« Mais si le Christ n'est pas
ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi. Il se trouve
même que nous sommes des faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté
contre Dieu qu'il a ressuscité le Christ » (1Co
15, 14s.). Par ces paroles, saint Paul souligne de manière
radicale toute l'importance pour l'ensemble du message chrétien qu'a la foi en
la Résurrection de Jésus Christ : elle en est le fondement. La foi
chrétienne tient par la vérité du témoignage selon lequel le Christ est
ressuscité des morts, ou bien elle s'effondre.
Si on supprime cela, il est certes
possible de recueillir de la tradition chrétienne un certain nombre d'idées
dignes d'attention sur Dieu et sur l'homme, sur l'être de l'homme et sur son
devoir être — une sorte de conception religieuse du monde —, mais la foi
chrétienne est morte. Jésus, dans ce cas, est une personnalité religieuse qui a
échoué ; une personnalité qui, malgré son échec, demeure grande et peut
s'imposer à notre réflexion, mais cette personnalité demeure dans une dimension
purement humaine et son autorité ne vaut que dans la mesure où son message nous
convainc. Il n'est plus lui-même le critère de référence ; le critère est
alors seulement notre appréciation personnelle qui choisit ce qui lui est
utile, à partir de ce qu'elle a reçu. Et cela signifie que nous sommes
abandonnés à nous-mêmes. Notre appréciation personnelle est l'ultime instance.
Seulement si Jésus est ressuscité,
quelque chose de véritablement nouveau s'est produit qui change le monde et la
situation de l'homme. Lui, Jésus, devient alors le critère, sur lequel nous
pouvons nous appuyer. Car Dieu s'est alors vraiment manifesté.
Voilà pourquoi, dans notre recherche
sur la figure de Jésus, la Résurrection est le point décisif. Que Jésus n'ait
existé que dans le temps passé ou qu'au contraire, il existe encore
dans ce temps présent — cela dépend de la Résurrection. Dans le
« oui » ou le « non » donné à cette interrogation, on ne se
prononce pas sur un simple événement parmi d'autres, mais sur la figure de
Jésus comme telle.
C'est pour cela qu'il est nécessaire
d'écouter avec une attention particulière le témoignage sur la Résurrection que
le Nouveau Testament nous propose. Mais nous devons, en premier lieu, constater
que ce témoignage, considéré du point de vue historique, se présente à nous
sous une forme particulièrement complexe, au point de susciter bien des
questions.
Qu'est-ce qui s'est produit
alors ? Évidemment, pour les témoins qui avaient rencontré le Ressuscité,
cela n'était pas facile à exprimer. Ils s'étaient trouvés face à un phénomène
qui, pour eux-mêmes, était totalement nouveau, puisqu'il allait au-delà de
l'horizon de leurs expériences. Pour autant que la réalité de ce qui était
arrivé les ait profondément bouleversés et les ait poussés à en donner
témoignage — cela toutefois était totalement inhabituel. Saint Marc nous
raconte que les disciples réfléchissaient, en descendant de la montagne de la
Transfiguration, préoccupés par la parole de Jésus selon laquelle le Fils de
l'homme serait « ressuscité d'entre les morts ». Et ils se
demandaient entre eux ce que signifiait « ressusciter d'entre les
morts » (Mc 9,9s.). Et, de fait,
en quoi cela consiste-t-il ? Les disciples ne le savaient pas et devaient
l'apprendre seulement par la rencontre avec la réalité.
Qui s'approche des récits de la
Résurrection dans l'espoir d'apprendre ce que peut être la résurrection des
morts, ne peut qu'interpréter ces récits de manière erronée et doit alors les
rejeter comme quelque chose d'insensé. Contre la foi en la Résurrection Rudolf
Bultmann a objecté que, même si Jésus était revenu du tombeau, on devrait
cependant dire qu'un « fait miraculeux de la nature tel que la réanimation
d'un mort » ne nous aiderait en rien et que, du point de vue existentiel,
cela n'aurait aucune importance (cf Neues Testament und Mythologie, p.
19).
Et c'est bien le cas : si dans
la Résurrection de Jésus il ne s'était agi que du miracle d'un cadavre réanimé,
cela ne nous intéresserait, en fin de compte, en aucune manière. Cela ne serait
pas plus important que la réanimation, grâce à l'habileté des médecins, de
personnes cliniquement mortes. Pour le monde en général et pour notre
existence, rien ne serait changé. Le miracle d'un cadavre réanimé signifierait
que la Résurrection de Jésus était du même ordre que la résurrection du jeune
de Naïn (cf Lc 7,11-17), de la fille de Jaïre (cf. Mc 5,22-24 ;
35-43 et par.) ou de Lazare
(cf. Jn 11,1-44). De fait, après un temps
plus ou moins bref, ceux-ci reprirent le cours de leur vie d'auparavant pour, ensuite plus
tard, mourir définitivement.
Les témoignages néotestamentaires ne
nous laissent aucun doute sur le fait que dans la « Résurrection du Fils
de l'homme » quelque chose de totalement différent se soit produit. La
Résurrection de Jésus fut l'évasion vers un genre de vie totalement nouveau,
vers une vie qui n'est plus soumise à la loi de la mort et du devenir mais qui
est située au-delà de cela — une vie qui a inauguré une nouvelle dimension de
l'être-homme. C'est pourquoi la Résurrection de Jésus n'est pas un événement
singulier, que nous pourrions négliger et qui appartiendrait seulement au
passé, mais elle est une sorte de « mutation décisive » (pour
employer cette expression de manière analogique, bien qu'elle soit équivoque),
un saut de qualité. Dans la Résurrection de Jésus, une nouvelle possibilité
d'être homme a été atteinte, une possibilité qui intéresse tous les hommes et
ouvre un avenir, un avenir d'un genre nouveau pour les hommes.
C'est pourquoi, à juste raison, Paul
a uni de manière indissociable la résurrection des chrétiens et la Résurrection
de Jésus : « Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus
n'est pas ressuscité... Mais non, le Christ est ressuscité d'entre les
morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1Co 15,16.20). Ou
bien la Résurrection du Christ est un événement universel ou elle n'est pas,
nous dit Paul. Et c'est seulement dans la mesure où nous la comprenons comme un
événement universel, comme inauguration d'une nouvelle dimension de l'existence
humaine, que nous sommes sur la voie d'une interprétation juste du témoignage
sur la Résurrection telle qu'elle se présente dans le Nouveau Testament.
À partir de cela, nous pouvons
comprendre l'originalité de ce témoignage néotestamentaire. Jésus n'est pas
revenu à une vie humaine normale de ce monde, comme c'était arrivé à Lazare et
aux autres morts ressuscités par Jésus. Il est sorti vers une vie différente,
nouvelle — vers l'immensité de Dieu et, partant de là, il s'est manifesté aux
siens.
Cela aussi était pour les disciples
une chose tout à fait inattendue, face à laquelle ils avaient besoin de temps
pour retrouver leurs esprits. Il est vrai que la foi juive connaissait la
résurrection des morts à la fin des temps. La vie nouvelle était reliée au
début d'un monde nouveau et, dans cette perspective, c'était quelque chose de
bien compréhensible : s'il y a un monde nouveau, alors il existe aussi un
nouveau mode de vie. Mais une résurrection vers une condition définitive et
différente, en plein milieu du vieux monde qui continue d'exister — cela
n'était pas prévu et donc, de prime abord, ce n'était même pas compréhensible.
C'est pourquoi la promesse de la Résurrection était, dans un premier temps,
restée insaisissable pour les disciples.
Le processus pour devenir croyants se
déploie de manière analogue à ce qui est advenu à propos de la Croix. Personne
n'avait pensé à un Messie crucifié. Maintenant, le « fait » était là,
et à partir de ce fait, il fallait lire l'Écriture d'une manière nouvelle. Dans
le chapitre précédent, nous avons vu comment, en partant de l'inattendu,
l'Écriture s'est dévoilée de manière nouvelle et comment, de cette manière
aussi, le fait a pris tout son sens. La lecture nouvelle de l'Écriture ne
pouvait commencer, évidemment, qu'après la Résurrection, parce que c'est
seulement en raison de celle-ci que Jésus a été accrédité comme envoyé de Dieu.
