Au printemps 1968, la France donnait
l'impression d'un pays où ne se posait aucun problème de taille à menacer la
paix sociale, bien au contraire. La puissance française paraissait de plus en
plus imposante, le franc était fort et le pays venait de remporter une grande
victoire diplomatique, en ce sens que Paris avait été choisi pour les
pourparlers de paix américano-vietnamiens.
Dans la revue Esprit, connue
pour l'acuité de ses analyses politiques et culturelles, le rédacteur en chef
écrivait en 1968 :
Il
est certain que la France de mai 1968 ne semble pas prête à s'offrir le luxe
d'une crise politique : aucun scénario politique comparable à celui de la
Tchécoslovaquie ou aussi dramatique qu'aux États-Unis, engagés dans une guerre
difficile au Vietnam, rien de semblable non plus aux querelles linguistiques de
nos voisins belges. Pour autant qu'on puisse préjuger du futur, nous nous
voyons condamnés à l'ennui.
Cet éditorial d'Esprit est daté du 3 mai 1968. Dans la nuit du 13
commencèrent les violents affrontements entre étudiants et CRS du côté de la
Sorbonne. Entre ce moment et le week-end de la Pentecôte début juin, le pays
sombra dans un tel chaos politique que le général de Gaulle lui-même, premier
président de la Ve République, disparut sans que personne, pas même
son premier ministre Georges Pompidou, ne soit capable de le localiser.
Personne vraiment ne s'attendait à
une explosion politique et sociale si soudaine, menée par les étudiants
bourgeois et exploitée par les partis de gauche : dans son message de vœux
à la nation au Nouvel An 1968, le Général fit la remarque que, 1967 ayant été
une année relativement calme, il ne voyait pas pourquoi ça ne serait pas le cas
en 1968.
L'agitation couvait en fait à
l'Université de Nanterre. Le 22 mars, un petit groupe d'étudiants
d'extrême-gauche, mené entre autres par Danny-le-Rouge, Daniel Cohn-Bendit,
avait pris comme prétexte la guerre du Vietnam pour manifester. Le recteur décida
de fermer la faculté après le saccage des bâtiments et de salles de cours.
C'était exactement ce que voulaient les groupes d'extrême-gauche. Entre temps,
les vacances de Pâques calmèrent au moins les esprits bourgeois, et on pensa
que c'était fini. Ce n'était pas le premier mouvement étudiant de l'histoire de
France, il serait bientôt oublié... et l'université de Nanterre rouvrit ses
portes. Danny-le-Rouge n'avait pas prévu cela et quand les vacances furent
terminées, les troubles migrèrent vers la Sorbonne.
Les manifestants étaient en majorité
des étudiants vivant dans les quartiers les plus huppés. Ils quittaient le
matin les beaux appartements de leurs parents, manifestaient la journée pour,
le soir venant, les esprits suffisamment échauffés, se mettre à jeter des pavés
sur la police, brûler des voitures et fracasser des vitrines. Puis, aux petites
heures, ils rentraient chez eux, se mettaient au lit dans leurs intérieurs
confortables pour recommencer le lendemain. Ils chantaient et hurlaient des
slogans comme « l'imagination au pouvoir » ; « il est
interdit d'interdire » ; « nous sommes tous des immigrés » ;
« tout ce qui n'est pas moi est incompréhensible ».
La jeunesse bourgeoise mettait sa
propre classe sens dessus dessous, l'ouvrier était vu comme une sorte de bon
sauvage à la Rousseau. Hurlant « Révolution, révolution », ils
croyaient en une nouvelle forme de révolution vis à vis de laquelle les vieux
révolutionnaires, le Parti Communiste en tête, étaient très sceptiques. La
philosophie de fond de la nouvelle révolution bourgeoise était non pas avoir
mais être.
Après avoir décidé de devenir prêtre,
j'avais quitté le corps diplomatique sud-africain pour gagner Rome où je restai
sept ans au collège Pontifical français tout en étant étudiant à l'Université
Grégorienne. En septembre 1967, je fus de retour à Paris pour prendre ma
première charge de prêtre en tant que vicaire à la paroisse
Saint-Pierre-de-Chaillot, près de l'Arc de Triomphe. Je connaissais bien le
quartier puisque mon appartement de troisième secrétaire à l'ambassade
d'Afrique du Sud se trouvait dans la même artère, à quelques pâtés de maisons
de là.
Mes études de philosophie et de
théologie à Rome ne m'avaient en rien préparé à ce que j'allais vivre sur le terrain
pastoral qui, dans mon esprit, était un domaine plutôt calme et bien comme
il faut. Je ne me rendais pas compte que j'avais été parachuté dans un univers
paroissial très progressiste, qui n'avait que peu à voir avec l'air de
tradition que j'avais respiré à Rome, où conférences et examens étaient en
latin et où se faire prendre dans les rues de la ville sans sa soutane pouvait
vous attirer des ennuis. À Paris, le port de la soutane était abandonné depuis
des années et personne ne parlait latin. Monsieur le curé de Chaillot ne jurait
que par l'Action catholique : rien ne devait être entrepris sur le plan
pastoral sans référence aux méthodes et critères de ce mouvement.
