réalisera, en utilisant les talents que la
Providence lui a donnés.
C’est en ce sens que
l’avenir vous appartient, à vous les jeunes, comme il a appartenu avant vous à
la génération des adultes et est devenu l’actualité avec eux. De cette
actualité, avec ses formes multiples et sa physionomie, ce sont les adultes qui
sont les premiers responsables. A vous, revient la responsabilité de ce qui
deviendra actuel avec vous un jour, et qui est encore à venir pour le moment.
Quand nous disons que
l’avenir vous appartient, nous pensons dans les termes des catégories
transitoires propres à l’homme qui vit toujours un passage à l’avenir. Quand
nous disons que l’avenir dépend de vous, nous pensons en termes de catégories
éthiques, selon les exigences de la responsabilité morale qui nous impose
d’attribuer à l’homme comme personne – et aux communautés ou sociétés qui sont
composées de personnes – la valeur fondamentale des actes, des projets, des
initiatives et des intentions humaines.
Cette dimension est aussi
la dimension caractéristique de l’espérance chrétienne et humaine. Et c’est
selon cette dimension que l’Église vous adresse par ma bouche, à vous les
jeunes, le premier vœu, le vœu le plus important en cette année consacrée à la
jeunesse : soyez « toujours prêts à justifier l’espérance qui est en
vous devant ceux qui vous en demandent raison ».
Le Christ parle avec les jeunes
2. Ces paroles, écrites un
jour par l’Apôtre Pierre à la première génération des jeunes chrétiens, sont en
rapport avec tout l’Évangile de Jésus Christ. Nous nous rendrons peut-être
compte de manière plus nette de ce rapport quand nous aurons médité le dialogue
du Christ avec un jeune homme, que nous ont transmis les évangélistes. Parmi de
nombreux textes bibliques, c’est celui-ci qui mérite d’être rappelé ici en
premier lieu.
À la question :
« Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? »
Jésus répond d’abord par la question : « Pourquoi m’appelles-tu
bon ? Nul n’est bon que Dieu seul ». Puis il continue en
disant : « Tu connais les commandements : ne tue pas, ne commets
pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de
tort, honore ton père et ta mère ». Par ces mots, Jésus rappelle à son
interlocuteur certains commandements du Décalogue.
Mais la conversation ne
s’arrête pas là. Le jeune homme affirme en effet : « Maître, tout
cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ». Alors – comme l’écrit l’évangéliste
– « Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit :
« Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le
aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens, suis-moi ».
À ce point, le climat de la
rencontre change. L’évangéliste écrit que le jeune homme « à ces mots,
s’assombrit et il s’en alla contristé, car il avait de grands biens ».
Il y a encore d’autres
passages de l’Évangile où Jésus rencontre les jeunes – deux résurrections sont
particulièrement suggestives : celle de la fille de Jaïre et celle du fils
de la veuve de Naïm – ; cependant nous pouvons admettre que le dialogue
que nous venons de rappeler est la rencontre la plus complète et la plus riche
de contenu. On peut aussi dire qu’elle a un caractère plus universel, au-delà
du temps, et donc qu’elle garde, d’une certaine façon, toute sa valeur
permanente et durable à travers les siècles et les générations. C’est ainsi que
parle le Christ avec un jeune, avec un garçon ou une fille : il entre en
dialogue dans les endroits du monde les plus divers, dans les différentes
nations, les différentes races et cultures. Dans ce dialogue, chacun de vous
est un de ses interlocuteurs potentiels.
En même temps, tous les
éléments de la description et toutes les paroles prononcées dans cette
conversation de part et d’autre ont un sens tout à fait important, possèdent un
poids particulier. On peut dire que ces paroles expriment une vérité
spécialement profonde sur l’homme en général et, par-dessus tout, la vérité sur
la jeunesse humaine. Elles sont vraiment capitales pour les jeunes.
Permettez-moi, par
conséquent, dans la présente lettre, d’ordonner ma réflexion, pour l’essentiel,
autour de cette rencontre et de ce texte évangélique. Peut-être vous sera-t-il
plus facile ainsi de développer votre propre dialogue avec le Christ – dialogue
qui a une importance fondamentale et première pour un jeune.
La jeunesse est une richesse unique
3. Nous commencerons par ce
qui se trouve à la fin du texte évangélique. Le jeune homme s’en va contristé
« car il avait de grands biens ».
Assurément, cette phrase se
réfère aux biens matériels dont le jeune homme était le propriétaire ou
l’héritier. Peut-être est-ce là une situation propre à quelques-uns seulement,
et elle n’est pas typique. C’est pourquoi les mots de l’évangéliste suggèrent
une autre manière d’aborder le problème : il s’agit du fait que la
jeunesse en elle-même (indépendamment de tout bien matériel) est une richesse
unique de l’homme, d’un garçon ou d’une fille, et la plupart du temps elle est
vécue par les jeunes comme une richesse spécifique. La plupart du temps, mais
pas toujours et pas constamment, parce que le monde ne manque pas d’hommes qui
pour diverses raisons ne font pas l’expérience de la jeunesse comme d’une richesse.
Il faudra en reparler plus loin.
Il y a toutefois des
raisons – et même de nature objective – pour considérer la jeunesse comme une
richesse unique dont l’homme fait l’expérience justement dans cette période de
sa vie. Celle-ci se distingue évidemment de la période de l’enfance (elle est
précisément la sortie des années de l’enfance), comme elle se distingue aussi
de la période de la pleine maturité. La période de la jeunesse, en effet, est
le moment d’une découverte particulièrement intense du « moi »
humain, des qualités et des capacités dont il est doué. En voyant se développer
en son intériorité la personnalité d’un jeune homme ou d’une jeune fille, on
découvre graduellement et par étapes successives les possibilités spécifiques
et, en un sens, absolument uniques d’une humanité concrète dans laquelle
s’inscrit pour ainsi dire tout le projet de la vie à venir. La vie se dessine
comme la réalisation de ce projet : comme une
« autoréalisation ».
Cela mériterait
naturellement une explication selon divers points de vue ; toutefois, pour
l’exprimer brièvement, ce qui apparaît, c’est en vérité le profil et la forme
de cette richesse qu’est la jeunesse. Et cette richesse consiste à découvrir et
en même temps à planifier, à choisir, à prévoir et à assumer les premières
décisions personnelles, qui auront de l’importance pour l’avenir dans la
dimension strictement personnelle de l’existence humaine. En même temps, ces
décisions ont une grande importance sociale. Le jeune homme de l’Évangile se
trouvait précisément dans cette phase de l’existence, comme nous pouvons le
déduire des questions mêmes qu’il pose dans le dialogue avec Jésus. C’est
pourquoi ces paroles de la conclusion sur ses « grands biens »,
c’est-à-dire sur sa richesse, peuvent être entendues à juste titre dans ce
sens-là : elles désignent la richesse qu’est la jeunesse elle-même.
Il faut cependant nous
demander si cette richesse qu’est la jeunesse doit éloigner l’homme du Christ.
Assurément, l’évangéliste ne dit pas cela ; l’examen du texte permet plutôt
de conclure autrement. En définitive, seules les richesses extérieures ont pesé
sur sa décision de s’éloigner du Christ, c’est-à-dire « les biens »,
ce que le jeune homme possédait. Non pas ce qu’il était ! Ce qu’il était,
précisément en tant que jeune homme – c’est-à-dire la richesse intérieure qui
se cache dans la jeunesse humaine – , cela l’avait conduit à Jésus. Et cela
l’avait amené aussi à poser cette question où il s’agit, de la manière la plus
évidente, du projet de toute la vie. Que dois-je faire ? « Que
dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Que dois-je faire afin
que ma vie ait toute sa valeur et tout son sens ?
La jeunesse de chacun de
vous, chers amis, est une richesse qui se manifeste précisément par ces
questions. Elles demeurent tout au long de la vie d’un homme ; cependant,
dans sa jeunesse, elles s’imposent d’une façon particulièrement intense, même
insistante. Et il est bon qu’il en soit ainsi. Ces interrogations manifestent
justement le dynamisme du développement de la personnalité humaine, qui est
caractéristique de votre âge. Ces questions, vous vous les posez parfois avec
impatience, mais vous comprenez aussi de vous-mêmes que la réponse à leur
donner ne peut être ni hâtive ni superficielle. Elle doit avoir le poids qui convient
et être déterminante. Il s’agit d’une réponse qui concerne toute la vie, qui
rassemble en elle-même toute l’existence humaine.
C’est d’une manière toute
particulière que ces questions essentielles se posent à ceux de vos camarades
dont la vie est marquée par la souffrance dès leur jeunesse : par
certaines insuffisances physiques, certaines déficiences, certaines limites ou
certains handicaps, par une situation familiale ou sociale difficile. Si avec
tout cela leur conscience se développe normalement, l’interrogation sur le sens
et la valeur de la vie devient pour eux d’autant plus essentielle et en même
temps particulièrement dramatique, car dès le début elle porte la marque de la
douleur dans l’existence. Et combien n’y en a-t-il pas de ces jeunes au milieu
de la grande multitude des jeunes du monde entier, dans les diverses nations et
toute la société, dans les familles ! Combien n’y en a-t-il pas qui, dès
leur jeunesse, sont contraints à vivre dans une institution spécialisée ou un
hôpital, condamnés à une certaine passivité qui peut faire naître en eux le
sentiment d’être inutiles pour l’humanité !
Peut-on dire alors que pour
eux aussi la jeunesse est une richesse intérieure ? A qui devons-nous le
demander ? A qui doivent-ils eux-mêmes poser cette question
essentielle ? Le Christ apparaît ici comme l’unique interlocuteur qui
convient, celui que personne ne peut complètement remplacer.
Dieu est amour
4. Le Christ répond à son
jeune interlocuteur dans l’Évangile. Il lui dit : « Nul n’est bon que
Dieu seul ». Nous avons déjà entendu ce que l’autre lui avait
demandé : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie
éternelle ? ». Comment agir pour que ma vie ait un sens, tout son
sens et toute sa valeur ? Nous pourrions traduire sa question dans le
langage de notre époque. Dans ce contexte, la réponse du Christ veut
dire : seul Dieu est le fondement ultime de toutes les valeurs ; Lui
seul donne son sens décisif à notre existence humaine.
Dieu seul est bon, ce qui
signifie qu’en lui, et en lui seul, toutes les valeurs ont leur source première
et leur accomplissement dernier : il est « l’Alpha et l’Oméga, le
Principe et la Fin ». En lui seul les valeurs trouvent leur authenticité
et leur confirmation décisive. Sans lui – sans la référence à Dieu – , tout le
monde des valeurs créées reste comme en suspens dans un vide absolu. Il perd
aussi sa transparence, il n’exprime plus rien. Le mal se présente comme bien et
le bien est disqualifié. Cela ne nous est-il pas montré par l’expérience de
notre époque, là où Dieu a été écarté de l’horizon lorsqu’on évalue, lorsqu’on
apprécie, lorsqu’on agit ?
Pourquoi Dieu seul est-il
bon ? Parce qu’il est amour. Le Christ donne cette réponse par les paroles
de l’Évangile et, par-dessus tout, par le témoignage de sa vie et de sa
mort : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils
unique », Dieu est bon précisément parce qu’il « est amour ».
L’interrogation sur la
valeur, l’interrogation sur le sens de la vie – nous l’avons dit – fait partie
de la richesse particulière de la jeunesse. Elle découle du cœur même des
richesses et des inquiétudes liées à ce projet de vie qu’il faut assumer et
accomplir. Plus encore quand la jeunesse connaît l’épreuve de la souffrance
personnelle ou prend une profonde conscience de la souffrance des autres ;
quand elle fait l’expérience d’un ébranlement profond face au mal multiforme
qui est dans le monde ; enfin quand elle se trouve face à face avec le
mystère du péché, de l’iniquité humaine (mysterium iniquitatis). La réponse du
Christ se fait entendre ainsi : « Nul n’est bon que Dieu
seul » ; seul Dieu est amour. Cette réponse peut paraître difficile,
mais en même temps elle est ferme et vraie : elle porte en elle-même la
solution définitive. Comme je prie, amis jeunes, afin que vous entendiez cette
réponse du Christ d’une manière vraiment personnelle, afin que vous trouviez la
voie intérieure pour la comprendre, pour l’accepter et pour entreprendre sa
réalisation !
