Introduction
Faut-il te répéter quelles sont ces guerres et ces combats qui
nous attendent après le baptême ? [...] Regarderais-tu alentour quel
chemin il faut prendre, quel champ de bataille il faut choisir ? Tu vas
trouver, sans doute, mes paroles étonnantes ; elles sont vraies
pourtant : limite tes recherches à toi seul ! En toi est le combat
que tu vas livrer, à l'intérieur de toi l'édifice de malice qu'il faut
saper ; ton ennemi sort du fond de ton cœur. Ce n'est pas moi qui le dis,
mais le Christ : « C'est du cœur que viennent les mauvaises pensées,
les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages,
les paroles injurieuses » (Mt 15, 19).
Origène, Homélies sur
Josué 5, 2
Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes.
Arthur Rimbaud, Une
saison en enfer
Un
des aspects aujourd'hui les plus négligés de la vie chrétienne est certainement
celui du combat spirituel, qui constitue pourtant un élément fondamental en vue
de l'édification d'une personnalité humaine (puis chrétienne) solide et mature 1.
Le relativisme éthique et la culture dominante du et-et,
qui font rêver à la possibilité d'un style de vie exempt du
risque et du labeur liés au choix, semblent rendre déplacée et inactuelle la
réflexion sur la nécessité du combat intérieur. Toutefois, pour chaque chrétien
— et non seulement pour les moines —, la lutte spirituelle est plus que jamais
essentielle. Il s'agit du combat invisible où l'homme s'oppose et résiste au
mal, et où il lutte pour ne pas être vaincu par les tentations, ces pulsions et
ces suggestions qui sommeillent dans les profondeurs du cœur mais qui se
dressent souvent et émergent avec une force agressive, jusqu'à prendre les
traits de tentations séduisantes. L'homme peut contrer les leurres de la tentation,
mais il ne parvient pas à les anéantir définitivement ; c'est pourquoi le
chrétien prie chaque jour en demandant de ne pas succomber face à la tentation
(voir Mt 6, 13). Vraiment, selon la clairvoyante synthèse d'Origène, « la
tentation fait de l'homme un martyr ou un idolâtre 2 ».
Malheureusement,
combien sont ceux qui connaissent aujourd'hui cet art du combat, que ma
génération recevait encore fréquemment en héritage de guides spirituels
ordinaires ? Victimes de cette ignorance, nombreux sont les chrétiens qui
se sont accoutumés à succomber aux tentations, convaincus qu'il n'y a rien à
faire contre elles, puisqu'ils n'ont jamais rien appris à leur égard. Certes,
la lutte contre les tentations est très dure, mais sans elle le chrétien se
rend à la mentalité mondaine, il cède au mal ; il commence par alimenter
en soi à la fois des attitudes religieuses et des aliénations idolâtres, en une
sorte de schizophrénie spirituelle, pour finir par vider complètement la foi de
son sens. En effet, lorsqu'on commence à ne pas vivre comme on pense, on finit
par penser comme on vit !
Il
faut donc prendre au sérieux cette lutte : ceux qui rient devant abba
Antoine, opprimé dans le désert par les esprits mauvais qui lui apparaissent
« sous forme de bêtes et de serpents 3 »,
sont des personnes superficielles qui ne se connaissent pas elles-mêmes ou qui
sont constamment vaincues par les tentations, au point de ne plus s'en
apercevoir. Il faut pourtant dire clairement que l'édification d'une
personnalité humaine et spirituelle robuste n'est pas possible sans le combat
intérieur, sans un exercice au discernement entre le bien et le mal, qui permet
de parvenir à dire des « oui » convaincus et des « non »
efficaces : « oui » à ce que nous pouvons être et faire en
conformité au Christ ; « non » aux pulsions égocentriques qui
nous aliènent et contredisent nos rapports avec nous-mêmes, avec Dieu, avec les
autres et avec les choses, rapports appelés à être caractérisés par la liberté
et l'amour. Revenir sur ce sujet ne signifie donc ni tomber dans un dualisme
spirituel, selon lequel il faudrait nier l'humain pour affirmer Dieu, ni
s'abîmer dans une attitude piétiste et individualiste. Cela signifie au
contraire affirmer la dimension humaine et chrétienne essentielle d'une ascèse
— mot qui, ne l'oublions pas, signifie « exercice » —, d'un combat
pour parvenir à une vie pleine et accomplie : la vie chrétienne, une vie
« à la stature du Christ » (Ep 4, 13).
Le combat spirituel
On disait d'un saint qu'il avait confessé la foi durant la
persécution et qu'il avait été torturé au point qu'on l'avait assis sur un
siège de fer enflammé. Sur ces entrefaites vint le règne de l'empereur
Constantin et les chrétiens furent relâchés. Une fois guéri, ce saint retourna
dans sa cellule. Dès qu'il la vit de loin, il dit : « Malheur à moi,
car me voici revenu à bien des maux ! » Il disait cela des combats et
des luttes contre les démons.
Apophtegmes des Pères du
désert,
Collection anonyme, N 469
Collection anonyme, N 469
Voici la grande œuvre de l'homme : rejeter sur soi-même sa
faute devant Dieu et s'attendre à la tentation jusqu'au dernier soupir.
Apophtegmes des Pères du
désert,
Collection alphabétique, Antoine 4
Collection alphabétique, Antoine 4
Le
thème du combat spirituel, fermement enraciné dans le message biblique, a été
affronté et approfondi dans de nombreux textes de la tradition patristique et
de la littérature ascétique, surtout monastique, tant en Orient qu'en Occident 4.
Les écrits d'Évagre le Pontique (345-399) et de Jean Cassien (360-435), deux auteurs
sur lesquels nous reviendrons à propos des huit « pensées » ; le
Combat chrétien d'Augustin (396) ; Le manuel du soldat chrétien d'Érasme
de Rotterdam (1503) ; le célèbre traité de Lorenzo Scupoli (1530-1610) Il
combattimento spirituale (Le combat spirituel), qui fut notamment traduit
en grec par Nicodème l'Hagiorite à la fin du XVIIIe siècle et, à
travers cette version, atteignit également la Russie où il fut réélaboré par
Théophane le Reclus à la fin du XIXe siècle : ce ne sont là que
certaines parmi les œuvres les plus significatives consacrées expressément ou
en bonne partie à notre sujet. Cet héritage que les grands spirituels du passé
nous ont laissé doit aujourd'hui plus que jamais être redécouvert et
valorisé : la vie selon l'Esprit (voir Rm 8, 5 ; Ga 5, 16.25), à
laquelle tout chrétien est appelé, comporte en effet une connaissance de soi,
une compréhension des mécanismes qui régissent la tentation, un discernement de
notre faiblesse particulière pour pouvoir combattre le péché avec vigueur.