Je mis un certain temps pour saisir
de quoi il retournait. C'est un mouvement d'évangélisation et de reconquête du
monde au nom de l'Évangile dont l'initiative revient au pape Pie XI, sur le
principe d'un apostolat de chacun par son semblable : un milieu doit
évangéliser son propre milieu. En conséquence de quoi, le travail pastoral
s'adressait à des groupes de condition sociale homogène, la classe ouvrière,
les milieux ruraux, les employés, la grande bourgeoisie — qui allait de pair
avec l'aristocratie. À Chaillot, on ne trouvait guère que les deux dernières
catégories.
Selon ce raisonnement, il était
primordial que les classes sociales ne se mélangent pas, il fallait conditionner
les classes supérieures à la mauvaise conscience de posséder des biens —
bien qu'il fût indispensable d'avoir un château pour appartenir à un des
groupes de Chaillot, quelques membres en possédant même deux. Les classes
populaires elles, étaient conditionnées
à ne pas oublier qu'elles étaient les piliers de la lutte des classes.
On se référait si souvent au terme conditionner
qu'intrigué, je cherchai à découvrir ce qu'il recouvrait : à un niveau
quasi philosophique, en termes presque hégéliens, il était censé signifier une
conversion de classe, les classes supérieures devant s'abaisser et les classes
modestes se hausser. Très subtil ; et important pour ceux qui utilisaient
ces méthodes. Je réalisai rapidement que tout cela n'était pas très éloigné,
intellectuellement, de la pensée marxiste. Au fond, l'Action catholique était
la contribution de l'Église à la nécessaire révolution sociale telle que la
voyaient les disciples de Marx.
Il se tenait des réunions
interminables ; à côté des groupes de classe, il existait aussi des
groupes professionnels, intellectuels et journalistes d'un côté, banquiers et
hauts fonctionnaires de l'autre. L'idée sous-jacente, dans une perspective
purement chrétienne, était que vivre selon l'Évangile ne dispensait pas de
suivre à la lettre les principes du mouvement, lesquels se rapprochaient
beaucoup, consciemment ou non, du marxisme. De quelque façon qu'on examine
cette tactique pastorale, au moins dans les années 60 et 70 du siècle passé,
tout concourait à une sorte de politisation de la vie de l'Église, comme
j'allais le constater moins de six mois après mon retour à Paris.
À cette époque, j'utilisais une
mobylette pour échapper aux embouteillages parisiens. Quand les bagarres au
Quartier Latin furent bien engagées, le curé Action catholique décida de
dépêcher un de ses vicaires sur les lieux. C'est moi qui fus choisi. On
m'expliqua que je devais prendre ma présence là-bas comme une insertion
pastorale pratique dans un milieu très particulier. Dans ce milieu particulier,
on fuyait au nez des CRS, juste devant les pavés en vol, dans une odeur
perpétuelle de gaz lacrymogènes. Je passai mon temps à courir d'un combat de
rue à l'autre au cœur du Quartier Latin, souvent tard dans la nuit, pour
rapporter mes impressions à mon curé dans la matinée du lendemain.
Une fois, en tournant brusquement
dans la rue de Bourgogne, derrière l'Assemblée Nationale, je l'échappai belle.
Je me cognai littéralement à une escouade de CRS barrant la route. Ils étaient
à quelques mètres. Je repris ma respiration et tentai un virage à droite,
attendant à tout instant un coup sur la tête. Visiblement, ils attendaient des
étudiants. Comme j'étais seul, il ne se passa rien.
La nuit où les CRS encerclèrent la
Sorbonne, je me trouvais par hasard dans l'amphithéâtre Richelieu : les
débats faisaient rage, des cris fusaient des Jeunesses Communistes en colère,
dans une atmosphère de vacarme et de vociférations. Au début, le Parti n'avait
pas pris au sérieux la soi-disant Révolution de mai 68 : pour lui, c'était
une forme d'amusement de la jeunesse bourgeoise, une sorte de remède à l'ennui.
Malgré les prétentions de l'extrême gauche, les communistes les considéraient
comme incapables de s'attaquer aux véritables problèmes sociaux du pays. Au
cours du débat, comme Danny-le-Rouge parlait avec dédain autant que passion, un
jeune communiste lui lança :
— Tu n'es qu'un Juif allemand !
— Oui, comme Karl Marx ! » rétorqua-t-il.
