la question majeure de notre temps devient :
peut-il exister une communion sans transcendance,
et sinon, sur quoi l'homme peut-il fonder ses valeurs suprêmes ?
Sur quelle transcendance non révélée peut-il fonder sa communion ?
J'entends de nouveau le murmure que j'entendais naguère :
à quoi bon aller sur la lune si c'est pour s'y suicider ?
André Malraux
Il n'est pas besoin d'aller sur la
lune pour se suicider : notre terre n'en finit pas d'enterrer les jeunes
et moins jeunes qui choisissent de mettre un terme à leur vie. Les statistiques
en ce domaine sont tragiquement éloquentes, mais les mass-medias ont pour
consigne de ne pas lever le tabou. Il vaut mieux d'ailleurs ne pas accroître le
désespoir d'une humanité toujours tentée par la fascination de la mort ;
mais le fait demeure, massif et bouleversant, assez pour que la question de
Malraux garde sa pertinence, soulignant au passage le malaise de nos sociétés
qui ne savent plus sur quoi l'homme peut fonder ses valeurs suprêmes. Voilà qui
ouvre toutes grandes les portes des paradis artificiels, de la drogue, du sexe
et de l'ésotérisme de pacotille : les amateurs s'y bousculent, encouragés
par des maîtres à penser qui faisaient hier le procès de la religion opium du peuple pour nous bâtir
dorénavant une société dans laquelle l'opium est devenu la religion du peuple.
On mesure d'autant mieux la vanité de
tant de discours officiels qui, face à ce constat, se contentent de proposer
aux électeurs potentiels panem et circenses, veillant jalousement à
garantir, coûte que coûte, le niveau de
vie auquel ils ont droit ; mais de quelle vie s'agit-il alors ?
L'homme guérit-il sa peur de vivre au vu et au su du prix du pétrole et de la
hausse du dollar et du cours de l'euro ? Curieuse époque que la nôtre qui
enferme l'univers humain dans le ghetto matérialiste des conditionnements
économiques : rien d'étonnant qu'il y étouffe et cherche à en sortir par
tous les moyens, même les pires.
Et l'Église de Jésus-Christ ?
Va-t-elle se contenter, dans son désir de rejoindre la vie des hommes de notre
temps, de reprendre les thèmes inlassablement repris des discours généreux sur
la justice et la dignité ? N'a-t-elle rien d'original à proposer et
peut-elle se contenter d'épouser les utopies à la mode ? Question
provocante ? Peut-être, mais c'est l'Évangile qui est provocant lorsque,
par la bouche de Jésus lui-même, il nous apprend « que l'homme ne vit pas
seulement de pain » (Lc 4, 4). L'Occident ne meurt pas de faim en notre
univers de consommation mais connaît la plus douloureuse des frustrations :
celle de ne plus savoir pour quoi il vit. Coupé de sa source originelle,
arraché du Cœur de Dieu, l'homme moderne connaît le poids de la solitude et
l'angoisse d'avoir à affronter les autres, ses frères en humanité.
Ce diagnostic sans complaisance,
l'Église de Vatican II l'établissait déjà il y a presque quarante ans quand il
livrait son analyse de l'univers contemporain :
Le nombre croît de ceux qui, face à
l'évolution présente du monde, se posent les questions les plus fondamentales
ou les perçoivent avec une acuité nouvelle. Qu'est-ce que l'homme ? Que
signifient la souffrance, le mal, la mort qui subsistent malgré tout le progrès ?
À quoi bon ces victoires payées d'un si grand prix ? Que peut apporter
l'homme à la société ? Que peut-il en attendre ? Qu'adviendra-t-il
après cette vie ? 1
On trouverait la même analyse dans
l'enseignement de Jean-Paul II qui, dans l'encyclique Dives in misericordia reprend
à son compte les quelques lignes que je viens de citer pour les conclure ainsi :
Ce tableau des tensions et des
menaces propres à notre époque serait-il devenu aujourd'hui moins inquiétant ?
Il semble que non. Au contraire, les tensions et les menaces qui, dans ce
document conciliaire, paraissaient seulement s'esquisser se sont bien davantage
révélées au cours de ces années et ne permettent plus de nourrir les illusions
d'autrefois. 2
Un ton qui se fait sévère quand le
Pape dénonce la culture de mort qui
se répand dans les institutions et les sociétés sous le couvert de lois permissives
qui en viennent à banaliser des actes qui attentent à la vie des innocents et
légitiment des comportements manifestement contraires à la loi de Dieu. Paroles
prophétiques vite emportées par les courants intellectuels à la mode !