Le péché (hamartia) est
une puissance personnifiée qui œuvre en l'homme et à travers l'homme, contre
l'homme lui-même et sa volonté, comme l'a attentivement relevé Paul :
« Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le
fais pas, mais ce que je hais, je le fais » (Rm 7, 15). Tous les hommes
font l'expérience de la réalité du péché (voir Rm 3, 23 ; Ga 3, 22), une
puissance déformante qui s'objective en des péchés singuliers, lesquels sont
tous, à travers des manifestations différentes 5, des formes de
relation négative et destructive à l'égard de l'humanité de l'autre, en
commençant par ce premier autre qu'est le « moi » face à soi-même. En
profondeur, tous les péchés peuvent donc être ramenés à un seul grand
péché : la négation de l'alliance et de la communion, c'est-à-dire la
rupture par laquelle le « moi », de « moi avec les
autres », se pervertit en « moi contre les autres ». Cette
réalité mortifère est le véritable grand ennemi contre lequel il s'agit de
lutter. Et seul celui qui entre dans la logique de ce combat peut conserver la
foi avec persévérance jusqu'à la fin, jusqu'à affirmer : « J'ai
combattu le beau combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi » (2 Tm
4, 7).
Les racines de la réflexion
sur le combat spirituel se trouvent — comme je le disais — dans l'Écriture. Dès
les premières pages de la Genèse, l'Ancien Testament connaît le commandement de
dominer l'instinct mauvais qui habite le cœur humain : « le péché,
tapi à ta porte, te désire ; mais toi, domine-le (Gn 4, 7) ;
« l'instinct (jezer) du cœur de l'homme est porté au mal dès sa
jeunesse » (Gn 8, 21). Cette lutte est à ce point nécessaire que Jésus
même ne s'y est pas soustrait, et sa confrontation dans le désert avec le
Tentateur nous le montre clairement (voir Mc 1, 1213 ; Mt 4, 1-11 ;
Lc 4, 1-13). Plus encore, comme Jésus, immédiatement après avoir été baptisé
par Jean, a connu l'assaut de Satan, de même tout baptisé devra s'attendre à
une dure opposition de la part de l'Adversaire qui cherchera à le détourner de
son chemin de suivance. Pour le chrétien, le combat spirituel est donc une
exigence inhérente au baptême, qui concourt à définir son identité de foi :
« Par le baptême, le chrétien s'engage à demeurer toujours en tenue
militaire, à porter ce que Paul appelle les "armes de la justice" (Rm
6, 13-14) et les "armes de la lumière" (Rm 13, 12) »6.
Développant ces instances,
le Nouveau Testament décrit à plusieurs reprises la vie chrétienne comme une
lutte. Il ne s'agit pas d'une lutte opposant les hommes entre eux, mais les
mettant aux prises avec les dominantes du mal et du péché (voir Ep 6,
1017) : c'est le « combat de la foi » (1 Tm 6, 12), qui naît de
la foi et y tend (voir 2 Tm 4, 7) ; c'est un combat intérieur que le
croyant doit mettre en œuvre pour s'opposer à la « loi du péché qui fait
la guerre à la loi de Dieu » (voir Rm 7, 22-23), aux « passions qui
guerroient dans ses membres » (voir Je 4, 1), aux « désirs de la
chair qui font la guerre à la vie » (voir 1 P 2, 11). Ce combat a pour
adversaire « le péché qui sait si bien nous entourer » (He 12,
1) ; les « puissances de l'air » (Ep 2, 2), indiquées par des
noms divers (voir Ep 6, 12) ; « le diable » (Ep 6, 11),
« le Malin » (Ep 6, 16) : en un mot, toutes les forces
maléfiques, intérieures ou extérieures au chrétien, qui cherchent à le ramener
à sa condition pré-baptismale d'idolâtre.
Le combat spirituel exige
de nous que nous apprêtions chaque fibre de notre être à l'action réalisée par
Dieu en nous : « Le pire, dans la tentation, est de croire que nous
combattons seuls. Dieu, qui nous tend la main, combat pour nous et avec nous »7.
Ce combat a le Christ lui-même pour protagoniste ; c'est
lui que nous pouvons invoquer avec les mots du psaume : « Dans mon
combat, viens combattre toi-même ! » (voir Ps 43, 1 ; 119, 154).
Voilà encore une fois l'enseignement que nous a laissé Antoine le Grand :
« Chacun de ceux qui combattent ainsi peut dire : "Ce n'est pas
moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi" (1 Co 15, 10). [...] Chasser
des démons, c'est là le don gratuit du Sauveur »8. Seul le
Christ, qui vit en chacun de nous, peut vaincre le mal qui nous habite, et la
lutte spirituelle est exactement l'espace dans lequel la vie du Christ triomphe
sur la puissance du mal, du péché et de la mort. En définitive, ce combat a
pour unique but de nous faire « revêtir le Seigneur Jésus Christ »
(voir Rm 13, 14), jusqu'à pouvoir répéter en vérité avec Paul : « Je
vis, mais ce n'est plus moi, c'est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).
Assurément, ce thème de la
lutte spirituelle est de ceux qui nécessitent aujourd'hui d'être reformulés,
repensés à la lumière des catégories anthropologiques et des connaissances
psychologiques auxquelles nos contemporains — à la différence de l'Écriture et
des Pères — peuvent prétendre. Il faut pour cela décoder le langage de
l'Écriture et des Pères, et c'est ce que je tenterai de faire dans les pages
qui suivent. Par ailleurs, même si l'usage même des mots « lutte » et
« combat » peut susciter plus d'une perplexité, je considère
toutefois qu'il est opportun de s'en tenir à cette terminologie
traditionnelle : elle a l'avantage, dans sa dureté et dans son impopularité,
de mettre immédiatement en évidence l'âpreté qui caractérise le combat dont
nous parlerons et elle constitue dès lors une invitation claire à le prendre au
sérieux. Martyrius, un Père syriaque du vue siècle,
écrivait :
Est-ce
que par hasard la lutte intérieure, l'effort sur les pensées et la guerre
contre les passions, ne seraient pas aussi rudes que la guerre extérieure
contre les persécuteurs et que la torture du corps ? Il me semble, à moi,
qu'ils sont encore plus rudes, dans la mesure où Satan est plus cruel et plus
méchant que les hommes méchants [...]. Tant qu'il y aura souffle dans nos
narines, n'arrêtons donc pas, ne cessons pas de combattre ; ne nous
laissons pas abattre ni mettre en déroute devant lui ; mais persévérons à
lutter contre lui jusqu'à la mort, afin de recevoir de notre Seigneur la
couronne de la victoire, au jour de la rétribution (voir 2 Tm 4, 8)9.
Le cœur, lieu du combat
spirituel
Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu (Mt 5, 8).
Que le Seigneur ouvre votre cœur à sa lumière
pour que vous sachiez quelle espérance
vous donne son appel (Ep 1, 18).
Que le Seigneur ouvre votre cœur à sa lumière
pour que vous sachiez quelle espérance
vous donne son appel (Ep 1, 18).