Ainsi se présente le Christ
dans la conversation avec le jeune homme. Ainsi se présente-t-il dans le
dialogue avec chacun et chacune de vous. Quand vous lui dites : « Bon
Maître ... », il demande : « Pourquoi m’appelles-tu bon ?
Nul n’est bon que Dieu seul ». Par conséquent, le fait que je sois bon
rend témoignage à Dieu. « Qui me voit, voit le Père ». Ainsi parle le
Christ, maître et ami, le Christ crucifié et ressuscité : le même
toujours, hier, aujourd’hui et pour les siècles.
Tel est le cœur, le point
essentiel de la réponse à ces questions que vous, les jeunes, vous lui posez en
fonction de la richesse qui est en vous, qui s’enracine dans votre jeunesse.
Elle ouvre devant vous diverses perspectives, elle vous propose comme tâche le
projet de toute votre vie. De là, l’interrogation sur les valeurs ; de là,
la question sur le sens, sur la vérité, sur le bien et sur le mal. Quand le
Christ, en vous répondant, vous demande de rapporter tout cela à Dieu, en même
temps il vous montre où se trouve en vous-mêmes la source et le
fondement : chacun de vous, en effet, est image et ressemblance de Dieu
par le fait même de la création. C’est justement cette image et cette
ressemblance qui vous font poser ces questions que vous devez vous poser. Elles
montrent à quel point l’homme sans Dieu ne peut se comprendre lui-même, et
qu’il ne peut pas non plus s’accomplir sans Dieu. Jésus Christ est venu dans le
monde avant tout pour rendre chacun de nous conscient de cela. Sans lui, cette
dimension fondamentale de la vérité sur l’homme s’enfoncerait aisément dans
l’obscurité. Cependant, « la lumière est venue dans le monde »,
« et les ténèbres ne l’ont pas saisie ».
La question sur la vie éternelle
5. Que dois-je faire pour
que ma vie ait une valeur, pour qu’elle ait un sens ? Cette question
passionnante s’exprime ainsi dans la bouche du jeune homme de l’Évangile :
« Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Un homme
qui pose la question sous cette forme parle-t-il un langage encore
compréhensible aux hommes d’aujourd’hui ? Ne sommes-nous pas la génération
pour laquelle le monde et le progrès temporel occupent totalement l’horizon de
l’existence ? Nous pensons avant tout suivant les catégories terrestres.
Si nous sortons des limites de notre planète, nous le faisons pour entreprendre
des vols interplanétaires, pour émettre des signaux destinés aux autres
planètes et envoyer dans leur direction des sondes cosmiques.
Tout ceci est devenu le
contenu de notre civilisation moderne. La science alliée à la technique a
découvert de manière incomparable les possibilités de l’homme face à la matière,
et, d’autre part, elle a réussi à dominer le monde intérieur de sa pensée, de
ses capacités, de ses tendances, de ses passions.
Mais en même temps, il est
clair que lorsque nous nous plaçons devant le Christ, quand il devient le
confident des interrogations de notre jeunesse, nous ne pouvons pas poser la
question autrement que le jeune homme de l’Évangile : « Que dois-je
faire pour avoir la vie éternelle ? ». Toute autre question sur le
sens et sur la valeur de notre vie serait, face au Christ, insuffisante et
secondaire.
Le Christ, en effet, n’est
pas seulement le « bon maître », qui indique la voie de la vie sur la
terre. Il est le témoin de ce destin ultime que l’homme a en Dieu même. Il est
le témoin de l’immortalité de l’homme. L’Évangile, qu’il annonçait par sa voix,
est scellé définitivement par la Croix et par la Résurrection dans le mystère
pascal. « Le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, la mort
n’exerce plus de pouvoir sur lui ». Par sa résurrection, le Christ est
aussi devenu le « signe de contradiction » permanent, face à tous les
projets incapables de conduire l’homme au-delà de la frontière de la mort. Bien
plus, ces projets arrêtent à cette limite toute interrogation de l’homme sur la
valeur et le sens de la vie. Face à tous ces projets, aux conceptions du monde
et aux idéologies, le Christ répète constamment : « Je suis la
résurrection et la vie ».
Donc si tu veux, cher frère
et chère sœur, parler avec le Christ en accueillant toute la vérité de son
témoignage, tu dois d’un côté « aimer le monde » – « Car Dieu a
tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » – et en même temps tu
dois parvenir au détachement intérieur à l’égard de toute cette réalité riche
et passionnante qu’est « le monde ». Il faut te décider à poser la
question de la vie éternelle. En effet, « elle passe, la figure de ce
monde », et chacun de nous connaîtra son passage. L’homme naît avec la
perspective du jour de sa mort, dans la dimension du monde visible ; en
même temps, l’homme, dont la raison d’être intime est de se vaincre lui-même,
porte en lui aussi tout ce par quoi il est le vainqueur du monde.
Tout ce par quoi l’homme
est en soi-même vainqueur du monde – bien qu’enraciné en lui – s’explique par
l’image et la ressemblance de Dieu, inscrite dans l’être humain dès le
commencement. Et tout ce par quoi l’homme est vainqueur du monde non seulement
justifie l’interrogation sur la vie éternelle, mais la rend véritablement
indispensable. Telle est la question que se posent les hommes depuis longtemps,
non seulement dans les milieux chrétiens mais aussi à l’extérieur. Il vous faut
aussi trouver le courage de la poser comme le jeune homme de l’Évangile. Le
christianisme nous apprend à comprendre le temps dans la perspective du Règne
de Dieu, dans la perspective de la vie éternelle. Sans elle, la temporalité,
même la plus riche, même la plus élaborée sous tous ses aspects, n’apporte
finalement rien d’autre à l’homme que l’inéluctable nécessité de la mort.
Or il y a une antinomie
entre la jeunesse et la mort. La mort semble éloignée de la jeunesse. C’est
vrai. Cependant parce que la jeunesse signifie le projet de toute la vie,
projet bâti suivant les critères du sens et de la valeur, la question sur la
fin est inévitable même au temps de la jeunesse. Laissée à elle-même,
l’expérience humaine dit la même chose que la Sainte Ecriture : « Les
hommes ne meurent qu’une fois ». L’auteur inspiré ajoute :
« Après quoi il y a un jugement ». Et le Christ dit : « Je
suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ». Demandez donc au
Christ, comme le jeune homme de l’Évangile : « Que dois-je faire pour
avoir la vie éternelle ? ».
Morale et conscience
6. A cette question, Jésus
répond : « Tu connais les commandements », et aussitôt il énonce
ces commandements, qui font partie du Décalogue. Un jour Moïse les reçut sur le
mont Sinaï, au moment de l’Alliance de Dieu avec Israël. Ils furent inscrits
sur des tables de pierre et ils constituaient pour tout israélite un guide sur
sa route chaque jour. Le jeune homme qui parle avec le Christ connaît
naturellement par cœur les commandements du Décalogue ; il peut donc
affirmer avec joie : « Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ».
Nous pouvons le supposer,
dans le dialogue que le Christ mène avec chacun de vous, les jeunes, la même
question est répétée : « Connais-tu les commandements » ?
Et elle sera répétée immanquablement, car les commandements font partie de
l’Alliance entre Dieu et l’humanité. Les commandements définissent les
fondements essentiels du comportement, ils déterminent la valeur morale des
actes humains, ils restent en rapport organique avec la vocation de l’homme à
la vie éternelle, avec l’instauration du Règne de Dieu dans les hommes et entre
eux. Dans la parole de la Révélation divine, le code de la moralité est inscrit
clairement, les tables du Décalogue du mont Sinaï en demeurent le point de
référence et son sommet se trouve dans l’Évangile : le Discours sur la
montagne et le commandement de l’amour.
Ce code de la moralité
revêt en même temps une autre forme. Il est inscrit dans la conscience morale
de l’humanité, au point que ceux qui ne connaissent pas les commandements,
c’est-à-dire la loi révélée par Dieu, « se tiennent à eux-mêmes lieu de
loi ». Ainsi s’exprime saint Paul dans la Lettre aux Romains, et il ajoute
aussitôt : « Ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur
cœur, à preuve le témoignage de leur conscience ».
Nous touchons là à des
problèmes d’une importance capitale pour votre jeunesse et pour le projet de
vie qui y apparaît.
Ce projet s’insère dans la
perspective de la vie éternelle avant tout grâce à la vérité des actes sur
lesquels il sera bâti. La vérité des actes se fonde sur ce double lieu de la loi
morale ; ce qui est écrit sur les tables du Décalogue de Moïse et dans l’Évangile,
et ce qui se trouve gravé dans la conscience morale de l’homme. Et la
conscience « se présente comme témoin » de cette loi, comme l’écrit
saint Paul. Cette conscience, suivant les termes de la Lettre aux Romains, ce
sont « les jugements intérieurs de blâme ou d’éloge qu’ils portent les uns
sur les autres ». Chacun sait bien que ces paroles correspondent
profondément à notre réalité intérieure : chacun de nous, dès sa jeunesse,
a l’expérience de cette voix de la conscience.
Donc, lorsque Jésus, dans
le dialogue avec le jeune homme, énonce les commandements : « Ne tue
pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage,
ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère », la conscience droite
répond en réagissant intérieurement aux différents actes de l’homme : elle
accuse ou défend. Mais il faut que la conscience ne soit pas déviée ; il
faut que la formulation fondamentale des principes moraux ne cède pas à la
déformation qu’entraîne tout relativisme ou tout utilitarisme.
Chers amis jeunes ! La
réponse que Jésus donne à son interlocuteur de l’Évangile s’adresse à chacun et
à chacune de vous. Le Christ demande à quel point vous en êtes de votre
discernement moral, et il demande en même temps à quel point vous en êtes dans
votre conscience. C’est là une question clé pour l’homme : c’est
l’interrogation fondamentale de votre jeunesse, qui compte pour tout le projet
de votre vie, lequel précisément doit prendre forme au cours de la jeunesse. Sa
valeur est étroitement liée à la position que chacun de vous prend face au bien
et au mal moral. La valeur de ce projet dépend essentiellement de
l’authenticité et de la rectitude de votre conscience, et aussi de sa sensibilité.
Ainsi nous parvenons à un
point crucial, où, à chaque pas, le temps et l’éternité se rencontrent à un
niveau qui est propre à l’homme. C’est le niveau de la conscience, le niveau
des valeurs morales, et c’est là la dimension la plus importante du temps et de
l’histoire. L’histoire, en effet, ce ne sont pas seulement les événements qui
l’écrivent, en quelque sorte « de l’extérieur », mais elle est écrite
avant tout « de l’intérieur » : elle est l’histoire des
consciences humaines, des victoires ou des défaites morales. C’est là aussi que
la grandeur essentielle de l’homme trouve son fondement : sa dignité
authentiquement humaine. C’est là le trésor intérieur, grâce auquel l’homme ne
cesse de se vaincre lui-même et s’oriente vers l’éternité. S’il est vrai que
« les hommes ne meurent qu’une fois », il est vrai aussi que le
trésor de la conscience, le dépôt du bien et du mal, l’homme l’emporte au-delà
de la frontière de la mort, afin que, face à face avec Celui qui est la
sainteté même, il découvre la vérité ultime et définitive sur toute sa
vie : « Après quoi il y a un jugement ».