L'avenir se chargera pourtant d'en vérifier la justesse et l'évidence...
Pourtant le pasteur n'est pas
seulement l'homme du réalisme qui se contente d'enregistrer que ses brebis sont
« lasses et abattues ». Lorsqu'il se réclame de l'Évangile, il ose
avancer une parole d'espérance et appeler ses frères humains à sortir de leur
désarroi :
Il est temps de sortir de votre
sommeil... Rejetons les activités des ténèbres ; revêtons-nous pour le
combat de la lumière. 3
Le langage de l'Église émet la folle
prétention d'apprendre aux hommes à vivre en plénitude, leur promet de goûter
la joie que « nul ne peut enlever » (Jn 16, 22), et la paix que Jésus
seul peut donner (Jn 14, 27).
Jean-Paul II s'appuyant sur ces
promesses évangéliques engage les chrétiens, comme l'avait fait avant lui Paul
VI, à bâtir « une civilisation de l'amour ». Il reviendra sur ce
thème durant ses multiples voyages à travers le monde :
Devenez davantage les pionniers de la
civilisation de l'amour qui seule peut rendre notre monde plus digne de
l'homme... Toute l'Europe attend que se réalise en elle cette civilisation de
l'amour qui est inspirée par l'Évangile et qui est en même temps profondément
humaniste. 4
Ce projet qui suscitera les sourires
entendus des sceptiques qui ont depuis longtemps choisi leur camp : celui
du cynisme blasé et jouisseur d'hommes dont la philosophie, comme au temps de
saint Paul, se résume en ce programme : « Mangeons et buvons car
demain nous mourrons » (1 Co 15, 32). Mais un tel projet suscitera
l'adhésion de ceux qui sont conscients de l'urgence d'un enjeu fondamental pour
aujourd'hui. Vouloir bâtir une « civilisation de l'amour », c'est
tout simplement vouloir rendre à l'homme son incomparable dignité en le
conduisant jusqu'au cœur de son Dieu. Tel est le but que poursuit Jean-Paul II,
au nom d'un Évangile qui annonce que « pour nous et pour notre salut »,
l'Amour de Dieu s'est fait l'un de nous :
Par son incarnation, le Fils de Dieu
s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains
d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté
d'homme, il a aimé avec un cœur d'homme, il est le sauveur de l'homme. 5
Message essentiel que l'Église redit
à satiété à une humanité aliénée par l'athéisme : « Homme, reconnais
ta dignité » !
« Nous avons le culte de l'homme » :
cette phrase
prononcée par Paul VI à la fin du Concile a fait quelque bruit. N'a-t-on pas
reproché au successeur de Pierre d'avoir substitué la religion de l'homme qui
se fait Dieu à la religion de Dieu qui se fait homme ? Étrange contresens
que cette interprétation partisane et qui semble oublier que cette affirmation
du Pape est à interpréter dans le cadre de la doctrine d'une Église qui croit
que l'homme dont elle exalte la grandeur est l'homme en communion avec Son
Créateur.
« Voici l'homme » : au
cœur de la passion du Christ, l'exclamation de Pilate à la foule l'invite à
contempler « l'icône du Dieu invisible » (Col 1, 15), ce visage de
chair et de sang qui est Dieu fait homme.
La longue fréquentation que la communauté des disciples a entretenue avec le
Maître l'amène à proclamer l'audace d'une foi qui affirme sans complexe que :
Le mystère de l'homme ne s'éclaire
vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Le Christ nouvel Adam manifeste
pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. 6
C'est ainsi que parle Jean-Paul II,
dans la foulée de Paul VI et du Concile, mais il faudrait ici écouter d'autres
témoins qui ont appris d'expérience que l'Église, en défendant l'homme contre
lui-même, est gardienne d'un trésor qu'elle n'a pas le droit de gaspiller :
Dans ta nature, ô Dieu éternel, je
connaîtrai ma propre nature.
Sainte
Catherine de Sienne
Non seulement nous ne connaissons
Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par
Jésus-Christ.
Hors de Jésus-Christ, nous ne savons ce que c'est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu ni que nous-mêmes.