La
vie spirituelle, et donc aussi la lutte, procède d'un centre intime,
d'un organe central de l'homme, que la Bible, puis les Pères, appellent le
« cœur ». Il s'agit d'un concept qui va bien au-delà de la valeur
presque exclusivement affective que notre culture lui attribue. Dans
l'anthropologie biblique, en effet, le cœur est le lieu de l'intelligence et de
la mémoire, de la volonté et du désir, de l'amour et du courage. En un mot,
c'est l'organe qui représente le mieux la vie dans sa totalité :
« Siège de la vie sensible, de la vie affective et de la vie
intellectuelle, le cœur contient les éléments constitutifs de ce que nous
appelons la personne »10.
Il
n'est pas facile de parler de ce lieu impénétrable (voir Ps 64, 7) ;
toutefois, si l'on ne distinguait pas le cœur comme le centre de notre
personne, comme l'espace où l'on parvient à une connaissance qui ne soit pas
rationnelle ou intellectuelle, on ne pourrait pas davantage entreprendre ce long et patient
pèlerinage en direction de notre être profond qu'est la vie spirituelle. À cet
égard, n'oublions pas la splendide expression qu'utilise la Première lettre de
Pierre : « l'homme caché du cœur » (ho kryptòs tês kardías
ànthropos : 1 P 3, 4). En chaque être humain se voile un homme
intérieur : sa tâche est d'en être conscient et de tout prédisposer afin
que cette identité profonde croisse et « se renouvelle de jour en
jour » (2 Co 4, 16).
C'est dans le cœur que se
produit la synergie entre la « grâce sanctifiante qu'est l'Esprit
Saint » (Karl Rahner) et l'esprit de l'homme, avec un « e »
minuscule : « L'Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous
sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 16). Certes, il est très difficile, voire
impossible, de déterminer où prend fin l'action de l'Esprit de Dieu et où
commence celle de l'esprit humain. Autrement dit : « Qui peut
connaître le cœur ? Moi, le Seigneur, qui scrute le cœur et examine les
profondeurs (litt. : les reins) » (Jr 17, 9-10 ; voir Ps 7,
10 ; Lc 16, 15 ; etc.). C'est dans le cœur, la partie la plus secrète
de chaque être humain, qu'est imprimée l'image de Dieu en nous. Dieu seul est
capable d'y porter un regard « autre », plus profond et véridique que
notre propre lecture : « Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus
grand que notre cœur et il discerne tout » (1 Jn 3, 20). C'est dans le
cœur que se posent les dons divins : l'Esprit Saint (Ga 4, 6), l'amour de
Dieu (Rm 5, 5), la paix du Christ (Col 3, 15) ; le Christ lui-même habite
par la foi en nos cœurs (Ep 3, 17). Le cœur apparaît ainsi comme le lieu de la
demeure de Dieu en l'homme, et tout à la fois l'organe d'où la réponse de
l'homme monte vers Dieu par le biais de l'amour (voir Mc 12, 30 et par.), la
foi (voir Rm 10, 10), l'espérance (voir Ep 1, 18) et la prière (voir Ga 4, 6 ;
Ep 5, 19 ; Col 3, 16).
Dans cet espace qui échappe
à la rigueur des concepts, mais que le langage symbolique peut pénétrer, Dieu
peut parler à l'homme et l'inviter à répondre, à commencer avec lui un dialogue
(voir Os 2, 16-17). Et c'est exactement à ce niveau que se situe
quotidiennement le choix entre « un cœur qui écoute » (lev shomea‘ :
1 R 3, 9), qui lutte pour accueillir et faire fructifier la Parole de Dieu
semée en lui, et un cœur insensible à la Parole, qui finit inévitablement par
sombrer dans cette incrédulité que le Nouveau Testament définit comme
« dureté de cœur » (sklerokardía : Mt 19, 8 ; Mc 10,
5 ; 16, 14). En accueillant dans son cœur la Parole de Dieu — qui est
« vivante, énergique et plus tranchante qu'aucun glaive à double
tranchant. Elle pénètre jusqu'à diviser âme et esprit, articulations et
moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur » (He
4, 12) —, on s'ouvre à l'action de la grâce, c'est-à-dire aux énergies de
l'Esprit Saint, en mesure de transfigurer tout notre être. On ne répétera
jamais assez combien il est essentiel de laisser place à l'écoute de la Parole
de Dieu et à l'accueil de son Esprit ; ce n'est que si on lui apprête
cette disponibilité que Dieu pourra purifier et recréer le cœur humain (voir Ps
51, 12), et porter ainsi à terme son désir : « Je vous donnerai un
cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j'enlèverai de votre
corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36,
26).
Il est évident que c'est
précisément sur ce terrain que s'enracine la lutte spirituelle. En effet, si le
cœur est le lieu de la rencontre intime et de l'alliance entre Dieu et l'homme,
il est également le siège des convoitises et des passions fomentées par la
puissance du mal : « C'est de l'intérieur, c'est du cœur des hommes
que sortent les intentions (dialoghismoí) mauvaises » (Mc 7, 21).
Le cœur devient ainsi le lieu où s'affrontent les astuces de Satan et l'action
de la grâce de Dieu. Nous en faisons l'expérience chaque jour : le cœur
peut être sans intelligence, incapable de comprendre et de discerner (voir Mc
6, 52 ; 8, 17-21) ; il peut se fermer à la compassion (voir Mc 3, 5),
nourrissant rancœur et haine (voir Lv 19, 17), jalousie et concupiscence (voir
Jc 3, 14) ; il peut être mensonger et « double » (dípsychos 11 :
Jc 1, 8 ; 4, 8). De plus, il est possible d'appliquer à tout péché ce
que Jésus affirme de manière synthétique et très claire à propos de l'adultère
(voir Mt 5, 28) : avant d'être extérieurement réalisé et de nous mener sur
les sentiers mortifères de la dissemblance de Dieu, tout péché a déjà été
consommé dans le cœur, car ce sont les réalités qui sortent du cœur qui rendent
l'homme impur (voir Mc 7, 23).
Le cœur est donc le lieu du
combat invisible ; c'est là que peut commencer le retour à Dieu, la
conversion (voir Jr 3, 10 ; 29,13), ou que l'on peut succomber à la
séduction du péché et à l'esclavage de l'idolâtrie. Quelles guerres, quelles
luttes se produisent dans le cœur ! Et plus on est proche de Dieu, feu
dévorant, plus on connaît ce combat corps à corps avec le démon... C'est une
lutte extrêmement dure, qui vise à rendre notre « cœur unifié » (Ps
86, 11), capable de collaborer à la vie nouvelle réalisée en nous par le Père,
à travers la foi dans le Christ mort et ressuscité, dans la puissance de
l'Esprit Saint. Mais il s'agit de la bataille fondamentale à laquelle le chrétien
est appelé. En effet, « seul un cœur de chair peut vraiment battre, peut
animer tout le corps. Dans un tel cœur uniquement l'Esprit peut descendre, et
le cœur autrefois fermé à l'abondance de la grâce s'ouvre de nouveau à son
dessein d'amour »12. Évidemment, parler du cœur comme du lieu
du combat spirituel signifie le comprendre également comme le lieu d'un patient
travail intérieur sur le plan purement humain. C'est un travail difficile et
fatigant, qui exige la capacité d'attention, qui demande qu'on habite
consciemment le silence et la solitude, qu'on pense, qu'on s'écoute soi-même,
qu'on lise, qu'on élabore intérieurement ce qu'on vit extérieurement. Tout
cela, dans la certitude que ce qui est authentiquement humain est
authentiquement chrétien.