Il fallait alors discerner les deux événements — Croix et Résurrection — dans
les Écritures, les comprendre de manière nouvelle et ainsi arriver à
la foi en Jésus comme Fils de Dieu.
Ceci, par ailleurs, présuppose que
pour les disciples la Résurrection soit tout aussi réelle que la Croix. Ceci
présuppose qu'ils furent tout simplement dépassés par la réalité ;
qu'après toutes les hésitations et la stupéfaction des débuts, ils n'étaient
plus capables de s'opposer à la réalité : c'est vraiment lui ; il est
vivant et il nous a parlé, il nous a permis de le toucher, même s'il
n'appartient plus au monde de ce qui est normalement touchable.
Le paradoxe était
indescriptible : le fait qu'il soit complètement différent, non pas un
cadavre réanimé, mais quelqu'un qui, par l'œuvre de Dieu, vivait de manière
nouvelle et pour toujours ; et qu'en même temps, en tant que tel, tout en
n'appartenant plus à notre monde, il fût présent de manière réelle, vraiment
lui, dans la plénitude de son identité. Il s'agissait d'une expérience
absolument unique, qui dépassait les horizons ordinaires de l'expérience et
qui, toutefois, demeurait pour les disciples absolument incontestable. Cette
expérience unique explique la singularité des témoignages sur la
Résurrection : ils parlent d'une chose paradoxale, de quelque chose qui
dépasse toute expérience et qui est cependant présent, de manière absolument
réelle.
Mais est-ce qu'il en a été vraiment
ainsi ? Pouvons-nous — nous surtout, en tant que personnes modernes —
donner crédit à des témoignages de ce genre ? La pensée éclairée dit que non. Selon Gerd
Lüdermann, par exemple, il paraît évident que, à la suite du « changement
de l'image scientifique du monde... les idées traditionnelles sur la
Résurrection de Jésus » doivent « être considérées comme dépassées »
(cité selon Wilckens 1/2, p. 119s.). Cependant, que veut dire au juste l'image scientifique du monde ?
Jusqu'où arrive son caractère normatif ? Hartmut Gese, dans son importante
étude intitulée Die Frage des Weltbildes à laquelle je voudrais renvoyer ici, a décrit avec précision
les limites d'une telle normativité.
Bien sûr, il ne peut y avoir aucune
opposition avec ce qui constitue un donné scientifique clair. Dans les
témoignages sur la Résurrection, certes, on parle de quelque chose qui ne
rentre pas dans le monde de notre expérience. On parle de quelque chose de nouveau,
de quelque chose qui, jusqu'à ce moment-là, est unique — on parle d'une
nouvelle dimension de la réalité qui se manifeste. On ne conteste pas la
réalité existante. On nous dit plutôt : il existe une autre dimension par
rapport à celles que nous connaissons jusqu'à maintenant. Cela peut-il être en
opposition avec la science ? Est-ce que vraiment il ne peut exister que ce
qui a existé depuis toujours ? Est-ce que quelque chose d'inattendu,
d'inimaginable, quelque chose de nouveau ne peut pas exister ? Si Dieu
existe, ne peut-il pas, lui, créer aussi une dimension nouvelle de la réalité
humaine ? de la réalité en général ? La création n'est-elle pas, au
fond, en attente de cette ultime et plus haute mutation, de ce saut décisif de qualité ? N'attend-elle pas
l'unification du fini avec l'infini, l'unification entre l'homme et Dieu, le
dépassement de la mort ?
Dans l'histoire tout entière de ce
qui vit, les débuts des nouveautés sont petits, presque invisibles — ils
peuvent être ignorés. Le Seigneur lui-même a dit que le Royaume des cieux, en ce monde, est comme un grain de sénevé, la
plus petite de toutes les semences (cf. Mt 13,31s. et par.). Mais il porte
en lui les potentialités infinies de Dieu. La Résurrection de Jésus, du point
de vue de l'histoire du monde, est peu voyante, c'est la semence la plus petite
de l'histoire.
Ce retournement des proportions fait
partie des mystères de Dieu. En fin de compte, ce qui est grand, puissant,
c'est ce qui est petit. Et la petite semence est la chose vraiment grande.
Ainsi la Résurrection est entrée dans le monde, seulement à travers quelques
apparitions mystérieuses aux élus. Et pourtant, elle était le début vraiment
nouveau — ce dont, en secret, le tout était en attente. Et, pour les quelques
témoins — justement parce que eux-mêmes n'arrivaient pas à s'en convaincre —
c'était un événement tellement bouleversant et réel, tellement puissant dans sa
manifestation devant eux, que tous les doutes fondaient et qu'alors, avec un
courage absolument nouveau, ils se présentèrent au monde pour témoigner :
le Christ est vraiment ressuscité.
2. Les deux différents types de
témoignage de la Résurrection
Arrêtons-nous maintenant à chacun des
témoignages sur la Résurrection dans le Nouveau Testament. En les examinant,
nous constaterons avant tout qu'il existe deux types différents de témoignage,
que nous pouvons qualifier de tradition sous forme de profession et de
tradition sous forme de narration.
2.1. La tradition sous forme de
profession
La tradition sous forme de profession
synthétise l'essentiel en de brèves formules qui veulent conserver le cœur de
l'événement. Elles sont l'expression de l'identité chrétienne, la
« profession » précisément grâce à laquelle on se reconnaît
mutuellement et on se fait reconnaître devant Dieu et devant les hommes. Je
voudrais proposer trois exemples.
Le récit concernant les disciples
d'Emmaüs se termine en mentionnant que tous deux trouvent les onze disciples
réunis à Jérusalem et que ceux-ci les saluent par ces paroles :
« C'est bien vrai ! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à
Simon ! » (Lc 24,34).
Compte tenu du contexte, il s'agit avant tout d'une sorte de narration brève,
mais qui est déjà destinée à devenir une acclamation et une profession dans
laquelle l'essentiel est affirmé : l'événement lui-même et le témoin qui
en est le garant.
Nous trouvons une combinaison de deux
formules dans le chapitre 10 de la Lettre aux Romains : « En
effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que
Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (v. 9). Ici — tout comme
dans le récit sur la profession de Pierre près de Césarée de Philippe (cf. Mt
16,13s.) —, la profession comprend deux parties : on
affirme que Jésus est le Seigneur et
par là sa divinité est invoquée selon la signification vétérotestamentaire du
mot Seigneur. Ensuite, la profession
de l'événement historique fondamental y est associée : Dieu l'a ressuscité
des morts. Ici est déjà dit aussi quelle est la signification de cette
profession pour le chrétien : elle réalise le salut. Elle nous place à
l'intérieur de la vérité qui est salut. Nous avons ici une première formulation
des professions baptismales, dans lesquelles le fait que le Christ soit
Seigneur est chaque fois relié à l'histoire de sa vie, de sa Passion et de sa
Résurrection. Dans le Baptême, l'homme se livre à la nouvelle existence du
Ressuscité. La profession devient vie.
La profession la plus importante de
toutes parmi les témoignages sur la Résurrection, se trouve au chapitre 15 de
la Première lettre aux Corinthiens. D'une manière similaire à celle
qu'il a utilisée pour le récit de la dernière Cène, (cf. 1Co 11,23-26),
Paul souligne avec une grande vigueur qu'il ne propose pas ici ses
paroles : « Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j'avais
moi-même reçu » (15,3). Paul se place consciemment à l'intérieur de la
chaîne de réception et de transmission. Comme il s'agit de quelque chose
d'essentiel, dont tout dépend, c'est d'abord la fidélité qui est requise. Et
Paul, qui souligne toujours très fortement son témoignage personnel sur le
Ressuscité et son apostolat reçu directement du Seigneur, insiste ici avec une
grande vigueur sur la fidélité littérale dans la transmission de ce qu'il a
reçu, il insiste sur la tradition commune de l'Église depuis les débuts.
