Les hommes n'ont le choix qu'entre
deux grands systèmes sociaux et politiques, le libéralisme et le socialisme.
Le libéralisme est un empirisme qui
s'en remet à la loi du marché, dite aussi de l'offre et de la demande. Il fait
confiance à l'initiative privée, à l'esprit d'entreprise, et, comme il a pour
ressort l'intérêt personnel, que cet intérêt est servi par des aptitudes ou des
ambitions plus ou moins grandes, il engendre des inégalités qui font progresser
la société au détriment de la justice.
Le socialisme appelle précisément ces
inégalités des injustices, et il se fait un devoir de les corriger en limitant
étroitement l'initiative individuelle, ce qui a pour effet de faire
baisser le niveau de vie général, un escalier égalitaire
ne montant pas très haut.
Il faut donc choisir entre un système
qui enrichit les plus aptes tout en laissant quelque bénéfice aux autres, et un
système qui se veut plus satisfaisant pour la morale, mais qui a de moins en
moins de richesse à partager. Jusqu'ici, personne n'a réussi à combiner de
manière satisfaisante les avantages de l'un et l'autre régime.
Cependant, l'on
parvient assez souvent à additionner leurs inconvénients.
Le libéralisme et le socialisme sont
deux matérialismes, l'un pratique, l'autre doctrinal, qui ne peuvent corriger
leurs défauts qu'en se dépassant eux-mêmes, le premier en s'employant à changer
ses sociétés anonymes en sociétés de personnes, le deuxième en réfrénant la
tendance qui le porte à intervenir de manière despotique dans tous les domaines
où la liberté lui paraît aller contre l'égalité.
La personne humaine est traitée en
ennemie par les deux systèmes avec, toutefois, une férocité inégale. L'un la
soumet à la loi de la réussite, qui endurcit les cœurs, ou
les humilie ; l'autre la contraint à une obéissance
que le totalitarisme (aboutissement fatal de toutes les idéologies) rend dégradante.
Ces deux formes d'abolition de la personne
ne sont pas satisfaisantes pour l'esprit, et il faut toujours, selon le mot de
Simone Weil, se tenir prêt à « changer de camp avec la justice ».
André Frossard, in L’homme en
questions