C’est justement cela qui
advient dans la conscience : dans la vérité intérieure de nos actes, en un
sens, la dimension de la vie éternelle est constamment présente. Et simultanément
la même conscience, par les valeurs morales, marque de son sceau le plus
significatif la vie des générations, l’histoire et la culture des milieux
humains, des sociétés des nations et de toute l’humanité.
Et dans ce domaine, ce qui
dépend de chacun et de chacune de vous est immense !
« Jésus fixa sur lui son regard et l’aima »
7. En poursuivant l’examen
du dialogue du Christ avec le jeune homme, nous entrons à présent dans une
autre phase. Elle est nouvelle et décisive. Le jeune homme a reçu la réponse
essentielle et fondamentale à la question : « Que dois-je faire pour
avoir la vie éternelle ? », et cette réponse s’accorde avec toute la
route de sa vie, telle qu’il l’a déjà parcourue : « Tout cela, je
l’ai observé dès ma jeunesse ». Avec quelle ardeur je souhaite à chacun de
vous que la route de votre vie, déjà parcourue, s’harmonise de même avec la
réponse du Christ ! Je souhaite également que la jeunesse vous apporte une
base solide de principes sains, que votre conscience parvienne, dès ces années
de la jeunesse, à cette transparence et cette maturité qui dans la vie
permettront à chacun de vous de rester toujours « une personne de
conscience », « une personne fidèle aux principes », « une
personne qui inspire confiance », c’est-à-dire qui est crédible. La
personnalité morale ainsi formée constitue également la contribution la plus
importante que vous puissiez donner à la vie communautaire, à la famille, à la
société, à l’activité professionnelle et aussi à l’activité culturelle ou
politique, et, enfin, à la communauté de l’Église elle-même à laquelle vous
êtes ou vous serez un jour attachés.
Il s’agit ici à la fois
d’une authenticité intégrale et profonde de toute l’humanité et de cette même
authenticité dans le développement de la personnalité humaine, féminine ou
masculine, avec toutes les caractéristiques qui tracent les traits uniques de
cette personnalité, et en même temps provoquent de multiples résonnances dans
la vie de la communauté et du milieu, en commençant par la famille. Chacun de
vous doit de quelque manière contribuer à la richesse de cette communauté,
avant tout par ce qu’il est. N’est-ce pas dans cette direction que s’ouvre
cette jeunesse qui est la richesse « personnelle » de chacun de
vous ? L’homme se déchiffre lui-même, il déchiffre sa propre humanité, y
voyant à la fois son monde intérieur et le terrain propre de l’être « avec
les autres », « pour les autres ».
C’est là précisément que
les commandements du Décalogue et de l’Évangile prennent un sens décisif,
spécialement le commandement de l’amour qui ouvre l’homme à Dieu et à son
prochain. La charité, en effet, est « le lien de la perfection ».
C’est par elle que mûrissent en plénitude l’homme et la fraternité entre les
hommes. C’est pourquoi l’amour est le plus grand, il est le premier de tous les
commandements, comme l’enseigne le Christ ; en lui aussi tous les autres
sont contenus et unifiés.
Je souhaite donc à chacun
de vous que la route de votre jeunesse rencontre celle du Christ, afin que vous
puissiez confirmer devant lui, avec le témoignage de votre conscience, ce code
évangélique de la morale dont tant d’hommes de grande qualité spirituelle ont
approché les valeurs d’une certaine manière au cours des générations.
Ce n’est pas ici le lieu de
citer les témoignages qui confirment cela tout au long de l’histoire de
l’humanité. Il est certain que dès les époques les plus anciennes, la voix de
la conscience tourne tout sujet humain vers une norme morale objective qui
s’exprime concrètement par le respect de la personne de l’autre et par le
principe de ne pas lui faire ce que nous ne voulons pas que l’on nous fasse.
Nous voyons déjà là
s’exprimer clairement cette morale objective dont saint Paul affirme qu’elle
est « inscrite dans les cœurs » et qu’elle est confirmée par
« le témoignage de la conscience ». Le chrétien y distingue aisément
le rayonnement du Verbe créateur qui éclaire tout homme, et précisément parce
qu’il est le disciple de ce Verbe fait chair, il s’élève jusqu’à la loi
supérieure de l’Évangile qui positivement lui ordonne – par le commandement de
l’amour – de faire à son prochain tout le bien qu’il veut qu’on lui fasse. Il
confirme ainsi ce que lui suggère la voix intime de sa conscience en donnant
une adhésion absolue au Christ et à sa parole.
Une fois discernés les
problèmes essentiels et importants pour votre jeunesse et pour le projet de
toute la vie qui se trouve devant vous, je vous souhaite de connaître
l’expérience de ce que dit l’Évangile : « Jésus fixa sur lui son
regard et l’aima ». Je vous souhaite de connaître un tel regard ! Je
vous souhaite de faire l’expérience qu’en vérité, lui, le Christ, vous regarde
avec amour !
Il regarde tout homme avec
amour. L’Évangile le confirme sans cesse. On peut dire aussi que ce
« regard aimant » du Christ résume et synthétise en quelque sorte
toute la Bonne Nouvelle. Si nous cherchons l’origine de ce regard, il faut que
nous revenions en arrière, au Livre de la Genèse, à cet instant où, après la
création de l’homme, créé « homme et femme », Dieu vit que « cela
était très bon ». Ce tout premier regard du Créateur se reflète dans le
regard du Christ qui accompagne le dialogue avec le jeune homme de l’Évangile.
Nous savons que le Christ
confirmera et scellera ce regard par le sacrifice rédempteur de la Croix, car
c’est justement par ce sacrifice que ce « regard » a atteint une
particulière profondeur dans l’amour. Il contient une affirmation de l’homme et
de l’humanité dont lui seul est capable, lui, le Christ, Rédempteur et Époux.
Lui seul « connaît ce qu’il y a dans l’homme » il connaît sa
faiblesse, mais il connaît aussi et par-dessus tout sa dignité.
Je souhaite à chacun et à
chacune de vous de découvrir ce regard du Christ, et d’en faire l’expérience
jusqu’au bout. Je ne sais à quel moment de votre vie. Je pense que cela se
produira au moment le plus nécessaire : peut-être au temps de la
souffrance, peut-être à l’occasion du témoignage d’une conscience pure, comme
dans le cas de ce jeune homme de l’Évangile, ou peut-être justement dans une
situation opposée, quand s’impose le sens de la faute, le remords de la
conscience : le Christ regarda Pierre à l’heure de sa chute, après qu’il
eût renié son Maître par trois fois.
II est nécessaire à
l’homme, ce regard aimant : il lui est nécessaire de se savoir aimé, aimé
éternellement et choisi de toute éternité. En même temps, cet amour éternel
manifesté par l’élection divine accompagne l’homme au long de sa vie comme le
regard d’amour du Christ. Et peut-être surtout au temps de l’épreuve, de
l’humiliation, de la persécution, de l’échec, alors que notre humanité est
comme abolie aux yeux des hommes, outragée et opprimée : savoir alors que
le Père nous a toujours aimés en son Fils, que le Christ aime chacun en tout
temps, cela devient un solide point d’appui pour toute notre existence humaine.
Quand tout nous conduit à douter de nous-mêmes et du sens de notre vie, ce
regard du Christ, c’est-à-dire la prise de conscience de l’amour qui est en lui
et qui s’est montré plus puissant que tout mal et que toute destruction, cette
prise de conscience nous permet de survivre.
Je vous souhaite donc de
faire la même expérience que le jeune homme de l’Évangile : « Jésus
fixa sur lui son regard et l’aima ».
« Suis-moi »
8. De l’examen du texte
évangélique il ressort que ce regard fut, pour ainsi dire, la réponse du Christ
au témoignage que le jeune homme avait donné de sa vie jusqu’à ce moment,
c’est-à-dire de sa fidélité aux commandements de Dieu : « Tout cela,
je l’ai observé dès ma jeunesse ».
En même temps, ce
« regard d’amour » fut une introduction à la dernière phase de la
conversation. Selon le texte de Matthieu, ce fut le jeune homme lui-même qui
ouvrit cette phase, car non seulement il affirma que la fidélité à observer les
commandements du Décalogue avait caractérisé toute sa conduite antérieure, mais
il pose également une nouvelle question. Il demanda en effet : « Que
me manque-t-il encore ? ».
Cette question est très
importante. Elle montre que dans la conscience morale de l’homme, et en
particulier de l’homme jeune qui forme le projet de toute sa vie, il y a une
aspiration à « quelque chose de plus ». Cette aspiration se manifeste
de diverses manières, et nous pouvons la reconnaître aussi chez les hommes qui
semblent éloignés de notre religion.
Parmi les disciples des religions
non chrétiennes, surtout du Bouddhisme, de l’Hindouisme et de l’Islam, nous
rencontrons, depuis des millénaires déjà, des foules de
« spirituals » qui souvent quittent tout dès leur jeunesse pour
adopter un état de pauvreté et de pureté à la recherche de l’Absolu qui se
trouve au-delà de l’apparence des choses sensibles : ils s’efforcent
d’entrer dans un état de liberté parfaite, ils se réfugient en Dieu avec amour
et confiance, ils cherchent à se soumettre de toute leur âme à ses décrets cachés.
Ils sont comme poussés par une voix intérieure mystérieuse qui retentit en leur
esprit, faisant écho en quelque sorte à la parole de saint Paul :
« Elle passe, la figure de ce monde », une voix qui les conduit à la
recherche de choses plus grandes et plus durables : « Recherchez les
choses d’en haut ». Ils tendent au but de toutes leurs forces ; par
un sérieux apprentissage, ils s’efforcent de purifier leur esprit, parvenant
parfois à faire de leur vie un don d’amour à la divinité. Ce faisant, ils se
dressent comme un exemple vivant pour leurs contemporains, devant qui ils
illustrent par leur conduite même le primat des valeurs éternelles sur les
valeurs fugitives et parfois ambiguës qu’offre la société où ils vivent.
Mais c’est l’Évangile qui
représente un point d’appui tout à fait clair pour l’aspiration à la
perfection, à « quelque chose de plus ». Dans le Discours sur la
montagne, le Christ confirme toute la loi morale, au centre de laquelle se
trouvent les tables mosaïques des dix commandements ; en même temps,
cependant, il confère à ces commandements un sens nouveau, évangélique. Et tout
est ordonné – comme on l’a déjà dit – autour de l’amour, non seulement en tant
que commandement, mais aussi comme don : « L’amour de Dieu a été
répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné ».
C’est dans ce contexte
nouveau que l’on peut aussi comprendre le programme des huit Béatitudes, qui
ouvre le Discours sur la montagne dans l’Évangile selon Matthieu.
Dans ce contexte,
l’ensemble des commandements qui constituent le code fondamental de la morale
chrétienne se trouve complété par l’ensemble des conseils évangéliques, qui
exprime et concrétise d’une manière particulière l’appel du Christ à la
perfection, qui est un appel à la sainteté.
Quand le jeune homme
demande quelque chose « de plus » : « Que me manque-t-il
encore ? », Jésus le regarde avec amour, et cet amour prend ici un
sens nouveau. L’homme est entraîné intérieurement, par l’Esprit Saint, d’une
vie selon les commandements à une vie consciente du don, et le regard plein
d’amour du Christ exprime ce « passage » intérieur. Et Jésus
dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens,
suis-moi ».
Oui, chers jeunes, mes
amis ! L’homme, le chrétien, est capable de vivre la dimension du don. Et
même cette dimension est non seulement « supérieure » à la dimension
des seules obligations morales exprimées par les commandements, mais elle est
aussi « plus profonde » qu’elles et plus fondamentale. Elle manifeste
une expression plus riche du projet de vie que nous construisons dès la
jeunesse. La dimension du don crée aussi la stature adulte de toute vocation
humaine et chrétienne, comme il sera dit par la suite.