En somme, c'est dans le
cœur de l'homme qu'a lieu, toujours à nouveau, la décision essentielle, celle
dont dépend le sens de toute existence : cheminer sur la voie de la koinonía,
de la communion, ou sur celle de la philautía, de l'amour de soi.
Les règles du combat
spirituel
Qu'est-ce qui est le propre du chrétien ? C'est de veiller
à toute heure du jour et de la nuit et de se tenir prêt dans la perfection qui
plaît à Dieu, car il sait que le Seigneur vient à l'heure à laquelle il ne
pense pas.
Basile
de Césarée, Règles
morales 80
Si tu pars à
la recherche de la liberté, apprends avant tout
La discipline de tes sens et de ton âme, afin que tes désirs
Et tes membres ne te mènent pas tantôt ici, tantôt là.
Que ton esprit et ton corps soient chastes, entièrement soumis à toi-même
Et que, dociles, ils cherchent le but qui leur est assigné.
Personne ne sonde le mystère de la liberté, si ce n'est dans la discipline.
La discipline de tes sens et de ton âme, afin que tes désirs
Et tes membres ne te mènent pas tantôt ici, tantôt là.
Que ton esprit et ton corps soient chastes, entièrement soumis à toi-même
Et que, dociles, ils cherchent le but qui leur est assigné.
Personne ne sonde le mystère de la liberté, si ce n'est dans la discipline.
Dietrich
Bonhoeffer, Résistance
et soumission,
Genève, Labor et Fides, 2006, p. 461-462
Genève, Labor et Fides, 2006, p. 461-462
1. La dynamique de la tentation
Reprenant
la tradition patristique, nous pouvons reconnaître un dynamisme constant à
travers lequel la tentation se développe dans le cœur de l'homme. En
simplifiant les indications des Pères, il est possible de tracer un itinéraire
qui se compose de quatre étapes : suggestion, dialogue, consentement, passion 13.
La tentation se présente au
cœur de l'homme à partir de « stimuli » qui, même s'ils concernent
des objets ou des créatures extérieurs à nous, se traduisent bien vite en
activité imaginative et psychologique. Dans notre cœur affleure une suggestion,
c'est-à-dire la possibilité d'une action mauvaise : une pensée ou une idée
fugitive sollicitent notre imaginaire, et cet appel remonte du subconscient à
la conscience, devenant une « suggestion séduisante » (Ps 36, 2). Un
élémentaire discernement démontre qu'il s'agit d'une pensée mauvaise, dont
l'origine ne se trouve pas en Dieu : elle provoque un trouble de notre
cœur, le prive de la paix et le livre à l'inquiétude, à l'anxiété, à
l'excitation. Comme on l'a vu plus haut, le récit de la Genèse, déjà, présente
le péché comme une force insidieuse et agressive prête à prendre possession de
l'homme, comme une bête sauvage tapie qui se prépare à sauter sur sa proie
(voir Gn 4, 7) : « Le lion est à l'affût de sa proie, ainsi le péché
guette ceux qui pratiquent l'injustice » (Si 27, 10 ; voir 1 P 5, 8).
Si l'on recourt à une autre
image, on peut affirmer que la suggestion exerce sur le cœur humain une force
de séduction analogue à l'attraction sexuelle ; voilà pourquoi le
psalmiste décrit l'itinéraire qui conduit l'homme à consommer le péché en se
servant précisément de la métaphore sexuelle : le pécheur
« conçoit » le mal, il « porte » le méfait et
« enfante » le malheur (voir Ps 7, 15). Et le
Nouveau Testament y fait écho : « Chacun est tenté par sa propre
convoitise, qui l'entraîne et le séduit. Une fois fécondée, la convoitise
enfante le péché, et le péché, arrivé à maturité, engendre la mort » (Jc
1, 14-15).
Même indépendamment des
témoignages bibliques, notre expérience nous enseigne que la tentation est
constitutive de l'être humain : nous sommes tous tentés et aucune
tentation ne nous est étrangère ! Pour les Pères du désert, cela est si
vrai que la reconnaissance de la tentation et la prise en charge du combat
contre elle sont indispensables au salut : « Quiconque n'a pas été
tenté ne pourra entrer dans le Royaume des cieux. Supprime les tentations, et
pas un n'est sauvé »15. Bien sûr, ces mouvements initiaux sont
involontaires et ils se différencient de personne à personne, selon les
dominantes auxquelles chacun est plus exposé en raison de sa structure
personnelle, de son histoire, de ses tendances au péché. Ces suggestions
dépendent toutefois aussi de notre manière de vivre : les rencontres, les
lectures, les images s'inscrivent en nous et laissent des traces et des échos
qui ressuscitent sans crier gare avec la puissance accrue du désir... Le combat
exige dès lors comme condition préliminaire un contexte d'hygiène des sens, des
yeux en particulier, des images que nous emmagasinons et que nous
cultivons ; une grande vigilance sur notre imaginaire est requise.
La suggestion particulière
qui naît en nous dévoile la qualité de notre cœur, elle manifeste les désirs et
les fantasmes qui l'habitent : savoir donner leur nom aux pensées qui nous
séduisent signifie déjà entrer dans une connaissance embryonnaire de soi et de
ses propres fragilités, et ainsi se prédisposer à la lutte. Il s'agit ainsi
d'interpréter la suggestion pour comprendre si elle est bonne ou mauvaise.
L'exemple d'abba Antoine, bien qu'il faille décoder son langage, nous vient en
aide encore une fois :
Lorsqu'une
apparition se produit, qu'on ne succombe pas à la crainte mais qu'on commence
par l'interroger avec courage sur sa nature : « Qui es-tu, d'où
viens-tu ? »15.
Une fois reconnue la
qualité mauvaise de la suggestion, il faut commencer résolument la lutte :
les « pensées » doivent être brisées dès leur naissance. À ce propos,
ce que la Règle de saint Benoît affirme du bon moine vaut pour tout
chrétien, lorsqu'elle reprend une exégèse allégorique du Psaume 136 (137), 9
qui proclame heureux celui qui broiera sur le rocher les nourrissons de
l'ennemie Babylone : il s'agit de celui qui « chasse de son cœur le
diable, inspirateur de quelque mauvais dessein, et cette suggestion
elle-même ; il les réduit à rien ; il saisit cette engeance de la
pensée diabolique et la fracasse contre le Christ »16. Si le
serpent — affirment les Pères en s'inspirant de Gn 3, 15 — n'est pas saisi à la
tête avant qu'il s'insinue dans la cellule, le combat devient décidément plus
difficile et il est peut-être déjà perdu...
Il s'agit là d'images
différentes, mais qui expriment une nécessité unique, celle d'entreprendre sans
délai le combat contre l'impulsion qui affleure dans notre cœur :
« Il est bon, frère, de ne pas faire le mal, même en pensée ; et si
tu es tenté, lutte pour ne pas succomber, réagis au moins pour ne pas commettre
le péché »17. Oui, soit on vainc la tentation, soit elle nous
vainc : tertium non datur, il n'existe pas de troisième voie !
