« Je vous annonce une joie
fantastique », dit l'ange de Luc. Les deux premiers chapitres, les
enfances, culminent à la grande annonce de la joie : « Je vous
annonce une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple :
il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le
Christ Seigneur. Et voici le signe : vous trouverez un nouveau-né dans une
mangeoire » (2, 10-12).
Un nouveau-né dans une mangeoire.
Tout le ciel en branle-bas d'anges et de lumières pour une naissance obscure
chez des petites gens. Et ces scintillantes enfances se terminent par un
désarroi : « Marie et Joseph ne comprirent pas » (2, 5o). Dès
qu'il s'agit de Jésus, on est toujours dans la lumière et dans la nuit.
J'ai longtemps cru que pour Marie,
depuis l'Annonciation, tout était lumière et qu'à Noël elle s'émerveillait
d'avoir à bercer Dieu. Mais un troisième texte me semble être la clé des
chapitres sur l'enfance et même la clé de tous nos efforts pour mener une
relation avec Jésus : « Marie enregistrait avec soin ces
événements et elle les méditait »
(2, 19 et 51).
Elle était juive, fille du peuple
formé pour proclamer que Dieu est l'Unique, le Seul. Juive fervente, elle
attendait le Messie sans pouvoir soupçonner les révélations inouïes : Dieu
est bien l'Unique, mais il n'est pas solitude ; Dieu aime les hommes
jusqu'à tenter l'expérience d'une vie d'homme. Trinité et Incarnation. Ce sont
là, bien sûr, des mots impuissants à dire dans quels mystères Marie entrait.
Tout était pour elle difficile à concevoir et à vivre. La regarder devant
l'Enfant est pour nous une leçon de foi contemplative.
Qui est cet enfant ?
Mais l'ange de l'Annonciation ne lui
avait-il pas tout dit ? « L'Esprit Saint viendra sur toi, la
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. Celui qui va naître de toi
sera saint et on l'appellera Fils de Dieu » (1, 35).
Cela dit tout, en effet, mais Luc
écrit cela après les événements, quand désormais brille sur Jésus la lumière de
Pâques. Nous savons que le Ressuscité est le Fils de Dieu, nous nous sommes
faits peu à peu à l'impensable : Jésus est Dieu.
Les quatre Évangiles commencent tous
par cette violente lumière :
Marc : « Commencement de
la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu ».
Matthieu : « Ce qui est
né en Marie, dit l'ange à Joseph, est de l'Esprit Saint ».
Luc : « Il sera appelé
Fils de Dieu ».
Jean : « Au commencement
était le Verbe... Et le Verbe était Dieu... Et le Verbe s'est fait chair ».
Dans la lumière d'après Pâques, sur
l'Annonciation et sur Noël, nous voyons clairement que Marie est Mère de Dieu.
Mais pour elle, à ce moment-là, quelles étaient ses lumières ? Elle avait
conscience d'être la Mère du Messie, par conception virginale. La méditation de
cette étrangeté la faisait accéder à une première connaissance de son Fils :
il n'était pas comme les autres, un lien unique unissait cet enfant à Dieu.
Mais Luc, qui savait beaucoup de
choses par ceux qui avaient connu Marie, n'hésite pas à écrire qu'elle ne
comprit pas, et Joseph non plus, « ce
que l'on disait de leur enfant » (2, 33), et surtout ce
que Jésus à douze ans leur révélait : « je dois être tout à mon
Père » (2, 49).
Bien que les traductions de cette parole soient diverses, le sens reste le même :
à douze ans, et au Temple, Jésus prend conscience de ce qui va dominer son être
et sa vie, il a un Père qui n'est pas un père de la terre. En repartant pour
aller reprendre à Nazareth la vie ordinaire, Marie garde cela dans son cœur.
Comment me cherchez-vous ?
Dans les premières pages de son
Évangile, Luc nous dit tout sur Jésus en prenant pourtant bien soin de nous
avertir : regardez Marie et Joseph, ils reçoivent les messages de Dieu et
les événements (les messages de Dieu par les événements), ils les méditent et
ils progressent. La foi n'est pour personne un ensemble statique, complet et
définitif, elle est pour chacun de nous, comme elle le fut pour Marie et
Joseph, un cheminement personnel, une progression originale.
Quand Élisabeth définit si bien Marie
en lui disant : « Toi, tu es celle qui a cru » (1, 45), on pense instinctivement
que Marie a été d'emblée celle qui adhère en toute clarté au dessein si
déroutant de Dieu : par elle, le Verbe, le Fils, allait mener une vie
humaine. Luc corrige nos vues. Marie adhère, oui, mais aux grandes choses (1, 49) qu'elle découvrira peu à peu à force de
méditation et de courage, en regardant son enfant vivre, mourir et ressusciter.
