Sans me livrer à un travail
d'imagination 1, je vais suivre avec vous ce que l'Écriture
nous dit de la prière de Marie, sur la manière dont elle entre dans la prière
de Jésus et réagit devant le Christ lui-même. C'est quelque chose que nous nous
représentons mal. Pourtant, l'Évangile nous rapporte des circonstances qui nous
déconcertent et méritent d'être relevées.
D'abord les passages initiaux au
début de l'évangile de saint Luc.
L’Annonciation
(Luc 1, 26-38)
Il est clair que cet épisode ne se
réduit pas à la discussion entre l'ange Gabriel et Marie, ni à l'acceptation de
la mission. J'imagine mal qu'une telle rencontre, absolument extraordinaire, ne
soit pas un moment intense de prière.
Nous pouvons certes concevoir
l'apparition de l'ange de façon naïve, comme les peintres ont essayé de la
rendre ; mais elle est de l'ordre de l'invisible. La Parole qui est dite
est une Parole de Dieu. On ne saurait comparer cette scène aux récits de saints
qui ont connu une relation quasi mystique avec des personnages célestes (Jeanne
d'Arc et ses voix ; ou, dans un tout autre registre, sainte Thérèse
d'Avila).
Le récit de l'Annonciation, ciselé
par l'Ancien Testament, nous permet grâce à sa structure biblique de comprendre
de quoi il est question. Ainsi nous pouvons entrer dans l'intimité d'une prière
prodigieuse de Marie comme fille de Sion, comme âme croyante offerte à Dieu et
acceptant d'avance le dessein de Dieu sur elle, percevant qu'il s'agit du salut
de l'humanité, en tout cas de la Promesse faite à Israël.
Dès la première phrase rapportée de
Marie dans l'Évangile, nous constatons que, dans son âme, elle a intériorisé
les paroles de l'Écriture sainte. Non seulement à la manière dont on sait un
texte par
cœur, mais à
la manière dont on en comprend le sens et plus encore l'espérance, avec une plénitude telle que, dans l'obscurité de cette première
rencontre, elle peut accepter comme un dessein de Dieu sur elle une parole
aussi surprenante, qui ne concerne qu'elle :
Tu concevras et enfanteras un fils
et tu lui donneras le nom de Jésus — Dieu sauve — ;
Il sera grand ;
On l'appellera "Fils du Très Haut" ;
Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son Père ;
Il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n'aura pas de fin.
Il sera grand ;
On l'appellera "Fils du Très Haut" ;
Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son Père ;
Il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n'aura pas de fin.
À cette parole de l'envoyé de Dieu, la
réponse de la Vierge n'est pas : « Que veux-tu dire ? »,
mais :
Comment cela pourra-t-il se faire
puisque je ne connais point d'homme ?
Ainsi formulée, cette question
suppose une compréhension intérieure de l'annonce de l'ange par Marie.
En annonçant la venue du « Fils de David qui régnera sur la
maison de Jacob à jamais et dont le règne n'aura point de fin » ;
le message de l'ange selon saint Luc est en lui-même un concentré de
l'Écriture, un raccourci saisissant de toute l'histoire d'Israël depuis la
promesse faite à Abraham pour le salut de toutes les nations.
La question de Marie est la preuve
même de sa compréhension contemplative de la Parole de Dieu qu'elle a
reçue ; elle en a perçu le centre comme jamais personne jusque-là. En
effet, sa question porte sur le comment,
non sur le quoi. Dans cette prière,
il ne s'agit donc plus seulement de la contemplation de Marie qui se nourrit de
la Parole de Dieu, mais de l'engagement de sa liberté à l'égard de cette Parole
qui la concerne : « Voici que tu vas enfanter... »
Le fruit de sa prière devient la part
qu'elle prend au dessein de Dieu tel qu'elle en a l'intelligence. Quelle
part ? Une part majeure : donner chair de sa propre chair à Celui qui
est promis depuis des siècles ; rappelez-vous la prophétie de Nathan pour
David (cf. 2 S 7, lsq).
