lundi 9 avril 2018

En orientant... Un moine, Le matin de Pâques


Je te le dis : lève-toi.
Marc 5, 24

Je m'éveille, et voici que tu es avec moi. Au sortir du sommeil, je sens ta Présence qui me vivifie. Je sens ta tendresse qui m'enveloppe.
Éveils de tes disciples, aux jours de ton pèlerinage terrestre... Ces aubes de Galilée, au bord du lac, entre Tibériade et Capernaüm, je les connais bien. Les oiseaux chantent, avec un éclat que je n'ai pas entendu ailleurs. Le soleil n'a pas encore paru. Mais il jette déjà un sillage d'argent sur les vagues chantantes de la mer indécise. Tes disciples, une fois éveillés, vont au-devant du jour nouveau, dans la joie de savoir qu'ils marcheront à ta suite et que chaque heure passée avec toi sera un éblouissement et une découverte. Ces mêmes promesses des matins de Galilée me sont offertes chaque fois que je m'éveille. « Aujourd'hui encore, je Le suivrai... »
Plus que les réveils de tes disciples, ce sont tes propres réveils qui devraient prêter aux miens leur substance. Maître, lorsque tu t'éveillais, ton premier mouvement ne pouvait être que vers le Père : « Je me lèverai, et j'irai vers mon Père ». La phrase que la parabole attribue au fils prodigue prenait sur tes lèvres un sens tout spécial, vraiment unique. Tu allais – tout en étant déjà et toujours avec lui – vers un Père dont aucune défaillance ne t'avait jamais séparé.
Je ne puis prononcer cette phrase comme toi seul pouvais le faire. Je ne puis aller au Père que comme un fils coupable, repentant, mourant de faim, ébranlé jusqu'au plus profond de l'être par le choc d'une prise de conscience, la conscience que ce que j'avais délaissé, c'était la Bonté absolue, et que ce que j'ai été réduit à envier, c'étaient les caroubes que mangent les pourceaux. Ce n'est pas assez que cette prise de conscience produise en moi une vague frustration, une nostalgie. Il faut qu'elle me frappe comme un coup de fouet dont la douleur m'atteigne jusqu'aux moelles. Alors j'aurai éprouvé la contrition. Seigneur, dès l'aurore, accueille-moi en repentance. Souffle sur moi ton Esprit. Prends-moi par la main. Conduis-moi vers le Père.
Et voici que le Père et l'Esprit t'envoient toi-même vers moi, comme le porteur du pardon, comme le messager de l'espoir. Le fils aîné du père de l'enfant prodigue était jaloux de son frère et irrité contre lui. Mais aujourd'hui, dès mon réveil, le Fils aîné, l'Unique, – qui est aussi mon Frère aîné, – vient me chercher et m'accueillir de la part du Père.
Ô mon Sauveur, avant même que je sois levé, tu es là. Tu me veux. « J'entends mon Bien-Aimé qui m'appelle et qui frappe à ma porte... Mon Bien-Aimé m'a tendu la main par la fenêtre, et mon cœur a battu pour lui... Le voilà qui s'arrête derrière notre mur. Il regarde par la fenêtre. Il épie au travers du treillage. Mon Bien-Aimé parle et me dit : Lève-toi ! »
Seigneur Jésus, chaque journée nouvelle est un rendez-vous que tu me donnes. À ce rendez-vous, tu arrives toujours le premier. Que chaque jour commence donc pour moi par le désir de cette rencontre, par le désir d'une connaissance et d'un amour accrus ! Que chaque éveil m'apporte tout d'abord la joie et les promesses de ta Présence.
Jésus, je sais que tu es là et que tu me prends dans tes bras. Mais je ne puis pas, je ne dois pas oublier ceux qui t'ignorent, ceux dont les réveils ne sont pas éclairés et réchauffés par ta lumière, – par le lever du vrai Soleil. Blêmes aurores de ceux qui souffrent, des malades qui vont mourir. Angoisse des condamnés à mort qui comptent les minutes. Anxiétés de ceux qui ne savent pas comment ils se nourriront aujourd'hui, comment ils nourriront leurs enfants. Fatigue et rancœur de ceux qui, dans l'obscurité du premier matin, partent pour leurs durs travaux, la mine, le rail, la machine. Éveil du pécheur, avec ses arrière-goûts amers. Tout cela, Seigneur, et tous ceux-là, et toutes celles-là, tu les connais, tu les prends en pitié. Unis mon âme à la compassion que tu as pour eux et à ta volonté de ne point laisser passer ce jour sans qu'une aide divine leur soit invisiblement offerte.
