Qu'est-ce
qu'un Sacrement ?
Notre
salut ne s'accomplit pas dans des mystères qui resteraient dans le passé. Par
les sacrements, le Christ actualise dans l'Église son mystère sauveur de mort
et de résurrection, faisant choix pour le signifier des gestes qu'Il veut.
Ainsi
le Christ prend du pain et du vin pour nous donner Son corps et son Sang, ce
sera la Messe. Il prend le consentement des époux pour signe de son rapport à
l'Église, ce sera le sacrement de mariage.
Les
sacrements ne sont pas l'expression de nos sentiments religieux, mais ils sont
le signe efficace de l'action du Christ venant nous transformer : c'est
Lui qui est premier et Son œuvre seule importe.
Même
si l'on parle habituellement, dans l'analyse d'une vie conjugale, du
comportement des époux cherchant à découvrir le Christ et Son action, on ne
doit pas oublier que, dans un sacrement, une vocation, l'élément premier est
l'appel de Dieu, la Grâce, le Christ lui-même. La réponse est donnée en
fonction de cette invitation, qui est appel de grâce et qui prend corps dans le
sacrement.
Il
y aurait donc trois éléments essentiels dans tout sacrement.
D'abord,
un geste humain, une réalité tangible extraite de la vie quotidienne, une
tranche de l'expérience des hommes. Découvrons, sous les rites, des réalités
quotidiennes. Avant que Notre Seigneur n'instituât l'Eucharistie, existaient le
pain, aliment de tous, et la famille réunie autour de la table. Antérieurement
au Baptême, il y a l'eau qui purifie et vivifie, et avant l'Extrême-Onction,
les bienfaits de l'huile dans les soins aux malades.
À
l'autre extrémité, se situe une réalité invisible échappant à toute expérience (on ne le
dira jamais assez) : la vie de Dieu communiquée dans la Grâce du Christ.
On
voit déjà combien le fait de participer à un Sacrement devrait signifier Attitude
de foi. En effet la foi seule nous révèle l'action divine dans et par ces
institutions.
Comment
ce geste humain, quelle que soit sa valeur de symbole, peut-il porter en lui
une richesse divine aussi puissante ? C'est qu'il est devenu geste
sacramentel, donc geste du Christ, par Son Corps qui est l'Église. Quel qu'en
soit le ministre, un sacrement est toujours l'acte du Christ répété par Son Église.
Sur
la base des trois éléments précédemment expliqués, voyons comment le mariage
est un sacrement.
Le Signe
Le
geste sacramentel sera le consentement des époux. Le oui réciproque, exprimé devant l'Église et assumé par elle,
manifeste non seulement une volonté d'amour humain mais la décision de
s'engager dans un amour vécu dans le Christ et, selon Lui, en chrétiens. C'est
donc s'engager dans la grâce du Christ qui prépare les époux à affronter les
responsabilités chrétiennes de
l'amour.
Ces
responsabilités, selon le Christ, sont « aimer l'autre comme il a besoin
d'être aimé, nous aimer comme les autres ont besoin que nous nous aimions ».
Les époux disent oui aux besoins de leur conjoint et, à travers lui, aux
besoins de l'Église.
Dans
le mariage sacramentel, l'échange des consentements en unissant les époux, les
configure au Christ et à l'Église et constitue le sacrement proprement dit. Le oui mutuel qui donne à chacun un droit
sur le corps de l'autre, constitue un contrat, dont Pie XI a mis en valeur la
richesse spirituelle : « Le Christ, dit Pie XI, a choisi pour signe
de la grâce le consentement conjugal lui-même, validement échangé entre les
fidèles ».
Il
apparaît ainsi clairement que le sacrement n'est pas une bénédiction qui se
surajoute à la vie, mais, dit encore Pie XI aux époux, il est « votre
contrat, élevé par le Christ au rang de signe efficace de la grâce ».
Nous
sommes ici au delà de toute sentimentalité qu'on identifie souvent, par erreur
à l'amour. Il s'agit bien au contraire d'une puissante réalité qui saisit le
plus profond de l'être humain : sa liberté, et qui l'engage irrévocablement
dans le Christ.
Les Ministres
Évidemment,
consentir aux responsabilités du mariage ne peut être réalisé que par les
intéressés, et seuls les époux peuvent prendre un tel engagement. Ils se trouvent
donc être, non pas les auteurs du sacrement – Jésus-Christ seul est auteur du
sacrement – mais ses ministres. Le oui
est le moyen par lequel le Christ agit en eux. La part active que les conjoints
prennent au sacrement de mariage manifeste la place qu'ils tiennent dans l'Église
et comment, dans les limites de leur vocation, l'Église fait son œuvre par eux.
La
présence du prêtre est nécessaire à la validité du sacrement. Il est le témoin
qualifié : il représente canoniquement le mystère de l'Église dans lequel
les époux entrent sacramentellement par leur mariage.