J'avais suggéré au nonce qu'un de ses
secrétaires m'accompagne voir comment les choses se passaient à la Sorbonne,
parce que cela pouvait intéresser le Vatican. Le nonce fut ravi de l'idée — qui
se révéla malencontreuse : à peine étions-nous dans l'amphithéâtre
Richelieu que des rumeurs coururent que le Premier ministre, qui avait déjà
fait fermer la Sorbonne, avait donné l'ordre de couper les bâtiments du monde
extérieur. Sur ce, le Monsignore prit la fuite. Il est certain que ces
agissements étaient aux antipodes de l'atmosphère feutrée du Vatican.
Le 20 mai, il y eut une réunion dans
la crypte de Chaillot, à laquelle participaient des représentants de tous les
mouvements d'Action catholique de la paroisse. Un document anonyme, intitulé La
Machine Infernale, fut lu à l'assemblée par un Jésuite, rédacteur en
chef de Projet, une revue chrétienne de sciences sociales. Avant de nous
lire le document, ce Jésuite, le Père Perroy, nous dit que l'auteur était
professeur à Sciences Po Paris. La lecture prit plus d'une heure, l'auditoire
écoutant avec stupéfaction cet ouvrage qui exposait la nature véritable de la
révolution que nous étions en train de vivre.
Un ami diplomate m'attendait à la
sortie latérale de l'église. Il avait été en poste plusieurs fois à l'étranger,
mais à l'époque était de nouveau au Ministère des Affaires Étrangères, à la
tête d'un service consacré aux voyages spatiaux. Nous fîmes un bout de chemin
ensemble en discutant du pamphlet, quand tout à coup il me demanda s'il me
serait possible de m'en procurer un exemplaire. Il avait l'air de beaucoup y
tenir mais ne donna pas de raisons et il me parut inutile de poser des
questions.
Le lendemain matin, je sautai sur ma
mobylette en direction de la banlieue sud où les Jésuites avaient une maison.
Le Père Perroy me donna sans difficultés plusieurs exemplaires, sans même me
demander au nom de qui je venais. Il dut penser que c'était mon curé qui
m'avait envoyé.
Plus tard dans la journée, je laissai
le document au Quai d'Orsay à l'intention de mon ami. De là, la nonciature est
à un jet de pierre, le Nonce avait droit à un exemplaire, pensai-je. Il me
reçut immédiatement et me remercia chaleureusement.
— Rome doit absolument être mis au
courant, mais comment ? Il n'y a pas de trains, ni d'autobus et encore
moins d'avions !
Il fit une pause, me regarda droit
dans les yeux et me demanda si j'accepterais de porter la valise diplomatique à
Rome. Restait la question du comment, tous les moyens de transport étant en
grève.
— Je crois que j'ai un plan. Revenez
demain.
Le lendemain, je donnai un exemplaire
du livre au conseiller de l'ambassade d'Afrique du Sud à Paris, que je
connaissais pour être entré dans la carrière diplomatique la même semaine que
lui, en 1948 ; je n'ai jamais su s'il l'avait fait parvenir à Pretoria.
À ce stade, je pense important que le
lecteur sache ce qu'était le pamphlet La Machine Infernale.
Les premières pages étaient
consacrées aux réactions des Français aux événements du Quartier Latin :
l'auteur faisait état de 75% de la population favorable aux étudiants. Selon
lui, la réaction générale était triple :
. Au plan purement anecdotique,
chacun discutait avec son voisin des dernières nouvelles des échauffourées
nocturnes entre étudiants et forces de l'ordre.
. Il y avait aussi une réaction sentimentale, surtout de la
part de l'intelligentsia. Le cœur marchait plus vite que la tête. Il n'était
pas important de comprendre ce qui se passait, l'important était d'être en
phase avec les jeunes et de s'imaginer une responsabilité conjointe avec eux.
. Enfin, il y avait le poids de
l'histoire, une tentative de comprendre où allait la France à la lumière de son
habitude des révolutions. Cette catégorie de réactions était moins sentimentale
que la seconde. La France avait vu les révolutions de 1789, 1830, 1848 et 1871,
à quelle espèce appartenait celle qu'on vivait ? La réponse était claire :
c'était une révolution d'un type tout à fait nouveau. Les révolutions passées
avaient essentiellement visé à obtenir plus de justice sociale pour tous,
l'abolition des barrières sociales dans l'espoir que la richesse matérielle
serait mieux répartie que par le passé. En fait, elles visaient à posséder
plus, ainsi qu'à partager plus entre tous.
Mai 68, c'était différent : au
lieu de viser la possession, elle visait l'être ; c'était une réaction à
la société de consommation ; en gros, son idéologie était plutôt du type
philosophique que matérialiste. Le communisme orthodoxe, le Parti officiel
était devenu une sorte d'institution, on pouvait même parler d'embourgeoisement
de la lutte des classes. Ayant fait la révolution une fois pour toute, ils
s'étaient installés dans une société technocratique satisfaite d'elle-même, du
moins en Union Soviétique, et les Soviétiques avaient l'intention d'exporter
leur révolution dans le reste du monde.