L'Évangile
dont Paul parle ici est le fondement « dans lequel — dit-il — vous
demeurez fermes, par lequel aussi vous vous sauvez, si vous le gardez tel que
je vous l'ai annoncé » (15,1s.). Dans ce message central, ce n'est pas
seulement le contenu qui nous intéresse, mais aussi la formulation littérale, à
laquelle il ne peut être apporté aucun changement. De ce lien avec la tradition
venue des débuts, dérivent aussi bien le caractère universel obligé que l'uniformité
de la foi. « Bref, eux ou moi, voilà ce que nous proclamons. Et voilà ce
que vous avez cru » (15,11). En son centre, la foi est une, jusque dans sa
formulation littérale même — et elle relie entre eux tous les chrétiens.
Arrivée à ce point, la recherche
s'est encore posé la question de savoir de qui précisément et quand Paul avait
pu recevoir une telle profession, tout comme aussi la tradition sur la dernière
Cène. En toute hypothèse, tout cela fait partie de la première catéchèse que
lui-même, en tant que converti, reçut alors qu'il était peut-être encore à
Damas, catéchèse qui toutefois, en ce qui constitue son noyau central, venait
sans aucun doute de Jérusalem et donc remontait aux années trente ; il
s'agit donc d'un vrai témoignage des origines.
Dans la version de 1 Corinthiens, le
texte rapporté a été amplifié par Paul, en ce qu'il y a ajouté, entre autres,
la référence à sa rencontre personnelle avec le Ressuscité. Que saint Paul se
soit senti autorisé à rapprocher à la profession originale, avec le même
caractère d'obligation, l'apparition qu'il a eue du Ressuscité et la mission
d'apôtre qui lui est liée, me semble important à cause de l'idée qu'il avait de
lui-même et de la foi de l'Église naissante. Il est évident qu'il était
convaincu que cette révélation du Ressuscité dont il était le bénéficiaire
faisait partie de l'élaboration de la profession — que celle-ci, comme élément
essentiel et destiné à tous, faisait partie de la foi de l'Église universelle.
Écoutons maintenant le texte dans son
ensemble, tel qu'il se trouve chez saint Paul :
3 le Christ est mort
pour nos péchés selon les Écritures,
4 Il a été mis au tombeau,
Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.
6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois : la plupart d'entre eux demeurent jusqu'à présent...
7 Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.
8 Et, en tout dernier lieu, il m'est apparu à moi aussi, comme à l'avorton
4 Il a été mis au tombeau,
Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.
6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois : la plupart d'entre eux demeurent jusqu'à présent...
7 Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.
8 Et, en tout dernier lieu, il m'est apparu à moi aussi, comme à l'avorton
(1 Co 15,3-8).
Selon l'opinion de la plupart des
exégètes, la profession originale véritable se termine au verset 5,
c'est-à-dire avec l'apparition à Céphas et aux Douze. Puisant à des
traditions ultérieures, Paul a ajouté Jacques, les plus de cinq cents frères et tous
les apôtres, utilisant évidemment un concept Apôtre qui dépasse le cercle des Douze. Jacques est important,
parce qu'avec lui, entre dans le cercle des croyants la famille de Jésus, qui
auparavant avait clairement manifesté des réserves (cf. Mc 3,20s.
31-35 ; Gv 7,5), et parce que c'est lui qui ensuite, après la fuite
de Pierre de Jérusalem, assurera la direction de l'Église mère dans la Ville
sainte.
La mort de Jésus
Regardons maintenant la profession
proprement dite, car elle demande un examen plus approfondi. Elle commence par
la phrase : « Le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ».
Le fait de la mort est interprété par deux précisions : pour nos péchés et selon les Écritures.
Commençons par la deuxième
affirmation, qui est importante pour montrer comment l'Église naissante se
situait devant les faits de la vie de Jésus. Ce que le Ressuscité avait
enseigné aux disciples d'Emmaüs devient maintenant la méthode fondamentale pour
la compréhension de la figure de Jésus : tout ce qui est arrivé et qui le
concernait est accomplissement de l'Écriture.
C'est seulement en fonction de l'Écriture,
de l'Ancien Testament, que l'on est capable de le comprendre. Par rapport à la
mort de Jésus sur la Croix, cela veut dire : cette mort n'est pas un
hasard. Elle entre dans le contexte de l'histoire de Dieu avec son
peuple ; c'est de celle-ci qu'elle reçoit sa logique et sa signification.
C'est un événement dans lequel s'accomplissent des paroles de l'Écriture — un
événement qui porte en lui un logos, une logique, c'est un événement qui
provient de la Parole et rentre dans la Parole, l'accrédite et l'accomplit.
Comment réussir à mieux comprendre ce
lien intime entre Parole et événement, c'est ce que l'autre ajout indique :
il s'est agi d'une mort pour nos péchés.
Puisque cette mort est en lien avec la parole de Dieu, elle nous concerne nous,
il s'agit d'une mort pour. Dans le
chapitre sur la mort de Jésus en Croix, nous avons vu quel vaste courant de
témoignages scripturaires transmis y afflue en arrière-fond, parmi lesquels le
plus important est représenté par le quatrième chant du Serviteur de YHWH (Is
53). Placée dans ce contexte de parole et d'amour de Dieu, la mort de Jésus
n'est plus dans la ligne du genre de mort qui dérive du péché originel de
l'homme, conséquence de la prétention de vouloir être comme Dieu — une
présomption qui devait finir par l'engloutissement dans sa propre misère,
marquée par la destinée de la mort.
La mort de Jésus est d'un autre genre :
elle ne vient pas de la prétention de l'homme mais de l'humilité de Dieu. Elle
n'est pas la conséquence inévitable d'une hybris qui serait en
contradiction avec la vérité, mais elle est la mise en œuvre d'un amour où Dieu
lui-même descend vers l'homme pour l'attirer à nouveau en l'élevant vers lui.
La mort de Jésus n'entre pas dans la sentence à la sortie du Paradis, mais elle
se trouve dans les chants du Serviteur de YHWH. Elle est donc une mort dans le
contexte du service de l'expiation — une mort qui réalise la réconciliation et
devient une lumière pour les peuples. C'est ainsi que la double interprétation,
que ce Credo rapporté par Paul associe à l'affirmation il mourut, ouvre la Croix sur la Résurrection.
La question du tombeau vide
Dans cette profession de foi, nous
avons ensuite, sans commentaire et de manière abrupte : Il fut enseveli. Par ces mots, est
manifestée une mort véritable, la pleine participation au destin humain de
devoir mourir. Jésus a accepté le parcours de la mort jusqu'à la fin, amère et
apparemment sans espérance, jusqu'au sépulcre. Il est évident que le sépulcre
de Jésus était connu. Et naturellement se pose alors immédiatement la question :
se peut-il qu'il soit resté dans le sépulcre ? Ou bien, après sa
Résurrection, le sépulcre était-il vide ?
Dans la théologie moderne, cette
question est l'objet d'amples discussions. Le plus souvent, la conclusion est
que le sépulcre vide ne peut être une preuve de la Résurrection. Si jamais cela
s'avérait être une donnée de fait, celui-ci pourrait être expliqué de diverses
manières. Et l'on finit par dire que la question du tombeau vide est
insignifiante et que, par conséquent, on peut laisser tomber ce point — ce qui
alors implique souvent la supposition que le sépulcre n'était probablement pas
vide et cela permet ainsi d'éviter une controverse avec la science moderne au
sujet de la possibilité d'une résurrection corporelle. Toutefois, à la base de
tout cela, nous trouvons une présentation déformée de la question.
Bien sûr, le tombeau vide en tant que
tel ne peut être une preuve de la Résurrection. Marie de Magdala, selon saint
Jean, l'a trouvé vide et a supposé que quelqu'un avait emporté le corps de Jésus
(cf. 20, 1-3). Le sépulcre vide ne peut, comme tel, démontrer la Résurrection,
cela est juste. Mais on peut poser la question inverse : est-ce que la Résurrection est conciliable avec la
permanence du corps dans le sépulcre ? Est-ce que Jésus peut être
ressuscité s'il gît dans le sépulcre ? Que serait une résurrection de ce
genre ? De nos jours, se sont élaborées des idées de résurrection pour
lesquelles le destin du cadavre n'a pas d'importance. Dans une telle hypothèse,
pourtant, la signification de la Résurrection devient même tellement vague que
l'on est obligé de se demander à quel type de réalité on a alors affaire dans
un tel christianisme.
