Fidélio
Louis van Beethoven
Livret de Joseph et Georg Friedrich
Sonnleithner
Personnages
DON FLORESTAN, aristocrate espagnol.
LÉONORE, son épouse, déguisée en Fidélio.
DON FERNANDO, ambassadeur du roi.
DON PIZZARO, gouverneur de la prison.
ROCCO, premier geôlier.
MARCELINE, fille de Rocco.
JAQUINO, assistant de Rocco
LÉONORE, son épouse, déguisée en Fidélio.
DON FERNANDO, ambassadeur du roi.
DON PIZZARO, gouverneur de la prison.
ROCCO, premier geôlier.
MARCELINE, fille de Rocco.
JAQUINO, assistant de Rocco
ACTE I
La cour de la Prison
d'État. Au fond la grande porte et un haut mur d'enceinte dominé par des arbres.
Dans le corps de la grande porte, un guichet que l'on ouvre pour les quelques personnes
qui viennent à pied. À côté de la porte la loge du portier. Les coulisses à
gauche des spectateurs représentent les cellules des prisonniers ; toutes les
fenêtres ont des grilles et les portes, numérotées, sont garnies d'armatures de
fer et de fortes serrures. Dans la première coulisse, la porte vers
l'habitation du geôlier. À droite, des arbres, entourés de grillage et à côté d'eux,
la porte d'un jardin, indiquent l'entrée du jardin du château.
Marceline repasse du
linge devant sa porte; à côté d'elle un brasero où elle chauffe son fer. Jaquino
se tient près de sa loge ; il ouvre la porte à plusieurs personnes qui lui
remettent des paquets qu'il dépose dans sa loge.
JAQUINO
Maintenant,
mon trésor, nous sommes enfin seuls, nous pouvons bavarder en toute confiance.
MARCELINE (continuant sa besogne)
Ce ne sera
rien d'important ? je ne dois pas traîner sur mon ouvrage.
JAQUINO
Un mot
seulement, entêtée que tu es !
MARCELINE
Parle
donc, je t'écoute.
JAQUINO
Si tu ne
me regardes pas plus gentiment, je ne dirai pas un mot.
MARCELINE
Si tu ne te fais pas à mes façons, je me boucherai complètement les oreilles.
Si tu ne te fais pas à mes façons, je me boucherai complètement les oreilles.
[Je
n'aurai donc jamais la paix]
Parle donc,
mais parle donc !
JAQUINO
Écoute-moi
juste un instant, après quoi je te laisse tranquille.
Je - je t'ai - je t'ai choisie pour femme, m'entends-tu ?
Je - je t'ai - je t'ai choisie pour femme, m'entends-tu ?
MARCELINE
C'est
clair en effet.
JAQUINO
Et, si tu
ne me refusais pas ton Oui, qu'en
dis-tu ?
MARCELINE
Alors nous
serions deux.
JAQUINO
Dans
quelques semaines nous pourrions...
MARCELINE
Très bien,
tu fixes déjà le jour !
(On
frappe)
JAQUINO
Au diable
les éternels frappeurs !
J'étais si bien en train ; il faut toujours que l'oiseau m'échappe !
J'étais si bien en train ; il faut toujours que l'oiseau m'échappe !
MARCELINE
Me voici
enfin libre ! Comme son amour m'incommode et que les heures me sont
longues !
(Jaquino
ouvre le guichet, prend un paquet et le dépose dans sa loge ; pendant ce
temps Marceline continue son ouvrage)
Je sais
que le pauvre homme a du tourment et il me fait vraiment de la peine !
Mais j'ai élu Fidélio : l'aimer est une douce jouissance !
Mais j'ai élu Fidélio : l'aimer est une douce jouissance !
JAQUINO (de retour)
Où en
étais-je ? [Elle ne me regarde pas]
MARCELINE (en aparté)
[Le voici
- il recommence]
JAQUINO
Quand me
donneras-tu ton consentement ? Pourquoi pas aujourd'hui ?
MARCELINE (en aparté)
[Quel
malheur ! Il empoisonne mon existence !]
(À
Jaquino)
Maintenant,
demain et toujours, non et non !
JAQUINO
Tues
vraiment de pierre, aucun souhait, aucune prière ne te touche.
MARCELINE (en aparté)
[Il faut que
je me fasse dure avec lui, il reprend espoir au moindre signe.]
JAQUINO
Ainsi tu
ne changeras pas d'avis ? Qu'en dis-tu ?
MARCELINE
Tu
pourrais partir maintenant.
JAQUINO
Comment,
tu veux m'empêcher de te regarder ? Cela aussi ?
MARCELINE
Reste donc
là…
JAQUINO
Tu m'as si
souvent promis...
MARCELINE
Promis ?
Non, cela dépasse la mesure !
(On
frappe)
JAQUINO
Au diable
ces éternels frappeurs !
MARCELINE
Me voici
enfin libre : ce bruit est le bienvenu, j'étais anxieuse à en
mourir !
JAQUINO
Elle était
vraiment inquiète : qui sait si je n'ai pas réussi ?
MARCELINE (seule)
Pauvre
Jaquino... j'étais bien bonne avec lui, mais voici que Fidélio est arrivé chez
nous et depuis ce temps tout est changé.
Oh !
puissé-je être déjà unie à toi, et t'appeler mon époux ! Une jeune fille,
il est vrai, ne doit pas avouer la moitié de ce qu'elle pense, mais dès lors
que n'ai pas à rougir d'un tendre baiser passionné, dès lors que rien au monde
ne nous importune…
(Elle
soupire et met ses mains sur sa poitrine)
L'espoir
emplit déjà mon cœur d'un doux plaisir inexprimable ; comme je vais être
heureuse !