Pour le moment, je voudrais
toutefois vous parler du sens particulier des paroles que le Christ a dites au
jeune homme. Et je le fais avec la conviction que le Christ les adresse par l’Église
à quelques-uns de ses jeunes interlocuteurs de toutes les générations. De la
nôtre aussi. Ces paroles-là indiquent alors une vocation particulière dans la
communauté du Peuple de Dieu. L’Église retrouve le « suis-moi » du
Christ à l’origine de tout appel au service du sacerdoce ministériel, lié
simultanément dans l’Église catholique de rite latin au choix conscient et
libre du célibat. L’Église retrouve le même « suis-moi » du Christ à
l’origine de la vocation religieuse, où, par la profession des conseils
évangéliques (chasteté, pauvreté et obéissance), un homme ou une femme adopte
le programme de vie que le Christ lui-même a réalisé sur la terre, pour le
Règne de Dieu. En prononçant les vœux religieux, ces personnes s’engagent à
donner un témoignage particulier de l’amour de Dieu, supérieur à tout, et
également de l’appel à l’union avec Dieu dans l’éternité qui s’adresse à tous.
Il faut cependant que quelques-uns en donnent, devant les autres, un témoignage
exceptionnel.
Je m’en tiens à évoquer
seulement ces sujets dans la présente lettre, car ils ont été déjà exposés
amplement ailleurs et à plusieurs reprises. Je les rappelle parce que dans le
contexte du dialogue du Christ avec le jeune homme ils reçoivent un éclairage
particulier, spécialement le thème de la pauvreté évangélique. Je les évoque
aussi parce que l’appel du Christ, « suis-moi », précisément dans ce
sens exceptionnel et charismatique, se fait entendre le plus souvent dès la
jeunesse ; et parfois cela se produit même dès l’enfance.
C’est pourquoi je voudrais
vous dire, à vous tous les jeunes, en ce moment important du développement de
votre personnalité masculine ou féminine : si un tel appel surgit dans ton
cœur, ne le fais pas faire ! Laisse-le se développer jusqu’à la maturité
d’une vocation ! Prends ta part dans son développement, par la prière et
la fidélité aux commandements ! « La moisson est abondante ». Il
est vraiment nécessaire que l’appel du Christ parvienne à beaucoup :
« Suis-moi ». Il y a un énorme besoin de prêtres selon le cœur de
Dieu – et l’Église et le monde d’aujourd’hui ont un énorme besoin du témoignage
de vies données sans réserve à Dieu : du témoignage de cet amour du Christ
lui-même, l’Époux, qui rende présent d’une manière particulière parmi les
hommes le Règne de Dieu et le rapproche du monde.
Permettez-moi, par
conséquent, de compléter encore les paroles du Christ Seigneur sur la moisson
qui est abondante. Oui, elle est abondante, cette moisson de l’Évangile, cette
moisson du salut !... « Mais les ouvriers sont peu
nombreux ! ». Peut-être cela est-il ressenti plus aujourd’hui que par
le passé, spécialement dans certains pays, et aussi dans certains Instituts de
vie consacrée et autres Sociétés de ce genre.
« Priez donc le Maître
de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson », poursuit le Christ.
Et ces paroles, spécialement à notre époque, deviennent un thème de prière et
d’action en faveur des vocations sacerdotales et religieuses. Dans cette
intention, l’Église se tourne vers vous, vers les jeunes. Vous aussi :
demandez ! Et si le fruit de cette prière de l’Église germe au plus profond
de votre cœur, écoutez le Maître vous dire : « Suis-moi ».
Le projet de vie et la vocation chrétienne
9. Ces paroles de l’Évangile
concernent assurément la vocation sacerdotale ou religieuse ; en même
temps, cependant, elles nous permettent de comprendre plus profondément le
problème de la vocation en un sens encore plus large et plus fondamental.
On pourrait parler ici de
la vocation « pour la vie », qui d’une certaine manière s’identifie
avec le projet de vie que chacun de vous conçoit au temps de sa jeunesse.
Toutefois, la « vocation » dit encore quelque chose de plus que le
« projet ». Dans le second cas, je suis moi-même le sujet qui conçoit
ce projet, et ceci correspond mieux à la réalité de la personne qu’est chacune
de vous et chacun de vous. Ce « projet » devient la
« vocation » lorsque se font entendre les divers facteurs qui
appellent. Ces facteurs constituent d’habitude un certain ordre de valeurs
(qu’on appelle aussi « hiérarchie des valeurs »), dont résulte un
idéal à réaliser qui attire le cœur d’un jeune. Dans ce processus, la
« vocation » devient « projet », et le projet commence
aussi à être une vocation.
Cependant, du moment que
nous nous trouvons face au Christ et que nous prenons pour base de notre
réflexion sur la jeunesse son dialogue avec le jeune homme, il convient de
préciser mieux encore ce rapport du « projet de vie » à la
« vocation pour la vie ». L’homme est une créature et il est
également un fils adoptif de Dieu dans le Christ : il est fils de Dieu. La
question : « Que dois-je faire ? », l’homme la pose alors
pendant sa jeunesse non seulement à lui-même et aux autres hommes dont il peut
attendre une réponse, particulièrement ses parents et ses éducateurs, mais il
la pose aussi à Dieu, car il est son créateur et son père. Il la pose dans cet
espace intérieur particulier où il a appris à être en relation intime avec
Dieu, avant tout dans la prière. Il demande donc à Dieu : « Que
dois-je faire ? », quel est ton plan sur ma vie, ton plan de créateur
et de père ? Quelle est ta volonté ? Je désire l’accomplir.
Dans un tel contexte le
« projet » prend le sens d’une « vocation pour la vie »,
comme quelque chose qui est confié par Dieu à l’homme comme une tâche. Une
personne jeune, rentrant en soi et aussi menant un dialogue avec le Christ dans
la prière, désire pour ainsi dire lire la pensée éternelle qui est celle de
Dieu, Créateur et Père, à son égard. Elle se convainc alors que la tâche qui
lui est assignée par Dieu est laissée entièrement à sa liberté, et qu’elle est
déterminée en même temps par diverses circonstances de nature intérieure et
extérieure. En y réfléchissant, la personne jeune, garçon ou fille, construit
son projet de vie et en même temps, reconnaît ce projet comme la vocation à
laquelle Dieu l’appelle.
Je voudrais donc vous
confier, à vous tous les jeunes qui êtes les destinataires de la présente
lettre, cette tâche merveilleuse qui consiste à découvrir, devant Dieu, la
vocation pour la vie de chacun de vous. Et c’est un travail passionnant. C’est
une tâche personnelle fascinante. En accomplissant cette tâche, vous développez
et vous faites croître votre humanité, tandis que votre jeune personnalité
acquiert peu à peu sa maturité. Vous vous enracinez en ce qu’est chacun et
chacune de vous, pour devenir ce qu’il doit devenir : pour soi, pour les
hommes, pour Dieu.
Et parallèlement au
processus de découverte de sa propre « vocation pour la vie », on
devrait développer la prise de conscience de la façon dont cette vocation pour
la vie est. en même temps, une « vocation chrétienne ».
Il faut remarquer ici que,
dans la période antérieure au Concile Vatican II, le concept de
« vocation » était appliqué avant tout au sacerdoce et à la vie
religieuse, comme si le Christ n’avait prononcé son « suis-moi » à
l’intention des jeunes que dans ces cas. Le Concile a élargi cette perspective.
La vocation sacerdotale et religieuse a gardé son caractère particulier et son
importance pour la vie sacramentelle et les charismes dans la vie du Peuple de
Dieu. En même temps, cependant, la conscience, renouvelée par Vatican II, de la
participation universelle de tous les baptisés à la triple mission du Christ
(tria munera), prophétique, sacerdotale et royale, comme aussi la conscience de
la vocation universelle à la sainteté, ont pour conséquence que toute vocation
pour la vie de l’homme en tant que vocation chrétienne correspond à l’appel
évangélique. Le « suis-moi » du Christ se fait entendre sur diverses
routes, au long desquelles cheminent les disciples et ceux qui confessent le
divin Rédempteur. C’est de diverses manières que l’on peut devenir imitateur du
Christ, c’est-à-dire non seulement en donnant un témoignage du Règne
eschatologique de vérité et d’amour, mais aussi en s’employant à réaliser la
transformation de toute la réalité temporelle selon l’esprit de l’Évangile. Et
c’est là que l’apostolat des laïcs trouve aussi son point de départ, lui qui
est inséparable de l’essence même de la vocation chrétienne.
Ce sont là des prémisses
extrêmement importantes pour le projet de vie qui correspond au dynamisme
essentiel de votre jeunesse. Il faut que vous examiniez ce projet –
indépendamment du contenu concret « pour la vie » qu’il aura – à la
lumière des paroles adressées par le Christ au jeune homme de l’Évangile.
Il faut aussi que vous repensiez,
en l’approfondissant réellement, le sens du baptême et de la confirmation. Il y
a dans ces deux sacrements, en effet, le fondement de la vie et de la vocation
chrétiennes. C’est à partir d’eux qu’on est amené à l’Eucharistie, elle qui
contient la surabondance des dons sacramentels accordés au chrétien :
toute la richesse de l’Église se concentre dans ce sacrement de l’amour. Il
faut aussi – toujours en rapport avec l’Eucharistie – réfléchir à la question
du sacrement de pénitence, lequel présente une importance irremplaçable pour la
formation de la personnalité chrétienne, c’est-à-dire qu’il est, surtout si on
y joint la direction spirituelle, une école méthodique de vie intérieure.
Sur tout cela, je m’exprime
brièvement, même si chacun des sacrements de l’Église présente une relation
précise et spécifique avec la jeunesse et avec les jeunes. Je suis certain que
ce thème est traité de manière circonstanciée par d’autres, en particulier par
les agents pastoraux expressément chargés de collaborer avec la jeunesse.
L’Église elle-même – comme
l’enseigne le Concile Vatican II – est « en quelque sorte le sacrement,
c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de
l’unité de tout le genre humain ». Toute vocation pour la vie, comme
vocation « chrétienne », s’enracine dans la sacramentalité de l’Église :
elle prend donc forme grâce aux sacrements de notre foi. Ce sont eux qui nous
permettent, dès notre jeunesse, d’ouvrir notre « moi » humain à
l’action salvifique de Dieu, c’est-à-dire à l’action de la très sainte Trinité.
Ils nous permettent de participer à la vie de Dieu, en vivant avec un maximum
d’intensité une vie humaine authentique. De cette façon, cette vie humaine
acquiert une dimension nouvelle et également son originalité chrétienne :
la prise de conscience des exigences proposées à l’homme par l’Évangile est
complétée par celle du don qui surpasse toute chose. « Si tu savais le don
de Dieu », dit le Christ en parlant avec la Samaritaine.
« Le grand sacrement nuptial »
10. En partant de cet
important arrière-plan qui enrichit le projet de vie de votre jeunesse en la
liant au thème de la vocation chrétienne, je voudrais attirer l’attention avec
vous, les jeunes, destinataires de la présente lettre, sur le problème qui, en
un sens, se trouve au centre de la jeunesse de vous tous. C’est là un des
problèmes qui sont au centre de la vie humaine et également un des thèmes
essentiels de réflexion, de créativité et de culture. C’est aussi un des
principaux thèmes bibliques, et personnellement j’y ai consacré beaucoup de
réflexions et d’analyses. Dieu a créé l’être humain, homme et femme,
introduisant ainsi dans l’histoire du genre humain la « dualité »
avec une entière parité, si l’on pense à la dignité humaine, et avec une merveilleuse
complémentarité, si l’on pense au partage des attributions, des qualités et des
tâches, liées à la masculinité ou à la féminité de l’être humain.