Quoi qu'il en soit, Thomas Söding,
Ulrich Wilckens et d'autres font remarquer à juste raison que dans la Jérusalem
de l'époque l'annonce de la Résurrection aurait été absolument impossible si on
avait pu faire référence au cadavre gisant dans le sépulcre. C'est pourquoi, en
partant d'une exposition juste de la question, il faut dire que, si le sépulcre
vide en tant que tel ne peut certainement pas prouver la Résurrection, il reste
toutefois un présupposé nécessaire pour la foi dans la Résurrection, dans la
mesure où celle-ci se réfère justement au corps et, par là, à la totalité de la
personne.
Dans le Credo
de saint Paul, il n'est pas affirmé explicitement que le
tombeau fût vide, mais cela est clairement présupposé. Les quatre Évangiles en
parlent tous amplement dans leurs récits sur la Résurrection.
Pour la compréhension théologique du
tombeau vide, un passage du discours de saint Pierre à la Pentecôte me semble
important : celui-ci, pour la première fois, y annonce ouvertement la
Résurrection de Jésus à la foule rassemblée. Il ne le fait pas avec des mots à
lui, mais en citant le Psaume 16,9-11,
où il est dit : « Ma chair reposera dans l'espérance que tu
n'abandonneras pas mon âme à l'Hadès et ne laissera pas ton Saint voir la
corruption. Tu m'as fait connaître des chemins de vie... » (Ac 2,26s.).
Pierre cite en ce cas le texte du Psaume dans la version de la Bible grecque
qui est différente du texte hébraïque où l'on peut lire : « Tu ne
peux abandonner mon âme au shéol, car tu ne peux laisser ton fidèle voir la
fosse. Tu m'apprendras le chemin de vie » (Ps 16,10s.). Selon cette
version, le priant parle dans la certitude que Dieu le protégera et le sauvera
de la mort même dans la situation menaçante dans laquelle il se trouve
manifestement, il est certain de pouvoir reposer en paix : il ne verra pas
la fosse. La version citée par Pierre est différente : il s'agit là du
fait que le priant ne restera pas dans les enfers, qu'il ne connaîtra pas la
corruption.
Pierre présuppose que David est le
priant original de ce psaume et il peut alors constater que cette espérance ne
s'est pas réalisée en David : « Il est mort et a été enseveli et son
tombeau est encore aujourd'hui parmi nous » (Ac 2,29). Le sépulcre
avec le cadavre est la preuve que la Résurrection n'a pas eu lieu. Cependant,
la parole du Psaume est véridique : elle vaut pour le David définitif,
bien plus, Jésus est ici désigné comme vrai David justement parce que, en lui,
s'est accomplie la parole de la promesse : « Tu ne laisseras pas ton
saint voir la corruption ».
Il n'est pas nécessaire ici de
s'appesantir sur la question de savoir si ce discours
est vraiment de Pierre ou si d'autres, et alors qui,
l'auraient rédigé, ni même sur la question du moment et du lieu où précisément
il aurait été composé. En tout état de cause, il s'agit d'une annonce de la
Résurrection de type ancien, dont l'autorité dans l'Église des débuts est
manifestée par le fait qu'elle fut attribuée à Pierre lui-même et qu'elle fut
considérée comme l'annonce originale de la Résurrection.
Si dans le Credo de Jérusalem,
remontant aux origines et rapporté par Paul, il est dit que Jésus est
ressuscité selon les Écritures, c'est que l'on considère à coup sûr le Psaume
16 comme un témoignage
scripturaire décisif pour l'Église naissante. Là se trouve exprimé clairement
que le Christ, le David définitif, n'aurait pas subi la corruption — qu'il devait
vraiment être ressuscité.
Ne
pas subir la corruption — cela est précisément la définition
de la Résurrection. La corruption seulement était vue comment la phase par
laquelle la mort devenait définitive. Par la décomposition du corps qui se
désagrège dans ses éléments — un processus qui dissout l'homme et le rend à
l'univers —, la mort a vaincu. Alors, cet homme n'existe plus comme homme —
peut-être en reste-t-il seulement une ombre aux enfers. Compte tenu de cette
perspective, il était fondamental pour l'Église antique que le corps de Jésus
n'ait pas subi la corruption. Dans ce cas seulement il était clair qu'il
n'était pas resté prisonnier de la mort, qu'en lui effectivement la vie avait
vaincu la mort.
Ce que l'Église antique a déduit de
la version de la Septante du Psaume 16,10,
a déterminé aussi la vision partagée durant toute la période des Pères. Dans
cette vision, la Résurrection implique essentiellement que le corps de Jésus
n'a pas subi la corruption. En ce sens, le sépulcre vide comme partie
intégrante de l'annonce de la Résurrection est un fait rigoureusement conforme
à l'Écriture. Des spéculations théologiques tendant à dire que la corruption et
la Résurrection de Jésus seraient compatibles l'une avec l'autre, appartiennent
à la pensée moderne et sont en opposition évidente avec la vision biblique.
Même ainsi, il se confirme que si le corps de Jésus était resté gisant dans le
sépulcre, une annonce de la Résurrection aurait été impossible.
Le troisième jour
Revenons à notre Credo. L'article
suivant dit : « Il est ressuscité le troisième jour selon les
Écritures » (1 Co 15,4). Le selon
les Écritures vaut pour la phrase dans son ensemble et de manière implicite
seulement pour le troisième jour. L'essentiel est dans le fait que la Résurrection
elle-même soit conforme à l'Écriture — que celle-ci appartienne à la totalité
de la promesse devenue, de parole qu'elle était, réalité en Jésus. De cette
manière, en arrière-fond, on peut certainement penser au Psaume 16,10, mais aussi naturellement à des
textes fondamentaux pour la promesse, comme Isaïe 53. En ce qui concerne le troisième jour, il n'existe pas de
témoignage scripturaire direct.
La thèse selon laquelle le troisième jour aurait probablement été
tiré d'Osée 6,1s. est
insoutenable, comme l'ont montré par exemple Hans Conzelmann ou encore Martin
Hengel et Anna Maria Schwemer. Le texte dit : « Venez, retournons
vers YHWH. Il a déchiré, il nous guérira… après deux jours il nous fera
revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence ».
Ce texte est une prière pénitentielle de l'Israël pécheur. Il n'y est pas
question d'une Résurrection de la mort dans le vrai sens du terme. Dans le
Nouveau Testament et ensuite tout au long du IIe
siècle, ce texte n'est pas cité (cf. Hengel/Schwemer, Jesus und das Judentum, p. 631). Il ne put devenir un renvoi anticipé
à la Résurrection le troisième jour que lorsque l'événement du dimanche après
la crucifixion du Seigneur eut conféré à ce jour une signification
particulière.
Le troisième jour n'est pas une date
« théologique », mais c'est le jour d'un événement qui, pour les
disciples, est devenu le tournant décisif après la catastrophe de la Croix.
Josef Blank l'a formulé ainsi : « L'expression le troisième jour est l'indication d'une date en conformité à la
tradition chrétienne primitive dans les Évangiles et elle se réfère à la
découverte du tombeau vide » (Paulus und Jesus, p. 156).
Je voudrais ajouter : elle se
réfère à la première rencontre avec le Seigneur ressuscité. Dès les tout
premiers temps dans le Nouveau Testament, le premier jour de la semaine — le
troisième après le vendredi — est reconnu comme le jour de l'assemblée et du
culte de la communauté chrétienne (cf. 1 Co 16,2 ; Ac 20,7 ;
Ap 1,10). Chez Ignace d'Antioche (fin du Ier
siècle et début du IIe),
le dimanche — comme nous l'avons vu — est déjà considéré
comme une caractéristique nouvelle, propre aux chrétiens, face à la culture
sabbatique juive : « Si, désormais, ceux qui vivaient suivant les
usages anciens sont parvenus à une espérance nouvelle et n'observent plus le
sabbat, mais vivent selon le Jour du Seigneur, où s'est épanouie notre vie à
nous aussi grâce à Lui et à sa mort... » (Ad Magn. 9,1).