Hors de Jésus-Christ, nous ne savons ce que c'est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu ni que nous-mêmes.
Pascal
Le secret suprême de l'humanité,
c'est la naissance de Dieu dans l'homme ; mais le secret divin suprême,
c'est la naissance de l'homme en Dieu. Dans le Christ, Dieu devient un visage
et l'homme, à son tour, connaît le sien.
Berdiaeff
Depuis deux millénaires, l'Église
poursuit obstinément sa mission qui est de dévoiler à l'homme sa vocation
première de créature façonnée à l'image
de Dieu mais trop souvent oublieuse de son origine, et menacée de manquer
le but à atteindre. À la Mère Église de l'aider à conquérir sa vérité plénière
en s'ouvrant à Dieu dans l'obéissance aimante à l'exemple du Fils ; à elle
de lui apprendre que don et sacrifice forgent le cœur évangélique à l'école de
Celui qui a livré son corps et versé son sang « pour la multitude ».
Tel est le chemin qu'elle veut tracer pour celui qu'elle entraîne à la suite de
Jésus, en cet émouvant pèlerinage qu'est toute vie d'homme.
Patiemment l'Église experte en humanité poursuit le long
enfantement de l'homme afin qu'il puisse, sur les routes étroitement liées de
la contemplation et de l'action connaître la grâce de devenir filial et
fraternel en s'arrachant à l'empire des ténèbres pour s'ouvrir à la lumière de
l'amour. Un programme que développera, dès le début de l'aventure de
l'Évangile, Jean le bien-aimé dans la première épître qui lui est attribuée.
Lent et pénible enfantement, qu'on
appelle, en langage chrétien, la conversion : le mot central du message de
Jésus.
Il n'y a pas d'humanité nouvelle s'il
n'y a pas d'abord d'hommes nouveaux de la nouveauté du baptême et de la vie
selon l'Évangile. Le tout de l'évangélisation est donc bien ce changement intérieur...
Les systèmes les mieux conçus deviennent vite inhumains si les pentes inhumaines du cœur de l'homme ne sont pas assainies, s'il n'y a pas une conversion du cœur et du regard de ceux qui vivent dans ces structures. 7
Les systèmes les mieux conçus deviennent vite inhumains si les pentes inhumaines du cœur de l'homme ne sont pas assainies, s'il n'y a pas une conversion du cœur et du regard de ceux qui vivent dans ces structures. 7
On voit que « bâtir une civilisation
de l'amour » implique la crucifiante obligation de la conversion. Elle est
toujours combat contre le péché qui nous habite et arrachement aux pesanteurs
qui nous alourdissent. Programme offert à ceux qui s'engagent dans une nouvelle
étape au lendemain du Jubilé de l'an 2000 :
Pour l'homme qui cherche la vérité,
la justice, le bonheur, la beauté, la bonté sans arriver à les trouver par ses
seules forces et qui reste insatisfait devant les propositions que lui offrent
aujourd'hui les idéologies du matérialisme, pour l'homme qui frôle à cause de
cette insatisfaction l'abîme du désespoir et de l'ennui, ou qui se sclérose
dans une jouissance stérile... l'unique réponse est le Christ... Le Christ
vient au-devant de l'homme pour le libérer de l'esclavage du péché et pour lui
rendre sa dignité originelle. 8
C'est à la lumière du mystère du
Christ qu'il faut réapprendre à lire le mystère de l'homme. Les philosophes
modernes se sont livrés à un travail de décryptage et d'interprétation en
réduisant leur vision de l'homme à telle ou telle dimension de son être :
objet de désirs, passion inutile, faisceau de pulsions, être pour la mort...
L'Évangile nous apprend qui est l'homme : un être fait pour aimer et être
aimé, habité par le souffle de Dieu, ouvert sur l'éternité, blessé par le péché
et guéri par la miséricorde, coopérateur de Dieu pour construire l'univers ;
autant de traits pour dessiner le visage fragile d'un être appelé à voir Dieu :
La gloire de Dieu, c'est l'homme
vivant, la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu.
Saint
Irénée
N'est-il pas vital pour le monde
d'entendre l'Église lui délivrer ce message libérateur ?