Dans le repos intime de ma demeure je me réveille chaque matin, nous nous saluons pleins de tendresse, le labeur chasse les soucis. Et le travail fini, la douce nuit s'approche où nous nous reposons de nos peines.
Dans le repos intime de ma demeure je me réveille chaque matin, nous nous saluons pleins de tendresse, le labeur chasse les soucis. Et le travail fini, la douce nuit s'approche où nous nous reposons de nos peines.
L'espoir
emplit déjà mon cœur d'un doux plaisir inexprimable ; comme je vais être
heureuse !
ROCCO (entrant)
Marceline,
Fidélio n'est-il pas encore de retour ?
MARCELINE
Le
voici !
(Léonore
entre. Elle porte un pourpoint sombre, un gilet rouge, des culottes sombres,
des bottes courtes, une large ceinture de cuir noir avec une boucle de
cuivre ; ses cheveux sont pris dans un filet. Sur le dos elle porte un
panier avec des vivres, sur les bras des chaînes qu'en entrant elle dépose à la
loge du portier ; une boîte de métal fixée à une corde pend à son côté).
ROCCO
Cette
fois-ci tu t'es trop chargé.
LÉONORE
Je dois
avouer que je suis un peu fatigué. Le forgeron a été si long à réparer les
chaînes.
ROCCO
Sont-elles
maintenant en bon état ?
LÉONORE
Aucun des
prisonniers ne les brisera.
ROCCO
Bien, tu
en auras récompense.
LÉONORE
Oh !
ne croyez pas que c’est seulement à cause de la récompense...
ROCCO
Silence !
Crois-tu que je ne puisse lire dans ton cœur ?
MARCELINE (en aparté)
[Un
émotion étrange me prend le cœur ; il m'aime, c'est clair, je serai
heureuse !]
LÉONORE (en aparté)
[Que le
danger est grand, que le rayon d'espoir est faible ! Elle m'aime, c'est
clair: ô peine sans nom !]
ROCCO (en aparté)
[Elle
l'aime, c'est clair, oui mon enfant, il sera à toi. Un bon, un jeune couple,
ils seront heureux !]
JAQUINO (en aparté)
Mes
cheveux se hérissent, le père est consentant, quelle étrange peine, il n'y a
aucun remède !
(Jaquino
se retire dans sa loge)
ROCCO
Écoute, Fidélio,
je te donne la main de ma fille. Vous vous aimez bien, n'est-ce pas ? Mais
ce n'est pas tout...
(Il fait
le geste de compter de l'argent)
ROCCO
Si de plus
l'on n'a pas d'argent, on ne saurait être tout à fait heureux ; la vie se
traîne tristement, maints soucis s'emparent de vous. Mais quand les sous
roulent et tintent dans la poche, le destin est votre prisonnier, l'or vous
accorde l'amour et la puissance, il apaise les désirs les plus audacieux.
Le bonheur, comme un valet, veut son salaire, c'est une belle chose que
l'or, c'est une précieuse chose que l'or. Quand on ajoute rien à rien la somme
est et reste maigre ; qui à table ne trouve que l'amour, aura faim après
le repas. Que la fortune vous sourie aimablement, qu'elle bénisse et dirige vos
efforts ; la bien-aimée dans les bras, l'argent dans l'escarcelle, vivez
alors beaucoup d'années. Le bonheur, comme un valet, veut son salaire, c'est un
puissant moyen que l'or.
LÉONORE
Vous
parlez à votre aise, Maître Rocco, mais il y a autre chose...
ROCCO
Et que
sera-ce donc ?
LÉONORE
Votre
confiance ! Je vous vois si souvent revenir épuisé des cachots
souterrains. Pourquoi ne me permettez-vous pas de vous aider ?
ROCCO
Tu sais
que j'ai l'ordre le plus strict de ne laisser personne approcher les
prisonniers d'État. Et il y a un cachot où je ne permettrai jamais que tu
ailles.
MARCELINE
Là où se
trouve le prisonnier dont tu as déjà parlé quelquefois ?
LÉONORE
Y a-t-il
longtemps qu'il est prisonnier ?
ROCCO
Plus de
deux ans !
LÉONORE
Deux
ans ! Ce doit être un grand criminel...
ROCCO
Ou bien il
a de grands ennemis... Mais il n'en a plus pour longtemps !
MARCELINE
Père, ne
conduis pas Fidélio vers lui !
LÉONORE
Mais
pourquoi pas ? J'ai du cœur et de la force !
ROCCO
Bien mon
fils, bien, aies toujours du courage et toi aussi tu réussiras ; le cœur
s'endurcit en présence des objets d'épouvante.
LÉONORE
J'ai du
courage ! D'un cœur ferme, je descendrai dans ces cachots ; pour sa
récompense l'amour sait aussi supporter de grandes peines.
MARCELINE
Ton cœur
généreux souffrira bien des douleurs au fond de ces cachots ; ensuite
viendra l'heure du bonheur, de l'amour et des joies sans fin.
ROCCO
Ainsi
construiras-tu sûrement ton bonheur.
LÉONORE
Je me fie en
Dieu et en mon droit.
MARCELINE
Regarde-moi
dans les yeux, ce n'est pas peu que le pouvoir de l'amour. Oui, oui, nous
serons heureux.
LÉONORE
Oui, oui,
je puis être encore heureux.
ROCCO
Oui, oui,
vous serez heureux. Le gouverneur... Le gouverneur t'autorisera aujourd'hui à
partager avec moi mon travail.
LÉONORE
Vous
m'ôteriez tout mon repos si vous attendiez jusqu'à demain.
MARCELINE
Oui, cher
père, dès aujourd'hui fais la demande. Et sous peu nous serons unis.