Si l'on considère, à partir du récit
de la création et du Décalogue, quelle est l'importance du sabbat dans la
tradition vétérotestamentaire, alors il est évident que seul un événement
puissamment bouleversant pouvait entraîner le renoncement au sabbat et son
remplacement par le premier jour de la semaine. Seul un événement qui se serait
imprimé dans les âmes avec une force extraordinaire pouvait susciter un changement aussi central dans la
culture religieuse de la semaine. De simples spéculations théologiques
n'auraient pas suffi pour cela. La célébration du Jour du Seigneur, qui dès le
début distingue la communauté chrétienne, est pour moi une des preuves les plus
puissantes du fait que, ce jour-là, quelque chose d'extraordinaire s'est
produit — la découverte du tombeau vide et la rencontre avec le Seigneur ressuscité.
Les témoins
Alors que le verset 4 de notre Credo
avait interprété le fait de la Résurrection, avec le verset 5 commence la
liste des témoins. « Il est apparu à Céphas, puis aux Douze », est
une affirmation lapidaire. Si nous pouvons considérer ce verset comme le
dernier de l'antique formule de Jérusalem, cette mention revêt une importance
théologique particulière : le fondement même de la foi de l'Église y est
indiqué.
D'une part, les Douze demeurent la véritable pierre de fondation de l'Église, à
laquelle celle-ci est sans cesse renvoyée. D'autre part, la charge spéciale de
Pierre est mise en évidence, celle qui lui fut confiée d'abord près de Césarée
de Philippe et confirmée ensuite au Cénacle (cf. Lc 22,32), charge qui,
pour ainsi dire, l'a introduit dans la structure eucharistique de l'Église.
Maintenant, après la Résurrection, le Seigneur se manifeste tout d'abord à lui,
avant les Douze, et ce faisant, il lui renouvelle une fois encore sa mission
unique.
Si le fait d'être chrétien signifie
essentiellement avoir foi dans le Ressuscité, alors le rôle particulier du
témoignage de Pierre est une confirmation de la tâche qui lui a été confiée
d'être le roc sur lequel est édifiée l'Église. Jean, dans sa narration de la
triple question du Ressuscité à Pierre — « M'aimes-tu ? » — et
de la triple charge de paître le troupeau du Christ, a souligné une fois encore
avec clarté cette mission de Pierre pour la foi de l'Église tout entière (cf. Jn
21,15-17). Ainsi, le récit de la Résurrection devient par lui-même
ecclésiologie : la rencontre avec le Seigneur ressuscité est mission et
donne sa forme à l'Église naissante.
2.2. La tradition sous forme de
narration
Passons maintenant — après cette
réflexion sur la partie plus importante de la tradition sous forme de
profession — à la tradition sous forme de narration. Tandis que la première
synthétise la foi commune de la chrétienté de manière normative grâce à des
formules précises et impose à la communauté tout entière des croyants une
fidélité à la lettre, les narrations des apparitions du Ressuscité sont à
l'inverse le reflet de traditions diverses. Elles sont liées à différents
rapporteurs de ces traditions et, sur le plan local, elles se situent à
Jérusalem et en Galilée. Elles ne sont pas des critères contraignants dans tous
les détails, comme les professions ; mais puisqu'elles sont intégrées dans
les Évangiles, il faut certainement les considérer comme un témoignage valable
qui donne contenu et forme à la foi. Les professions présupposent les
narrations et se sont élaborées à partir d'elles. Elles concentrent en elles le
noyau de ce qui est raconté et, en même temps, elles renvoient à la narration.
Tout lecteur remarquera immédiatement
la diversité des récits de la Résurrection dans les quatre Évangiles. Matthieu,
outre l'apparition du Ressuscité aux femmes près du tombeau vide, ne connaît
qu'une apparition aux Onze en Galilée. Luc ne connaît que les traditions de
Jérusalem. Jean parle d'apparitions aussi bien à Jérusalem qu'en Galilée. Aucun
des évangélistes ne décrit la Résurrection de Jésus elle-même : c'est un
processus qui s'est déroulé dans le secret de Dieu entre Jésus et le Père, un
processus qui, pour nous, ne peut être illustré et qui, de par sa nature,
échappe à l'expérience humaine.
La conclusion de l'Évangile de
Marc présente un problème particulier. Selon les manuscrits qui font
autorité, celui-ci se conclut par le verset 16,8 : « Elles sortirent
et s'enfuirent du tombeau, parce qu'elles étaient toutes tremblantes et hors
d'elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur ».
Le texte authentique de l'Évangile, sous la forme qui nous est parvenue, se
conclut sur la frayeur et la crainte des femmes. Juste avant, le texte avait
évoqué la découverte du tombeau vide par les femmes venues pour oindre le corps
et l'apparition de l'ange qui leur annonçait la Résurrection de Jésus et les
chargeait de dire aux disciples et, particulièrement, à Pierre, que Jésus, conformément à sa promesse, les précédait en
Galilée. Il est impossible que l'Évangile se soit conclu sur les paroles qui
viennent ensuite à propos du silence des femmes : le récit présuppose en
effet qu'elles ont fait part de leur rencontre. Et il n'ignore pas non plus,
évidemment, le texte beaucoup plus ancien de la Première lettre aux
Corinthiens. Pourquoi notre texte s'interrompt-il à ce point, nous ne le
savons pas. Au IIe siècle,
un récit récapitulatif a été ajouté qui recueille les traditions les plus
importantes sur la Résurrection tout comme sur la mission des disciples
concernant l'annonce au monde entier (cf. 16,9-20). Quoi qu'il en soit, même la
conclusion brève de Marc présuppose la découverte du tombeau vide par les
femmes, l'annonce de la Résurrection, la connaissance des apparitions à Pierre
et aux Douze. Quant au problème de l'interruption énigmatique, nous devons le
laisser sans explication.
La tradition sous forme de narration
parle de rencontres avec le Ressuscité et de ce qu'il a dit en ces
circonstances ; la tradition sous forme de profession ne conserve que les
faits les plus importants qui appartiennent à la confirmation de la foi :
sous cet aspect, nous pourrons encore une fois décrire la différence
essentielle entre les deux types de tradition. De là ressortent ensuite des
différences concrètes.
Nous trouvons une première différence
dans le fait que, dans la tradition sous forme de profession, seuls des hommes
sont nommés comme témoins, tandis que dans la tradition sous forme de narration
les femmes ont un rôle décisif, elles ont même la prééminence par rapport aux
hommes. Cela peut venir du fait que, dans la tradition juive, seuls les hommes
pouvaient être acceptés comme témoins au tribunal, le témoignage des femmes
étant considéré comme non fiable. La tradition « officielle » qui,
pour ainsi dire, se présente devant le tribunal d'Israël et du monde, doit donc
s'en tenir à ces normes afin de pouvoir faire face au procès de Jésus, qui
d'une certaine manière se poursuit.
Les récits, à l'inverse, ne se
sentent pas liés par cette structure juridique, mais ils communiquent l'ampleur
de l'expérience de la Résurrection. Tout comme près de la Croix, déjà — à
l'exception de saint Jean —, seules des femmes s'étaient trouvées là, ainsi leur
était aussi destinée la première rencontre avec le Ressuscité. L'Église, dans
sa structure juridique, est fondée sur Pierre et les Onze, mais dans la forme
concrète de la vie ecclésiale, ce sont toujours et de nouveau les femmes qui
ouvrent la porte au Seigneur, qui l'accompagnent jusqu'au pied de la Croix et
qui ainsi peuvent aussi le rencontrer en tant que Ressuscité.
Les apparitions de Jésus à Paul
Une seconde différence importante,
par laquelle la tradition sous forme de narration intègre les professions,
consiste dans le fait que les apparitions du Ressuscité ne sont pas seulement
professées, mais sont décrites concrètement. Comment pouvons-nous imaginer les
apparitions du Ressuscité, qui n'était pas revenu à la vie humaine habituelle,
mais qui était passé à un mode nouveau d'être homme ?