La réponse de l'ange — promesse de
l'Esprit Saint — est une anticipation de ce que sera la Pentecôte. Dès ce
premier chapitre de l'Évangile de saint Luc, le mystère trinitaire est
esquissé, de façon à peine perceptible. Dieu le Père annonce en effet la venue
en Marie de son Fils par le don de l'Esprit — la nuée divine — :
La puissance du Très Haut la couvrira
de son ombre.
Et l'enfant qui va naître sera appelé "Fils de Dieu".
Et l'enfant qui va naître sera appelé "Fils de Dieu".
Ce titre, Fils de Dieu, courant dans la tradition biblique pour désigner non
seulement le roi mais également Israël, donc le croyant qui accorde à Dieu le
titre de Père, est employé ici en un
sens singulier, que l'ange semble souligner.
Une contemplation qui est une action
Après que lui soit donné le signe
d'Élisabeth, Marie conclut :
Je suis la servante du Seigneur,
qu'il m'advienne selon ta Parole.
C'est comme d'avance un écho de ce
que le Seigneur Jésus Christ dira à Gethsémani :
Seigneur, ce que tu veux et non ce
que je veux.
Cette prière de Marie est
l'engagement le plus complet et le plus réaliste de sa liberté pour accomplir
le dessein de Dieu. Cette remise à la volonté de Dieu montre l'authenticité de
sa contemplation ; qui lui a permis d'accueillir sa Parole et de percevoir
la cohérence profonde et le sens de l'Écriture. Contemplation qui n'est pas
celle d'un artiste qui s'arrête devant un paysage ou un tableau, reste des
heures à l'admirer et, à force d'attention et de patience, silencieux, l'œil
ouvert, découvre des rapports de couleurs, des jeux de forces, des subtilités
d'expression, des beautés cachées au premier regard, et devient capable de
l'exprimer.
La contemplation de Marie est une
relation à Dieu qui sauve. Sans doute aurait-elle pu répondre autre chose.
Mais, à partir du moment où, elle qui avait été choisie par Dieu, elle avait
trouvé grâce devant ses yeux, comprenait ce qui lui était dit et n'avait pas
sursauté à cette révélation, elle a engagé effectivement sa liberté.
Face à face avec Dieu qui va plus
loin que le simple vis-à-vis, la contemplation de Marie est perception que Dieu
qui l'a créée lui fait grâce. D'emblée elle lui répond en acceptant cette grâce
et en se donnant à lui.
Engagement à l'égard de Dieu, la
contemplation est action d'une certaine façon : elle est même l'action la
plus prodigieuse qui soit. Dans le récit de l'Annonciation se dessine en
filigrane une attitude de prière contemplative du plus haut niveau, inouïe,
puisqu'elle porte un fruit décisif pour l'histoire du salut.
La
Visitation (Luc 2, 39-56)
Comment nous représenter la prière de
Marie dans ce récit de l'Évangile ? Nous le lisons habituellement comme un
épisode, un événement. Or, de ce
dialogue entre Élisabeth et Marie, entre les deux enfants dans le sein de leur
mère, les paroles ne peuvent être compréhensibles que par une prière partagée —
bien plus, une prière qui, en vérité, se fait dialogue en Dieu, grâce à Dieu,
par Dieu.
La rencontre entre Marie et Élisabeth
fait partie de l'Annonciation, puisque Marie apprend alors que sa cousine, la
stérile, va enfanter. Marie « part en hâte » pour la voir.
Plus qu'une simple hâte de se rencontrer, de bavarder, ce second événement est
de l'ordre de l'urgence, car il est lié par une nécessité logique et
spirituelle avec l'Annonciation, sans que nous en découvrions au premier abord
la raison. Pouvons-nous la deviner ?
Le lien entre ces deux événements
n'est pas seulement l'annonce d'une fécondité, donnée à Élisabeth dans la
stérilité. La Bible nous offre bien des exemples de ces gestes de Dieu :
notamment Anne, la mère de Samuel, dont le cantique apparaît en filigrane dans
le Magnificat — car Marie n'a pas pu ne pas y penser. Le lien tient au
nécessaire rapport entre Jean-Baptiste et Jésus.