Par conséquent, c’est là un
thème qui de soi s’inscrit dans le « moi » personnel de chacun et de
chacune de vous. La jeunesse est la période où ce grand thème affecte dans
l’expérience et dans la créativité l’âme et le corps de chaque fille et de
chaque garçon, et il se manifeste dans la conscience des jeunes en même temps
que la découverte fondamentale du « moi » dans toute la diversité de
ses potentialités. Alors, à l’horizon qui s’ouvre pour un cœur de jeune,
s’ébauche une expérience nouvelle : l’expérience de l’amour qui dès son
origine doit être inscrite dans le projet de vie que la jeunesse crée et conçoit
spontanément.
Et tout cela, en chaque
cas, a les qualités d’une expression subjective irremplaçable, d’une riche
affectivité, d’une beauté proprement métaphysique. En même temps, il y a en
tout cela un appel puissant à ne pas fausser cette expression, à ne pas
détruire cette richesse et à ne pas dégrader cette beauté. Soyez convaincus que
cet appel vient de Dieu lui-même, lui qui a créé l’homme « à son image et
à sa ressemblance » et justement l’a créé « homme et femme ».
Cet appel découle de l’Évangile et se fait entendre par la voix de la
conscience des jeunes, pourvu qu’ils aient gardé leur simplicité et leur
limpidité : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
Oui, à travers l’amour qui naît en vous – et doit s’inscrire dans le projet de
toute la vie – vous devez voir Dieu qui est amour.
C’est pourquoi je vous
demande de ne pas rompre le dialogue avec le Christ dans cette phase
extrêmement importante de votre jeunesse ; je vous demande même de vous y
engager encore davantage. Quand le Christ dit « suis-moi », son appel
peut signifier : « Je t’appelle à un autre amour encore » ;
cependant très souvent il signifie : « Suis-moi », suis-moi, moi
l’Époux de l’Église – de mon épouse... ; viens, deviens toi aussi l’époux
de ton épouse..., deviens toi aussi l’épouse de ton époux. Tous deux,
participez à ce mystère, à ce sacrement, dont la Lettre aux Éphésiens disait
qu’il est grand : grand parce « qu’il s’applique au Christ et à l’Église ».
Que vous suiviez également
le Christ sur cette voie, a beaucoup de conséquences ; ne vous écartez pas
de lui au moment où vous vivez cette réalité que vous considérez à juste titre
comme le grand événement de votre cœur, une réalité qui n’existe qu’en vous et
entre vous. Je voudrais que vous croyiez et que vous vous convainquiez que
cette grande réalité ne prend sa dimension définitive qu’en Dieu, qui est amour
– en Dieu, qui dans l’unité absolue de sa divinité est également communion des
personnes : Père, Fils et Esprit Saint. Je voudrais que vous croyiez et que
vous vous convainquiez que ce « grand mystère » humain a son principe
en Dieu qui est le Créateur, qu’il s’enracine dans le Christ rédempteur, lui
qui, comme Époux, « s’est livré lui-même » et qui apprend à tous les
époux et à toutes les épouses à se « livrer » avec toute la dignité
personnelle de chacun et de chacune. Le Christ nous apprend l’amour nuptial.
Suivre la voie de la
vocation au mariage signifie que l’on apprend l’amour nuptial jour après jour,
année après année : l’amour de l’âme et du corps, l’amour qui « est
patient, qui est bienveillant, qui ne cherche pas son intérêt ... et ne tient
pas compte du mal » ; l’amour qui sait « mettre sa joie dans la
vérité », l’amour qui « supporte tout ».
C’est justement de cet
amour que vous avez besoin, vous les jeunes, si votre mariage à venir doit
« franchir » l’épreuve de toute la vie. Et, de fait, cette épreuve
fait partie de l’essence même de la vocation que, par le mariage, vous entendez
inscrire dans le projet de votre vie.
C’est pourquoi je ne cesse
de prier le Christ et la Mère du bel Amour pour l’amour qui naît dans le cœur
des jeunes. Bien des fois il m’a été donné dans ma vie d’accompagner d’une
certaine façon de plus près cet amour des jeunes. Grâce à cette expérience,
j’ai compris à quel point le problème dont il est question ici est essentiel, à
quel point il est important et grand. Je pense que l’avenir de l’homme se
décide dans une large mesure sur les voies de cet amour, d’abord juvénile, que
vous découvrez, toi et elle ... toi et lui, sur les routes de votre jeunesse.
C’est là, peut-on dire, une grande aventure, mais c’est aussi une grande tâche.
Aujourd’hui les principes
de la morale conjugale chrétienne sont présentés en beaucoup de milieux sous
une image déformée. On cherche à imposer dans certains cercles, et finalement à
des sociétés entières, un modèle qui s’intitule « progressiste » et
« moderne ». On ne remarque pas dans ce contexte que, suivant ce
modèle, la personne humaine, et peut-être surtout la femme, est transformée de
sujet en objet (soumise à une véritable manipulation), et toute l’ampleur du
sens de l’amour est réduite à la « jouissance » qui, même si elle
était partagée à deux, ne cesserait pas d’être de nature égoïste. Enfin
l’enfant, qui est le fruit et l’incarnation nouvelle de l’amour des deux,
devient toujours plus « une adjonction gênante ». La civilisation
matérialiste et la civilisation de la consommation pénètrent tout ce
merveilleux ensemble de l’amour conjugal, paternel et maternel, et le
dépouillent du contenu profondément humain qui, dès l’origine, fut marqué d’une
empreinte et d’un reflet divins.
Chers amis jeunes ! Ne
permettez pas que vous soit enlevée cette richesse ! N’inscrivez pas dans
le projet de votre vie un sens déformé, appauvri, dévié : l’amour « met
sa joie dans la vérité ». Cherchez cette vérité, là où elle se trouve
réellement ! S’il le faut, soyez décidés à vous opposer aux courants
d’opinion qui circulent et aux slogans de propagande ! N’ayez pas peur de
l’amour, qui présente à l’homme des exigences précises. Ces exigences – telles
que vous les trouvez dans l’enseignement constant de l’Église – sont
précisément capables de faire de votre amour un amour vrai.
Et si je devais le faire
quelque part, c’est ici spécialement que je voudrais reprendre le vœu formulé
au commencement : soyez « toujours prêts à justifier l’espérance qui
est en vous devant ceux qui vous en demandent raison » ! L’Église et
l’humanité vous confient la grande question de l’amour sur lequel se fondent le
mariage, la famille, et donc l’avenir. Elles vous font confiance : vous
saurez le faire renaître ; elle vous font confiance : vous saurez le
rendre beau humainement et chrétiennement. Humainement et chrétiennement grand,
adulte et responsable.
L’héritage
11. Dans le vaste champ où
le projet de vie conçu au cours de la jeunesse rencontre « les
autres », nous avons évoqué le point névralgique. Retenons encore qu’en ce
qui concerne cet élément central, où notre « moi » personnel s’ouvre
à la vie « avec les autres » et « pour les autres » dans
l’alliance matrimoniale, il y dans l’Écriture sainte une parole très riche de
sens : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa
femme ».
Ce verbe
« quittera » mérite une particulière attention. L’histoire de
l’humanité passe depuis ses origines – et passera jusqu’à la fin – par la
famille. L’homme y entre par la naissance qu’il doit à ses parents, à son père
et à sa mère, pour quitter, le moment venu, ce premier milieu de vie et d’amour
et pour entrer dans un milieu nouveau. « En quittant son père et sa
mère », chacun et chacune de vous, en un sens, les emmène en même temps en
lui, assume l’héritage multiforme qui a son origine directe et sa source en eux
et dans leur famille. Ainsi, même en quittant, chacun de vous demeure :
l’héritage qu’il assume l’attache durablement à ceux qui le lui ont transmis et
auxquels il doit tout. Et lui-même – elle et lui – continuera à transmettre la
même hérédité. C’est pourquoi le quatrième commandement du Décalogue présente
une si grande importance : « Honore ton père et ta mère ».
Avant tout, cet héritage
consiste à être homme et, ensuite, à être homme dans une situation personnelle
et sociale bien définie. Pour cela, même la ressemblance physique avec les
parents joue un rôle. Plus important encore est tout l’héritage de la culture,
au centre duquel se trouve quotidiennement la langue. Vos parents ont enseigné
à chacun de vous à parler cette langue qui constitue l’expression privilégiée
des liens sociaux avec les autres hommes. Ces liens s’inscrivent dans un cadre
plus étendu que la famille elle-même ou un milieu déterminé. Il s’agit au moins
d’une tribu et le plus souvent du cadre d’un peuple ou d’une nation où vous
êtes nés.
Ainsi l’héritage familial
s’étend. Par l’éducation familiale, vous participez à une culture déterminée,
vous participez aussi à l’histoire de votre peuple ou de votre nation. Le lien
familial signifie à la fois l’appartenance à une communauté plus grande que la
famille, et une autre base encore pour l’identité de la personne. Si la famille
est la première éducatrice de chacun d’entre vous, en même temps – par la
famille – la tribu, le peuple ou la nation avec lesquels nous sommes liés par
l’unité de la culture, de la langue et de l’histoire, ont un rôle éducatif.
Cet héritage constitue
également un appel d’ordre éthique. En recevant la foi et en héritant les
valeurs et les contenus qui composent l’ensemble de la culture de sa société,
de l’histoire de sa nation, chacun et chacune de vous reçoit en son humanité
individuelle des dons spirituels. Nous retrouvons ici la parabole des talents
que le Créateur nous confie par l’intermédiaire de nos parents et de nos
familles, et aussi par l’intermédiaire de la communauté nationale à laquelle
nous appartenons. Face à cet héritage nous ne pouvons garder une attitude
passive ou même d’indifférence, comme le fait le dernier des serviteurs évoqués
dans la parabole des talents. Nous devons faire tout ce dont nous sommes
capables pour assumer cet héritage spirituel, pour le confirmer, le maintenir
et le développer. C’est là une tâche importante dans toutes les sociétés,
peut-être plus particulièrement pour celles qui se trouvent au début de leur
existence autonome, ou pour celles qui doivent défendre l’existence même et
l’identité essentielle de leur nation des risques d’une destruction provoquée
de l’extérieur ou d’une décomposition à l’intérieur.
En vous écrivant, à vous
les jeunes, je cherche à avoir spirituellement devant les yeux la situation
complexe et diversifiée des tribus, des peuples et des nations sur notre globe
terrestre. Votre jeunesse et le projet de vie que chacun et chacune de vous
élabore pendant sa jeunesse, tout cela s’insère, dès le début, dans l’histoire
des différentes sociétés ; et cela ne vient pas « de l’extérieur »
mais éminemment « de l’intérieur ». Cela devient pour vous une
question d’esprit familial et aussi national : une question de cœur, une
question de conscience. Le développement du concept de « patrie » est
étroitement lié à celui du concept de « famille » et, en un sens,
chacun en fonction de la nature de l’autre. En vous, peu à peu, en faisant
l’expérience de ces liens sociaux plus larges que les liens familiaux, vous
commencez aussi à participer à la responsabilité du bien commun de cette famille
plus vaste qu’est la « patrie » terrestre de chacun et de chacune
d’entre vous. Les grandes figures de l’histoire, passée ou contemporaine, d’une
nation sont aussi les guides de votre jeunesse et elles favorisent le
développement de cet amour social qu’on appelle le plus souvent « amour de
la patrie ».
Talents et tâches
12. Dans ce contexte de la
famille et de la société qu’est votre patrie, voici que s’insère peu à peu un
thème très proche de la parabole des talents. Peu à peu, en effet, vous
reconnaissez quel « talent » ou quels « talents » vous sont
propres, à chacun et à chacune de vous, et vous commencez à vous en servir de
manière créatrice, vous commencez à les multiplier. Et cela se fait par le
travail.