Nous trouvons avant tout une
différence claire entre l'apparition du Ressuscité à Paul telle qu'elle est
décrite dans les Actes des Apôtres, d'une part, et les récits des
évangélistes sur les rencontres des apôtres et des femmes avec le Seigneur
vivant, d'autre part.
Selon les trois récits des Actes
des Apôtres sur la conversion de Paul, la rencontre avec le Christ
ressuscité apparaît composée de deux éléments : une lumière « plus
éclatante que le soleil » (26,13) et, en même temps, une voix qui
« en langue hébraïque » (v. 14) parle à Saul. Alors que le premier
récit mentionne que ceux qui l'accompagnaient entendirent la voix, « mais
sans voir personne » (9,7), dans le deuxième récit, au contraire, on lit
que ceux-ci « virent bien la lumière, mais ils n'entendirent pas la voix
de celui qui me parlait » (22,9). Le troisième récit dit seulement à
propos des compagnons de voyage que tous, comme Saul, tombèrent à terre (cf.
26,14).
Une chose est claire : la
perception de la part des compagnons fut différente de celle de Saul ; lui
seul fut le destinataire direct d'un message qui signifiait une mission ;
mais les compagnons aussi devinrent de quelque manière les témoins d'un
événement extraordinaire.
Pour le destinataire véritable,
Saul-Paul, les deux éléments vont ensemble : la lumière éclatante, qui
peut rappeler l'épisode du Thabor — le Ressuscité est purement lumière (cf
première partie, p. 338) —, et ensuite la parole par laquelle Jésus s'identifie
à l'Église persécutée et, en même temps, confie à Saul une mission. Tandis que
le premier et le second récit, en ce qui concerne la mission, envoient Saul à
Damas où lui seront révélés les détails, dans le troisième récit, une parole
précise et très concrète lui est communiquée concernant sa mission :
« Relève-toi et tiens-toi debout. Car voici pourquoi je te suis
apparu : pour t'établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu
viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à toi. C'est pour cela
que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je
t'envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu'elles reviennent des ténèbres
à la lumière et de l'empire- de Satan à Dieu, et qu'elles obtiennent, par la
foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d'héritage avec les
sanctifiés » (Ac 26,16s.).
Malgré toutes les différences entre
les trois récits, il devient toutefois évident que l'apparition (la lumière) et
la parole vont de pair. Le Ressuscité, dont l'essence est lumière, parle en
tant qu'homme à Paul dans sa langue. Sa parole est, d'une part, une
auto-identification qui en même temps signifie identification avec l'Église
persécutée et, d'autre part, elle est une mission dont le contenu se serait
manifesté davantage par la suite.
Les apparitions de Jésus dans les
Évangiles
Les apparitions dont nous parlent les
évangélistes sont à l'évidence d'un genre différent. D'une part, le Seigneur y
apparaît comme un homme semblable aux autres hommes : il est en chemin
avec les disciples d'Emmaüs ; il laisse Thomas toucher ses plaies, bien
plus, d'après Luc, il se laisse même offrir un morceau de poisson à manger,
afin de bien montrer sa véritable corporéité. Et cependant, toujours selon ces
récits, il n'est pas simplement un homme redevenu ce qu'il était avant la mort.
Ce qui frappe avant tout c'est le
fait que les disciples, dans un premier temps, ne le reconnaissent pas. Cela
n'arrive pas seulement aux deux compagnons d'Emmaüs, mais aussi à Marie de
Magdala et puis, de nouveau, au bord de la mer de Tibériade : « Or,
le matin déjà venu, Jésus se tint sur le rivage ; pourtant les disciples
ne savaient pas que c'était Jésus » (Jn 21,4). Seulement après que
le Seigneur leur eut enjoint d'aller de nouveau au large, le disciple bien-aimé
le reconnut : « Le disciple que Jésus aimait dit alors à
Pierre : "C'est le Seigneur !" » (Jn 21,7). Il
s'agit pour ainsi dire d'une reconnaissance de l'intérieur qui, toutefois,
reste enveloppée de mystère. Car, après la pêche, alors que Jésus les invite à
manger, une curieuse étrangeté continue à les envelopper. « Aucun des
disciples n'osait lui demander : "Qui es-tu ?" sachant que
c'était le Seigneur » (21,12). Ils le savaient de l'intérieur, et non pas
à cause de son aspect ni non plus grâce à leur regard attentif.
À cette dialectique de reconnaître et
de ne pas reconnaître, correspond la modalité de l'apparition. Jésus se
présente les portes étant fermées, il se trouve brusquement au milieu d'eux.
Et, de la même manière, il disparaît soudainement, comme à la fin de la
rencontre d'Emmaüs. Il est totalement corporel. Et cependant, il n'est pas lié
aux lois de la corporéité, aux lois de l'espace et du temps. En cette étonnante
dialectique entre identité et altérité, entre corporéité réelle et liberté
vis-à-vis des liens du corps se manifeste l'essence singulière, mystérieuse de
la nouvelle existence du Ressuscité. Les deux choses sont vraies : il est
le même — un homme en chair et en os — et il est aussi le Nouveau, celui qui
est entré dans un type d'existence différent.
La dialectique qui fait partie de
l'essence du Ressuscité est présentée dans les récits de manière vraiment
maladroite, et c'est ainsi justement que ressort leur véridicité. Si on avait
voulu inventer la Résurrection, toute l'insistance se serait portée sur la
pleine corporéité, sur le fait d'être immédiatement reconnaissable et, en plus,
on aurait peut-être imaginé un pouvoir particulier comme signe distinctif du
Ressuscité. Mais dans les aspects contradictoires de ce qui est expérimenté,
caractéristique de tous les textes, dans le mystérieux ensemble d'altérité et
d'identité, se reflète un nouveau mode de rencontre qui, d'un point de vue
apologétique, semble plutôt déconcertant, mais qui justement pour cela se
révèle avec d'autant plus de force comme une description authentique de
l'expérience faite.
Pour comprendre les mystérieuses
apparitions du Ressuscité, les théophanies de l'Ancien Testament peuvent, à mon
avis, nous offrir une aide. Je voudrais ici me limiter à signaler brièvement
trois types de ces théophanies.
Il y a tout d'abord l'apparition de
Dieu à Abraham auprès du Chêne de Mambré (cf. Gn
18,1-33). Ce sont tout simplement trois hommes qui
s'arrêtent chez Abraham. Et pourtant, il sait immédiatement, de l'intérieur,
que « c'est le Seigneur » qui veut être son hôte. Dans le Livre de
Josué, il nous est raconté comment Josué, levant les yeux, vit soudain un
homme qui se tenait debout devant lui une épée nue à la main. Josué, qui ne le
reconnaît pas, lui demande : « Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ? »
La réponse est : « Non ! Mais je suis le chef de l'armée du
Seigneur... Ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te trouves
est saint » (5,13s.). Les deux récits concernant Gédéon (cf. Jg 6,11-24)
et Samson (cf. Jg 13) sont eux aussi significatifs ; « l'ange
du Seigneur », qui apparaît sous l'aspect d'un homme, n'est reconnu comme
tel qu'au moment où mystérieusement il se dérobe. En ces deux circonstances un
feu consume les aliments offerts, tandis que l'ange du Seigneur disparaît. Dans le langage mythologique se
manifestent en même temps, d'une part, la proximité du Seigneur qui apparaît
comme un homme et, d'autre part, son altérité grâce à laquelle il est en dehors
des lois de la vie matérielle.
Sans doute, ce ne sont là que des
analogies, car la nouveauté de la théophanie
du Ressuscité se trouve dans le fait que Jésus est vraiment homme : c'est
en tant qu'homme qu'il a souffert et qu'il est mort ; maintenant il vit
d'une manière nouvelle dans la dimension du Dieu vivant ; il apparaît
comme homme véritable et cependant comme venant de Dieu — et il est lui-même
Dieu.