En effet, dans cette rencontre de la
Visitation, les personnages centraux ne sont ni Marie ni Élisabeth, mais les
deux enfants dans le sein de leur mère. Ce que rapporte l'évangéliste est
saisissant : c'est une prophétie en acte, bien plus, déjà — dans le
silence du sein maternel pour l'un comme pour l'autre —, c'est une
manifestation du dessein de Salut en train de se réaliser.
Un
engagement mystique
Ce qui se passe en Marie comme en
Élisabeth est le commencement de l'œuvre du salut des hommes qui s'accomplira
quelque trente ans plus tard ; d'une certaine façon, Marie et Élisabeth en
sont déjà les collaboratrices. Cet engagement mystique, dont l'Annonciation
nous offre le récit et le signe, permet le déploiement de l'histoire du salut.
C'est dans cette lumière qu'il nous faut entendre les paroles dites à la
Visitation.
D'abord par Élisabeth, précédant le
Magnificat de Marie :
Tu es bénie entre toutes les
femmes ; béni le fruit de ton sein.
Comment m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ?
Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein !
Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.
Comment m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ?
Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein !
Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.
« Tu es bénie entre toutes les
femmes et béni le fruit de ton sein ». Nous sommes habitués à ces paroles que la piété catholique
a reprises dans la prière tant de fois répétée, ce Je vous salue, Marie composé de la salutation de l'ange Gabriel et
celle d'Élisabeth : nous ne prêtons plus attention à leur origine et à
leur signification. La bénédiction d'Élisabeth sur Marie et sur celui à qui
Marie donnera le nom de Jésus, comme l'ange le lui a révélé, reprend d'une
certaine façon la réponse de Marie :
Je suis la servante du
Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole.
L'action de grâce d'Élisabeth fait
écho à celle de Marie lorsqu'elle s'en remet à la grâce de Dieu. C'est Élisabeth
qui bénit Dieu, la première, pour ce à quoi Marie consent. Pourquoi ?
Parce que l'enfant a tressailli dans son sein, comme tout enfant tressaille
parfois dans le sein de sa mère. Mais, là, il a tressailli de joie. Cet enfant qui sera appelé Jean, d'un
nom seulement connu de son père encore frappé de mutisme, est le premier à
manifester Jésus.
Une
prophétie, et aussi une prière
Élisabeth, grâce à son fils, son
enfant qu'elle porte, prophétise, mieux : elle reconnaît l'événement qui,
grâce à Marie, est en train de s'accomplir. Sans deviner la forme que prendra
le cours des choses, elle voit déjà et nous fait voir spirituellement ce qui
est encore invisible et non accompli aux yeux des hommes. Pourquoi encore
invisible et non accompli ?
Lorsqu'Élisabeth eut entendu la
salutation de Marie ;
L'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit.
L'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit.
Par cette notation de l'évangéliste,
nous sommes assurés que ces paroles d'Élisabeth sont une prière. Ainsi le
sont-elles pour nous ! C'est seulement sous l'action de l'Esprit Saint que
nous pouvons faire de cette salutation ce qu'elle a d'abord été : une
prière de bénédiction et d'action de grâce pour Jésus et pour Marie par qui
Jésus est donné. Elle met le doigt sur ce qui fonde ces deux premiers
événements et c'est une béatitude.
Bienheureuse celle qui a cru en
l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.
Croire n'est pas simplement un acte
de crédulité ; le mot peut parfois être faible dans notre langue alors
que, dans la Bible,
il signifie toujours se fier à la parole de quelqu'un — en l'occurrence à celle
de Dieu.
Marie n'a pas cru à une parole qui
lui serait dite ; elle a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit
de la part du Seigneur. Elle s'est appuyée sur Dieu ; elle a reconnu dans
cette parole l'action même de Dieu. La foi ne consiste pas à passer du doute à
la conviction, du refus à l'acceptation, mais à s'appuyer sur Dieu qu'on ne
voit pas, à sortir de soi pour mettre sa vie entre les mains de Dieu.