En effet, si l'on s'entretient, ne serait-ce que psychologiquement, avec la
suggestion, et que l'on instaure avec elle un dialogue, cette suggestion
grossit au point de devenir une présence harcelante et obsédante, qui nous
domine et nous prive de notre liberté intérieure. C'est là, notons-le en
passant, un moment essentiel notamment pour une saine hygiène de la
psyché : la dépression, en effet, commence justement par une pensée fixe
qui nous assaille et nous ôte peu à peu l'envie de vivre.
Il est évident que
l'« entretien plaisant » (Éphrem le Syrien)18 avec la
suggestion, cette consommation invisible et intérieure du péché, représente
ensuite le prélude à sa manifestation concrète par le biais d'actions
pécheresses. Plus précisément, le fait que ce dialogue se prolonge de manière
complaisante est le signe du consentement à la tentation, qui constitue le
stade où la décision d'agir comme elle nous le suggère est désormais définitivement
prise : « Le signe du consentement c'est que la chose plaise à
l'homme, qu'il s'en réjouisse dans son cœur et qu'il y pense volontiers. Au
contraire, si on contredit la pensée et qu'on lutte pour ne pas l'accepter, il
n'y a pas consentement, mais lutte ; et cela met l'homme à l'épreuve et le
fait progresser »19. Puis, lorsque le consentement est réitéré,
alors s'instaure l'habitude au péché, et il s'agit là de ce que les Pères
appellent la « passion » : une sorte d'accoutumance au vice,
« un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l'âme et qui, désormais,
lui a fait contracter une liaison intime avec lui et l'a établie comme dans une
disposition habituelle, en vertu de laquelle elle s'y porte d'elle-même,
spontanément et par affinité »20.
2. Se préparer au combat : vigilance et attention
Connaissant la dynamique
qu'on vient de décrire, le croyant doit se préparer au combat spirituel, car il
s'agit là de la condition préalable pour obtenir quelque résultat. Cela exige
avant tout que l'on soit « éveillé à soi et à Dieu » (Henri Le Saux),
que l'on s'éveille du somnambulisme spirituel, de la torpeur. « Voici
l'heure de sortir du sommeil » (voir Rm 13, 11), avertit Paul avec force,
et toute la parénèse néotestamentaire rappelle qu'il faut « veiller »
(gregoreîn : voir Mt 24, 42.43 ; 25, 13 ; 26, 41 ;
Mc 13, 37 ; 14, 38 ; Lc 12, 37 ; 1 Co 16, 13 ; Ap 3,
2.3 ; 16, 15 ; etc. ; agrypneîn : voir Mc 13,
33 ; Lc 21, 36 ; Ep 6, 18 ; He 13, 17), « être
attentif » (blépein : voir Mc 13, 23.33 ; Ep 5, 15 ;
Col 4, 17 ; He 3, 12 ; 2 In 8 ; etc.), « être sobre et
tempérant » (néphein : voir 1 Th 5, 6.8 ; 2 Tm 4,
5 ; 1 P 1, 13 ; 4, 7 ; 5, 8), « être sur ses gardes » (proséchein :
voir Lc 17, 3 ; Ac 20, 28 ; etc.). Il est significatif que, dans
la majorité des cas, ces appels se réfèrent à une attitude que la personne est
appelée à assumer à l'égard d'elle-même. Au lieu de juger le comportement
d'autrui, chacun de nous devrait avoir le courage de regarder
avant tout à soi-même (voir Mt 7, 3-5 ; Lc 6, 41-42) ; rien ni
personne ne peuvent en effet remplacer la responsabilité personnelle.
Attitude globale
d'attention, de tension intérieure, la vigilance introduit le croyant dans un
état de lucidité spirituelle qui lui permet de discerner la présence du
Seigneur et d'ouverture pour faire place en soi à sa venue. Elle fait de lui
précisément un homo vigilans. La vigilance représente le milieu vital de
la foi, de l'espérance et de la charité21, et elle constitue un
moyen très efficace de lutte contre ce qu'un moine du VIe siècle
définissait les « trois géants puissants et vigoureux » : l'ignorance,
l'oubli, la négligence 22. Elle est, de fait, la matrice de toutes
les vertus chrétiennes, comme l'avait bien compris abba Poemen lorsqu'il
affirmait : « Nous n'avons besoin que d'une intelligence en éveil »23.
L'effort de vigilance, visant à dégager le cœur du croyant des distractions et
des pathologies qui lui empêchent la vie spirituelle, contribue à créer l'homme
« non distrait » (aperíspastos : voir 1 Co 7, 35) et
« non inconstant » (ameteóristos, terme cher à Basile de
Césarée). Voilà l'alternative fondamentale : d'un côté on trouve l'homo
dormiens, qui vit sous le signe de la torpeur et de la peur ; il
craint le labeur et la douleur de se connaître soi-même ; il vit en
surface ; il est paresseux et négligeant ; il préfère se dissiper
dans l'activisme et dans les nombreuses paroles plutôt que d'affronter l'effort
du descensus ad cor, de la descente vers son propre cœur. De l'autre
côté, il y a l'homo vigilans, celui qui est présent à soi-même, aux
autres et à Dieu ; il est attentif aux événements et aux rencontres ;
il plonge ses racines dans les profondeurs et ne cherche pas en dehors de soi
les motivations de son action ; il est capable de discernement, de prise
de responsabilité, d'amour mûr et intelligent ; ce n'est pas un homme
« d'un moment » (próskairos : Mc 4, 17 ; Mt 13, 21),
mais une personne patiente, en mesure d'affronter le grand défi de la durée.
La vigilance crée donc les
présupposés qui rendent possible à l'homme la réponse à l'amour prévenant de
Dieu à son égard. Elle est éminemment active et affermit le croyant en faisant
de lui une personne capable de résister, de combattre, de nourrir et de
défendre sa propre intériorité, de transformer l'énergie vitale déviée ou
bloquée dans les passions idolâtres en énergie permettant de poursuivre l'agapè,
la charité envers Dieu, envers tous les frères et toutes les créatures. Ce
n'est pas un hasard si la tradition spirituelle — obéissant au commandement du
Seigneur : « Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la
tentation » (Mc 14, 38 et par.) — a associé la vigilance à la lutte
spirituelle et à la prière, laquelle est l'arme par excellence de ce combat.