Il y a donc deux délimitations
importantes. D'une part, Jésus n'est pas revenu dans l'existence empirique,
soumise à la loi de la mort, mais il vit d'une manière nouvelle dans la
communion avec Dieu, soustrait pour toujours à la mort. D'autre part — et cela
aussi est important — les rencontres avec le Ressuscité sont quelque chose de
différent d'événements intérieurs ou d'expériences mystiques — ce sont des rencontres
réelles avec le Vivant qui, d'une manière nouvelle, possède un corps et demeure
corporel. Luc le souligne avec beaucoup de force : Jésus n'est pas,
comme les disciples le craignent au premier abord, un fantôme, un esprit, mais
il a chair et os (cf. 24,36-43).
Ce que peut être un fantôme, ce que
peut être l'apparition d'un esprit, en comparaison avec l'apparition du
Ressuscité, nous le voyons très bien dans le récit biblique de la
nécromancienne d'En-Dor, qui, devant l'insistance de Saul, évoque l'esprit de
Samuel et le fait monter des enfers (cf. 1
S 28,7s.). L'esprit évoqué est
un mort qui, en tant qu'existence-ombre, vit dans les enfers, il peut être temporairement
rappelé sur terre, mais il doit ensuite retourner dans le monde des morts.
Jésus en revanche ne vient pas du
monde des morts — ce monde qu'il a définitivement laissé derrière lui — mais à
l'inverse, il vient précisément du monde de la pure vie, il vient de Dieu comme
celui qui est réellement le Vivant, celui qui est la source même de la vie. Luc
met en relief de manière rigoureuse la différence avec un esprit quand il rapporte que Jésus aurait demandé aux disciples
encore plongés dans la perplexité quelque chose à manger et qu'alors, devant
leurs yeux, il aurait mangé un morceau de poisson grillé.
La plupart des exégètes est d'avis
qu'ici Luc, en son zèle apologétique, aurait exagéré ; par une telle
affirmation, il aurait replacé Jésus dans une corporéité empirique qui, avec la
Résurrection, a été dépassée. Ce faisant, il se mettrait en contradiction avec
son propre récit selon lequel Jésus se trouve brusquement au milieu des
disciples dans une corporéité qui n'est pas liée par les lois de l'espace et du
temps.
Je crois qu'il est utile d'examiner
également ici les trois autres passages où il est fait référence à la
participation du Ressuscité à un repas.
Le texte que l'on vient de commenter
est précédé par la narration d'Emmaüs. Celle-ci s'achève sur la mention que
Jésus se mit à table avec les disciples, qu'il prit le pain, dit la
bénédiction, le rompit et le leur donna à tous deux. À ce moment, leurs yeux
s'ouvrirent « et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant
eux » (Lc 24,31). Le Seigneur est à table avec les siens comme
auparavant, avec la prière de bénédiction et le partage du pain. Puis il
disparaît à leur vision extérieure, et c'est justement dans cette disparition
que s'ouvre la vision intérieure : ils le reconnaissent. C'est une vraie
rencontre conviviale et cependant elle est nouvelle. Dans le pain rompu, il se
manifeste, mais c'est seulement quand il disparaît qu'il devient vraiment
reconnaissable.
Dans leur structure intérieure, ces
deux récits de rencontres conviviales sont très similaires à ce que nous
trouvons en Jean 21,1-14 :
les disciples ont passé une nuit sans succès ; aucun poisson n'a été pris
dans leurs filets. Au matin, Jésus est sur le rivage, mais ils ne le
reconnaissent pas. Il leur demande : « Mes enfants, n'auriez-vous
rien à manger ? » Devant leur réponse négative, il leur dit de reprendre
le large et cette fois, ils reviennent avec une pêche surabondante. Mais
maintenant Jésus, qui a déjà mis du poisson sur la braise, les invite :
« Venez déjeuner ». Et voici qu'ils savaient que c'était Jésus.
Le dernier récit est particulièrement
important et utile pour comprendre le mode propre du Ressuscité de participer
aux repas ; nous le trouvons dans les Actes des Apôtres. Toutefois,
dans les traductions habituelles, l'affirmation singulière de ce texte n'est
pas mise en évidence. C'est ainsi que la traduction allemande correspond à
d'autres types de traduction quand elle dit : « Pendant quarante
jours, il leur était apparu et les avait entretenus du royaume de Dieu. Alors,
au cours d'un repas qu'il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas
s'éloigner de Jérusalem... » (1,3s.). À cause du point — correct pour la
construction de la phrase — placé après la mention du royaume de Dieu, une connexion interne est laissée dans l'ombre.
Luc parle de trois éléments qui caractérisent la présence du Ressuscité auprès
des siens : il leur apparut, il
leur parla et il partagea un repas avec eux. Apparaître — parler — être à
table : ce sont là les trois auto-manifestations du Ressuscité,
étroitement liées entre elles, par lesquelles il se révèle comme le Vivant.
Pour la juste compréhension du
troisième élément, qui comme les deux premiers, s'étend tout au long des quarante jours, le mot utilisé par Luc, synalizómenos,
est d'une extrême importance. Traduit littéralement, il signifie : en mangeant le sel avec eux. À coup sûr
Luc a choisi ce terme en toute connaissance de cause. Qu'exprime-t-il par son
contenu ? Dans l'Ancien Testament, le fait de manger ensemble du pain et
du sel ou même seulement du sel, sert à sceller des alliances solides (cf. Nb
18,19 ; 2Ch 13,5 ; cf. Hauck ThWNT I, p. 229). Le
sel est considéré comme garant de pérennité. Il est le remède contre la
putréfaction, contre la corruption qui fait partie de la nature de la mort.
Chaque repas que l'on prend équivaut à combattre la mort — c'est une façon de
conserver la vie. Le fait de manger du
sel accompli par Jésus après la Résurrection, que nous trouvons
ainsi comme signe de la vie nouvelle et permanente, renvoie au banquet nouveau
du Ressuscité avec les siens. C'est un événement d'alliance et pour ce motif il
est en étroite relation avec la dernière Cène, où le Seigneur avait institué la
Nouvelle Alliance. Ainsi le code mystérieux du manger du sel exprime un lien interne entre le banquet qui précède
la Passion de Jésus et la nouvelle communion conviviale du Ressuscité : il
se donne aux siens comme nourriture et ainsi il les fait participer à sa vie, à
la Vie même.
Enfin, il est bon de rappeler ici
encore certaines paroles de Jésus que nous trouvons dans l'Évangile de
Marc : « Tous seront salés par le feu. C'est une bonne chose que
le sel ; mais si le sel devient insipide, avec quoi l'assaisonnerez-vous ?
Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres »
(9,49). Certains manuscrits, reprenant Lévitique 2,13, ajoutent
encore : « Tu saleras toute oblation que tu offriras ». Saler
les offrandes voulait dire aussi rendre savoureux le don et le protéger de la
putréfaction. Ainsi se trouvent conjuguées ensemble diverses
significations : le renouvellement de l'alliance, le don de la vie, la
purification de son être propre en fonction du don de soi à Dieu.
Lorsque Luc, au début des Actes
des Apôtres résume les événements postpascals et décrit la communion
conviviale du Ressuscité avec les siens en utilisant le terme synalizómenos
— mangeant du sel avec eux (Ac
1,4), le mystère de cette nouvelle communion conviviale, d'une part,
perdure, mais d'autre part, son essence devient en même temps visible : le
Seigneur attire de nouveau les disciples dans la communion de l'alliance avec
lui et avec le Dieu vivant. Il les fait participer à la vraie vie, il les rend
eux-mêmes vivants et il donne saveur à leur vie par la participation à sa Passion,
à la force purificatrice de sa souffrance.
Il nous est impossible d'imaginer ce
que fut concrètement la communion conviviale du Seigneur avec les siens. Mais
nous pouvons reconnaître sa nature intérieure et voir que, dans la communion
liturgique, dans la célébration de l'Eucharistie, ce fait d'être à table avec
le Ressuscité continue, même si c'est d'une autre manière.
3. Résumé : la nature de la
Résurrection et sa signification historique
Demandons-nous maintenant encore une
fois, de façon résumée, de quel genre a été la rencontre avec le Seigneur
ressuscité. Les distinctions suivantes sont importantes :
. Jésus n'est pas quelqu'un qui est
revenu à la vie biologique ordinaire et qui par la suite, selon les lois de la
biologie, devait un jour ou l'autre mourir de nouveau.