ROCCO
Je suis
bientôt un pied dans la tombe, j'ai besoin d'aide, c'est bien vrai.
LÉONORE (en aparté)
[Combien
de temps encore serai-je le proie des tourments ! Espoir, apporte-moi
quelque apaisement.]
MARCELINE
Ah, cher
père, quelles sont ces idées ? Longtemps encore vous serez notre ami et
notre conseiller
ROCCO
Maintenant
prudence et tout ira bien. Vos désirs vont être comblés.
MARCELINE
Du
courage ! Oh ! quelle flamme, quel désir profond me gagne !
LÉONORE
Quelle
bonté, vous me rendez courage, bientôt mes désirs seront comblés !
ROCCO
Donnez-moi
la main et soyez unis par de douces larmes de joie.
LÉONORE (en aparté)
[J'ai
donné ma main pour une douce union, que de larmes amères elle me coûte.]
MARCELINE
Un lien
solide du cœur et de la main ! Ô douces, douces larmes !
(Pendant la marche, des sentinelles ouvrent de l'extérieur la porte
principale. Des officiers entrent en tête d'un peloton, puis vient
Pizarro ; on ferme la porte derrière lui)
PIZARRO
Où sont
les dépêches ?
ROCCO
Les voici.
PIZARRO
Je connais
cette écriture... « Je vous informe que le ministre a été averti que les
prisons d'État dont vous avez la charge détiennent plusieurs victimes de
décisions arbitraires. Il se met demain en route pour venir vous inspecter à
l'improviste ».
S'il
découvrait que je tiens dans les fers ce Florestan... Cependant, il y a un
moyen ! Ah ! L'heure sonne enfin ! Je vais apaiser ma soif de
vengeance, ta destinée t'appelle ! Je fouillerai son cœur, ô jouissance,
plaisir immense ! J'ai failli mordre la poussière une fois, voué à la
risée de tous, réduit à un triste état. Maintenant c'est à moi de meurtrir le
meurtrier, et à sa dernière heure, le fer dans sa blessure, de lui crier à
l'oreille : « Victoire ! La victoire est à moi ! »
LA
SENTINELLE (à
mi-voix en aparté)
[Il parle
de sang et de mort ! Allons faisons la ronde, l'affaire doit être
sérieuse !]
PIZARRO
Ah !
L'heure sonne enfin ! Je vais apaiser ma soif de vengeance, ah !
maintenant c'est à moi de meurtrir le meurtrier !
CHŒUR
Il parle
de sang et de mort ! Veillez bien à votre ronde, l'affaire doit être
sérieuse !
PIZARRO
Ah !
L'heure sonne enfin ! Je vais apaiser ma soif de vengeance, ta destinée
t'appelle ! Victoire ! La victoire est à moi ! Capitaine !
Montez sur le champ à la tour, accompagné d'une trompette. Aussitôt que vous
verrez une voiture, faites sur le champ donner le signal. M'entendez-vous ?
sur le champ !
Rocco !
ROCCO
Seigneur ?
PIZARRO
Maintenant,
mon brave, maintenant il faut faire vite ! Le bonheur t'appartient. Tu vas
être un homme riche.
(Il lui jette une bourse)
Ce n'est
là qu'un acompte.
ROCCO
Dites-moi
donc rapidement en quoi je puis vous être utile !
PIZARRO
Tu es
homme de sang-froid, tu as acquis au cours d'un long service un courage à toute
épreuve.
ROCCO
Que
dois-je faire ? parlez !
PIZARRO
Tuer !
ROCCO
Comment ?
PIZARRO
Écoute
seulement ! Tu trembles ? es-tu un homme ? nous ne saurions plus
attendre, l'État exige que le mauvais sujet soit écarté du chemin.
ROCCO
Oh !
Seigneur !
PIZARRO
Tu es
encore là ?
(en
aparté)
[Il ne
doit pas vivre plus longtemps, sinon c'en est fait de moi. Pizarro
tremblerai-t-il ? Tu tombes et je reste debout !]
ROCCO
[Je sens
trembler mes membres, comment le supporterais-je ? Je ne lui prendrai pas
la vie, advienne que pourra.]
Non,
Seigneur, ôter la vie, tel n'est pas mon devoir.
PIZARRO
J'agirai
par moi-même si tu manques de courage. Maintenant dépêche-toi et vite descends
chez cet homme, tu sais lequel...
ROCCO
... celui
qui vit à peine et erre comme une ombre ?
PIZARRO
Lui-même.
Allons, en bas ! J'attends à côté ; dans la citerne, très vite, creuse
une tombe.
ROCCO
Et
ensuite ? Et ensuite ?
PIZARRO
Alors, je
me dissimule et je me glisse rapidement dans le cachot : un coup.
(Il lui montre un poignard).
Et il se
tait à jamais !
ROCCO
Mourant de
faim dans ses chaînes, il a subi un long martyre, le tuer c'est le
sauver : le coup de poignard le libérera.
PIZARRO
Qu'il
meure dans ses chaînes, trop court fut son tourment, sa mort me sauvera, je serai
alors en paix. Maintenant, mon brave, maintenant, il faut faire vite !
M'entends-tu ?
Tu donnes le signal, alors je me dissimule et je me glisse rapidement dans le
cachot. Un coup, et il se tait à jamais.
ROCCO
Mourant de
faim dans ses chaînes, il a subi un long martyre. Le tuer, c'est le sauver, le
coup de poignard le libérera.
PIZARRO
Qu'il
meure dans ses chaînes, trop court fut son tourment ! Sa mort seule me
sauvera, je serai alors en paix.