Dans ce domaine, quel
immense éventail d’orientations possibles, de capacités, de centres
d’intérêt ! Je ne m’attacherai pas à les énumérer ici, même pas à titre
d’exemple, car on courrait le risque d’en omettre plus qu’on ne peut en prendre
en considération. Je présuppose donc toute cette variété et cette multiplicité
d’orientations. Elle illustre aussi la richesse des multiples découvertes que
la jeunesse porte en elle. En se référant à l’Évangile, on peut dire que la
jeunesse est le temps du discernement des talents. Elle est également le temps
où l’on commence à parcourir les multiples itinéraires au long desquels se sont
développés et continuent à se développer toute l’activité de l’homme, son
travail et sa créativité.
Je vous souhaite à tous de
faire la découverte de vous-mêmes au long de ces parcours. Je vous souhaite d’y
entrer avec intérêt, avec empressement, avec enthousiasme. Le travail – tout
travail – revêt un caractère pénible. « A la sueur de ton visage tu
mangeras ton pain », et chacun et chacune de vous fait cette expérience de
la peine dès ses toutes premières années. Cependant le travail forme aussi
l’homme d’une manière particulière et, en un sens, il le crée. Il s’agit donc
toujours d’une peine créatrice.
Cela concerne non seulement
le travail de recherche ou en général le travail intellectuel pour acquérir la
connaissance, mais aussi les travaux purement matériels courants qui
apparemment ne comportent rien de « créateur ».
Le travail caractéristique
du temps de la jeunesse constitue, avant tout, une préparation au travail de
l’âge adulte ; il est donc lié aux études. Ainsi, au moment de vous écrire
ceci, à vous les jeunes, je pense à toutes les écoles qui existent partout dans
le monde, auxquelles votre jeune existence est attachée pour plusieurs années,
à différents niveaux successivement, selon votre degré de développement
intellectuel et l’objectif que vous recherchez, depuis l’école élémentaire
jusqu’à l’université. Je pense aussi à tous les adultes, mes frères et sœurs,
qui sont vos enseignants, vos éducateurs, guides des jeunes esprits et des
jeunes caractères. Comme leur tâche est grande ! Quelle responsabilité
leur revient ! Mais comme est grand aussi leur mérite !
Je pense enfin à ces
secteurs de la jeunesse, aux garçons et aux filles de votre âge qui, notamment
dans certaines sociétés et certains milieux, sont privés de la possibilité de
l’instruction, souvent même de l’instruction élémentaire. Cette réalité
constitue un défi permanent à toutes les institutions responsables à l’échelle
nationale et internationale : à un tel état de choses, il faut apporter
les améliorations nécessaires. L’instruction, en effet, est un des biens
fondamentaux de la civilisation humaine. Elle a une particulière importance
pour les jeunes. L’avenir de toute société en dépend aussi dans une large
mesure.
Cependant, alors que nous
posons le problème de l’instruction, des études, du savoir et de l’école,
surgit un problème d’importance fondamentale pour l’homme, et spécialement pour
le jeune. C’est le problème de la vérité. La vérité est la lumière de
l’intelligence humaine. Si dès la jeunesse l’intelligence cherche à connaître
la réalité dans ses diverses dimensions, elle le fait pour posséder la
vérité : pour vivre de la vérité. Telle est la structure de l’esprit
humain. La faim de vérité constitue son aspiration et son expression
fondamentales.
Le Christ dit :
« Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera ». De toutes
les paroles de l’Évangile, assurément celle-ci est parmi les plus importantes.
En fait, elle se rapporte à l’homme dans sa totalité. Elle explique sur quoi se
construisent de l’intérieur la dignité et la grandeur propres à l’homme, selon
les caractéristiques de l’esprit humain. La connaissance qui libère l’homme ne
dépend pas seulement de l’instruction, même de niveau universitaire – elle peut
aussi bien être celle d’un analphabète ; cependant l’instruction, en tant
que connaissance systématique de la réalité, devrait servir cette dignité et
cette grandeur. Elle devrait donc servir la vérité.
Le service de la vérité
s’exerce aussi par le travail, que vous serez appelés à accomplir après avoir
achevé le programme de vos études. A l’école, vous devez acquérir les capacités
intellectuelles, techniques et pratiques qui vous permettront de prendre
utilement votre place dans le vaste monde du travail humain. Mais, s’il est
vrai que l’école doit préparer au travail, y compris le travail manuel, il est
vrai aussi que le travail lui-même enseigne des valeurs grandes et
importantes : il a sa propre force expressive, qui apporte à la culture de
l’homme une contribution appréciable.
Cependant, dans le rapport
entre formation et travail qui caractérise la société actuelle, surgissent des
problèmes très graves d’ordre pratique. Je pense en particulier au problème du
chômage et plus généralement du manque d’emplois qui affecte diversement les
jeunes générations dans le monde entier. Cela – vous le savez bien – entraîne
d’autres questions qui, dès les années de l’école, projettent une ombre
d’insécurité sur votre avenir. Vous vous demandez : – La société a-t-elle
besoin de moi ? Pourrai-je, moi aussi, trouver un travail adapté qui me
permette de me rendre indépendant ? De former une famille dans des
conditions de vie convenable et, avant tout, dans un logement à moi ? En
somme, est-il réellement vrai que la société compte sur ma participation ?
La gravité de ces questions
m’incite à rappeler une fois encore aux gouvernants et à tous ceux qui exercent
une responsabilité dans l’économie et le développement des nations que le
travail est un droit de l’homme, et donc qu’il faut en assurer l’exercice en
consacrant à cette fin les efforts les plus soutenus et en mettant au centre de
la politique économique le souci de créer des postes de travail adaptés à tous,
surtout à l’intention des jeunes qui souffrent si souvent aujourd’hui du fléau
du chômage. Soyons tous convaincus que « le travail est un bien de l’homme
– il est un bien de son humanité – car, par le travail, non seulement l’homme
transforme la nature en l’adaptant à ses propres besoins, mais encore il se
réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens, "il devient plus
homme" ».
L’auto-éducation. Les menaces
13. En tant qu’institution
et que milieu, L’école concerne avant tout la jeunesse. Mais je dirais que la
parole du Christ sur la vérité, citée précédemment, s’applique plus encore aux
jeunes eux-mêmes. Si, en effet, il n’y a pas de doute que la famille éduque,
que l’école instruit et éduque, il faut dire aussi que l’action de la famille
ou celle de l’école resteront incomplètes (et pourraient même être rendues tout
à fait vaines), si chacun et chacune de vous, les jeunes, n’entreprenait pas
par lui-même la tâche de sa propre éducation. L’éducation familiale et scolaire
pourra vous fournir seulement certains éléments pour la tâche de votre
auto-éducation.
Et dans ce contexte la
parole du Christ : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous
libérera » devient un programme essentiel. Les jeunes ont le « sens
de la vérité » connaturellement – si l’on peut ainsi s’exprimer. Et si la
vérité doit servir la liberté, les jeunes ont aussi spontanément le
« désir de la liberté ». Et que signifie être libre ? Cela
signifie être capable de faire usage de sa propre liberté selon la vérité –
être « vraiment » libre. Être vraiment libre ne veut absolument pas
dire faire tout ce qui me plaît, ou tout ce que j’ai envie de faire. La liberté
comprend en elle-même le critère de la vérité, la discipline de la vérité. Être
vraiment libre signifie faire usage de sa propre liberté pour ce qui est un vrai
bien. Il s’ensuit donc qu’être vraiment libre veut dire être un homme de
conscience droite, être responsable, être un homme « pour les
autres ».
Tout cela se situe au cœur
même de ce que nous appelons l’éducation et, d’abord, de ce que nous appelons
l’auto-éducation. Oui, l’auto-éducation ! En effet une telle structure
intérieure, où « la vérité nous libère », ne peut être construite
seulement « de l’extérieur ». Chacun doit la construire « de
l’intérieur » – l’édifier dans la peine, avec persévérance et patience (ce
qui n’est pas toujours tellement facile pour les jeunes). Et c’est justement
cette construction que l’on appelle auto-éducation. Le Seigneur Jésus parle
aussi de cela quand il souligne que c’est seulement « par la
constance » que nous pouvons « sauver nos vies ». « Sauver
sa vie » : voilà le fruit de l’auto-éducation.
Tout cela suppose une
nouvelle manière de voir la jeunesse. Il ne s’agit plus là simplement d’un
projet de vie qui doit être réalisé à l’avenir. Il se réalise maintenant dans
la phase de la jeunesse, si nous, par le travail, l’instruction, et en
particulier par l’auto-éducation, nous créons la vie elle-même, en établissant
le fondement du développement ultérieur de notre personnalité. En ce sens, on
peut dire que la jeunesse est « le sculpteur qui sculpte toute la
vie », et la forme qu’il imprime à l’humanité concrète de chacun et de
chacune de vous s’affirmera tout au long de sa vie.
Si cela présente un sens
positif important, malheureusement cela peut aussi présenter un sens négatif
important. Vous ne pouvez pas fermer les yeux devant les menaces qui vous
assaillent pendant le temps de votre jeunesse. Elles aussi peuvent imprimer
leur marque sur toute votre vie.
Je pense ici, par exemple,
à la tentation d’exagérer l’esprit critique au point de tout discuter et de
tout remettre en question ; ou à celle du scepticisme envers les valeurs
traditionnelles, d’où on glisse facilement à une sorte de cynisme sans
scrupules, quand il s’agit d’affronter les problèmes du travail, de la carrière
ou celui du mariage lui-même. Et comment taire ensuite la tentation qui
consiste à se plonger, surtout dans les pays les plus riches, dans un marché du
divertissement où l’on est détourné de prendre sérieusement ses responsabilités
dans la vie et poussé à la passivité, à l’égoïsme et à l’isolement ? Chers
jeunes, vous êtes menacés par un usage dangereux des techniques publicitaires
lorsqu’elles favorisent l’inclination naturelle à éviter la peine, en
promettant la satisfaction immédiate de tout désir, tandis que la consommation
qu’elle entraîne amène l’homme à chercher la réalisation de lui-même surtout
dans la jouissance des bien matériels. Combien de jeunes, conquis par l’attrait
de mirages trompeurs, s’abandonnent à la force incontrôlée des instincts ou
s’aventurent sur des voies apparemment riches de promesses, mais dépourvues en
réalité de perspectives authentiquement humaines ! Il me paraît utile de
reprendre ici ce que j’ai écrit dans le Message que je vous ai particulièrement
destiné à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix : « Certains
d’entre vous peuvent connaître la tentation de fuir leurs
responsabilités : dans le monde illusoire de l’alcool ou de la drogue,
dans les relations sexuelles éphémères sans l’engagement du mariage pour la
famille, dans l’indifférence, dans le cynisme et même dans la violence.
Vous-mêmes, gardez vous de la tromperie d’un monde qui veut exploiter ou
détourner votre quête énergique et forte du bonheur et du sens ».
Je vous écris tout cela
pour exprimer la vive inquiétude que j’éprouve pour vous. Si en effet vous
devez être « toujours prêts à justifier l’espérance qui est en vous devant
ceux qui vous en demandent raison », tout ce qui menace cette espérance
doit être source de préoccupation. Et à tous ceux qui, par toutes sortes de
tentations et d’illusions, cherchent à détruire votre jeunesse, je ne peux pas
ne pas rappeler les paroles du Christ à propos du scandale et de ceux qui le
provoquent : « Malheur à celui par qui ils arrivent ! Mieux
vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une pierre à moudre et être jeté
à la mer que de scandaliser un seul de ces petits ».
Paroles graves !
Particulièrement graves dans la bouche de celui qui est venu révéler l’amour.
Mais celui qui lit attentivement ces paroles de l’Évangile doit comprendre à
quelle profondeur se situe l’antithèse entre le bien et le mal, entre la vertu
et le péché. Il doit saisir encore plus clairement l’importance qu’a aux yeux
du Christ la jeunesse de chacun et de chacune de vous. C’est vraiment l’amour
des jeunes qui lui a dicté ces paroles graves et sévères. Il y a là un écho
lointain du dialogue évangélique du Christ avec le jeune homme auquel la
présente lettre fait constamment référence.
