Gratuité
et fierté sont les
deux mots qu'il faut inscrire au seuil de ce dernier chapitre.
Nous
sommes du Christ, fils de l’Église. Nous avons le bonheur d'être insérés sur la
plus authentique, sur la plus ancienne tradition spirituelle de la France. Nous
respectons trop les dons de Dieu pour en vouloir disposer d'autorité. Notre
collaboration avec les non-chrétiens sera de fraternelle et parfaite
courtoisie. Nous admirerons qu'ils nous dépassent parfois et nous apprendrons
d'eux à mieux exploiter le don que Dieu nous a fait de la vérité et de la
grâce. Nous nous garderons surtout de toute politique sournoise qui poursuivrait des fins non
avouées et les servirait par des voies sans droiture. Mais nous aurions
également honte de dissimuler ce que nous devons au Christ et à son Église, de
sembler désavouer, ne serait-ce que par le silence, son Évangile. C'est pour
pouvoir affirmer notre foi avec fierté que nous requérons de nous le plus loyal
désintéressement. Ceci posé, nous n'hésitons pas à affirmer au plus grand jour
notre foi au Christ et les attitudes pratiques qu'elle comporte.
1°
Combien notre peuple est aujourd'hui déchristianisé et combien sont
graves les conséquences de cette apostasie, il n'y a pas à le dissimuler à de
jeunes chrétiens qui arrivent à l'âge des options personnelles. Il n'y a pas
lieu de craindre un scandale, puisque le fait ne leur échappe pas. Mais il est
excellent de le leur faire mesurer et analyser. Combien notre vie publique est
étrangère à la pensée de Dieu et de l’Évangile ; combien notre vie
mondaine et bourgeoise, dans les milieux dits catholiques, est en opposition
avec l'enseignement de Jésus Christ ; combien notre religion est sentimentale,
routinière et souvent peu intelligente ; combien il s'en faut que nous en
soyons fiers comme il se devrait ! Des constatations provocantes amorceront
une recherche des causes de cette infidélité (Exploration de l'Histoire,
enquête sur l'état présent du pays, discernement des courants spirituels qui
travaillent la pensée de nos contemporains).
Nous
ne craindrons pas de leur ouvrir les yeux sur nos insuffisances individuelles
ou corporatives qui font le scandale d'esprits loyaux qui, par notre faute,
sont rejetés loin de l'Église.
En
revanche, nous observerons les ruines morales ou sociales, les déchéances
personnelles ou nationales qui résultent de l'abandon d'un christianisme viril.
2°
Sur l'angoisse ainsi éveillée, il deviendra possible d'exciter dans des cœurs
loyaux et prévenus
de la grâce, une faim exigeante de lumière en quoi consiste le passage
d'une adhésion subie à une foi choisie. Et c'est l'objet central de la foi chrétienne,
c'est-à-dire la personne du Christ, que nous travaillerons à leur faire
discerner. Dans les temps tragiques où ils vivent, on ne peut guère concevoir
que des chrétiens demeurent fidèles, avec joie et fierté, s'ils n'ont pas
fait cette découverte personnelle du Christ, sur quoi toute leur vie reposera.
Le
rôle du prêtre auprès de nos jeunes chrétiens est de les amener à se poser la
question, puis de les aider par une pédagogie respectueuse et cordiale à
discerner les traits humains de Jésus Christ, dont peu à peu la transcendance
leur apparaîtra comme le rayonnement voilé de la divinité.
Comme
historiquement a agi le Christ, vivant le plus humainement dans les contacts
quotidiens avec les gens de son village, puis se proposant à l'amitié de jeunes
hommes et leur découvrant progressivement la splendeur, l'audace, la puissance
de son message, pour, après de lentes préparations, les conduire à la croix, où
il savait que tout s'écroulerait, sauf une secrète adhésion que le Saint Esprit
ferait bientôt radieuse et conquérante ; ainsi nous ne pourrons mieux
faire que de suivre avec nos garçons les chemins de la vie et de confronter
leur expérience des hommes, voire leur propre détresse, avec les paroles du
Christ, ou Ses actes, dont ils saisiront soudain la portée.
Lorsqu'ils
seront fortement accrochés, virilement, intellectuellement plus que
sentimentalement, à leur Maître, nous pourrons et nous devrons les introduire
dans la connaissance du Mystère : paternité divine, communion au Christ
dans l'Esprit Saint, toute l'économie de la grâce et de la vie sacramentaire
dans le Christ mystique incarné dans l'Église. Mais nous n'oublierons pas que
saint Paul lui-même n'a abouti à cette connaissance qu'après le choc de Damas,
suivi d'années de prière, de contemplation, de grâces mystiques
extraordinaires. Nous ne serons pas surpris que plusieurs ne s'ouvrent que
tardivement à ces vérités.