Par bonheur cependant, Trotski
existait, ou avait existé. L'approche trotskiste était la révolution
continue. Le principe révolutionnaire en était qu'on ne devait jamais se
satisfaire de ce qu'on avait obtenu, qu'au contraire, il était de la plus
grande importance de maintenir l'esprit révolutionnaire et de conserver un état
de combat permanent. Malgré tout, on n'était pas au bout de la route :
apparemment, durant la décennie qui avait précédé mai 68, il y avait eu dans le
monde artistique un mouvement laissant présager un nouveau type de révolution,
largement inspiré par l'idéologie maoïste, qui devait surgir un jour ou
l'autre.
Un article paru dans une édition
spéciale de la revue l'ARC consacrée à Jean-Paul Sartre, écrit par Pierre
Trotignon, professeur de philosophie à la Sorbonne, était abondamment cité par
l'auteur. Selon Trotignon, une nouvelle mécanique révolutionnaire était en
marche. Une société de consommation purement technologique est condamnée à long
terme, que ce soit au sein du capitalisme privé d'Europe Occidentale ou du
capitalisme d'état d'Europe de l'Est : le futur appartient aux
philosophes. C'est aux philosophes de faire entendre leur voix, ce qui ne veut
pas dire que leur message soit forcément agréable à entendre. Pourquoi ?
Parce que cela prédit la propagation de la terreur dans le futur.
La philosophie de demain serait en
fait plus qu'une philosophie de la terreur, ce serait une philosophie
terroriste, en lien étroit avec la pratique du terrorisme. L'âme de la société
occidentale étant pourrie, y compris celle des classes populaires, nos pensées
et réflexions sont incapables de la sauver. L'âme de notre salut est en ce
moment forgée sur les bords du Sin-Kiang... La société dans laquelle nous
vivons était condamnée à refuser de plus en plus sauvagement d'entendre la voix
de la raison, ce qui nous mènerait, lentement mais sûrement, à la nécessité de
la violence pure.
Les étudiants réalisaient-ils que
leur réaction à l'hyperconsommation, dans l'espoir d'un état d'hyper-existence,
conduisait inévitablement notre société à l'hyper-terrorisme ? Il est
important d'insister sur ce fait si nous voulons comprendre ce qui se jouait la
nuit au Quartier Latin.
Laissons Trotignon de côté pour
reprendre l'argumentation de l'auteur du pamphlet : en analysant les
événements tels qu'ils se présentaient, surtout dans les universités, l'homme
de la rue était incapable de comprendre la direction que prenaient les faits
qui se passaient sous ses yeux, les principes fondamentaux de la stratégie
révolutionnaire lui échappaient. La lutte des classes ayant fait tomber les
différences entre classes sociales, il était devenu nécessaire d'envisager une
forme d'agression de classe plus subtile que par le passé, une sorte de Révolution Culturelle dont le but serait
de renverser le système social actuel.
Le meilleur endroit pour débuter le
chambardement de la société était l'Université, tellement désorganisée en
France qu'on pouvait tabler sur une faible opposition. Des groupes des Jeunesse
Maoïste montraient l'exemple en s'opposant aux syndicats et aux dirigeants du
Parti communiste. Les syndicalistes devaient être convertis à d'autres manières
de penser et d'agir, la jeunesse prolétarienne devait être encouragée à agir en
synergie avec d'autres mouvements de jeunesse, à condition que ces derniers
soient prêts à abandonner leurs privilèges historiques.
Vers la fin du texte, l'auteur
anonyme posait une question primordiale, mais ne semblait pas en mesure d'y
apporter de réponse : les événements de ce qui apparaît comme un nouveau
mécanisme révolutionnaire sont-ils le résultat d'un projet planifié ? Si
oui, qui est derrière tout ça ?
Les principes de cette nouvelle
technique révolutionnaire semblaient basés sur le cycle provocation-répression-violence : les autorités devaient
être l'objet de provocations, comme à Nanterre ou à la Sorbonne ;
là-dessus, ces mêmes autorités réagissaient en fermant les facultés, ce qui est
le second stade, la répression. Les étudiants réagissaient inévitablement par
la violence — le troisième stade. Cette manière de penser donnait une sorte
d'accord parfait à la sauce hégélienne, thèse — provocation, répression —
antithèse et violence — synthèse, en somme, la dialectique de mai 68. Mais qui
était derrière ?