Le
consentement mutuel a puissance sacramentelle puisqu'il est un geste de l'Église.
Séparés d'elle, quels dons pourraient se faire des époux en s'aimant ?
L'amour conjugal est si pauvre réduit à lui-même. Pour les conjoints unis dans
l'Église, il sera guéri, fortifié, sauvé. Nous sommes là devant cette puissance
de transformation si étonnante que le Christ a confiée à son Église. C'est à
partir de là qu'on comprend le geste des fiancés venant remettre leur amour
entre ses mains.
« Mais
alors, disait un ménage, notre sacrement de mariage intéresse toute l'Église ».
Bien sûr, et la Messe de mariage célébrée après l'échange sacramentel des consentements
— puisque l'Eucharistie contient Celui qui est la vie même de l'Église — dit
que l'amour des époux devra vivre de la vie du Christ dont vit l'Église, dont
se nourrit l'Église.
Fécondité divine
L'union
des époux chrétiens est le signe sacramentel de l'union du Christ et de l'Église.
La grâce du mariage est de les rendre, l'un et l'autre, chaque jour, plus
conformes intérieurement au Christ par leur amour mutuel.
L'amour
du Christ et de l'Église est la réalité première, à laquelle les époux
s'efforcent de se conformer : l'amour du Christ a été total. Il s'est
livré jusqu'à la mort. L'Église aussi rend amour pour amour et ceci sera
jusqu'à la fin des temps. Ainsi le véritable amour est-il celui dans lequel la
personne s'engage tout entière et pour toujours. L'amour cesse d'être une
passion pour devenir une fidélité.
Qui
dit grâce, dit don de Dieu, une faveur du Seigneur. Quelle est-elle ? Si
le Christ agit par des éléments humains l'eau, le pain, le consentement des
époux... ce n'est pas seulement
pour prolonger une vie naturelle, Il vient nous faire participer à Sa Vie, par
les éléments naturels qu'Il utilise et transforme.
La
qualité spirituelle du mariage sera l'effet d'une grâce guérissante de Dieu. La
grâce propre que Dieu accorde aux époux, c'est d'éliminer les formes égoïstes
de l'amour pour parvenir à la charité du Christ.
« Notre Seigneur a fait du mariage, dit
Pie XI dans Casti Conubii, le signe
et la source de cette grâce intérieure spéciale, destinée à perfectionner
l'amour naturel, à confirmer l'indissoluble unité, à sanctifier les époux ».
Cette
grâce est fidélité, obéissance. Le Christ continue dans chacun des époux ce que
Saint Paul nous décrit ainsi : « Le Fils de Dieu, le Christ Jésus que
nous avons annoncé parmi vous, n'a pas été oui ou non ; il n'y a eu en Lui
que oui. Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en Lui ; aussi
bien est-ce par Lui que nous disons notre amen à la gloire de
Dieu. Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ... c'est Dieu ».
Le
Christ est le oui véritable du consentement mutuel des époux comme il a été le oui aux promesses de Dieu envers
l'humanité par Son peuple. Un tel mystère ne peut être vécu que dans la foi ;
vouloir sentir quelque chose serait de l'enfantillage. Si on s'efforce, dans
les paroisses, d'orienter les chrétiens vers une cérémonie de mariage simple et
priante, c'est bien pour essayer de créer, autour du sacrement, un climat de
foi.
Le
lien entre les époux est l'œuvre du Seigneur, de là découle une double
conséquence :
—
L'homme et la femme unis dans le sacrement ne peuvent se séparer. Le mariage
est indissoluble. « Aucune autorité des hommes, dit Pie XI, ne pourra y
porter atteinte ».
—
Rien ne peut les séparer et c'est là l'aspect positif. Ce lien entre eux est
tel que l'effort de chacun, sa fidélité, est une source de grâces pour l'autre,
malgré tout ce qui ferait croire à une séparation : heurts de caractère
qui donnent le sentiment qu'on ne se retrouve plus, travail qui absorbe l'un et
l'autre, séparation entraînée par la guerre. Le lien entre eux est tel que rien
ne peut les séparer.
De
cette réalité vécue dans la foi, découlera toute une mentalité dont nous
étudierons les conséquences pratiques en parlant de la communauté spirituelle.
La
permanence du sacrement
L'approfondissement
des valeurs spirituelles du mariage ne représente pas pour les époux une
rétrospective dont l'intérêt serait bien illusoire. Célébrer
dignement le sacrement au jour de leurs noces est bien, mais ensuite se révèlent les
responsabilités et les besoins de chaque jour.
Nous
nous trouvons, en effet, devant un mystère qui commande toute la vie
quotidienne et dont la découverte se fait progressivement : mystère que
les époux doivent manifester et rayonner autour d'eux, mystère de l'amour de Dieu
pour nous dans son Incarnation et opérant notre Rédemption.