(ils
sortent)
LÉONORE (entre par l'autre côté, en
proie à une vive émotion. Elle regarde partir Rocco et Pizarro avec une inquiétude
grandissante)
Monstre !
Où vas-tu si pressé ? Que prépares-tu dans ta rage sauvage ? Le cri
de pitié, la voix de l'homme, rien ne touche donc ton âme de tigre !
Telles les vagues de la mer, la colère et la rage agitent ta poitrine !
Mais pour moi luit un arc-en-ciel qui éclaire les nuages où il se pose. Son
éclat est calme et paisible, il reflète les temps d'autrefois, et mon sang
apaisé s'anime à nouveau.
Viens,
espoir, ne laisse pas s'éteindre tes derniers rayons ! Guide mon pas
fatigué, aussi loin soit le but, l'amour l'atteindra. Je suis la voix qui
m'appelle, je n'hésite pas, soutenue par le devoir d'un fidèle amour
conjugal ! Ô toi, pour qui j'ai tout supporté, puissé-je pénétrer dans le
lieu où la méchanceté t'a jeté dans les chaînes et t'apporter un doux réconfort !
Je suis la
voix qui m'appelle, je n'hésite pas, soutenue par le devoir d'un fidèle amour
conjugal !
(Rocco arrive du jardin, Marceline de la maison)
Maître
Rocco, vous avez si souvent promis de laisser les prisonniers aller dans la
cour !
ROCCO
Sans la
permission du gouverneur ?
MARCELINE
Mais il a
parlé si longtemps avec toi. Ne te doit-il pas une faveur ?
ROCCO
Tu as
raison ! Allons, ouvrez les cachots !
(Rocco
s'en va. Léonore et Jaquino ouvrent les portes fortement verrouillées des
cellules, se retirent vers le fond en compagnie de Marceline et observent avec
sympathie les prisonniers qui s'avancent progressivement).
CHŒUR DES
PRISONNIERS
Oh !
quelle joie de respirer à l'air libre du ciel ! Ici, ici seulement, nous
trouvons la vie, le cachot est une tombe.
UN
PRISONNIER
Nous attendons
avec confiance le secours de Dieu. L'espoir me chuchote doucement : nous
serons libres, nous trouverons le repos !
TOUS LES
AUTRES (en
aparté)
[Ô Ciel !
Le salut ! Quel bonheur, ô liberté, liberté, nous reviens-tu ?]
UN AUTRE
PRISONNIER
Parlez
doucement, retenez-vous, des yeux et des oreilles nous épient.
TOUS LES
AUTRES
Parlez
doucement, retenez-vous, des yeux et des oreilles nous épient. Parlez
doucement, oui doucement ! Oh ! quelle joie de respirer à l'air libre
du ciel ! Oh, quelle joie ! Ici, ici seulement, nous trouvons la vie.
Parlez
doucement, retenez-vous, des yeux et des oreilles nous épient.
(Les prisonniers s'éloignent dans le jardin, Rocco et Léonore s'approchent
sur l'avant-scène)
LÉONORE
Parlez
maintenant, comment cela s'est-il passé ?
ROCCO
Très
bien ! Très bien ; j'ai rassemblé mon courage et lui ai tout
rapporté ; que crois-tu qu'il m'a répondu ? Il permet à la fois le
mariage et que tu m'aides. Aujourd'hui même je dois te conduire vers les
cachots.
LÉONORE
Aujourd'hui
même, aujourd'hui même ? Oh, quel bonheur, oh, quelle joie !
ROCCO
Je vois
que tu es content. Juste un instant et nous irons ensemble.
LÉONORE
Où
donc ?
ROCCO
Nous
descendrons chez cet homme auquel depuis bien des semaines j'ai porté de moins
en moins de nourriture.
LÉONORE
Ah !
va-t-on le libérer ?
ROCCO
Oh,
non !
LÉONORE
Parle,
parle donc !
ROCCO
Oh,
non !
Nous
devons - mais comment ? - le libérer. Dans une heure d'ici, mets un doigt
sur ta bouche, nous devons l'enterrer.
LÉONORE
Ainsi il
est mort ?
ROCCO
Pas
encore, pas encore !
LÉONORE
Ton devoir
est-il de le tuer ?
ROCCO
Non, brave
jeune homme, ne tremble pas ! Rocco n'est pas un mercenaire du crime. Le
gouverneur descend lui-même ; nous ne ferons que creuser la tombe.
LÉONORE (en aparté)
[Faudra-t-il
que je creuse la tombe de mon époux ? Qu'y a-t-il de plus terrible !]
ROCCO
Je n'ai
pas le droit de lui apporter à manger, le tombeau lui sera meilleur. Nous
devons sur le champ aller à notre ouvrage ; il faut que tu m'aides et
m'accompagnes ; le pain du geôlier est un dur pain.
LÉONORE
Je te
suis, serait-ce dans la mort.
ROCCO
Dans la
citerne en ruines nous creuserons aisément une fosse ; crois-moi, je ne le
fais pas volontiers, et cela t'effraie, ce me semble.
LÉONORE
C'est que
je ne suis pas habitué.
ROCCO
Je te
l'aurais bien épargné, mais seul je n'y parviendrai pas, et notre maître est si
sévère.
LÉONORE (en aparté)
[Oh,
quelle douleur !]
ROCCO (en aparté)
[Il me
semble qu'il pleure.]
(à haute voix)
Non, reste
ici, j'y vais seul, j'y vais seul.
LÉONORE
Oh,
non ! oh non ! Il faut que je le voie, que je voie ce malheureux.
Dussé-je moi-même en périr.
TOUS DEUX
Oh !
ne tardons pas davantage, nous faisons notre dur devoir.
(Jaquino et Marceline accourant hors d'haleine)
MARCELINE
Ah !