Maître, tu t'approches de moi et tu me dis, comme à la petite fille de Jaïre : « Lève-toi ». En la prenant par la main, tu la rappelas à la vie. L'enfant, que l'on croyait morte, aussitôt se leva et se mit à marcher. Et voici qu'à travers l'acte quotidien du réveil j'entrevois le mystère et la puissance de la Résurrection.
Toi aussi, tu t'es levé. Tu es sorti du sommeil de la mort. Tu t'es levé, vivant et glorieux. Et la gloire de ta Résurrection demeure posée sur chacun de nos matins.
Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala et Marie, mère de Jacques, et Salomé, se rendirent au tombeau. C'était « de grand matin... comme le soleil venait de se lever ». Seigneur, qu'aucun nouveau matin ne vienne éclairer ma vie sans que ma pensée ne se porte vers ta Résurrection et sans que, en esprit, je n'aille, avec mes pauvres aromates, vers le sépulcre vide du Jardin !
Car c'est le Christ ressuscité qui vient à moi chaque jour, à l'aube. Quelles que soient les perplexités, quels que soient les dangers, le commencement de toutes mes journées sera radieux, si je me rappelle – mais de toute mon âme, de toute ma pensée – que mon Sauveur a vaincu les puissances du mal et de la mort. Mon premier acte de foi, chaque matin, sera un acte de foi en ta victoire finale. « L'amour est fort comme la mort... Ses flammes sont des flammes de feu... Des torrents d'eau ne pourraient éteindre l'amour, et des fleuves même ne sauraient le submerger ».
— Crois-tu cela, mon enfant ?
— Je le crois, Seigneur.
— Alors, mon enfant, il ne peut y avoir place dans ton âme pour aucune affliction, pour aucune crainte, si ce n'est la crainte de me perdre, moi qui suis ta vie.
Seigneur Jésus, chaque jour peut ainsi être pour moi le premier jour de la semaine, la fête de la Résurrection. Que chaque matin soit donc pour moi le matin de Pâques !
J'écris ces lignes à Jérusalem, le matin du dimanche de Pâques, en ce jardin où, depuis tant d'années, tu m'as tant donné, et que je suppose si semblable à celui où tu fus déposé dans un sépulcre neuf. Parmi les palmes et les fleurs, près de ce rocher que le soleil rend brûlant, je crois voir celle qui pleurait, penchée sur le tombeau, et j'assiste à la scène décrite par l'Évangile. Marie te cherche. Elle parle à l'homme qu'elle prend pour le jardinier. Elle se retourne. Elle te voit : « mais elle ne savait pas que c'était Jésus ». Et seulement quand tu lui dis « Marie ! », elle se retourne de nouveau, et, te reconnaissant, elle s'écrie : « Rabbouni ! Maître ! »
Cet épisode illustre la nature de la suprême conversion. Marie te cherche. Mais elle te cherche selon l'idée déjà formée en elle. Elle s'y obstine. Et c'est pourquoi elle ne peut te reconnaître, tel que, maintenant tu te montres. Deux fois elle s'est tournée vers toi – et conversion signifie précisément l'acte de se retourner – et c'est seulement la seconde fois que, entendant son nom, elle devient consciente de ta Présence.
Je ne sais combien de matins il te plaira que je m'éveille encore. Je ne sais si j'entendrai encore les cloches de Pâques sonner à Jérusalem. Néanmoins je te prie de faire que ce soit toujours pour moi, secrètement, le jardin de Jérusalem et le matin de Pâques. Et que chaque jour, chaque éveil, m'apportant la joie de Pâques, m'apporte aussi la plus profonde conversion, – celle par laquelle je me tournerai de ton image d'hier vers ton image d'aujourd'hui ! Que je sache, dans chaque situation et dans chaque personne, te connaître tel que tu veux être connu en cette journée même, non tel que tu m'apparus hier, mais tel que tu te montres maintenant ! Conversion et arrachement qui ne vont pas sans violence, mais que tu exiges. Ces nouvelles personnes, ces nouvelles situations à travers lesquelles je te rencontrerai peuvent être bien diverses. Que chacun de mes éveils soit un éveil à ta Présence ainsi diversifiée, – une rencontre pascale avec le Christ au jardin, ce Christ parfois si inattendu ! Que chaque épisode de la journée soit un moment où je t'entende m'appeler par mon nom, comme tu appelas Marie ! Donne-moi alors de me tourner vers toi. Donne-moi de répondre par un mot, de te dire ce seul mot (mais de tout mon cœur) : « Maître ! »
Un moine de l’Église d’Orient,
in Présence du Christ
Jérusalem, Pâques 1960