Les facultés, collèges et écoles
avaient été fermés partout en France, les examens annulés. La fermeture des
foyers d'instruction jouait en la faveur des fauteurs de troubles. De cette
façon, on sapait le concept logique d'une société établie, ce qui était le but
premier des auteurs de cette révolution. Leur identité n'était pas révélée,
s'ils existaient, ils restaient bien cachés. Il était clair cependant que si
les choses échappaient à tout contrôle en France, la conséquence inévitable
serait l'anarchie, et ce qui se profilait derrière le spectre de l'anarchie
n'était rien moins qu'une Révolution culturelle à la chinoise. Une fois ce système en place, cela reviendrait à une
dictature terrifiante, idéologie sans visage et sans nom, basée simplement sur du
vide et du néant.
Le fait est que des petits groupes
d'activistes encourageaient sans arrêt les étudiants comme les ouvriers à une
escalade dans l'offensive. À ce jour, je ne sais pas si quiconque a jamais su
qui ils étaient. L'ombre d'une forme logique de tactique de violence est restée
vague. Non loin du pronostic final de la « Machine Infernale », elle
est restée sans visage et sans nom.
Le Nonce m'avait demandé de revenir
le lendemain.
Lors de notre entrevue, il m'expliqua
que, face au fait indiscutable que le pays était coupé du reste du monde, il
n'avait aucun moyen de dépêcher la Valise à Rome. Il me remerciait de lui avoir
remis un exemplaire de l'ouvrage La
Machine Infernale, semblait vraiment tenir à ce qu'il parvint au Vatican,
et serais-je prêt à convoyer cette valise à Rome ?
— Mais comment quitter le territoire
français ?
— Vous m'avez dit que vous étiez
l'aumônier des scouts de votre paroisse ?
— C'est exact.
— Pourriez-vous demander à l'un de
vos chefs de Troupe de vous conduire en voiture à la frontière belge ? Il
y a une pénurie d'essence mais je vous en fournirai. Une fois que vous êtes à
la frontière, à la première gare, sautez dans un train pour Bruxelles et de là,
prenez un avion pour Rome dès que vous pouvez. Mais quoi qu'il arrive, ne
perdez pas la Valise !
Il m'expliqua qu'il me donnerait un
laissez-passer indiquant que pour cette occasion, j'étais un porteur de
Valise diplomatique du Vatican et ajouta qu'il me donnerait de quoi
subvenir à toutes mes dépenses pour le voyage.
— Vous aurez toute ma reconnaissance.
Une fois à Rome, restez quelques jours sur place au cas où on voudrait vous
charger de quelque chose pour le retour !
D'un air soudain tendu, il m'expliqua
que certains prêtres avaient suivi les événements à un tel point qu'ils
s'étaient laissés contaminer, devenant hostiles à l'existence même du sacerdoce
et à l'autorité ecclésiastique.
— Le Pape doit être mis au courant de
tout cela. Rome ne doit pas avoir la presse comme seule source d'information !
Regagnez votre paroisse et dès que tout sera prêt, je vous le ferai savoir.
C'est à ce stade qu'on fut quelques
heures sans nouvelles du général de Gaulle. Pendant ce temps, plusieurs
syndicats, la CFDT, la CGT et d'autres, organisèrent une manifestation de masse
qui réunit environ cinq cent mille personnes, de la place de la Bastille à la
gare Saint-Lazare. Finalement, les syndicats avaient rejoint les étudiants.
Lors d'une autre manifestation, huit cent mille personnes défilèrent du même
point de départ jusqu'au Trocadéro, la première fois que des manifestants
s'approchaient des quartiers bourgeois... Je me tenais sur l'Esplanade du
Trocadéro pour les voir arriver. De loin, on aurait dit du plomb fondu se
répandant jusqu'à couvrir les pelouses devant l'École Militaire.
Les rumeurs les plus folles
circulèrent dans Paris une fois ébruité la disparition du Général, la palme en
revenant à celle-ci : selon toute vraisemblance, il s'était envolé pour
Prague rencontrer Kossiguine et lui demander d'essayer de mettre un terme aux
troubles en France par le truchement du Parti Communiste Français. Beaucoup
auraient pu être enclins à croire cette rumeur parce que si le général de
Gaulle avait à ce moment demandé aux dirigeants soviétiques d'intervenir en sa
faveur, il y a des chances qu'ils l'auraient fait.
Le lendemain, de Gaulle réapparut —
on sait maintenant qu'il s'envola en Allemagne pour une visite éclair au
général Massu et fit sur les ondes un discours énergique. Seuls les gens qui
possédaient des transistors purent l'entendre parce que la radio et la
télévision d'état n'avaient plus d'électricité. Ce discours eut l'effet
escompté. À partir de là, le général, incarnation de la légitimité de la République
française, commença à gagner la bataille contre l'anarchie qui menaçait le
pays.
