mardi 18 septembre 2018

En aimant... Alphonse d'Heilly sj, Le Sacrement de mariage



Qu'est-ce qu'un Sacrement ?
Notre salut ne s'accomplit pas dans des mystères qui resteraient dans le passé. Par les sacrements, le Christ actualise dans l'Église son mystère sauveur de mort et de résurrection, faisant choix pour le signifier des gestes qu'Il veut.
Ainsi le Christ prend du pain et du vin pour nous donner Son corps et son Sang, ce sera la Messe. Il prend le consentement des époux pour signe de son rapport à l'Église, ce sera le sacrement de mariage.
Les sacrements ne sont pas l'expression de nos sentiments religieux, mais ils sont le signe efficace de l'action du Christ venant nous transformer : c'est Lui qui est premier et Son œuvre seule importe.
Même si l'on parle habituellement, dans l'analyse d'une vie conjugale, du comportement des époux cherchant à découvrir le Christ et Son action, on ne doit pas oublier que, dans un sacrement, une vocation, l'élément premier est l'appel de Dieu, la Grâce, le Christ lui-même. La réponse est donnée en fonction de cette invitation, qui est appel de grâce et qui prend corps dans le sacrement.
Il y aurait donc trois éléments essentiels dans tout sacrement.
D'abord, un geste humain, une réalité tangible extraite de la vie quotidienne, une tranche de l'expérience des hommes. Découvrons, sous les rites, des réalités quotidiennes. Avant que Notre Seigneur n'instituât l'Eucharistie, existaient le pain, aliment de tous, et la famille réunie autour de la table. Antérieurement au Baptême, il y a l'eau qui purifie et vivifie, et avant l'Extrême-Onction, les bienfaits de l'huile dans les soins aux malades.
À l'autre extrémité, se situe une réalité invisible échappant à toute expérience (on ne le dira jamais assez) : la vie de Dieu communiquée dans la Grâce du Christ.
On voit déjà combien le fait de participer à un Sacrement devrait signifier Attitude de foi. En effet la foi seule nous révèle l'action divine dans et par ces institutions.
Comment ce geste humain, quelle que soit sa valeur de symbole, peut-il porter en lui une richesse divine aussi puissante ? C'est qu'il est devenu geste sacramentel, donc geste du Christ, par Son Corps qui est l'Église. Quel qu'en soit le ministre, un sacrement est toujours l'acte du Christ répété par Son Église.
Sur la base des trois éléments précédemment expliqués, voyons comment le mariage est un sacrement.
Le Signe
Le geste sacramentel sera le consentement des époux. Le oui réciproque, exprimé devant l'Église et assumé par elle, manifeste non seulement une volonté d'amour humain mais la décision de s'engager dans un amour vécu dans le Christ et, selon Lui, en chrétiens. C'est donc s'engager dans la grâce du Christ qui prépare les époux à affronter les responsabilités chrétiennes de l'amour.
Ces responsabilités, selon le Christ, sont « aimer l'autre comme il a besoin d'être aimé, nous aimer comme les autres ont besoin que nous nous aimions ». Les époux disent oui aux besoins de leur conjoint et, à travers lui, aux besoins de l'Église.
Dans le mariage sacramentel, l'échange des consentements en unissant les époux, les configure au Christ et à l'Église et constitue le sacrement proprement dit. Le oui mutuel qui donne à chacun un droit sur le corps de l'autre, constitue un contrat, dont Pie XI a mis en valeur la richesse spirituelle : « Le Christ, dit Pie XI, a choisi pour signe de la grâce le consentement conjugal lui-même, validement échangé entre les fidèles ».
Il apparaît ainsi clairement que le sacrement n'est pas une bénédiction qui se surajoute à la vie, mais, dit encore Pie XI aux époux, il est « votre contrat, élevé par le Christ au rang de signe efficace de la grâce ».
Nous sommes ici au delà de toute sentimentalité qu'on identifie souvent, par erreur à l'amour. Il s'agit bien au contraire d'une puissante réalité qui saisit le plus profond de l'être humain : sa liberté, et qui l'engage irrévocablement dans le Christ.
Les Ministres
Évidemment, consentir aux responsabilités du mariage ne peut être réalisé que par les intéressés, et seuls les époux peuvent prendre un tel engagement. Ils se trouvent donc être, non pas les auteurs du sacrement – Jésus-Christ seul est auteur du sacrement – mais ses ministres. Le oui est le moyen par lequel le Christ agit en eux. La part active que les conjoints prennent au sacrement de mariage manifeste la place qu'ils tiennent dans l'Église et comment, dans les limites de leur vocation, l'Église fait son œuvre par eux.
La présence du prêtre est nécessaire à la validité du sacrement. Il est le témoin qualifié : il représente canoniquement le mystère de l'Église dans lequel les époux entrent sacramentellement par leur mariage.