Dans la tradition chrétienne orientale, l'attitude de vigilance, définie par
des noms différents, a reçu à juste titre le rôle d'instrument privilégié du
combat contre le péché et, avant cela même, contre les tentatives démoniaques
de s'introduire dans l'esprit humain à travers les loghismoí, les
« pensées », les suggestions de l'esprit et du cœur. Il est utile, à
ce propos, de relire un des nombreux textes de la Philocalie où il est
question précisément de la vigilance et de l'attention comme porte d'accès à
l'art du combat spirituel :
Nos Pères, entendant le
Seigneur dire dans le saint Évangile que c'est du cœur que sortent les
mauvaises pensées, les meurtres, les prostitutions, les adultères, les vols,
les faux témoignages, les blasphèmes, et que c'est là ce qui souille l'homme
(voir Mt 15, 19-20), entendant aussi l'Évangile nous demander de purifier
l'intérieur de la coupe, pour que l'extérieur également devienne pur (voir Mt
23, 26), ont laissé toute autre œuvre spirituelle et se sont totalement adonnés
à ce combat, c'est-à-dire à la garde du cœur, persuadés que, par cette œuvre,
ils pourraient aisément acquérir toute autre vertu, dès lors qu'il n'est pas
possible qu'aucune vertu perdure autrement. Cette œuvre, certains parmi nos
Pères l'ont appelée hesychía du cœur, d'autres l'ont nommée attention,
d'autres sobriété vigilante et réfutation, d'autres examen des pensées et garde
de l'intelligence [. :.]. C'est pourquoi il est dit : « Si la
suggestion du diable t'assaille, ne le laisse pas entrer dans ton lieu » (Qo
10, 4). Par lieu, il entend le cœur. Et notre Seigneur dit dans le saint
Évangile : « Ne vous laissez pas entraîner » (Lc 12, 29),
c'est-à-dire ne dispersez pas votre intelligence ici et là [...]. Celui qui
n'est pas attentif à garder son intelligence ne peut pas devenir pur en son
cœur, pour être jugé digne de voir Dieu (voir Mt 5, 8). Celui qui n'est pas
attentif ne peut pas devenir pauvre en esprit (voir Mt 5, 3). Il ne peut pas
non plus être affligé et pleurer (voir Mt 5, 4), ni devenir doux (voir Mt 5, 5)
et paisible, ni avoir faim et soif de la justice (voir Mt 5, 6). Pour
tout dire, il n'est pas possible d'acquérir les autres vertus autrement que par
cette attention 24.
Armé de cette vigilance, de
cette vie éveillée et prête à discerner l'Ennemi, on peut donc entrer dans le
combat contre les tentations, qui a toujours son origine et sa fin dans l'amour
du Seigneur, dans l'union avec lui sans distraction.
3. Les armes du combat
Le combat invisible se
fonde radicalement sur la foi dans la résurrection de Jésus Christ, c'est-à-dire
sur la foi dans l'événement pascal qui a marqué la victoire définitive sur la
mort et sur « celui qui détenait le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le
diable » (He 2, 14). De plus, si chaque péché est en fin de compte une
tentative maladroite d'affronter la peur de la mort 25, l'arme la
plus efficace pour la lutte est précisément la foi dans la résurrection. Après
avoir clarifié ce premier point, il est possible d'entrer davantage dans les
détails, en analysant quelques unes des armes que l'homme possède pour
affronter ce dur combat.
Athanase rappelle l'épisode
significatif où Antoine, exposé à une attaque sans pitié des démons, voit, en
même temps, un rayon de lumière descendre du toit et ses adversaires
disparaître. Alors
Antoine
ressentit que le Seigneur l'aidait et, respirant plus à l'aise et soulagé de
ses peines, demandait à la vision qui lui était apparue : « Où
étais-tu ? Pourquoi ne t'es-tu pas manifesté dès le début pour faire
cesser mes douleurs ? » Alors une voix parvint jusqu'à lui :
« J'étais là, Antoine, mais j'attendais, pour te voir combattre. Puisque
tu as tenu bon et n'as pas subi de défaite, je serai toujours ton défenseur »25.
Autrement dit, ce n'est pas
l'effort humain qui fait remporter la victoire, mais la grâce de Dieu qui, à
travers la mort de l'homme à lui-même, agit en lui et le vivifie. Aucune
présomption n'a donc cours dans le combat spirituel : le seul mérite
auquel nous puissions prétendre est de tout prédisposer afin que Dieu agisse en
nous. La vie du chrétien ne peut être qu'une « vie de conversion en
acte », une disponibilité continue à céder à la grâce qui nous attire et
nous sauve. L'Esprit Saint qui habite en nous n'est pas seulement le maître de
cette lutte, mais il est celui qui lutte en nous, renouvelant toujours notre
personne afin qu'elle puisse être, malgré nos contradictions, la demeure de
Dieu (voir 1 Co 3, 6 ; 2 Co 6, 16). Par ailleurs, il est également vrai
que la collaboration de l'homme à l'action de Dieu est absolument nécessaire,
comme le démontre l'épisode qu'on vient de citer. Cette synergie entre l'action
de Dieu et le désir de l'homme est bien exprimée par les mots du prophète
Jérémie : « Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri ; sauve-moi
et je serai sauvé [...]. Fais-moi revenir et je reviendrai, car toi, Seigneur,
tu es mon Dieu » (Jr 17, 14 ; 31, 18).
Dans ce dur combat il faut
se doter d'armes spirituelles (voir 2 Co 3, 5) : hormis ce qu'on a dit
précédemment à propos de la vigilance, il faut certainement aussi mentionner
« la cuirasse de la foi et de l'amour, et le casque de l'espérance du
salut » (voir 1 Th 5, 8). Plus spécifiquement, la tradition chrétienne a
reconnu certains instruments comme particulièrement indiqués pour affronter
cette lutte, dans la certitude que « dans la lutte, l'athlète ne reçoit la
couronne que s'il a lutté selon les règles » (2 Tm 2, 5 ; voir aussi
1 Co 9, 25). Il y a tout d'abord l'assiduité avec la Parole de Dieu —
« glaive de l'Esprit » (Ep 6, 17) — contenue dans les
Écritures : « La méditation de la Parole de Dieu est semblable à une
trompette qui tient ton cœur éveillé pour le combat, de peur qu'il ne t'arrive
de dormir pendant que veille ton Adversaire »26. La pratique de
la lectio divina, à savoir
l'exercice de la méditation et de la prière de la Parole, fait avec foi, peut recréer
l'unité du cœur mis en crise par l'insinuation de la pensée mauvaise. Pour
cette raison, les Pères du désert, convaincus que la seule lecture d'un passage
de l'Écriture remplit de crainte les démons, conseillent de recourir à la
Bible, surtout à travers l'apprentissage par cœur de certains textes, pour
lutter efficacement contre les démons : « Une grande sauvegarde pour
ne pas pécher, c'est la lecture des Écritures »27. Il ne s'agit
pas de faire de grandes choses, mais simplement d'unifier notre journée
moyennant la mémoire d'un verset scripturaire, d'une parole de Jésus, dans
l'assurance que c'est du travail de la Parole en nous, dans notre cœur, que
procède la véritable œuvre de transfiguration de tout notre être.