. Jésus n'est pas un fantôme (un esprit). Cela veut dire qu'il n'est pas
quelqu'un qui, en réalité, appartient au monde des morts, même s'il lui est
possible de se manifester de quelque manière dans le monde de la vie.
. Les rencontres avec le Ressuscité
sont pourtant quelque chose qui diffère aussi des expériences mystiques, dans
lesquelles l'esprit humain est un moment soulevé au-dessus de lui-même et où il
perçoit le monde du divin et de l'éternel, pour revenir ensuite à l'horizon normal
de son existence. L'expérience mystique est un dépassement momentané du domaine
de l'âme et de ses facultés perceptives. Mais ce n'est pas une rencontre avec
une personne qui, de l'extérieur s'approche de moi. Paul a très clairement fait
la distinction entre ses expériences mystiques — comme par
exemple son élévation jusqu'au troisième ciel décrite en 2Corinthiens 12,1-4 — et sa rencontre avec le
Ressuscité sur le chemin de Damas, qui était un événement dans l'histoire, une
rencontre avec une personne vivante.
À partir de tous ces renseignements
bibliques, que pouvons-nous véritablement dire maintenant sur la nature
particulière de la Résurrection du Christ ?
C'est un événement qui fait partie de
l'histoire et qui, pourtant, fait éclater le domaine de l'histoire et va
au-delà de celle-ci. Nous pourrions peut-être utiliser ici un langage
analogique qui, sous de multiples aspects demeure inadéquat, mais qui peut
toutefois nous ouvrir un accès à la compréhension. Nous pourrions (comme nous
l'avons déjà fait auparavant dans la première section de ce chapitre)
considérer la Résurrection comme quasiment une sorte de saut qualitatif radical
par lequel s'ouvre une nouvelle dimension de la vie, de l'être homme.
Bien plus, la matière elle-même est
transformée en un nouveau genre de réalité. Désormais, avec son propre corps
lui-même, l'homme Jésus appartient aussi et totalement à la sphère du divin et
de l'éternel. À partir de ce moment — dit un jour Tertullien —, l'esprit et le sang ont leur place en Dieu
(cf. De resurrect. mort. 51,3 :
CC lat. II 994). Même si l'homme, selon sa
nature, est créé pour l'immortalité, le lieu où son âme immortelle trouve un
« espace » n'existe que maintenant, et c'est dans cette
« corporéité » que l'immortalité acquiert sa signification en tant
que communion avec Dieu et avec l'humanité tout entière réconciliée. Les Lettres
de Paul adressées depuis sa captivité aux Colossiens
(cf. 1,12-23) et aux Éphésiens
(cf 1,3-23) entendent cela quand elles parlent du corps
cosmique du Christ, indiquant par là que le corps transformé du Christ est
aussi le lieu où les hommes entrent dans la communion avec Dieu et entre eux et
peuvent ainsi vivre définitivement dans la plénitude de la vie indestructible.
Étant donné que nous-mêmes n'avons aucune expérience de ce genre renouvelé et
transformé de matérialité et de vie, nous ne devons pas être étonnés du fait
que cela dépasse complètement ce que nous pouvons imaginer.
L'essentiel est le fait que, dans la
Résurrection de Jésus, il n'y a pas eu la revitalisation d'un mort quelconque à
un moment quelconque, mais que, dans la Résurrection, un saut ontologique a été
réalisé. Ce saut concerne l'être en tant que tel et ainsi a été inaugurée une
dimension qui nous intéresse tous et qui a créé pour nous tous un nouveau
milieu de vie, de l'être avec Dieu.
Partant de là, il nous faut aussi
affronter la question concernant la Résurrection en tant qu'événement historique.
D'un côté, nous devons dire que l'essence de la Résurrection se trouve
justement dans le fait qu'elle brise l'histoire et qu'elle inaugure une
nouvelle dimension que nous appelons communément la dimension eschatologique.
La Résurrection fait entrevoir l'espace nouveau qui ouvre l'histoire au-delà
d'elle-même et crée le définitif. En ce sens, il est vrai que la Résurrection
n'est pas un événement historique du même genre que la naissance ou le crucifiement
de Jésus. C'est quelque chose de nouveau. Un genre nouveau d'événement.
Il faut pourtant, en même temps,
prendre acte du fait que celle-ci n'est pas simplement hors de l'histoire et
au-dessus d'elle. En tant qu'éruption hors de l'histoire en la dépassant, la
Résurrection commence toutefois dans l'histoire elle-même et elle lui
appartient jusqu'à un certain point. On pourrait peut-être exprimer cela de
cette manière : la Résurrection de Jésus va au-delà de l'histoire, mais
elle a laissé son empreinte dans l'histoire. C'est pourquoi elle peut être
attestée par les témoins comme un événement d'une qualité entièrement nouvelle.
De fait, l'annonce apostolique avec
son enthousiasme et son audace est impensable sans un contact réel des témoins
avec le phénomène totalement nouveau et inattendu qui les atteignait de
l'extérieur et consistait dans la manifestation et l'annonce du Christ ressuscité.
Seul un événement réel d'une qualité radicalement nouvelle était en mesure de
rendre possible l'annonce apostolique, qui ne peut être expliquée par des
spéculations ou des expériences intérieures mystiques. Dans son audace et sa
nouveauté, cette annonce prend vie de la force impétueuse d'un événement que
personne n'avait pu concevoir et qui dépassait toute imagination.
En fin de compte, cependant, pour
nous tous, demeure la question que Judas posa à Jésus au Cénacle : « Seigneur,
comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non pas au
monde ? » (Jn
14,22). Oui,
pourquoi ne t'es-tu pas opposé avec force à tes ennemis qui t'ont mis en
Croix ? — c'est ce que nous voudrions demander.
Pourquoi ne leur as-tu pas montré avec une vigueur irréfutable que tu es le
Vivant, le Seigneur de la vie et de la mort ? Pourquoi t'es-tu manifesté
seulement à un petit groupe de disciples au témoignage desquels nous devons
maintenant nous fier ?
Cette question concerne toutefois,
non seulement la Résurrection, mais le mode tout entier par lequel Dieu se
révèle au monde. Pourquoi seulement à Abraham — pourquoi pas aux puissants de
ce monde ? Pourquoi seulement à Israël et non pas de manière indiscutable
à tous les peuples de la terre ?
C'est bien le propre du mystère de
Dieu d'agir de manière humble. C'est seulement petit à petit qu'il construit
dans la grande histoire de l'humanité Son
histoire. Il se fait homme mais d'une telle manière qu'il
peut être ignoré de ses contemporains, des forces autorisées de l'histoire. Il
souffre et il meurt et, comme Ressuscité, il ne veut atteindre l'humanité qu'à
travers la foi des siens auxquels il se manifeste. Continuellement, il frappe
humblement aux portes de nos cœurs et, si nous lui ouvrons, lentement il nous
rend capables de voir.
Et pourtant, n'est-ce pas là
justement le style du divin ? Ne pas écraser par la puissance extérieure,
mais donner la liberté, donner et susciter l'amour. Et ce qui apparemment est
si petit n'est-ce pas — à y bien réfléchir — la chose vraiment grande ?
Est-ce qu'il n'émane pas de Jésus un rayon de lumière qui s'élargit au long des
siècles, un rayon qui ne pouvait pas provenir de n'importe quel simple être
humain, un rayon par lequel la splendeur de la lumière de Dieu entre
véritablement dans le monde ? Est-ce que l'annonce des apôtres aurait pu
trouver la foi et construire une communauté universelle, si la force de la
vérité n'avait pas été à l'œuvre en elle ?
Si nous écoutons les témoins avec un
cœur attentif et si nous nous ouvrons aux signes par lesquels le Seigneur les
accrédite toujours de manière nouvelle, ainsi que lui-même, alors nous
savons : il est vraiment ressuscité. Il est le Vivant.
Nous nous confions à lui et nous
savons que nous sommes sur la bonne voie. Avec Thomas, mettons nos mains sur le
côté transpercé de Jésus et confessons : « Mon Seigneur et mon
Dieu ! » (Jn 20,28).
Joseph
Ratzinger – Benoît XVI, in Jésus de Nazareth (II)