Le consentement mutuel a puissance sacramentelle puisqu'il est un geste de l'Église. Séparés d'elle, quels dons pourraient se faire des époux en s'aimant ? L'amour conjugal est si pauvre réduit à lui-même. Pour les conjoints unis dans l'Église, il sera guéri, fortifié, sauvé. Nous sommes là devant cette puissance de transformation si étonnante que le Christ a confiée à son Église. C'est à partir de là qu'on comprend le geste des fiancés venant remettre leur amour entre ses mains.
« Mais alors, disait un ménage, notre sacrement de mariage intéresse toute l'Église ». Bien sûr, et la Messe de mariage célébrée après l'échange sacramentel des consentements — puisque l'Eucharistie contient Celui qui est la vie même de l'Église — dit que l'amour des époux devra vivre de la vie du Christ dont vit l'Église, dont se nourrit l'Église.
Fécondité divine
L'union des époux chrétiens est le signe sacramentel de l'union du Christ et de l'Église. La grâce du mariage est de les rendre, l'un et l'autre, chaque jour, plus conformes intérieurement au Christ par leur amour mutuel.
L'amour du Christ et de l'Église est la réalité première, à laquelle les époux s'efforcent de se conformer : l'amour du Christ a été total. Il s'est livré jusqu'à la mort. L'Église aussi rend amour pour amour et ceci sera jusqu'à la fin des temps. Ainsi le véritable amour est-il celui dans lequel la personne s'engage tout entière et pour toujours. L'amour cesse d'être une passion pour devenir une fidélité.
Qui dit grâce, dit don de Dieu, une faveur du Seigneur. Quelle est-elle ? Si le Christ agit par des éléments humains l'eau, le pain, le consentement des époux... ce n'est pas seulement pour prolonger une vie naturelle, Il vient nous faire participer à Sa Vie, par les éléments naturels qu'Il utilise et transforme.
La qualité spirituelle du mariage sera l'effet d'une grâce guérissante de Dieu. La grâce propre que Dieu accorde aux époux, c'est d'éliminer les formes égoïstes de l'amour pour parvenir à la charité du Christ.
« Notre Seigneur a fait du mariage, dit Pie XI dans Casti Conubii, le signe et la source de cette grâce intérieure spéciale, destinée à perfectionner l'amour naturel, à confirmer l'indissoluble unité, à sanctifier les époux ».
Cette grâce est fidélité, obéissance. Le Christ continue dans chacun des époux ce que Saint Paul nous décrit ainsi : « Le Fils de Dieu, le Christ Jésus que nous avons annoncé parmi vous, n'a pas été oui ou non ; il n'y a eu en Lui que oui. Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en Lui ; aussi bien est-ce par Lui que nous disons notre amen à la gloire de Dieu. Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ... c'est Dieu ».
Le Christ est le oui véritable du consentement mutuel des époux comme il a été le oui aux promesses de Dieu envers l'humanité par Son peuple. Un tel mystère ne peut être vécu que dans la foi ; vouloir sentir quelque chose serait de l'enfantillage. Si on s'efforce, dans les paroisses, d'orienter les chrétiens vers une cérémonie de mariage simple et priante, c'est bien pour essayer de créer, autour du sacrement, un climat de foi.
Le lien entre les époux est l'œuvre du Seigneur, de là découle une double conséquence :
— L'homme et la femme unis dans le sacrement ne peuvent se séparer. Le mariage est indissoluble. « Aucune autorité des hommes, dit Pie XI, ne pourra y porter atteinte ».
— Rien ne peut les séparer et c'est là l'aspect positif. Ce lien entre eux est tel que l'effort de chacun, sa fidélité, est une source de grâces pour l'autre, malgré tout ce qui ferait croire à une séparation : heurts de caractère qui donnent le sentiment qu'on ne se retrouve plus, travail qui absorbe l'un et l'autre, séparation entraînée par la guerre. Le lien entre eux est tel que rien ne peut les séparer.
De cette réalité vécue dans la foi, découlera toute une mentalité dont nous étudierons les conséquences pratiques en parlant de la communauté spirituelle.
La permanence du sacrement
L'approfondissement des valeurs spirituelles du mariage ne représente pas pour les époux une rétrospective dont l'intérêt serait bien illusoire. Célébrer dignement le sacrement au jour de leurs noces est bien, mais ensuite se révèlent les responsabilités et les besoins de chaque jour.
Nous nous trouvons, en effet, devant un mystère qui commande toute la vie quotidienne et dont la découverte se fait progressivement : mystère que les époux doivent manifester et rayonner autour d'eux, mystère de l'amour de Dieu pour nous dans son Incarnation et opérant notre Rédemption.