La jeunesse comme « croissance »
14. Permettez-moi de
conclure cette partie de mes réflexions en rappelant les expressions utilisées
par l’Évangile pour parler de la jeunesse de Jésus de Nazareth. Elles sont
brèves, même si elles couvrent la période de trente années qu’il a passées dans
la maison familiale, auprès de Marie et de Joseph le charpentier. L’Évangéliste
Luc écrit : « Quant à Jésus, il croissait (ou progressait) en
sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes ».
Ainsi la jeunesse est une
« croissance ». A la lumière de tout ce qui a été dit jusqu’ici sur
ce thème, cette parole évangélique paraît particulièrement synthétique et
suggestive. La croissance « en âge » évoque le rapport naturel de
l’homme avec le temps : cette croissance est comme une étape « ascendante »
dans l’ensemble du parcours humain. A cela correspond tout le développement
psychophysique : c’est la croissance de toutes les énergies par lesquelles
se constitue l’individualité humaine normale. Mais il faut qu’à ce processus
corresponde la croissance « en sagesse et en grâce ».
A vous tous, chers amis les
jeunes, je souhaite vraiment une telle « croissance ». On peut dire
que c’est par elle que la jeunesse est vraiment la jeunesse. C’est ainsi
qu’elle acquiert ses caractéristiques propres, absolument uniques. C’est ainsi
qu’elle est donnée à chacun et à chacune de vous, dans son expérience
personnelle et également dans son expérience communautaire, comme une valeur
particulière. Et de même elle se consolide aussi par l’expérience des adultes
qui ont déjà leur jeunesse derrière eux, et qui de l’étape
« ascendante » avancent vers l’étape « descendante » au
moment de faire le bilan global de leur vie.
Il faut que la jeunesse
soit une « croissance » qui porte avec soi l’intégration progressive
de tout ce qui est vrai, bon et beau, jusqu’au moment où elle sera « de
l’extérieur » confrontée aux souffrances, à la perte des proches et à
toute l’expérience du mal qui sans cesse se fait sentir dans le monde où nous
vivons.
Il faut que la jeunesse
soit une « croissance ». A cette fin, le contact avec le monde
visible, avec la nature, est d’une énorme importance. Ce rapport nous enrichit
pendant la jeunesse d’une manière différente de la science du monde
« puisée dans les livres ». Il nous enrichit d’une manière directe.
On pourrait dire que, en restant en contact avec la nature, nous accueillons
dans notre existence humaine le mystère même de la création, qui se découvre
devant nous avec une richesse et une variété inouïes d’êtres visibles, et en
même temps attire constamment vers ce qui est caché, ce qui est invisible. La
sagesse – que ce soit par la voix des auteurs inspirés, comme du reste par le
témoignage de nombreux hommes de génie – semble mettre en évidence de
différentes manières « la transparence du monde ». Il est bon pour
l’homme de lire dans ce livre merveilleux qu’est le « livre de la
nature », tout grand ouvert pour chacun de nous. Ce qu’un esprit jeune et
un cœur jeune y lisent semble être profondément accordé avec l’exhortation à la
sagesse : « Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence ... Ne
l’abandonne pas, elle te gardera ; aime-la, elle veillera sur toi ».
L’homme d’aujourd’hui,
spécialement dans le cadre de la civilisation technique et industrielle
hautement développée, est devenu un explorateur de la nature à une grande
échelle, la traitant bien souvent de manière utilitaire, détruisant ainsi une
grande partie de ses richesses et de son attrait, et polluant le milieu naturel
de son existence terrestre. La nature, pourtant, est donnée à l’homme comme
objet d’admiration et de contemplation, comme un grand miroir du monde.
L’alliance du Créateur avec sa créature s’y reflète ; son centre se trouve
dès l’origine en l’homme, créé d’emblée « à l’image » de son
Créateur.
C’est pourquoi je vous
souhaite, à vous les jeunes, que votre croissance « en âge et en
sagesse » se poursuive grâce au contact avec la nature. Prenez-en le
temps ! Ne l’épargnez pas ! Acceptez aussi la peine et l’effort que
comporte parfois ce contact, en particulier quand nous désirons atteindre des
objectifs spécialement importants. Cette peine est créatrice, elle constitue
également un élément pour un sain repos, qui est aussi nécessaire pour l’étude
que pour le travail.
Cette peine et cet effort,
on les retrouve aussi parmi les thèmes de la Bible, en particulier chez saint
Paul qui compare toute vie chrétienne à une course dans le stade.
Pour chacune et chacun de
vous cette peine et cet effort sont nécessaires ; non seulement ils
endurcissent le corps, mais tout homme y éprouve la joie de se dominer et de
surmonter obstacles et résistances. Assurément, c’est là un des éléments de la
« croissance » qui caractérise la jeunesse.
Je vous souhaite, d’autre
part, que cette « croissance » se poursuive grâce au contact avec les
œuvres de l’homme et, plus encore, avec les hommes vivants. Combien sont
nombreuses les œuvres accomplies par les hommes au cours de l’histoire !
Combien grande est leur richesse et leur variété ! La jeunesse semble
particulièrement sensible à la vérité, au bien et à la beauté que contiennent
les œuvres de l’homme. Restant en contact avec elles dans le champ de tant de
cultures différentes, de tant d’arts et de sciences, nous apprenons la vérité
sur l’homme (exprimée aussi d’une manière si suggestive par le Psaume 8), la
vérité qui contribue à former et à approfondir l’humanité de chacun de nous.
Cependant nous étudions
l’homme d’une manière toute particulière dans ses rapports avec les autres
hommes. Il faut que la jeunesse vous permette de grandir « en
sagesse » par ces contacts. C’est le temps en effet où s’établissent de
nouvelles rencontres, des camaraderies et des amitiés dans des milieux plus
larges que la seule famille. S’ouvre ainsi le vaste champ de l’expérience, qui
présente de l’importance non seulement dans l’ordre des connaissances, mais en
même temps dans le domaine éducatif et moral. Toute cette expérience de la
jeunesse sera utile quand elle fera naître en chacun et en chacune de vous le
sens critique et, avant tout, la capacité du discernement pour tout ce qui est humain.
Cette expérience de la jeunesse sera heureuse si vous y apprenez
progressivement la vérité essentielle sur l’homme – sur tout homme et sur
vous-mêmes – , la vérité que synthétise ce passage remarquable de la
Constitution pastorale Gaudium et Spes : « L’homme, seule créature
sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que
par le don désintéressé de lui-même ».
Ainsi donc nous apprenons à
connaître les hommes pour être plus pleinement hommes, grâce à la capacité de
« nous donner » : être homme « pour les autres ». Une
telle vérité sur l’homme – une telle anthropologie – trouve en Jésus de
Nazareth un sommet inaccessible. C’est pourquoi son adolescence elle-même est
si importante, tandis qu’il « croissait en sagesse ... et en grâce devant
Dieu et devant les hommes ».
Je vous souhaite aussi
cette « croissance » par le contact avec Dieu. Pour cela, le contact
avec la nature et avec les hommes peut être utile, indirectement ; mais
c’est spécialement la prière qui y contribue directement. Priez et apprenez à
prier ! Ouvrez vos cœurs et vos consciences face à Celui qui vous connaît
mieux que vous-mêmes. Parlez avec lui ! Approfondissez la Parole du Dieu
vivant, en lisant et en méditant la sainte Ecriture.
Ce sont là les méthodes et
les moyens pour vous approcher de Dieu et entrer en contact avec lui.
Rappelez-vous qu’il s’agit d’un rapport réciproque. Dieu répond d’une façon
totalement gratuite par « le don de soi », que le langage biblique
nomme la « grâce ». Cherchez à vivre dans la grâce de Dieu !
En vous écrivant, je me
suis contenté de signaler seulement les principaux problèmes qui concernent le
thème de la « croissance ». Chacun d’eux, en effet, est susceptible
d’une discussion plus ample.
J’espère que cela se fait
dans les différents milieux de jeunes et les groupes, dans les mouvements et
les organisations, qui sont si nombreux dans les divers pays de chaque
continent, où chacun d’eux s’inspire de sa propre méthode qu’il a élaborée pour
travailler sur le plan de la vie spirituelle et de l’apostolat. Ces organismes,
avec la participation des Pasteurs de l’Église, cherchent à montrer aux jeunes
la voie de cette « croissance » qui constitue, en un sens, la
définition évangélique de la jeunesse.
Le grand défi de l’avenir
15. L’Église regarde les
jeunes ; et même, l’Église d’une manière toute spéciale se regarde
elle-même dans les jeunes – en vous tous aussi bien qu’en chacun et chacune de
vous. Il en a été ainsi dès le début, dès les temps apostoliques. Les paroles
de saint Jean dans sa première Lettre peuvent en être un témoignage
marquant : « Je vous écris, jeunes gens, parce que vous avez vaincu
le Mauvais. Je vous ai écrit, petits enfants, parce que vous connaissez le
Père... Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la Parole
de Dieu demeure en vous ».
Les paroles de l’Apôtre
prolongent le dialogue évangélique du Christ avec le jeune homme, et elles
résonnent d’un écho puissant de génération en génération.
Dans notre génération, au
terme du second millénaire après le Christ, l’Église se regarde encore
elle-même dans les jeunes. Et comment l’Église se regarde-t-elle
elle-même ? Que l’enseignement du Concile Vatican II en soit un témoignage
particulier ! L’Église se voit elle-même comme « le sacrement,
c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de
l’unité de tout le genre humain ». Et donc elle se voit elle-même en lien
avec toute la grande famille humaine constamment en croissance. Elle se voit
dans des dimensions universelles. Elle se voit sur les chemins de l’œcuménisme,
c’est-à-dire de l’unité de tous les chrétiens pour laquelle le Christ lui-même
a prié et qui présente à notre époque un caractère indiscutable d’urgence. Elle
se voit aussi elle-même dans le dialogue avec les disciples des religions non
chrétiennes et avec tous les hommes de bonne volonté. Ce dialogue est un
dialogue pour le salut qui devra contribuer aussi à la paix dans le monde et à
la justice entre les hommes.
Vous les jeunes, vous êtes
l’espérance de l’Église qui, justement de cette manière, se voit elle-même et
voit sa mission dans le monde.
Elle vous parle de cette
mission. Cela a été exprimé par le récent Message du 1er janvier 1985 pour la
célébration de la Journée mondiale de la Paix. Celui-ci vous a été adressé à
vous, dans la conviction que « la voie de la paix est aussi la voie des
jeunes » (La paix et les jeunes marchent ensemble). Cette conviction est
un appel et elle exprime un devoir : encore une fois, il s’agit d’être « prêts
à justifier l’espérance qui est en vous devant ceux qui vous en demandent
raison » – l’espérance qui vous caractérise. Comme vous le voyez, cette
espérance touche aux questions fondamentales qui sont universelles.
Vous vivez tous
quotidiennement au milieu de vos proches. Toutefois ce cercle s’élargit peu à
peu. Des personnes toujours plus nombreuses participant à votre vie, et
vous-mêmes vous voyez s’esquisser la communion qui vous unit avec elles.
Presque toujours ce sera une communauté différenciée dans une certaine mesure.
Ces différences, le Concile Vatican II les entrevoyait et les énonçait dans sa
Constitution dogmatique sur l’Église et dans sa Constitution pastorale sur l’Église
dans le monde de ce temps. Votre jeunesse se forme parfois dans des milieux
homogènes du point de vue de la confession religieuse, parfois divers sur le
plan religieux ou même aux confins de la foi et de l’incroyance, que celle-ci
prenne la forme de l’agnosticisme ou de l’athéisme exprimé de diverses
manières.