Le nouvel archevêque de Paris, Mgr
Marty, venait d'arriver de Reims où il était archevêque. Il prit ses fonctions
dans ces circonstances plutôt exceptionnelles. Il dit par la suite qu'il ne
savait même pas où se trouvait le boulevard Saint-Germain, là où se passaient
la plupart des échauffourées. Le cardinal reçut un groupe de journalistes dans
sa résidence non loin des Invalides et leur dit avec — ou sans — sagesse :
« Dieu est un démocrate ». Il ajouta :
Il
est exact qu'aujourd'hui, on parle d'Église du Silence à propos de l'Église
d'Europe de l'Est. Nous ne pouvons cependant pas en ces temps-ci parler
d'Église du Silence à Paris, nous n'avons pas le droit de nous taire. Des
chrétiens de toutes confessions sont activement engagés dans ce qui se passe
autour de nous. La hiérarchie ecclésiastique, c'est-à-dire les évêques et le
clergé, demande aux laïcs d'assumer leurs responsabilités.
Je passai encore trois jours à Paris
avant de m'embarquer pour un périple en zigzag pour Rome. Durant ces trois
jours — en fait trois nuits — il me fut possible d'assister à des réunions dans
d'autres paroisses, intéressantes autant qu'alarmantes. Je ne les aurais
manquées pour rien au monde.
Dans des salles paroissiales, je fus
témoin de réunions qui n'avaient rien de paisible, de messes aussi, car voici
ce qui se passa à Chaillot : au début de la messe anticipée du samedi
soir, comme le curé montait à l'autel pour commencer la célébration, un jeune
homme prit soudain le micro et déclara :
— J'ai une communication à faire au
nom d'un mouvement récemment créé, 'Bible et Révolution'. Laissez-moi
vous... — » Il n'alla pas plus loin car plusieurs paroissiens se saisirent
de lui. Ce fut tout pour celui-là, mais on était loin d'avoir vu la fin de
l'agitation. Sorti de nulle part, un groupe d'une cinquantaine d'étudiants se
mit à crier quelque chose comme « Église, libre ! », l'un
d'entre eux portant une pancarte « la Vérité n'a pas besoin de protection ».
Il en résulta un incident bruyant entre ceux qui voulaient participer à la
messe et les manifestants qui voulaient transformer celle-ci en un vrai débat
politique.
Vu les difficultés de transports,
nous nous étions, notre organiste qui habitait en banlieue et moi-même,
tacitement mis d'accord sur le fait que je la remplacerais en cas de besoin.
J'étais à la tribune de l'orgue depuis le début, j'avais déjà joué quelque
chose en introduction et me demandais quoi faire. Il semblait évident que la
messe ne pourrait être célébrée tellement l'église résonnait de cris et de
vacarme. Je tirai alors tous les registres possibles et entonnai l'Entrée
des Dieux au Walhala, extraite de la dernière scène de l'Or du Rhin —
jamais je n'ai joué Wagner à l'orgue dans une atmosphère si électrique !
Le calme finit par revenir, les étudiants quittèrent les lieux aux cris de « À
bas la bourgeoisie », et la messe commença avec trois-quarts d'heure de
retard sur l'horaire.
La nuit du 26 au 27 mai, dans une
salle paroissiale de la banlieue Est, j'assistai à une discussion ouverte entre
les représentants de diverses tendances politiques et sociales, dont je notai
les interventions sur mon calepin. Ainsi, une jeune étudiante : « C'est
le devoir de tous les chrétiens de se sentir aussi concernés que possible par
le combat de classes que nous traversons. À nous de choisir entre Dieu et
Mammon — la révolte des étudiants est au fond une révolte spirituelle ».
Un autre étudiant, se présentant
comme élève ingénieur : « Nous rejetons la société de consommation
car nous préférons une société de contestation — c'est à cela que le Christ
nous demande de parvenir maintenant ».
Un Dominicain nous annonça la
création, la semaine précédente à Lyon et à Paris, d'un groupe de prêtres,
nommé Échange et Dialogue : le but de ce groupe était de
propager l'abolition de la caste des prêtres, ajoutant que la société
avait souffert trop longtemps du divorce tragique entre la foi et les forces
révolutionnaires à l'œuvre pour l'émancipation de l'homme. Visiblement, le
Dominicain partageait les vues d'Échange et Dialogue.
Une religieuse se leva et prit la
parole devant l'assistance qu'elle gratifia d'un « Mes chers Camarades
anarchistes » :
La
société idéale pour laquelle vous luttez, je lutte moi aussi pour elle depuis
trente ans, depuis que je suis rentrée dans mon ordre religieux. Vous voyez, je
ne possède rien et je suis prête à aller jusqu'au bout du monde pour ce en quoi
je crois. Et ce en quoi je crois, c'est le combat contre la souffrance et
l'injustice sociale. Dans ce que vous dites, une bonne partie se résume à
prendre vos désirs pour la réalité ! La différence entre nous, c'est que
vous vous réclamez du Che Guevara, et moi de Jésus-Christ.
Un autre prêtre se leva et dit ces
mots :
Nous
nous devons de rejeter une société basée sur l'argent, ternie par le mensonge.