L'union
indissoluble des époux chrétiens n'est pas comme telle un sacrement (celui-ci
réside dans l'échange rituel des consentements) mais bien une réalité sacramentelle
permanente. La
fidélité quotidienne des époux est elle-même le signe permanent de l'union du
Christ et de l'Église ; elle attire ainsi constamment sur eux la grâce du
mystère chrétien.
Dans
Casti Connubii, Pie XI exprime deux
préoccupations : d'abord celle de voir les époux vivre leur sacrement de
mariage comme une réalité durable : « Ils ont été sanctifiés et
fortifiés par un sacrement spécial, dont la vertu efficace, tout en n'imprimant
pas de caractère, dure cependant perpétuellement ».
D'autre
part, le Pape ne se lasse pas de répéter qu'il dépend de chacun de faire
fructifier ou non ce don de Dieu.
« Tout
ceci ne se fait pas sans vous, souligne Pie XI. Il ne faut pas oublier que les
hommes ne recueillent les fruits complets des sacrements qu'à la condition de
coopérer à la grâce. Pour que la grâce de ce sacrement produise son plein
effet, elle requiert la coopération des époux, dont nous avons déjà parlée et
qui consiste à faire tout ce qui est en eux pour remplir leur devoir avec zèle ».
Ce devoir consiste à être fidèle à toutes les exigences d'un amour vrai. En le
réalisant à travers les étapes de toute une vie les chrétiens mariés coopèrent
à la grâce de Dieu.
Si
le foyer est le sacrement de l'union du Christ et de l'Église, il doit en
porter témoignage par ses qualités d'intimité et de fécondité, par le
renoncement mutuel de chacun des époux. Ce qui est donné une fois pour toutes
doit être aussi acquis tout au long de la vie. Plus les époux seront l'un pour
l'autre ce qu'ils doivent être, plus ils recevront aussi la grâce de leur
mariage, qui, par leur fidélité, ne cesse d'agir en eux.
Méditons,
comme Pie XI le recommande aux époux, ces paroles du Cardinal Bellarmin.
Paroles consolantes à coup sûr, où le saint formule le sentiment que partagent
avec lui d'autres théologiens éminents. Tâchons d'en faire, dans notre vie, une
interprétation prudente et une application généreuse.
« Le sacrement de mariage peut se
concevoir sous deux aspects : le premier, lorsqu'il s'accomplit, le
second, tandis qu'il dure, après avoir été effectué.
« C'est
en effet, un sacrement semblable à l'Eucharistie, qui est un sacrement non
seulement au moment où il s'accomplit, mais aussi durant le temps où il demeure ;
car, aussi longtemps que les époux vivent, leur communauté est toujours le
sacrement du Christ et de l'Église ».
Lorsqu'il
s'accomplit : c'est le don mutuel du jour du mariage, le contrat dont
nous avons parlé, l'engagement global d'être l'un pour l'autre mari et femme.
Tandis
qu'il dure : il s'agit maintenant d'être, jour après jour, réellement,
mari et femme.
À
ce consentement qui prend en charge l'autre pour toute la vie, succède une
multitude d'actes dans lesquels il faut être fidèle à ses responsabilités.
Chacun de ces actes d'amour rend actuel, rend présent l'engagement initial et
donc actualise les richesses sacramentelles. Dans la mesure où les époux sont
fidèles, ils permettent à Dieu d'agir en eux et à travers eux. Et, dans la
mesure où leur comportement est égoïste, ils refusent les richesses du
sacrement.
Bellarmin
établit une puissante comparaison avec l'Eucharistie pour éclairer cet aspect
du sacrement de mariage. Tant que demeurent les apparences du pain, demeure le
corps du Christ, et celui qui a faim du Seigneur peut s'approcher et le
recevoir.
Tant
que demeure, entre les époux, la fidélité à leur devoir, ils coopèrent à l'œuvre
de Dieu, ils sont ainsi sanctifiés et fortifiés. Leur amour signifie
efficacement l'union du Christ et de l'Église.
Mais
si le pain se corrompt, si cette fidélité disparaît, l'œuvre du Christ ne peut
s'accomplir.
« Que les époux se gardent donc,
conclut Pie XI, de négliger la grâce qui est en eux, mais qu'ils s'appliquent
avec soin, à l'observation de leurs devoirs, si laborieuse qu'elle soit, et
qu'ils expérimentent ainsi la force, croissant chaque jour davantage, de cette
grâce ».
De
toute cette vision de foi, qui doit susciter dans le cœur de l'homme et de la
femme tant d'actions de grâces, provoquer un tel émerveillement de l'œuvre
accomplie par le Christ en eux et à travers eux, de toute cette perspective
surnaturelle, découle une exigence très simple, très concrète : les époux
chrétiens doivent apprendre à s'aimer, à dépouiller et purifier leur amour, et,
peu à peu, arriver à s'aimer de l'amour dont le Christ aime son Église.
Père Alphonse d’Heilly sj, in Amour et Sacrement