Au préalable, il sera plus aisé et plus juste d'apprendre
à nos garçons à se faire un cœur vraiment chrétien, à s'identifier vitalement au Christ, à
le reproduire, non par une copie extérieure, mais par une inspiration profonde de son esprit ;
à juger du monde, des événements à cette lumière, et à porter leur témoignage
sans peur.
3°
Car il est inconcevable qu'un chrétien de cette trempe ne fasse pas
resplendir dans toute sa vie la grâce dont il est pénétré. Telle est la
plus juste forme du témoignage. C'en est la plus humble, mais aussi la plus
efficace.
Il
sera beau que ces jeunes chrétiens apportent à la communauté chrétienne, à la
paroisse, la sève de leur foi vivace : que par eux le culte de Dieu
reprenne splendeur et fraîcheur ; qu'ils renouvellent la liturgie si
souvent avilie, ennuyeuse, efféminée, par un style cérémonial, par une qualité
du chant et en général par de beaux et hardis « Retours en chrétienté ».
La tradition chrétienne des baptêmes, fiançailles, mariages, funérailles,
débarrassés des formes mondaines et rendus à leur vérité primitive, sera pour
nos jeunes hommes beaucoup plus qu'une joie personnelle, elle apportera de plus
en plus à la paroisse une vitalité féconde. Il y aura encore beaucoup à
redécouvrir dans cet ordre : célébration des fêtes, cycle du temps, fêtes
saisonnières, rogations, fêtes des Mères, du travail, fêtes nationales, etc.
Il
faut surtout qu'ils créent dans la communauté chrétienne cette atmosphère
d'amitié fraternelle qui rendra du courage à beaucoup (à commencer par les
prêtres), qui fera plaisir à Dieu et qui exercera autour de nous une séduction
très puissante. Le « Voyez, comme ils s'aiment ! » a attiré plus
de païens au Christ que les traités savants des Apologètes.
Leur
action sera beaucoup plus orientée vers la charité opérante que vers la dispute
ou l'éloquence. C'est ici que l'héroïsme, si connaturel à la véritable
jeunesse, retrouvera sa place, si l'amour du Christ inspire à nos garçons des
générosités et des hardiesses qui briseront avec l'égoïsme bourgeois où se
meurt notre christianisme. Il sera bon d'être en éveil pour leur proposer des
réalisations un peu aventurées au delà des positions de tout repos :
l'hospitalité, par exemple, aura dans ce temps des occasions nombreuses
d'affirmer que des chrétiens croient à la parole du Christ : « Qui
vous reçoit me reçoit ».
À de
jeunes hommes on peut proposer une charité encore plus fidèle aux enseignements
du Christ : celle d'une loyale et pure amitié donnée aux pécheurs, à ceux
qui ne sont pas de la paroisse, aux non-croyants, aux égarés, aux déchus, aux
bannis. Ils y gagneront beaucoup plus qu'ils ne risqueront d'y perdre. Leur foi
y trouvera souvent le choc violent qui les conduira droit au Christ vivant et
parfois jusqu'au sacerdoce.
Il
est clair qu'instruits par l'Église des doctrines sociales qui conditionnent
l'ordre et la prospérité des sociétés, nos jeunes chrétiens devront, dans leur
famille (leur femme leurs enfants, leurs domestiques, leurs amis et leurs
voisins), dans leur métier, dans la cité, faire agir et triompher les vérités
de l'Évangile, dans la justice, dans l'amour, dans le sacrifice de chacun au
bien de tous, et enfin dans l'offrande de toute la communauté terrestre aux
fins qui la dépassent : la Rédemption du monde et la Gloire de Dieu.
Les
prêtres nés de nos mouvements de jeunesse achèveront l'effort de leurs frères,
et ceux qui — nombreux, plus nombreux — partiront dans les pays païens comme
missionnaires du Christ, donneront à la France le gage le plus sûr de sa durée,
en même temps qu'ils seront le plus beau fruit de son peuple. Nous dépassons
ici tout l'ordre des événements temporels qui nous attristent ou nous enivrent,
qui nous occupent à l'excès ; des œuvres du temps nous atteignons aux œuvres
éternelles. Avec Péguy, aux pires heures, la pensée qui fera notre force sera de savoir « qu’il y va du salut éternel de la France ».
Ce
sera la force et ce sera
la joie de notre vie.
* * *
À
chacun d'imaginer ce qui
incarnera authentiquement les belles intentions qui deviendront, dans des entreprises proportionnées à ses
moyens, la réalité d'une France rajeunie et vivante.
Soyez
sûrs qu'alors de belles maisons se bâtiront et se
rassembleront pour offrir à Dieu un beau Pays, digne du bon Peuple Jardinier,
du Peuple qui a fait la Croisade et les Cathédrales.
Révérend Père Paul Doncœur, in Jalons de route