Nous devons rejeter toute forme de confort, et cesser de vivre nos vies trop
installées. Il faut de l'imagination pour faire la révolution et détruire les
structures d'oppression. C'est notre vocation chrétienne aujourd'hui. Ce qu'on
avait l'habitude de nommer conversion ne peut plus être considéré comme une affaire
privée, la vraie conversion est collective et révolutionnaire. Si nos buts ne
sont pas politiques autant que révolutionnaires, la vie de l'Église sera vide.
Les lazzi fusèrent de toute part.
— Comme chrétiens, soyons honnêtes,
nous ne faisons pas la révolution, nous adaptons juste la révolution à notre
bénéfice.
— En tant qu'anarchiste, je ne vois
pas bien le rapport entre religion et révolution. Parce que le vent tourne,
l'Église veut changer aussi ! Vos efforts sont pathétiques, ridicules.
À ce stade, le curé voulut dire un
mot : « Nous chrétiens sommes peut-être longs à la détente, mais tout
de même un peu plus rapides que le Parti communiste qui vient seulement de
reconnaître officiellement l'existence de barricades au Quartier Latin ! »
— il s'ensuivit un grand rire et de nombreux applaudissements.
Cela dura comme ça jusque tard dans
la nuit, mais il me fallut partir car le lendemain débutait une mission très
spéciale.
Les oreilles pleines d'une incroyable
cacophonie de cris aigus et de hurlements, nous nous mîmes en route pour la
Belgique, le chef scout et moi, par un petit matin gris, sur une autoroute du
Nord complètement déserte. J'avais l'impression de quitter un pays paralysé se
débattant avec son identité.
Avant de quitter Paris, nous nous
étions arrêtés à la nonciature pour prendre la Valise diplomatique, trois
petits jerrycans d'essence que donna le Nonce au chef, et je reçus une
enveloppe de dollars. Nous gagnâmes Tourcoing, trouvant bizarre d'y voir les
bus et trains rouler normalement. La Valise consistait en une grande enveloppe
blanche ornée du sceau du Vatican. Pendant le voyage, la « Valise »
était dans une vraie valise posée sur la banquette arrière de la voiture, et je
mis au point une ruse qui m'étonna moi-même — d'où avais-je tiré cette idée,
d'un film ?
Nous arrivâmes au centre de la ville
pour nous arrêter déjeuner quelque part, et il était évident que je ne pouvais
pas laisser l'enveloppe dans la valise à l'arrière de la voiture — que faire ?
Prenant l'enveloppe, j'expliquai au jeune chef que nous devions absolument
trouver un magasin qui vendait des laisses pour chiens. Ahurissement de sa
part. Nous trouvâmes un tel magasin sans trop de difficultés, et fîmes route
vers un restaurant. Le chef scout n'était pas au bout de ses surprises, surtout
quand je lui demandai de m'accompagner aux toilettes. Je retirai ma chemise et
lui demandai de coller l'enveloppe contre mon dos, puis il ajusta la laisse de
façon à fixer le paquet.
Pendant deux jours et demi,
l'enveloppe reposa entre ma peau et ma chemise.
Je n'étais pas le seul parisien à
avoir gagné Bruxelles par n'importe quel moyen, en espérant pouvoir s'envoler
de là-bas, et attraper un vol à destination de Rome me prit deux jours. Pendant
tout ce temps, que je dorme, que je mange ou que je déambule dans la ville,
l'enveloppe toujours à la même place offrait tout juste assez d'inconfort pour
se rappeler à ma conscience. Une fois à Rome, après avoir trouvé une chambre
dans mon bon vieux séminaire, je pris le chemin du Vatican.
À cette époque il était plus facile
d'avoir une entrevue avec le Secrétaire d'État que maintenant. En un rien de
temps, je toquai à sa porte. C'était un dimanche après-midi, la porte s'ouvrit
et Monsignor Benelli apparut. Ce prélat avait été attaché à la nonciature
apostolique à Paris dans les années 50 alors que j'étais à l'ambassade, et nous
étions devenus bons amis. Pendant des années, il avait été le seul prêtre
catholique dans mes connaissances et quand je fus reçu dans l'Église
catholique, il fut l'un des deux témoins qui signèrent ma profession de Foi.
Après des postes dans différentes capitales, il avait été nommé substitut
du pape Paul VI, ce qui est un peu l'équivalent d'un ministre d'État particulier.
Extrêmement surpris à ma vue, il
m'accueillit avec ces mots :
— Mais que se passe-t-il à Paris ?
Est-ce que c'est comme les grèves de 1955 où seulement la moitié des bus
roulait ?
— La moitié ? Non Monseigneur,
rien ne marche et c'est bien pour ça que je suis là !