Il semble toutefois qu’en
face de certains problèmes, ces communautés de jeunes, multiples et diverses,
ressentent les choses, pensent et réagissent de manière très similaire. Il
semble, notamment, que tous les jeunes soient unis dans une même attitude à
l’égard du fait que des centaines de milliers d’hommes vivent dans une misère
extrême, et même meurent de faim, tandis qu’en même temps des sommes
vertigineuses sont investies dans la production des armes nucléaires dont les
arsenaux, dès à présent, sont en mesure de provoquer l’autodestruction de
l’humanité. Il y a d’autres tensions et d’autres menaces du même ordre, à une
échelle jusqu’ici inconnue dans l’histoire de l’humanité. Le Message, déjà
cité, pour le 1er janvier évoque tout cela ; c’est pourquoi je ne reviens
pas sur ces problèmes. Nous sommes tous conscients qu’à l’horizon de
l’existence des milliards de personnes qui forment la famille humaine à la fin
du second millénaire après le Christ, semble s’annoncer la possibilité de
calamités et de catastrophes d’une ampleur vraiment apocalyptique.
Dans cette situation, vous
les jeunes, vous pouvez demander à bon droit aux générations précédentes :
pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi en est-on venu à une situation si
menaçante pour l’humanité sur tout le globe terrestre ? Quelles sont les
causes de l’injustice qui blesse notre regard ? Pourquoi y a-t-il tant
d’hommes qui meurent de faim ? Tant de millions de réfugiés aux
frontières ? Tant de situations où sont bafoués les droits élémentaires de
l’homme ? Pourquoi tant de prisonniers, tant de camps de concentration,
tant de violence systématique, tant de meurtres de personnes innocentes, tant
d’hommes maltraités, tant de tortures, tant de tourments infligés au corps et à
la conscience de l’homme ? Et au milieu de tout cela, il y a aussi le fait
que des hommes jeunes ont sur la conscience de nombreuses victimes innocentes,
parce qu’on leur a inculqué la conviction que ce n’est que par cette voie –
celle du terrorisme organisé – que le monde peut être amélioré. Vous demandez
donc, encore une fois : pourquoi ?
Vous les jeunes, vous
pouvez poser ces questions, et vous le devez ! Il s’agit, en effet, du
monde où vous vivez aujourd’hui, et où vous devrez vivre demain, alors que la
génération actuellement plus avancée en âge aura passé. A bon droit donc, vous
interrogez : pourquoi un si grand progrès de l’humanité – qui ne peut se
comparer à celui d’aucune époque antérieure de l’histoire – dans les domaines
de la science et de la technique ? Pourquoi le progrès dans la maîtrise de
la matière par l’homme se retourne-t-il contre l’homme à tant d’égards ?
Et à juste titre vous demandez aussi, sans doute avec un sentiment de
peur : cet état de choses ne serait-il pas irréversible ? Peut-il
être changé ? Réussirons-nous à le changer ?
Cela, vous le demandez à
juste titre. Oui, c’est la question fondamentale à la mesure de votre
génération.
Sous cette forme se
poursuit votre dialogue avec le Christ, commencé un jour dans l’Évangile. Le
jeune homme demandait : « Que dois-je faire pour avoir la vie
éternelle ? ». Et vous posez la question en fonction de l’époque où
il se trouve que vous êtes jeunes : que devons-nous faire pour que la vie
– la vie florissante de l’humanité – ne devienne pas le cimetière de la mort
nucléaire ? Que devons-nous faire pour que nous ne soyons pas dominés par
le péché de l’injustice universelle ? Le péché du mépris de l’homme et de
la dégradation de sa dignité, en dépit de tant de déclarations qui confirment
tous ses droits ? Que devons-nous faire ? Et encore : saurons-nous
le faire ?
Le Christ répond comme il
avait répondu autrefois aux jeunes de la première génération de l’Église, à
travers les paroles de l’Apôtre : « Je vous écris, jeunes gens, parce
que vous avez vaincu le Mauvais. Je vous ai écrit, petits enfants, parce que
vous connaissez le Père... Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes
forts, que la Parole de Dieu demeure en vous ». Les paroles de l’Apôtre,
remontant à presque deux mille ans, sont aussi une réponse pour aujourd’hui.
Elles parlent le langage simple et fort de la foi, qui porte en lui la victoire
contre le mal qui est dans le monde : « Et telle est la victoire qui
a triomphé du monde : notre foi ». Ces paroles sont fortes grâce à
l’expérience apostolique – et celle des générations successives – de la Croix
et de la Résurrection du Christ. Dans cette expérience, tout l’Évangile est
confirmé. Entre autres, elle confirme la vérité du dialogue du Christ avec le
jeune homme de l’Évangile.
Attardons-nous donc, au
moment d’achever la présente lettre, sur ces paroles apostoliques qui sont à la
fois un encouragement et un défi pour vous. Elles sont aussi une réponse.
Dans vos cœurs de jeunes
vibre le désir d’une fraternité authentique entre tous les hommes, sans
divisions, sans oppositions, sans discriminations. Oui, vous portez en vous,
vous les jeunes, le désir d’une fraternité et d’une solidarité multiple – et
inversement vous ne voulez pas la lutte de l’homme contre l’homme sous quelque
forme que ce soit. Ce désir de fraternité – un homme est le prochain d’un autre
homme ! Un homme est le frère d’un autre homme ! – , ce désir ne
témoigne-t-il pas, comme l’écrit l’Apôtre, de ce que « vous connaissez le
Père » ? Car il n’y a de frères que lorsqu’il y a un père. Et les hommes
ne sont des frères que là où est le Père.
Si donc vous portez en vous
le désir de la fraternité, cela veut dire que « la Parole de Dieu demeure
en vous ». La doctrine que le Christ nous a donnée et qu’il a justement
nommée la « Bonne Nouvelle », demeure en vous. Et elle est sans cesse
sur vos lèvres, ou du moins elle est enracinée dans vos cœurs, la prière du
Seigneur qui commence par les mots « Notre Père ». Cette prière,
tandis qu’elle révèle le Père, confirme en même temps que les hommes sont
frères – et elle s’oppose par tout ce qu’elle contient à tous les projets
conçus selon un principe de lutte de l’homme contre l’homme sous quelque forme
que ce soit. La prière du « Notre Père » éloigne les cœurs humains de
l’inimitié, de la haine, de la violence, du terrorisme, des discriminations,
des situations où la dignité humaine et les droits humains sont bafoués.
L’Apôtre écrit que vous,
les jeunes, vous êtes forts du message divin : du message qu’exprime l’Évangile
du Christ et qui se résume dans la prière du « Notre Père ». Oui,
vous êtes forts de cet enseignement divin, vous êtes forts de cette prière.
Vous êtes forts, parce que cette prière met en vous l’amour, la bienveillance,
le respect de l’homme, de sa vie, de sa dignité, de sa conscience, de ses
convictions et de ses droits. Si « vous connaissez le Père », vous
êtes forts de la puissance même de la fraternité humaine.
Vous êtes forts aussi pour
le combat, non pour le combat contre l’homme, au nom de quelque idéologie ou
pratique coupée des racines mêmes de l’Évangile, – mais forts pour le combat
contre le mal, contre le vrai mal, contre tout ce qui offense Dieu, contre
toute injustice et toute exploitation, contre toute fausseté et tout mensonge,
contre tout ce qui blesse et humilie, contre tout ce qui profane la vie en commun
et les rapports humains, contre tout crime qui porte atteinte à la vie, contre
tout péché.
L’Apôtre écrit :
« Vous avez vaincu le Mauvais » ! C’est vrai. Il faut toujours
remonter aux racines du mal et du péché dans l’histoire de l’humanité et de l’univers,
comme le Christ est remonté à ces mêmes racines par le mystère pascal de sa
Croix et de sa Résurrection. Il ne faut pas avoir peur d’appeler par son nom le
premier artisan du mal : le Mauvais. La tactique qu’il a appliquée et
qu’il applique consiste à ne pas se révéler, afin que le mal, répandu par lui
depuis les origines, se développe par l’action de l’homme lui-même, par les
systèmes et par les relations entre les hommes, entre les classes et entre les
nations ... pour qu’il devienne toujours plus le péché « structurel »
et pour qu’on puisse d’autant moins l’identifier comme le « péché
personnel ». Donc pour que l’homme se sente en un sens
« libéré » du péché, et qu’il soit en même temps toujours plus plongé
dans ce péché.
L’Apôtre dit :
« Jeunes gens, vous êtes forts » : il faut seulement que
« la Parole de Dieu demeure en vous ». Vous êtes donc forts, et vous
pouvez ainsi rejoindre les mécanismes cachés du mal et ses racines, et ainsi
vous réussirez progressivement à changer le monde, à le transformer, à le
rendre plus humain, plus fraternel – et en même temps, à en faire davantage le
monde de Dieu. En effet, on ne peut couper le monde de Dieu ni l’opposer à Dieu
dans le cœur de l’homme. Et on ne peut pas couper l’homme de Dieu ni l’opposer
à Dieu. Cela serait contre la nature du monde et contre la nature de l’homme –
contre la vérité elle-même qui constitue toute la réalité ! En vérité le
cœur de l’homme est inquiet, jusqu’à ce qu’il se repose en Dieu. Cette parole
du grand Augustin ne perdra jamais son actualité.
Message final
16. Voici donc, amis
jeunes, que je dépose entre vos mains cette lettre qui se situe dans le sillage
du dialogue du Christ avec le jeune homme, qui découle du témoignage des
apôtres et des premières générations chrétiennes. Je vous remets cette lettre
au cours de l’Année de la Jeunesse, tandis que nous nous approchons du terme du
second millénaire chrétien. Je vous la remets en cette année qui marque le
vingtième anniversaire de la conclusion du Concile Vatican II, qui a appelé les
jeunes « l’espérance de l’Église » et qui a adressé aux jeunes
d’alors – comme à ceux d’aujourd’hui et à ceux de toujours – son « dernier
message » où l’Église est présentée comme la véritable jeunesse du monde,
comme celle qui « possède ce qui fait la force et le charme des
jeunes : la faculté de se réjouir de ce qui commence, de se donner sans
retour, de se renouveler et de repartir sur de nouvelles conquêtes ».
J’accomplis ce geste en ce Dimanche des Rameaux, jour où il m’est donné de
rencontrer beaucoup d’entre vous, venus en pèlerinage sur la Place
Saint-Pierre, ici à Rome. En cette journée, l’Évêque de Rome prie avec vous
pour tous les jeunes du monde entier, pour chacune et pour chacun. Nous prions
dans la communauté de l’Église pour que – dans le contexte des temps difficiles
où nous vivons – vous soyez « toujours prêts à justifier l’espérance qui
est en vous devant ceux qui vous en demandent raison ». Oui, parce que
c’est de vous que dépend l’avenir, parce que de vous dépendent l’achèvement de
ce millénaire et le commencement du nouveau. Ne soyez donc pas passifs ;
assumez vos responsabilités dans tous les domaines qui s’ouvrent à vous dans
notre monde ! Avec vous, en tous lieux, les évêques et les prêtres
prieront à cette intention.
En priant ainsi dans la
grande communauté des jeunes de toute l’Église et de toutes les Églises, nous
tournons notre regard vers Marie, elle qui accompagne le Christ au début de sa
mission parmi les hommes. Elle est Marie de Cana en Galilée, qui intercède pour
les jeunes, pour les nouveaux époux, quand, au banquet nuptial, le vin vient à
manquer pour les invités. Alors la Mère du Christ adresse ces paroles aux
hommes qui étaient là pour servir au cours du repas : « Tout ce qu’il
vous dire – lui, le Christ – , faites-le ».
Je vous redis ces paroles
de la Mère de Dieu et je les adresse à vous, les jeunes, à chacun et à chacune
de vous : « Tout ce que le Christ vous dira, faites-le ». Et je
vous bénis au nom de la Trinité sainte. Amen.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre,
le 31 mars 1985, Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur, en la
septième année de mon Pontificat.
Jean-Paul II