En lien étroit avec cette
assiduité se trouvent la prière et l'invocation du Seigneur (voir Ep 6,
18-20 ; Col 4, 12) : demander le don d'un « cœur capable
d'écoute » (1 R 3, 9) et invoquer avec humilité : « Ne nous
induis pas — ou mieux : ne nous abandonne pas — dans la tentation, mais
délivre-nous du Malin » (Mt 6, 13), sont des éléments essentiels de la
lutte. Malheur, en particulier, à ceux qui ne savent pas faire leur, avec
conviction, cette dernière invocation du Notre Père, car cela signifie qu'ils
sont à ce point habitués à accueillir la tentation qu'ils y consentent
désormais sans la moindre résistance... Philothée le Sinaïte écrit :
« Dès que tu prends conscience d'une pensée, réfute-la. Mais aussitôt
appelle vite le Christ à ton aide. Le doux Jésus, avant même que tu aies fini
de parler, te dira : "Je suis venu assurer ta défense" »28.
On ne devrait pas oublier,
ensuite, l'importance de l'ouverture du cœur à un père spirituel, plus expert
en humanité et en vie spirituelle. Il est purement illusoire de penser que l'on
peut, seul, affronter ce combat avec succès : on ne peut se fier à
soi-même et moins encore se guider tout seul ! Confier la suggestion, la
pensée, à un autre ne signifie pas simplement fuir le subjectivisme, mais
accéder déjà à une sorte de thérapie. Cela représente par ailleurs un grand
acte d'humilité, par lequel on se dispose à accepter l'aide de celui qui a reçu
le don du discernement. Vraiment, l'art du combat exige une transmission :
on ne l'apprend que d'un maître spirituel, d'une personne qui a fait longuement
sur soi-même l'expérience du labeur qu'impose la lutte. Dorothée de Gaza
l'avait bien compris :
Je ne connais aucune chute
qui n'ait été causée par la confiance en soi. Certains disent :
« L'homme tombe dans le péché à cause de ceci, à cause de cela. »
Mais moi, je le répète, je ne connais pas de chute qui soit arrivée pour une
autre raison que celle-là. Vois-tu quelqu'un tomber ? Sache qu'il s'est dirigé
lui-même. Rien n'est plus grave que de se diriger soi-même, rien n'est plus
fatal 29.
Le combat exige par
ailleurs la disponibilité à consentir sans résistance aucune à la miséricorde
de Dieu, en croyant davantage à elle qu'à l'évidence de la misère de notre
vie : « Ne désespère jamais de la miséricorde de Dieu »30,
de ses entrailles de miséricorde (rachamim : Ps 103, 4 ; Is
54, 7 ; voir aussi Is 49, 14-15) fidèle et patiente en faveur de ses
enfants, les humains. N'oublions pas que la vie chrétienne n'est pas une
incessante montée vers le haut, elle n'est pas un chemin de perfection après
une victoire définitive sur le péché, mais elle est une vie de pécheur
pardonné, qui revient constamment mendier la miséricorde de Dieu, en tombant et
en se relevant sans fin ; elle est l'art de retrouver continuellement la
conformité au Christ, le recours constant au calice de son sang qui purifie et
pardonne tous nos péchés.
Voilà pourquoi, enfin, il
faut savoir faire de l'eucharistie le magistère du combat spirituel,
l'enseignement qui gouverne nos rapports avec la réalité, avec les autres, avec
nous-mêmes et avec Dieu. La liturgie eucharistique, canon et règle de la vie
chrétienne tout entière, est en effet l'événement où Dieu est adoré et confessé
dans sa sainteté et où, tout à la fois, sa sainteté est communiquée à ceux qui
participent à cette action commune : « Notre façon de penser
s'accorde avec l'eucharistie, et l'eucharistie, en retour, confirme notre façon
de penser »31. Si, dans la célébration de l'eucharistie, les
chrétiens entrent donc en étroite communion avec la vie même du Fils, jusqu'à
devenir son corps dans l'histoire, il est fondamental qu'ils comprennent en
profondeur la signification et les implications contenues dans le geste
liturgique : comme Jésus a livré et rompu sa vie pour les hommes, ainsi
chaque chrétien doit donner sa vie pour ses frères. À ce niveau apparaît à
nouveau avec évidence que notre combat ne consiste en rien d'autre qu'à tout
prédisposer afin que le Seigneur Jésus agisse en nous : consentir que ce
soit lui qui vienne combattre dans notre combat. Chacune de nos victoires n'est
qu'un reflet de la victoire pascale du Christ : lui, en effet, sait
« compatir à nos faiblesses, puisqu'il a été tenté en tous points, à notre
ressemblance, mais sans commettre le péché » (He 4, 15) et qu'il est
désormais « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7,
25).
[…]
Conclusion
Béni soit le Seigneur, mon rocher !
Il exerce mes mains pour le combat,
il m'entraîne à la bataille.
Il exerce mes mains pour le combat,
il m'entraîne à la bataille.
Ps
144, 1
Le
combat spirituel est le chemin à travers lequel, dans l'espace de la liberté et
de l'amour, on apprend l'art de la résistance à la tentation et l'art du choix.
Avoir un cœur unifié, un cœur pur, sensible et capable de discernement, un cœur
qui conserve et engendre des pensées d'amour : voilà le but du combat
spirituel, un art vraiment passionnant. Une grande lutte contre les idoles est
nécessaire pour devenir libre de servir et d'aimer Dieu, de sorte à se situer
dans une relation authentique avec les hommes et toutes les choses, créatures
comme nous ; c'est-à-dire pour parvenir à faire de notre vie humaine un
chef-d'œuvre. En définitive, l’œuvre d'art que chacun est appelé à faire de sa
propre existence dépend essentiellement de sa capacité de relation à soi, à
Dieu, aux autres et aux choses, à l'enseigne d'un combat quotidien pour tendre
à la communion. Oui, la vie chrétienne comporte une lutte sans trêve contre les
tentations : cette discipline est certainement laborieuse, car « le
combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'homme »32,
et pourtant elle constitue ce qui introduit à la beauté et à la qualité
de la vie personnelle, en vue d'une plus grande qualité du vivre-ensemble
humain.
Enfin, ne l'oublions
jamais, le combat spirituel est le champ de bataille où nous pouvons et devons
faire l'expérience des entrailles de miséricorde de Dieu qui vient toujours à
notre rencontre alors que nous sommes encore loin de lui (voir Lc 15, 20).
D'ailleurs, nous ne pouvons ressortir vainqueurs de cette lutte qu'en mettant
notre confiance dans l'amour de Dieu, dans sa grâce, c'est-à-dire dans la
puissance de l'Esprit Saint. Ce dur combat nous laisse assurément des
blessures, mais la miséricorde peut nous permettre de ne pas en sortir comme
des rescapés mutilés et prêts à mutiler les autres : ce n'est qu'en
acceptant d'être les destinataires de cette miséricorde, c'est-à-dire en
contemplant la bonté de l'amour de Dieu et de ceux, parmi les hommes, qui en
réfléchissent l'éclat, ce n'est qu'en fixant notre regard sur cette douceur qui
peut nous soutenir, que la victoire sur la tentation deviendra possible. Plus
encore, en Dieu, les tentations sont déjà vaincues, car celles dont nous ne
venons pas à bout, le Christ les vaincra pour nous et en nous, maintenant et
au-delà de notre mort.