Je lui donnai les explications quant
à la Valise, y compris où elle était. Il sourit, m'introduisit dans une pièce
dans laquelle j'enlevai avec beaucoup de soulagement l'enveloppe de dessous ma
chemise. Puis, autour d'un café servi par une religieuse, je lui fis un récit
assez détaillé des événements à Paris. Il écoutait bouche bée, répétant « Mais
comment est-ce possible ? », car il semblait savoir très peu, sinon
rien de la situation en France, ce qui ne laissa pas de m'impressionner.
Il me remercia pour la commission et
s'enquit de la durée de mon séjour à Rome au cas où il y aurait quelque chose à
rapporter à Paris... Je ne pouvais rien faire d'autre que de rester sur place
jusqu'à la fin des troubles. Comme je prenais congé, il me dit clairement avec
quel intérêt le Saint-Père lirait le contenu de l'enveloppe. J'allais très vite
avoir la preuve que l'ouvrage La Machine Infernale s'y trouvait
bien.
Quand je regagnai Paris, la crise
était terminée et je revins les mains vides ; l'occasion de transporter la
Valise diplomatique ne se représenta jamais.
Le général de Gaulle dissout le
Parlement et son gouvernement lui revint avec une confortable majorité, mais,
bloqué à Rome, j'avais raté l'énorme manifestation en sa faveur sur les Champs-Élysées.
Une semaine après les élections, je
fus invité pour quelques jours dans une propriété dans la Sarthe. À mon arrivée
tard dans l'après-midi, on me montra ma chambre, dans laquelle Chateaubriand
avait séjourné deux cents ans avant moi. Au moment de l'apéritif, je descendis
avant les autres et me trouvai seul un instant, sans savoir quoi faire en
attendant. Mon regard tomba sur un document posé sur une table, La Machine Infernale ! Les invités
commençaient à arriver, le verre à la main. Quand je parvins à placer un mot —
ce qui me semble toujours un exploit dans une assemblée purement francophone — je
demandai à mon hôte ce qu'était ce petit livre sur le guéridon.
— Oh, ça ! C'est le fameux
pamphlet La Machine Infernale ! Il nous a bien aidés à gagner les élections !
— Comment cela ?
— Mon vieux, vous devez bien être le
seul parmi nos connaissances à ne pas en avoir entendu parler. Des dizaines de
milliers d'exemplaires en ont été distribués en France par la Division Leclerc.
Ça a vraiment fait avancer notre cause et nous a sauvés de l'anarchie
soixante-huitarde. Prenez-le avec vous et vous me direz demain ce que vous en
pensez !
J'emportai bien évidemment le
document dans ma chambre. C'était une version abrégée, trois pages et demi
imprimées — au lieu des treize pages dactylographiées serré de l'original. Ces
pages se terminaient sur une courte conclusion qui ne figurait pas dans la
version longue :
Le
vide cause la désintégration totale de l'individu et annihile sa liberté
individuelle comme sa personnalité. Un individu libre ne peut que s'opposer à
une telle force de destruction. Ceux qui chérissent leur liberté peuvent-ils
tolérer une machination si infernale ?
Une fois dans le lit de
Chateaubriand, je me mis à réfléchir. Je comprenais mieux maintenant pourquoi
mon ami diplomate était tellement désireux d'en avoir un exemplaire ! Il
était compagnon de la Libération, il avait donc utilisé les anciens de la
Division Leclerc pour distribuer une édition abrégée de ce document comme
avertissement aux électeurs sur ce qui risquait de se passer s'ils ne votaient
pas pour de Gaulle. La vieille garde s'était donc montrée à la hauteur, fidèles
à leur chef de guerre maintenant chef de l'État.
C'est du livre de Tournoux Le Mois de Mai du Général, publié en
1969, que je tirai la chose suivante, qui avait été à l'origine l'action de mon
ami : le pamphlet avait immédiatement été montré au ministre des Affaires
Étrangères, M. Couve de Murville, qui en donna une copie à M. Pompidou. En fin
de compte, il arriva à l'Élysée.
Mais le voyage de cet engin de guerre
avait commencé entre la banlieue sud et l'appartement de Monsieur X de YZ***,
sur une humble mobylette.
Quelques semaines plus tard, la
presse parisienne rapportait les déclarations du Pape Paul VI lors d'une
audience publique place Saint Pierre :
Le
Saint-Père déclare que des tendances récentes à l'anarchie se sont manifestées
autant dans la société ecclésiale que dans la société civile. Suivre un tel cap
reviendrait tant pour l'Église que pour la société, à souffrir une réelle
désintégration...
On ne peut que se poser une question
évidente : mai 68 était-il seulement un feu de paille ? Un feu très
certainement car les questions de fond furent posées au grand jour, avec une
insistance sur les réponses de fond. Les questions ont été posées. Les réponses
n'ont jamais été données — ou pas encore données ?
Arnold van
der Westhuizen Smit, in Itinéraires, Le Cap – Rio – Paris (L’Harmattan)