J'y gagne un modèle pour ma propre
foi. À cette Marie qui devait progresser et à Joseph qui a dû progresser encore
plus difficilement, je peux dire : aidez-moi à contempler l'Enfant. Bien
que j'aie toutes les lumières, je suis aussi désemparé que vous, lorsqu'il
demande : « Pourquoi me cherchez-vous ? Comment me
cherchez-vous ? »
Depuis tant d'années, je vais à lui
ou trop comme à un homme ou trop comme à Dieu, jamais les deux à la fois assez
liés. Autrefois, je disais facilement les mots du discours chrétien :
Trinité, Incarnation, Jésus Christ Fils de Dieu, Jésus vrai Dieu et vrai homme,
Jésus Christ ressuscité. Maintenant, j'essaie de vivre avec ces mots et de ces
mots, et je vois qu'il ne faut pas cesser de les ruminer dans la prière pour
qu'en restant mystère ils nous disent comment, dès ici-bas, établir une
relation d'amour avec le véritable Jésus Christ.
Jésus est Dieu qui nous aime
Nous allons d'ordinaire tout de suite
à ce que Jésus dit et à ce qu'il fait. Contre ce mouvement instinctif les
chapitres sur l'enfance ont ceci de capital : ils nous retiennent un
moment devant ce qu'il est. C'est le mystère le plus central, le plus
difficile et le plus joyeux : Jésus est Dieu qui nous aime.
Aucun Messie, aucun Sauveur seulement
homme, super-homme autant qu'on puisse l'imaginer, n'aurait pu nous dire avec
une telle puissance convaincante : Dieu vous aime. Jésus le dit à Noël
simplement en étant là, en étant ce qu'il est, Dieu même venu nous aimer. La
Présence.
Lorsque je regarde l'Enfant, je ne
pense pas encore à ce qu'il va faire pour nous sauver. Je me dis que puisqu'il est là, tout est
possible, rien n'est impossible à
Dieu (1, 37). Si j'arrive à croire que Dieu lui-même vient pour nous sauver, je
n'éprouve plus ensuite de difficultés à croire ses paroles, ses miracles,
l'obligation de passer comme lui par la souffrance ; je peux croire à sa
résurrection, à l'Eucharistie, à l'Église.
Mais il faut que je commence là,
devant la crèche, près de Marie et de Joseph, à apprivoiser le mystère d'où
tout découle : cet enfant est vraiment homme et vraiment Dieu.
Apparemment, un simple fils d'homme :
« Il était le fils, croyait-on, de Joseph » (3, 23). Nous, nous savons
beaucoup plus. Nous apprenons par Luc que sa généalogie l'insère au plus
profond de la race humaine jusqu'à Adam (3, 23-38). On voit aussi, dès les
enfances, à quel point ce fils d'homme est un être exceptionnel. Vers lui
convergent tous les grands courants de l'Ancien Testament : les prêtres
avec Zacharie, les rois avec Joseph descendant de David, les sages avec les
mages et les docteurs de la Loi, les prophètes avec Siméon et Anne, les pauvres
de Yahvé avec les bergers. C'est l'enfant des promesses, de la Promesse, du
serment fait à Abraham (1, 73 ; 1, 55).
Mais si toute la terre et toute
l'histoire montent vers Jésus, fruit dernier des longues préparations, c'est le
ciel qui descend pour annoncer l'incroyable : l'Enfant est aussi de
là-haut. Il y a tout un mouvement d'en haut vers en bas : « La
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre », dit l'ange. « Dieu
m'a regardée, dit Marie, il est intervenu de toute sa force ». Et Zacharie : « Le
Dieu d'Israël a visité son peuple ». Enfin, l'ange de Noël : « Il vous est né un
Sauveur qui est le Christ-Seigneur ». Seigneur ? C'est Dieu. « Il sera appelé Fils de
Dieu ».
Entrer dans ces mystères
Nous voici devant le seuil à franchir
dès que nous voulons rencontrer Jésus, et déjà face à l'Enfant de la crèche :
Jésus Messie, Jésus Christ, est infiniment plus que le Messie attendu, il est Fils de Dieu. Avec tout ce que cela nous
dit sur Dieu : l'Unique est Père ! L'Unique est Amour. Tout doit être
vu et tout peut être cru dans cette lumière. Si Dieu est Amour, et Amour à ce
point, il n'a pu inventer ni des esclaves à terroriser, ni des jouets dont on
s'amuse, ni des objets d'expérience. Il a créé par surabondance d'amour, pour
aimer et être aimé.
La preuve ? Elle est là. Dans
cet enfant dont le premier mot sera la suprême révélation : « Je
dois être tout à mon Père ».
Et le dernier mot : « Père, entre tes mains, je remets
mon esprit » (23, 46).
Cherchons-nous Jésus ? Tout de
suite, il approfondit notre recherche. Pourquoi me cherchez-vous ? Comment
me cherchez-vous ? dit-il à douze ans. « Qui pensez-vous que je suis ? »,
demandera-t-il plus tard.
Seigneur, tu as été pour Marie et
Joseph un enfant difficile à comprendre. Je ne demande pas que pour moi tout
soit facile quand je pense à toi, quand je vais vers toi. Je veux seulement
apprendre de Marie à conserver dans mon cœur les paroles et les événements, et
à savoir les méditer. Pour que je vive de plus en plus de ces mystères d'amour :
Dieu est Père, tu es son Fils et tu es entré pour nous dans notre vie d'homme.
André Sève, in Avec Jésus, qu’est-ce
que tu vis ? (Centurion)