Père, dépêchez-vous !
ROCCO
Qu'as-tu
donc ?
JAQUINO
Ne tardez
pas davantage !
ROCCO
Qu'est-il
arrivé ?
MARCELINE
Plein de
colère, Pizzaro me suit, il te menace !
ROCCO
Doucement,
doucement !
LÉONORE
Alors, faisons
vite !
ROCCO
Juste un
mot encore : parle, sait-il déjà ?
JAQUINO
Oui, il le
sait déjà.
MARCELINE
L'officier
lui a dit ce que nous venions de consentir aux prisonniers.
ROCCO
Faites-les
tous rentrer rapidement !
MARCELINE
Vous savez
comme il s'emporte et connaissez sa colère.
LÉONORE (en aparté)
[Comme
j'enrage, mon sang bout dans mes veines !]
ROCCO (en aparté)
[Mon cœur
m'a guidé sûrement, le tyran dût-il être en pleine rage !]
(Pizarro, deux officiers et des gardes entrent)
PIZARRO
Vieillard
téméraire, quels droits t'es-tu octroyés en te parjurant ? Et est-ce au
valet soumis de libérer les prisonniers ?
ROCCO
Oh !
Seigneur !
PIZARRO
Eh bien ?
ROCCO (perplexe)
La venue
du printemps, la douce et chaude lumière du soleil, et aussi...
(se ressaisissant)
...
avez-vous bien considéré, ce qui intercède en ma faveur ? C'est
aujourd'hui la fête du roi, et nous la fêtons de cette manière.
(en cachette à Pizarro)
Celui d'en
bas est en train de mourir, laissez-donc les autres se promener joyeusement
pour le moment ; gardez à celui-là votre colère !
PIZARRO
Alors,
dépêche-toi de lui creuser sa tombe, je veux ici avoir la paix. Enferme à
nouveau les prisonniers, et puisses-tu n'être plus jamais téméraire !
CHŒUR DES
PRISONNIERS
Adieu,
chaude lumière du soleil, vite, reviens nous éclairer !
MARCELINE
Comme ils
se pressaient vers le soleil, et comme ils l'abandonnent avec tristesse !
LÉONORE,
JAQUINO
Vous avez
entendu les ordres, ne tardez donc pas, retournez dans les cachots !
PIZARRO
Eh bien,
Rocco, ne tarde pas davantage, descends dans le cachot !
ROCCO
Non,
Seigneur, je ne tarde pas davantage, je m'empresse de descendre !
[Mes membres
tremblent ! Oh, le dur et malheureux devoir !]
PIZARRO
Ne reviens
pas avant que j'aie accompli la sentence !
LÉONORE
L'angoisse
pénètre mes membres, aucun jugement ne devance l'impie !
MARCELINE
Les autres
repartent en murmurant, il n'y a ici ni plaisir ni joie !
JAQUINO
Ils
cherchent en tous sens ! Si je pouvais comprendre ce que dit chacun !
LE CHŒUR
Déjà
descend la nuit d'où bientôt ne montera plus d'aurore !
(Les prisonniers rentrent dans leurs cellules que Léonore et Jaquino
ferment à clef)
ACTE II
Scène 1
Un cachot
sombre, sous terre. À gauche, une citerne recouverte de pierres et de gravats.
À l'arrière-plan plusieurs ouvertures dans le mur, munies de grillage, à
travers lesquelles on aperçoit les marches d'un escalier vers le bas. À droite
les dernières marches et les portes de la prison. Une lampe brûle.
(Florestan est seul. Il est assis sur une pierre, une longue chaîne
fixée au mur l'enserre)
FLORESTAN
Dieu !
qu'il fait sombre ici ! Oh ! silence effroyable ! Tout est
désolé autour de moi ; hors moi, rien ne vit ? oh ! dure
épreuve ! Mais la volonté de Dieu est juste ! Je ne me plains
pas ! La mesure des souffrances t'appartient. Aux jours de printemps de la
vie, le bonheur s'est enfui en moi.
J'ai été
assez audacieux pour dire la vérité et les fers sont ma récompense. J'accepte
les souffrances que j'endure, et termine pitoyablement ma carrière, un doux
réconfort dans mon cœur : j'ai accompli mon devoir !
N'est-ce
pas une douce et agréable brise qui m'entoure ? Et ma tombe n'est-elle pas
illuminée ? Dans une rose nuée je vois un ange qui marche à mes côtés et
me console. Un ange qui ressemble à Léonore, mon épouse ! Il me conduit
vers la liberté du Royaume céleste !
(Épuisé, il s'effondre sur son siège de pierre, ses mains cachant
son visage. Rocco et Léonore descendent l'escalier, au fond de la scène. Ils portent
une cruche, un pic pour creuser et une lampe. La porte au fond s'ouvre et la
scène s'éclaire peu à peu)
LÉONORE
Qu'il fait
froid ici !
(Jetant des regards inquiets autour d'elle)
Je croyais
presque que nous n'en trouverions pas l'entrée.
ROCCO (se tournant du côté de
Florestan)
Le voici.
LÉONORE (cherchant à reconnaître le
prisonnier)
Il semble
tout à fait inanimé.
ROCCO
Peut-être
est-il mort.
LÉONORE
Mort ?
(Florestan esquisse un mouvement)
ROCCO
Non, non,
il dort. Nous n'avons pas de temps à perdre.
LÉONORE (en aparté)
[Il est
impossible de discerner ses traits. Dieu soit avec moi, si c'est lui !]
ROCCO
Voici la
citerne dont je t'ai parlé. Donne-moi le pic, et toi, mets-toi ici.