Je reviens à la question tourmentée
de Malraux : « À quoi bon aller sur la lune si c'est pour s'y suicider ? »
question qui me renvoie au récent témoignage de cette religieuse qui me dépeint
l'ambiance de l'univers médical de haute technicité dans lequel elle est
soignée : « Tout y est fait pour s'attaquer à la bête qui dévore le
corps, mais que devient l'homme concret dans ce monde de panique qui fait tout
pour exorciser la mort, insupportable perspective ! Les malades sont en
proie à une angoisse et à un désespoir sans fond. Vraiment, je suis comme
plongée dans un univers concentrationnaire d'où serait bannie toute espérance
puisque Dieu n'y a pas sa place et que les rapports humains sont remplacés par
la sécheresse du discours scientifique ». Et cette religieuse d'ajouter
qu'elle a compris que sa mission était d'être au milieu de cette souffrance le
témoin de la compassion de Jésus et l'annonciatrice
de la miséricorde.
La miséricorde, voilà un vocable bien
décrié, même en nos églises chrétiennes. Le dictionnaire nous apprend qu'il est
composé de deux mots latins : misereri : avoir pitié et cor : le cœur. À chacun de faire son choix entre plusieurs
interprétations :
La
miséricorde : un cœur qui a pitié,
Un cœur atteint par la pitié,
Un cœur qui accueille la pitié.
Un cœur atteint par la pitié,
Un cœur qui accueille la pitié.
Toutes ces interprétations sont
valables en terre évangélique puisque c'est là que nous apprenons que « Dieu
est riche en miséricorde » et qu'il veut faire surgir une humanité capable
de prêter l'oreille à cette essentielle béatitude :
Bienheureux les miséricordieux, ils
obtiendront miséricorde.
Vérité trop oubliée en notre temps
mais qu'il importe de remettre en valeur même si la mentalité contemporaine
tend à éliminer de la vie et à ôter
du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l'idée de miséricorde
semblent mettre mal à l'aise l'homme qui, grâce à un développement scientifique
et technique inconnu jusqu'ici, est devenu maître de la terre qu'il a soumise
et dominée. Cette domination de la terre[...] ne laisse pas de place,
semble-t-il, à la miséricorde. 9
Jean-Paul II a posé ce diagnostic au
départ de son encyclique consacrée à la miséricorde. Pour lui, point de doute :
le Dieu qu'annonce l'Église s'est manifesté sur le visage et par le cœur du
Christ qui a dit : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9). Lui
qui est venu pour « sauver et non pour condamner », qui est « passé
en faisant le bien » (Ac 10, 38), guérissant, pardonnant et arrachant à la
servitude une humanité apeurée et ligotée par le péché est le Dieu auquel les
chrétiens ont voué leur vie et consacré leur foi.
Le Christ confère à toute la tradition
biblique de la miséricorde divine sa signification définitive. Non seulement il
en parle et l'explique à l'aide d'images et de paraboles, mais surtout il
l'incarne et la personnifie.
Il est lui-même, en un certain sens,
la miséricorde. Pour qui la voit et la trouve en lui, Dieu devient visible
comme Père "riche en miséricorde". 10
Nous atteignons là, au dire du Pape
lui-même, le noyau dur de la révélation chrétienne. C'est pourquoi il est temps
d'y conduire une Église oublieuse de ses richesses pour qu'elle y puise de quoi
annoncer la miséricorde « dont l'homme et le monde contemporain ont un si
grand besoin même si souvent ils ne le savent pas ».