Un témoignage éclairant
nous a été laissé en ce sens par le patriarche de Constantinople Athénagoras Ier,
déjà âgé, se faisant l'interprète autorisé de la longue tradition spirituelle
que nous avons suivie le long de notre parcours. Parlant des pauvres en esprit,
il affirmait que sont tels ceux qui, grâce à une dure bataille intérieure, sont
parvenus à se dépouiller des prétentions de leur « moi », et savent
ainsi recevoir à chaque instant leur existence de la part de Dieu, comme une
grâce. Et il concluait :
Pour lutter efficacement
contre la guerre, contre le mal, il faut savoir intérioriser la guerre pour
vaincre en soi le mal. Il faut mener la guerre la plus dure, qui est la guerre
contre soi-même [...]. Il faut arriver à se désarmer.
J'ai mené cette guerre.
Pendant des années et des années. Elle a été terrible. Mais maintenant, je suis
désarmé. Je n'ai plus peur de rien, car « l'amour chasse la peur » (1
In 4, 18). Je suis désarmé de la volonté d'avoir raison, de me justifier en
disqualifiant les autres [...]. C'est pourquoi je n'ai plus peur. Quand on n'a
plus rien, on n'a plus peur. « Qui nous séparera de l'amour du
Christ ? » (Rm 8, 35) 33.
Oui,
le fruit du combat spirituel est une liberté qui rend possible l'amour :
et seul l'amour motive et donne sens à notre lutte, à notre vie entière. Seul
l'amour humanise.
Enzo Bianchi, in Une lutte pour la vie (MÉDIASPAUL)
1.
Il faut toutefois reconnaître que le thème des péchés capitaux a
fait l'objet ces dernières années d'une attention renouvelée. Je renvoie à cet
égard à la bibliographie au terme de ce volume (« Études »). Je
signale en particulier, en italien, les contributions extrêmement riches au
niveau anthropologique et littéraire de Gianfranco Ravasi et Giovanni Cucci.
2. ORIGÈNE, Exhortation au martyre 32.
Pour les éditions de référence des principaux textes patristiques cités, voir
la bibliographie au terme de ce volume (« Sources »).
3. ATHANASE D'ALEXANDRIE, Vie
d'Antoine 9, 5.
4.
S'il est vrai que je me référerai ici exclusivement à la
tradition judéo-chrétienne, on ne peut pas oublier que la question de la lutte
spirituelle est bien présente aussi dans d'autres traditions religieuses. Pour
ne citer que deux exemples, on peut penser au thème de P » effort (jihad)
majeur », celui contre soi-même, développé par la tradition
musulmane, en particulier soufie, ou au fameux apologue des « Dix taureaux »
de Kakuan, maître bouddhiste zen du XIIe siècle.
5.
Voir, à ce propos, les « listes » de péchés présentes dans le Nouveau
Testament : Mt 15, 19 ; Mc 7, 21-22 ; Rm 1, 29-31 ; 1 Co 6,
9-10 ; Col 3, 5-8 ; 2 Tm 3, 2-5.
6.
P. F. BEATRICE, « Il
combattimento spirituale secondo san Paolo. Interpretazione di Ef 6,
10-17 », dans ID., L'eredità delle origini. Saggi sul cristianesimo
primitivo, Gênes, Marietti, 1992, p. 50.
7.
J.-R. BOUCHET, Si
tu cherches Dieu, Paris, Cerf, 1996, p. 16.
8.
ATHANASE D'ALEXANDRIE, Vie
d'Antoine 5, 7 ; 38, 3.
9. MARTYRIUS (SAHDONA),
Livre de la perfection I, II,
8, 79.81.
10.
A. GUILLAUMONT, « Les sens des noms du cœur
dans l'antiquité », dans Le cœur, Bruges, Desclée de Brouwer, 1950,
p. 48.
11.
Il est intéressant de
remarquer que ce mot transpose en grec une expression hébraïque qui signifie
littéralement : « un cœur et un cœur » (lev va-lev : Ps
12, 3).
12.
A. LOUF, Seigneur apprends-nous à prier, Bruxelles,
Lumen vitae, 1979, p. 23.
13.
Pour un exposé plus ample, voir J.-C. LARCHET, Thérapeutique
des maladies spirituelles, Paris, Cerf, 1997, p. 521-524.
Parmi les textes patristiques, voir en particulier JEAN CLIMAQUE, L'Échelle
sainte XV, 74, qui reprend et systématise les indications de Marc le
Moine.
14.
Apophtegmes des Pères du désert, Collection alphabétique, Antoine
5.
15. ATHANASE D'ALEXANDRIE, Vie
d'Antoine 43, 1.
16.
Règle de saint Benoît, Prologue 28.
17. Apophtegmes des Pères
du désert, Collection anonyme, N 454.
18.
Cité par P. EVDOKIMOV, Les
âges de la vie spirituelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1964,
p. 160.
19. JEAN
DE GAZA,
Lettres 248.
20. JEAN CLIMAQUE, L'Échelle
sainte XV, 74.
21.
Voir NICÉPHORE LE SOLITAIRE, Sur
la sobriété, la vigilance et la garde du cœur, dans
Philocalie des Pères neptiques, fasc.
10, Bégrolles-en-Mauges, Bellefontaine, 1990, p. 50-51.
22.
Voir MARC LE MORVE, Lettre
à Nicolas 10, 17-29 ; 12, 18-38.
23.
Apophtegmes des Pères du désert, Collection alphabétique, Poemen
135.
24. SIMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN, Sur
les trois modes de la prière, dans Philocalie
des Pères neptiques, fasc. 11, Bégrolles-en-Mauges,
Bellefontaine, 1991, p. 269-270.
25.
ATHANASE D'ALEXANDRIE, Vie
d'Antoine 10, 2-3.
26. ORIGÈNE, Homélies
sur Josué
1,7.
27.
Apophtegmes des Pères du désert, Collection alphabétique, Épiphane 9.
28.
PHILOTHÉE LE SINAÏTE, Quarante
chapitres neptiques 26, dans Philocalie des Pères neptiques, fasc.
7, Bégrolles-en-Mauges, Bellefontaine, 1986, p. 117. La pratique de ce qu'on
appelle la « prière de Jésus » (« Seigneur Jésus Christ, Fils du
Dieu vivant, prends pitié de moi, pécheur ») mériterait un chapitre à
part ; voir M. PLEKON, « Lo
Spirito prega in noi : preghiera del cuore, liturgia e vita cristiana »,
dans La preghiera di Gesù nella spiritualità russa del xix secolo, Bose,
Qiqajon, 2005, p. 307-324.
29. DOROTHÉE DE GAZA, Instructions V,
66.
30.
Voir Règle de saint Benoît IV, 74.
31. IRÉNÉE DE LYON, Contre
les hérésies IV, 18, 5.
32.
A. RIMBAUD, Une
saison en enfer, « Adieu », dans ID., Œuvres
complètes, Paris, Gallimard, 1954, p. 244.
33.
O. CLÉMENT, Dialogues
avec le patriarche Athénagoras, Paris, Fayard, 1976, p. 183.