(Il descend jusqu'aux hanches dans la cavité, pose à côté de lui la
cruche et le trousseau de clés. Léonore se tient sur le bord et lui tend le pic)
Tu
trembles ? Aurais-tu peur ?
LÉONORE
Non, seulement
il fait si froid.
ROCCO
Le travail
te réchauffera vite.
(Rocco commence à travailler. Pendant ce temps Léonore utilise les
instants où Rocco se penche, pour observer le prisonnier)
ROCCO
Allons,
faisons vite, creusons hardiment, il n'y en a pas pour longtemps avant qu'il
arrive.
LÉONORE (se mettant à l'ouvrage)
Vous
n'aurez pas à vous plaindre, vous serez certainement satisfait.
ROCCO
Viens,
aide-moi donc à soulever cette pierre ! Prends garde, prends garde, elle
pèse si lourd !
LÉONORE
Je suis à
vous, n'ayez crainte, je fais tout mon possible.
ROCCO
Encore un
peu !
LÉONORE
Patience !
ROCCO
Elle
cède !
LÉONORE
Juste
encore un peu !
ROCCO
Ce n'est
pas facile !
(Ils font rouler la pierre sur les décombres)
ROCCO
Allons
faisons vite, creusons hardiment, il n'y en a pas pour longtemps avant qu'il
arrive.
LÉONORE
Laissez-moi
seulement reprendre mes forces, nous en viendrons bientôt à bout.
(Elle cherche à examiner le prisonnier ; en aparté)
[Qui que tu
sois, je veux te sauver, par Dieu ! Tu ne saurais être une victime !
Pour sûr, je détacherai tes chaînes, pauvre malheureux, je veux te
délivrer !]
ROCCO (se redressant brusquement)
Pourquoi
traînes-tu dans ton travail ?
LÉONORE (se remettant au travail)
Non, mon père,
non, je ne traîne pas.
ROCCO
Allons,
faisons vite, creusons hardiment, il n'y en a pas pour longtemps avant qu'il
arrive.
LÉONORE
Vous n'aurez
pas à vous plaindre, laissez-moi seulement reprendre mes forces car aucun
travail ne m'est difficile.
(Rocco boit à la cruche)
LÉONORE
Il
s'éveille !
(Elle descend en tremblant quelques marches)
ROCCO (à Florestan)
Alors,
vous vous êtes encore reposé ?
FLORESTAN
Reposé ?
Comment trouverais-je le repos ?
(À ces derniers mots, il se retourne et montre son visage à Léonore)
LÉONORE
Dieu !
C'est lui !
(Elle tombe sans connaissance sur le bord de la fosse)
FLORESTAN
Donnez-moi
seulement une goutte d'eau.
ROCCO
Tout ce
que je peux vous offrir, c'est un peu de vin. Fidélio !
FLORESTAN (examinant Léonore)
Qui
est-ce ?
ROCCO
Mon aide,
et dans peu de jours mon gendre.
(Il tend la cruche à Florestan, qui boit)
(À Léonore)
Tu es bien
agité !
LÉONORE (dans le plus grand trouble)
Qui ne le
serait ? Vous-même Maître Rocco...
ROCCO
Oui, c'est
vrai, cet homme a une telle voix...
LÉONORE
Oui, elle
pénètre jusqu'au fond du cœur.
FLORESTAN
Que Dieu
vous le rende dans l’autre monde, c'est le ciel qui vous a envoyés. Oh !
merci ! Vous m'avez doucement réconforté ; je ne peux vous rendre
cette bonne action.
ROCCO (doucement à Léonore)
J'ai
volontiers apaisé sa soif, le malheureux, car c’est sa dernière heure.
LÉONORE (en aparté)
[Avec
quelle violence bat mon cœur ! Il va de la joie à la peine
profonde !]
FLORESTAN (en aparté)
[Je vois
que ce jeune homme est touché, et ce vieil homme fait aussi preuve d’émotion. Ô
Dieu, Vous m'accordez donc l'espoir de pouvoir encore les gagner à ma
cause !]
LÉONORE (en aparté)
[Avec
quelle violence bat mon cœur, voici venir cette heure glorieuse et effrayante
qui apporte avec elle la mort ou le salut.]
ROCCO (en aparté)
[Je fais ce
que requiert mon devoir, mais je hais toute cruauté.]
LÉONORE (doucement à Rocco)
Ce petit
bout de pain, depuis deux jours déjà je le porte toujours sur moi.
ROCCO
Je
voudrais bien, mais je te dis que ce serait vraiment trop risquer.
LÉONORE
Ah !
Vous avez bien donné volontiers à boire au pauvre homme.
ROCCO
Ce n'est
pas la même chose, ce n'est pas la même chose.
LÉONORE
C'en est
bientôt fait de lui !
ROCCO
Bien. Qu'il
en soit ainsi, tu peux prendre ce risque !
LÉONORE
Tiens,
prends ce pain, pauvre malheureux !
FLORESTAN (saisissant la main de
Léonore et la pressant)
Oh !
merci à toi, merci ! oh ! merci !
Que Dieu
vous le rende dans l’autre monde, c'est le ciel qui vous a envoyés.
Oh, soyez
remercié pour ce que vous m’avez donné !
[Ce jeune
homme est bien ému, et cette émotion gagne le vieil homme. Oh ! si je
pouvais les convaincre !]
LÉONORE
Que le
ciel t'envoie le salut, ce me sera une grande récompense.
(À Rocco)
Vous lui avez
volontiers donné à boire !
ROCCO
Tes
souffrances dans ce cachot m'ont souvent ému, mais tout secours m'est
sévèrement défendu.
[Je lui ai
donné volontiers à boire car c’est sa dernière heure !]
FLORESTAN
Oh !
que je ne puis vous récompenser. Oh ! merci !