L'union indissoluble des époux chrétiens n'est pas comme telle un sacrement (celui-ci réside dans l'échange rituel des consentements) mais bien une réalité sacramentelle permanente. La fidélité quotidienne des époux est elle-même le signe permanent de l'union du Christ et de l'Église ; elle attire ainsi constamment sur eux la grâce du mystère chrétien.
Dans Casti Connubii, Pie XI exprime deux préoccupations : d'abord celle de voir les époux vivre leur sacrement de mariage comme une réalité durable : « Ils ont été sanctifiés et fortifiés par un sacrement spécial, dont la vertu efficace, tout en n'imprimant pas de caractère, dure cependant perpétuellement ».
D'autre part, le Pape ne se lasse pas de répéter qu'il dépend de chacun de faire fructifier ou non ce don de Dieu.
« Tout ceci ne se fait pas sans vous, souligne Pie XI. Il ne faut pas oublier que les hommes ne recueillent les fruits complets des sacrements qu'à la condition de coopérer à la grâce. Pour que la grâce de ce sacrement produise son plein effet, elle requiert la coopération des époux, dont nous avons déjà parlée et qui consiste à faire tout ce qui est en eux pour remplir leur devoir avec zèle ». Ce devoir consiste à être fidèle à toutes les exigences d'un amour vrai. En le réalisant à travers les étapes de toute une vie les chrétiens mariés coopèrent à la grâce de Dieu.
Si le foyer est le sacrement de l'union du Christ et de l'Église, il doit en porter témoignage par ses qualités d'intimité et de fécondité, par le renoncement mutuel de chacun des époux. Ce qui est donné une fois pour toutes doit être aussi acquis tout au long de la vie. Plus les époux seront l'un pour l'autre ce qu'ils doivent être, plus ils recevront aussi la grâce de leur mariage, qui, par leur fidélité, ne cesse d'agir en eux.
Méditons, comme Pie XI le recommande aux époux, ces paroles du Cardinal Bellarmin. Paroles consolantes à coup sûr, où le saint formule le sentiment que partagent avec lui d'autres théologiens éminents. Tâchons d'en faire, dans notre vie, une interprétation prudente et une application généreuse.
« Le sacrement de mariage peut se concevoir sous deux aspects : le premier, lorsqu'il s'accomplit, le second, tandis qu'il dure, après avoir été effectué.
« C'est en effet, un sacrement semblable à l'Eucharistie, qui est un sacrement non seulement au moment où il s'accomplit, mais aussi durant le temps où il demeure ; car, aussi longtemps que les époux vivent, leur communauté est toujours le sacrement du Christ et de l'Église ».
Lorsqu'il s'accomplit : c'est le don mutuel du jour du mariage, le contrat dont nous avons parlé, l'engagement global d'être l'un pour l'autre mari et femme.
Tandis qu'il dure : il s'agit maintenant d'être, jour après jour, réellement, mari et femme.
À ce consentement qui prend en charge l'autre pour toute la vie, succède une multitude d'actes dans lesquels il faut être fidèle à ses responsabilités. Chacun de ces actes d'amour rend actuel, rend présent l'engagement initial et donc actualise les richesses sacramentelles. Dans la mesure où les époux sont fidèles, ils permettent à Dieu d'agir en eux et à travers eux. Et, dans la mesure où leur comportement est égoïste, ils refusent les richesses du sacrement.
Bellarmin établit une puissante comparaison avec l'Eucharistie pour éclairer cet aspect du sacrement de mariage. Tant que demeurent les apparences du pain, demeure le corps du Christ, et celui qui a faim du Seigneur peut s'approcher et le recevoir.
Tant que demeure, entre les époux, la fidélité à leur devoir, ils coopèrent à l'œuvre de Dieu, ils sont ainsi sanctifiés et fortifiés. Leur amour signifie efficacement l'union du Christ et de l'Église.
Mais si le pain se corrompt, si cette fidélité disparaît, l'œuvre du Christ ne peut s'accomplir.
« Que les époux se gardent donc, conclut Pie XI, de négliger la grâce qui est en eux, mais qu'ils s'appliquent avec soin, à l'observation de leurs devoirs, si laborieuse qu'elle soit, et qu'ils expérimentent ainsi la force, croissant chaque jour davantage, de cette grâce ».
De toute cette vision de foi, qui doit susciter dans le cœur de l'homme et de la femme tant d'actions de grâces, provoquer un tel émerveillement de l'œuvre accomplie par le Christ en eux et à travers eux, de toute cette perspective surnaturelle, découle une exigence très simple, très concrète : les époux chrétiens doivent apprendre à s'aimer, à dépouiller et purifier leur amour, et, peu à peu, arriver à s'aimer de l'amour dont le Christ aime son Église.
Père Alphonse d’Heilly sj, in Amour et Sacrement