Annecy,
7 avril 1617.
Madame,
À cette première commodité que j'ai
de vous écrire, je tiens ma promesse, et vous présente quelques moyens par
lesquels vous pourrez adoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si
grands effrois en vos maladies et enfantements : en quoi, bien qu'il n'y
ait aucun péché, il y a cependant du dommage pour votre cœur, lequel, troublé
de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme
il ferait s'il n'était pas si fort tourmenté.
Premièrement donc, je vous assure que
si vous persévérez à l'exercice de dévotion, comme je vois que vous faites,
vous vous trouverez petit à petit grandement allégée de ce tourment ; d'autant
que votre âme, se tenant ainsi exempte des mauvaises affections et s'unissant
de plus en plus à Dieu, elle se trouvera moins attachée à cette vie mortelle et
aux vaines complaisances que l'on y prend. Continuez donc en la vie dévote
selon que vous avez commencé, et allez toujours de bien en mieux au chemin dans
lequel vous êtes, et vous verrez que, dans quelque temps, ces terreurs
s'affaibliront et ne vous inquiéteront plus si fort.
Secondement, exercez-vous souvent aux
pensées de la grande douceur et miséricorde avec laquelle Dieu notre Sauveur
reçoit les âmes en leur trépas, quand elles se sont confiées en lui pendant
leur vie et qu'elles se sont essayées de le servir et aimer, chacune en sa
vocation :
Ô
que vous êtes bon, Seigneur, à ceux
qui ont le cœur droit !
Tiercement, relevez souvent votre
cœur par une sainte confiance mêlée d'une profonde humilité envers notre Rédempteur ;
comme disant : je suis misérable, Seigneur, et vous recevrez ma misère
dans le sein de votre miséricorde, et vous me tirerez de votre main paternelle
à la jouissance de votre héritage. Je suis chétive, et vile, et abjecte ; mais
vous m'aimerez en ce jour, parce que j'ai espéré en vous et ai désiré d'être
vôtre.
Quatrièmement, excitez en vous, le
plus que vous pourrez, l'amour du Paradis et de la vie Céleste, et faites
plusieurs considérations sur ce sujet, lesquelles vous trouverez suffisamment
marquées au livre de l'Introduction
à la Vie dévote, en la Méditation
de la gloire du Ciel, et au Choix du Paradis ; car, à mesure
que vous estimerez et aimerez la félicité éternelle, vous aurez moins
d'appréhension de quitter la vie mortelle et périssable.
Cinquièmement, ne lisez point les
livres ou les endroits des livres dans lesquels il est parlé de la mort, du
jugement et de l'enfer ; car, grâces à Dieu, vous avez bien résolu de
vivre chrétiennement et n'avez point besoin d'y être poussée par les motifs de
la frayeur et de l'épouvantement.
Sixièmement, faites souvent des actes
d'amour envers Notre-Dame, les Saints et Anges célestes ; apprivoisez-vous
avec eux, leur adressant souvent des paroles de louange et de dilection ; car
ayant beaucoup d'accès avec les citoyens de la divine Jérusalem céleste, il
vous fâchera moins de quitter ceux de la terrestre ou basse cité du monde.
Septièmement, adorez souvent, louez
et bénissez la très sainte Mort de Notre-Seigneur crucifié, et mettez toute
votre confiance en son mérite, par lequel votre mort sera rendue heureuse ;
et dites souvent :
Ô
divine mort de mon doux Jésus, vous bénirez la mienne, et elle sera bénite ;
Je vous bénis, et vous me bénirez, ô mort plus aimable que la vie.
Je vous bénis, et vous me bénirez, ô mort plus aimable que la vie.
Ainsi saint Charles, en la maladie de
laquelle il mourut, fit mettre à sa vue l'image de la sépulture de
Notre-Seigneur et celle de l'oraison qu'il fit au mont des Oliviers, pour se
consoler en cet article, sur la Mort et Passion de son Rédempteur.
Huitièmement, faites quelquefois
réflexion sur ce que vous êtes fille de l'Eglise catholique, et vous réjouissez
de cela ; car les enfants de cette Mère qui désirent de vivre selon ses
lois, meurent toujours bienheureux, et, comme dit la bienheureuse Mère Thérèse,
c'est une grande consolation à l'heure de la mort d'être « fille de la
sainte Eglise ».
Neuvièmement, finissez toutes vos
oraisons en confiance, comme disant :
Seigneur vous êtes mon espérance ; en vous j'ai jeté ma confiance.
Ô Dieu, qui espéra jamais en vous, lequel ait été confondu ?
J'espère en vous, ô Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement.
Ô Dieu, qui espéra jamais en vous, lequel ait été confondu ?
J'espère en vous, ô Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement.
En vos oraisons jaculatoires parmi la
journée, et en la réception du très saint Sacrement, usez toujours de paroles
d'amour et d'espérance envers Notre-Seigneur, comme :
Vous
êtes mon Père, ô Seigneur !
Ô Dieu, vous êtes l'Époux de mon âme ; vous êtes le Roi de mon amour et le Bien-Aimé de mon âme !
Ô doux Jésus, vous êtes mon cher Maître, mon secours, mon refuge !
Ô Dieu, vous êtes l'Époux de mon âme ; vous êtes le Roi de mon amour et le Bien-Aimé de mon âme !
Ô doux Jésus, vous êtes mon cher Maître, mon secours, mon refuge !
Dixièmement, considérez souvent les
personnes que vous aimez le plus et desquelles il vous fâcherait d'être
séparée, comme des personnes avec lesquelles vous serez éternellement au Ciel ;
par exemple, votre mari, votre petit Jean, monsieur votre père.
Ô
ce petit garçon, qui sera, Dieu aidant, un jour bienheureux en cette vie
éternelle, en laquelle il jouira de ma félicité et s'en réjouira, et je jouirai
de la sienne et m'en réjouirai sans jamais plus nous séparer !
Ainsi du mari, ainsi du père et des
autres : en quoi vous aurez d'autant plus de facilité, que tous vos plus
chers servent Dieu et le craignent. Et parce que vous êtes un peu mélancolique,
voyez au livre de l'Introduction à la
Vie dévote ce que je dis de la tristesse et des remèdes contre
celle-ci.
Voilà, ma chère Dame, ce que pour le présent je vous puis dire sur ce sujet, que je vous dis avec un cœur grandement affectionné au vôtre, lequel je conjure de m'aimer et recommander souvent à la miséricorde divine, comme réciproquement je ne cesserai jamais de la supplier qu'elle vous bénisse.
Vivez heureuse et joyeuse en la
dilection céleste, et je suis Votre plus humble et très affectionné serviteur.
François de Sales, Lettre à Madame de Veyssilieu