LÉONORE
Oh ! c’est
plus que je n’en puis supporter, pauvre malheureux !
ROCCO
[Car c’est
sa dernière heure, ce pauvre malheureux !]
(Florestan dévore le morceau de pain)
(À Léonore)
Tout est
prêt. je donne le signal.
(Il siffle fortement)
FLORESTAN (à Léonore, tandis que Rocco
va ouvrir la porte)
Est-ce là
le signal de ma mort ?
LÉONORE (avec la plus violente
émotion)
Non...
Calme-toi... N'oublie pas que partout la providence règne.
(Elle s'éloigne et va vers la citerne. Rocco revient avec Pizarro
qui se dissimule sous une cape)
PIZARRO (à Rocco, en contrefaisant
sa voix)
Tout
est-il prêt ? Le temps presse !
(Il tire un poignard)
Qu'il
meure ! Mais qu'il sache auparavant qui va lui arracher son cœur
orgueilleux. Déchirons le voile de la vengeance ! Regarde ! Tu ne
m'as pas confondu !
(Il ouvre la cape)
Pizarro,
que tu voulais renverser, Pizarro, que tu aurais dû craindre, c'est lui qui se
dresse ici en vengeur.
FLORESTAN
Je vois
devant moi un assassin !
PIZARRO
Encore une
fois souviens-toi de ce que tu m’as fait. Un instant encore seulement et ce
poignard...
(Il va transpercer Florestan. Léonore se jette en avant avec un cri
perçant et couvre Florestan de son corps)
LÉONORE
Arrière !
FLORESTAN
Ô
Dieu !
ROCCO
Qu'est-ce
donc ?
LÉONORE
Il te
faudra d'abord transpercer cette poitrine ! Que la mort soit le salaire de
ton crime !
PIZARRO
Dément !
Insensé !
(Il la repousse)
ROCCO (à Léonore)
Arrête !
Arrête !
FLORESTAN
Ô
Dieu !
PIZARRO
Il sera
puni !
LÉONORE (protégeant à nouveau son
époux)
Tue
d'abord sa femme !
PIZARRO
Sa
femme ?
ROCCO
Sa
femme ?
FLORESTAN
Ma
femme ?
LÉONORE (à Florestan)
Oui,
contemple Léonore !
FLORESTAN
Léonore !
LÉONORE (aux autres)
Oui, je
suis sa femme, j'ai fait serment de le secourir
(À Pizarro)
et de te détruire !
PIZARRO
Quelle
audace incroyable !
FLORESTAN
Mon sang
se fige de joie !
ROCCO
Mon sang
se fige de peur !
LÉONORE (en aparté)
[Je défie
sa fureur ! Qu'il meurt !]
PIZARRO
Ah !
Tremblerai-je devant une femme ? Vous serez tous deux victimes de ma colère !
Tu as
partagé ta vie avec lui, rejoins-le donc dans la mort !
LÉONORE
Meurs donc !
tu devras d'abord transpercer cette poitrine !
(Brandissant brusquement un pistolet devant elle)
Encore un
mot – et tu es mort !
(On entend la trompette sur la tour)
Ah !
Tu es sauvé ! Dieu tout-puissant !
FLORESTAN
Ah !
Je suis sauvé ! Dieu tout-puissant !
PIZARRO
Ah !
Le ministre ! Enfer et damnation !
ROCCO
Oh !
qu'est-ce ? Dieu juste !
(Pizarro reste pétrifié ; Rocco de même. Léonore et Florestan
s'embrassent. On entend la trompette sonner plus fort. Jaquino, deux officiers
et des soldats avec des flambeaux apparaissent à l'ouverture grillagé du bout
de l'escalier)
JAQUINO
Père
Rocco ! Le ministre est arrivé.
ROCCO (en aparté)
[Dieu soit
loué !]
(Les soldats descendent jusqu'à la porte. Les officiers et Jaquino
disparaissent vers le haut)
LÉONORE
L'heure de
la vengeance a sonné ! Tu es sauvé !
FLORESTAN
L'heure de
la vengeance a sonné ! Je suis sauvé !
PIZARRO
Maudite
soit cette heure ! Les imposteurs se moquent de moi !
ROCCO
Ô heure
terrible, ô Dieu, qu'est-ce-qui m'attend ?
Je ne peux
plus être au service de ce tyran furieux.
PIZARRO
Ma
vengeance se transforme en sombre désespoir, maudite soit cette heure !
LÉONORE
L'amour et
le courage alliés l’ont sauvé !
FLORESTAN
L'amour et
le courage alliés m’ont sauvé !
(Pizarro s'enfuit en faisant signe à Rocco de le suivre ;
celui-ci profite du moment où Pizarro s'éloigne déjà pour saisir les mains des
deux époux ; il les presse sur sa poitrine, désigne le ciel et s'en va
rapidement. Les soldats éclairent le chemin de Pizarro)
FLORESTAN
Léonore,
qu’as-tu fait pour moi ?
LÉONORE
Rien, mon Florestan !
LÉONORE,
FLORESTAN
Ô joie,
joie sans nom !
LÉONORE
Mon époux
sur mon sein !
FLORESTAN
Sur le
sein de Léonore !
LÉONORE,
FLORESTAN
Après ces
souffrances indicibles, de si grands délices !
LÉONORE
Te voici à
nouveau dans mes bras !
FLORESTAN
Ô Dieu !
Que ta miséricorde est grande !
TOUS DEUX
Oh !
merci à toi, Dieu, pour cette joie !
LÉONORE
Mon époux,
mon époux sur mon sein !
FLORESTAN
Ma femme,
ma femme sur mon sein ! C'est toi !
LÉONORE
C'est
moi !
