Mon Dieu, je ne Vous aime pas, je
ne le désire même pas, je m’ennuie avec Vous.
Peut-être même que je ne crois
pas en Vous.
Mais regardez-moi en passant.
Abritez-vous un moment dans mon
âme, mettez-la en ordre d’un souffle,
Sans en avoir l’air, sans rien me
dire.
Si Vous avez envie que je croie
en Vous, apportez-moi la foi.
Si Vous avez envie que je Vous
aime, apportez-moi l’amour.
Moi, je n’en ai pas et je n’y
peux rien.
Je Vous donne ce que j’ai :
ma faiblesse, ma douleur.
Et cette tendresse qui me
tourmente et que Vous voyez bien…
Et ce désespoir… Et cette honte
affolée…
Mon mal, rien que mon mal…
C’est tout !
Et mon espérance !
Quelquefois aussi, je me présente à Dieu comme une porteuse de peine
Chargée de tous les fardeaux du voisinage et je lui dis :
« Ne faites pas attention à
moi. Je ne peux pas Vous plaire.
Regardez seulement les
souffrances que je Vous apporte,
Comme un pauvre commissionnaire
qui vient de la part des autres :
Voici le mal de mon père, voilà
celui de mon ami, celui de tel ou de tel autre… »
Vous voilà, mon Dieu. Vous me cherchiez ?
Que me voulez-vous ? Je n’ai
rien à vous donner.
Depuis notre dernière rencontre, je
n’ai rien mis de côté pour Vous.
Rien… pas une bonne action.
J’étais trop lasse.
Rien… pas une bonne parole.
J’étais trop triste.
Rien que le dégoût de vivre,
l’ennui, la stérilité.
– Donne !
– La hâte, chaque jour, de voir
la journée finie, sans servir à rien ;
Le désir de repos loin du devoir
et des œuvres,
Le détachement du bien à faire,
le dégoût de Vous, ô mon Dieu !
– Donne !
– La torpeur de l’âme, le remords
de ma mollesse
Et la mollesse plus forte que le
remords…
– Donne !
– Le besoin d’être heureuse, la
tendresse qui brise,
La douleur d’être moi sans
recours.
– Donne !
– Des troubles, des épouvantes,
des doutes…
– Donne !
– Seigneur !
Voilà que, comme un chiffonnier,
Vous allez ramassant des déchets,
des immondices.
Qu’en voulez-vous faire, Seigneur ?
– Le Royaume des Cieux.
Marie Noël, in Notes intimes