L'Écriture et le Verbe fait
chair : c'est tout un
Ensuite, vient le Magnificat. Marie
reprend ce que nous laissait supposer la première salutation de l'ange Gabriel
au jour de l'Annonciation. Beaucoup de citations de l'Ancien Testament tissent
son cantique. Pas un des mots du Magnificat n'est inventé par Marie. Elle parle
la Parole de Dieu comme on parle une langue. Ainsi, je n'ai inventé aucun des
mots que je vous dis. Aucun ne m'appartient. Tous appartiennent à la langue
française que nous avons reçue en partage de ceux qui l'ont parlée avant nous.
Pourtant, la phrase que je prononce est de moi.
La langue que parle Marie est celle
de la Bible. Mais le sens de sa prière ne se tire pas de la somme des
citations, même si des allusions sont évidentes. Comme on devine les
harmoniques d'un accord musical, de même ces références bibliques permettent
d'entendre les harmoniques de ce que dit Marie.
Mais sa prière est tout fait
originale, car elle est une action de grâce pour l'accomplissement de :
La Promesse faite à nos Pères en
faveur d'Abraham et de sa race à jamais [...].
Le Seigneur se souvient d'Israël son serviteur [...].
Il se souvient de son amour.
Le Seigneur se souvient d'Israël son serviteur [...].
Il se souvient de son amour.
Et lorsque, à notre tour, nous
chantons ce Magnificat, il faut tourner notre regard vers Jésus et reconnaître
en lui l'accomplissement du salut, pour prier réellement avec Marie, comme
Marie.
Marie nous enseigne l'entrée dans la
prière : méditation et aussi contemplation de l'Écriture qui nous font
communier à l'événement qu'elle porte
en elle : l'acte par lequel Dieu sauve son peuple, l'événement majeur
qu'est la venue en notre monde de la Parole de Dieu qui se fait chair et habite
parmi nous. Il n'y a donc de prière chrétienne qu'orientée vers Jésus, venant
de Dieu et accomplissant la Promesse du Père, conformément aux Écritures.
Voilà le centre, le cœur de la prière
qui, d'emblée, nous est révélé dans la prière de Marie : l'Écriture et le
Verbe fait chair sont impossibles à séparer. La Bible n'est pas un livre
supplémentaire dont certains seraient férus plus que d'autres. La Parole de
Dieu est notre nourriture, comme l'Eucharistie. Voilà les deux voies par
lesquelles Dieu se fait nôtre, les deux tables
auxquelles il nous convie pour nous unir à lui et nous donner la vie.
En quoi la Parole est vivante
Cette Parole n'est pas lettre morte,
simplement consignée dans des livres imprimés ; elle se dit et elle nous
est dite. Parole vivante, comme Jésus le promet à ses apôtres :
L'Esprit que le Père enverra en mon nom
vous rappellera tout ce que je vous ai dit.
Jn 14, 26
La source de l'Écriture, c'est
l'Esprit Saint qui, non seulement, nous fait nous remémorer des paroles
écrites, un texte qu'il faut bien lire et étudier, mais aussi qui nous fait
comprendre de l'intérieur ce que Dieu nous dit et ne saurait s'épuiser dans le
commentaire du texte.
Disciples du Christ, nous ne sommes
pas comme des élèves ou des professeurs qui scrutent un texte pour le
déchiffrer et en avoir l'intelligence. Nous sommes comme Marie : elle
trouve dans la Parole transmise le lieu où le Père donne la Parole, toujours
personnelle, qu'elle reçoit par sa méditation et sa contemplation, et, je le
répète, dans l'engagement de sa liberté.
Pour découvrir encore la prière de
Marie, après la Nativité, regardons la Présentation de Jésus au Temple, et
ensuite, dans la vie cachée à Nazareth, Jésus perdu et retrouvé à Jérusalem
parmi les docteurs.