FLORESTAN
Ô
ravissement céleste ! Léonore ! Léonore !
LÉONORE
Florestan !
Florestan !
Scène 2
La place
d'armes du château, avec la statue du roi. À la troisième mesure de la musique,
les gardes du château se mettent en marche et forment un carré ouvert. Puis
entre par un côté le ministre Don Fernando, accompagné de Pizarro. La foule presse
vers l'avant. De l'autre côté, conduits par Jaquino et Marceline, entrent les
prisonniers d'État qui s'agenouillent devant Don Fernando)
CHŒUR DU
PEUPLE ET DES PRISONNIERS
Béni soit
le jour, bénie soit l'heure, longtemps désirés bien qu'imprévus ; justice
et grâce alliées apparaissent à la porte de notre tombeau !
DON
FERNANDO
Le plaisir
et la volonté du meilleur des rois me conduit vers vous, malheureux, afin
d'écarter le voile de la nuit criminelle qui, lourde et sombre, recouvre tout. Non,
ne soyez pas plus longtemps des esclaves à genoux ; que la sévérité des
tyrans disparaisse ! Le frère cherche ses frères, et s'il peut venir en
aide, il aidera volontiers.
CHŒUR
Béni soit
le jour ! Bénie soit l'heure !
(Rocco se fraye un passage à travers les gardes, avec lui Léonore et
Florestan.)
ROCCO
Alors,
aidez, aidez les malheureux !
PIZARRO
Que
vois-je ? Ah !
ROCCO (à Pizarro)
Cela te
trouble ?
PIZARRO (à Rocco)
Va-t'en,
va-t'en !
DON
FERNANDO (à
Rocco)
Non, parle !
ROCCO
Par la
Grâce toute-puissante, que ce couple soit uni ! Don Florestan...
DON
FERNANDO (avec
étonnement)
Lui, que
l'on croyait mort, cet homme noble qui combattit pour la vérité ?
ROCCO
... et qui
souffrit des souffrances sans nombre.
DON
FERNANDO
Mon ami,
mon ami, celui qu'on croyait mort ? Enchaîné et pâle le voici devant moi.
LÉONORE,
ROCCO
Oui,
Florestan, vous le voyez ici.
ROCCO
Et
Léonore...
DON
FERNANDO (encore
plus saisi)
Léonore !
ROCCO
Je vous
présente le modèle des femmes ; elle vint ici...
PIZARRO
J'ai deux
mots à dire...
DON
FERNANDO
Pas un
mot !
(À Rocco)
Elle
vint...
ROCCO
....à ma
porte, et entra comme aide à mon service ; et elle rendit de si bons, de
si loyaux services que je la choisis pour gendre.
MARCELINE
Oh,
malheur à moi ! Qu'entends-je !
ROCCO
Le monstre
voulait sur l'heure accomplir son meurtre sur Florestan.
PIZARRO
Avec son
aide !
ROCCO (se désignant avec Léonore)
Avec notre
aide !
(À Don Fernando)
Seule
votre arrivée le chassa.
CHŒUR
Que le
méchant soit puni, lui qui opprima l'innocence ! Que la justice tire
l'épée de la vengeance !
(On emmène Pizarro)
DON FERNANDO
(à
Rocco)
Tu as
ouvert la tombe de cet homme noble ; enlève-lui maintenant ses
chaînes ! Mais non, halte ! c'est
à vous, noble dame, à vous seule qu'il convient de le libérer tout à fait.
LÉONORE
Ô
Dieu ! Oh, quel instant !
FLORESTAN
Oh !
douceur inexprimable de ce bonheur !
DON FERNANDO
Ô Dieu,
juste est votre jugement !
MARCELINE,
ROCCO
Vous nous
envoyez des épreuves, mais jamais vous ne nous abandonnez !
CHŒUR,
LÉONORE, MARCELINE, FLORESTAN, DON FERNANDO, ROCCO
Ô
Dieu ! Oh, quel instant ! Oh ! douceur inexprimable de ce
bonheur ! Ô Dieu, juste est votre jugement ! Vous nous envoyez des
épreuves, mais jamais vous ne nous abandonnez !
CHŒUR
Que celui
qui a une femme aimante se joigne au chœur de notre allégresse : l'on ne louera
jamais assez celle qui sauva son époux.
FLORESTAN
Ta
fidélité a soutenu ma vie, la vertu effraie le méchant.
LÉONORE
L'amour a
guidé mes efforts, le véritable amour ne craint rien.
CHŒUR
Louez dans
la joie enthousiaste le noble courage de Léonore.
FLORESTAN,
CHŒUR
Ô
Dieu ! Oh, quel instant ! Oh ! douceur inexprimable de ce
bonheur ! Ô Dieu, juste est votre jugement ! Vous nous envoyez des
épreuves, mais jamais vous ne nous abandonnez !
LÉONORE
Par amour
j'ai réussi à te libérer de tes chaînes. Que l'on chante hautement cet amour, Florestan
est à moi de nouveau !
MARCELINE,
JAQUINO, DON FERNANDO, ROCCO
Que celui
qui a une femme aimante se joigne au chœur de notre allégresse : l'on ne louera
jamais assez celle qui sauva son époux.
CHŒUR
Que celui
qui a une femme aimante se joigne au chœur de notre allégresse : l'on ne louera
jamais assez celle qui sauva son époux.
MARCELINE
Par amour
elle a réussi à le libérer de ses chaînes.
FLORESTAN
Par amour
tu as réussi à me libérer de mes chaînes.
JAQUINO,
DON FERNANDO, ROCCO
Par amour
elle a réussi à le libérer de ses chaînes.
CHŒUR
On ne louera
jamais assez celle qui sauva son époux.
FIN