Jean-Paul II propose sa propre
définition du concept de miséricorde : la rencontre entre Dieu, dans son
amour, et l'homme, dans sa misère, que Luc dépeint dans la parabole de l'enfant
prodigue (Lc 15). Rencontre qui trouve son aboutissement décisif sur le
Golgotha, lieu du salut et de la miséricorde manifestés à tous ceux « qui
regardent le Transpercé » (Jn 19, 37) et voient les sources de vie jaillir
sous le choc de la lance :
Croire dans le Fils crucifié signifie
‘voir le Père’, signifie ‘croire que l'amour est présent dans le monde’, que
cet amour est plus puissant que les maux de toutes sortes dans lesquels l'homme
est plongé. Croire en un tel amour signifie croire en la miséricorde. 11
Au cœur du monde, le Cœur de Dieu :
telle est la vision dont a vécu l'Église au long des deux millénaires de son
histoire. Elle n'a pas d'autre référence aujourd'hui quand elle propose à ses
contemporains de bâtir une civilisation
de l'amour : projet totalement illusoire si Dieu n'est invoqué que
pour justifier le combat pour la justice en oubliant de dire qu'il est d'abord
Amour miséricordieux. Propos dérangeant pour ceux qui s'imaginent faire naître
un monde marqué par la justice alors qu'ils négligent d'ouvrir leurs cœurs à la
miséricorde :
L'expérience du passé et de notre
temps démontre que la justice ne suffit pas à elle seule et même qu'elle peut
conduire à sa propre négation et à sa propre ruine si on ne permet pas à cette
force plus profonde qu'est l'amour de façonner la vie humaine dans ses diverses
dimensions. 12
Telle est la tranquille assurance de
Jean-Paul II s'avançant à contre-courant des idées à la mode qui misent sur
l'avenir radieux d'une humanité devenue fraternelle alors qu'elle exclut de son
discours et de ses projets le pardon et la miséricorde. Illusion redoutable,
utopique rêverie ! Il est évident qu'il n'y aura pas de « lendemains
qui chantent » dans le siècle qui débute si la révélation du Dieu de Jésus-Christ
est frappée d'interdit. Propos prophétiques du successeur de Pierre... qui
butent sur la surdité des pouvoirs en place en nos cités d'Occident.
Allons à la fournaise ardente du
mystère pascal
L'Église sait depuis toujours que son
combat pour le salut de l'homme fait sourire « les fils des ténèbres plus
habiles que les fils de lumière » (Lc 16, 8). Il n'y a pas si longtemps
qu'un dictateur de grande pointure demandait cyniquement : « De
combien de divisions le Pape dispose-t-il ? ». Les divisions du Pape
se déploient en maintes occasions, suscitant la stupeur des observateurs quand
il rassemble des foules de jeunes dans le cadre des JMJ pour leur annoncer de
quel amour ils sont aimés, les lancer vers le grand large et les inviter à
faire de la sainteté leur programme
de vie ! Les armes évangéliques qu'il met à leur disposition sont la
tendresse qui désarme et le pardon qui réconcilie. La seule école
d'entraînement qui en fournisse le mode d'emploi est à l'enseigne du Cœur
miséricordieux du Fils de Dieu :
L'Église professe et vénère d'une
manière particulière la miséricorde de Dieu quand elle s'adresse au cœur du
Christ. Nous approcher du Christ dans le mystère de son Cœur nous permet de
nous arrêter sur ce point – point central et le plus accessible au plan humain –
de l'amour miséricordieux du Pères. 13
Provocante proposition que celle-là :
la fécondité spirituelle d'une Année Jubilaire est pourtant à ce prix et il
reste à souhaiter que l'Église, en ses forces vives, aille « puiser aux
sources du Sauveur » en s'approchant, confiante et joyeuse, du Cœur de son
Dieu.
Au siècle de sainte Marguerite-Marie,
le grand chrétien qu'était Pascal avait compris que l'essence du christianisme
nous était livrée dans l'annonce de la miséricorde.
Je lui laisse le soin de nous redire
aujourd'hui ce qu'il a exprimé d'incomparable façon :
La connaissance de Dieu sans sa
misère fait l'orgueil.
La connaissance de sa misère sans Dieu fait le désespoir.
La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu. On y trouve et Dieu et sa misère. 14
La connaissance de sa misère sans Dieu fait le désespoir.
La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu. On y trouve et Dieu et sa misère. 14
C'est bien cela ! La
connaissance du Christ au Cœur transpercé nous introduit aux sources de la
miséricorde. Il suffit d'y aller boire.
Mgr Maurice Gaidon, in Un Dieu au cœur
transpercé (Saint-Paul 2001)
1. Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n°4.
2. Jean-Paul II, Encyclique Dives in misericordia, n°10.
3. Romains 13, 11-12
4. 19 novembre 1980
5. Jean-Paul
II, Encyclique Redemptor
Hominis, n°8.
6. Ibid.
7. Paul VI, Evangelii nuntiandi, n°36.
8. Jean-Paul
II, Novo millenio Meute, n°16 et suivants.
9. Jean-Paul
II, Dives in misericordia, n°2.
10. Ibid.
11. Jean-Paul II, Dives in misericordia, n°7.
12. Jean-Paul II, Dives in misericordia, n°12.
13. Jean-Paul II, Dives in misericordia, n°13.
14. Pascal, Pensées,
Brunschvicg p.527.