La
Présentation au Temple (Luc 2, 22-38)
Elle nous montre une prière et un
engagement de la Vierge. Marie se rend au Temple avec Joseph et l'Enfant pour
deux actes rituels précis, que semble bien distinguer l'évangéliste :
d'une part, les relevailles — une femme qui avait enfanté allait au Temple
après son accouchement pour une prière dite de purification ; d'autre
part, la présentation et le rachat du
premier-né.
Dans l'Ancien Testament, on mentionne
deux sacrifices distincts pour l'un et l'autre cas. D'après la pauvre offrande
faite par Marie et Joseph — un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes
—, il s'agit seulement du sacrifice des relevailles, « suivant ce qui
est dit dans la loi » (cf. Lv 12, 8). Et ils n'ont pas racheté l'Enfant. En effet, pour marquer
que tout est donné par Dieu, tout premier-né des hommes (et même du bétail)
appartenait à Dieu, « ainsi qu'il est écrit dans la loi du Seigneur :
Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur » (cf. Ex 13,2 sq).
Pour pouvoir en disposer, il fallait le racheter à Dieu, en versant la somme de
cinq sicles (cf. Nb 18, 15-16).
Marie n'a pas racheté l'Enfant afin
de le garder pour elle ; elle l'a laissé consacré au Seigneur. Et ce
geste, elle l'accomplit au Temple. Or on ne peut aborder le Temple qu'en
priant. Jésus l'appellera : « la Maison de mon Père ». La
manière dont nous fréquentons les lieux sacrés, y eût-il le Saint Sacrement,
n'a rien à voir avec la manière dont on approchait le Saint des saints. Nous
nous situons dans un autre registre. D'une certaine façon, la Demeure de Dieu
parmi les hommes nous est devenue plus familière, dans la mesure où « le
Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous » et où le sacrement de
sa Présence nous est sans cesse donné à travers le temps et l'espace.
La Vierge Marie vit encore à l'époque
où le Temple est le seul lieu que Dieu a choisi pour y faire sa demeure. Lorsqu'elle
aborde ce lieu, ce n'est pas avec moins de respect que Jésus, donc en priant et
en adorant. Pour présenter le sacrifice, elle s'approche avec l'enfant à
quelques centaines de mètres du Saint des saints auquel elle n'a pas le droit
d'accéder. Les prêtres accueillent sa modeste offrande.
Mais que fait-elle, alors, au moment
où elle ne présente pas le sacrifice pour le rachat du premier-né ? Elle reconnaît que cet Enfant ne lui
appartient d'aucune façon et elle accepte qu'il soit totalement à Dieu. Elle
lui a donné sa propre chair, mais il est de Dieu et pour Dieu, pour le salut du
monde et l'accomplissement de la Promesse. Donc on ne saurait imaginer cet
événement vécu autrement que dans la contemplation intérieure la plus profonde,
pour que ses gestes puissent avoir un sens.
La paix
m'apporte le salut
L'intervention de Syméon, puis de la
vieille prophétesse Anne nous aident à le discerner. Or, note saint Luc :
Il y avait à Jérusalem un homme du
nom de Syméon ;
Cet homme était juste et pieux ; il attendait la Consolation d'Israël (le Messie) et l'Esprit Saint reposait sur lui.
Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.
Il vint alors au Temple ; poussé par l'Esprit ;
Et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescriptions de la Loi ; il le prit dans ses bras (lui et non pas le prêtre) et il bénit Dieu :
« Maintenant, Maître, selon ta parole tu laisses ton serviteur s'en aller dans la paix ».
Cet homme était juste et pieux ; il attendait la Consolation d'Israël (le Messie) et l'Esprit Saint reposait sur lui.
Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.
Il vint alors au Temple ; poussé par l'Esprit ;
Et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescriptions de la Loi ; il le prit dans ses bras (lui et non pas le prêtre) et il bénit Dieu :
« Maintenant, Maître, selon ta parole tu laisses ton serviteur s'en aller dans la paix ».
Tu m'accordes la paix puisque
maintenant je vois le salut. Syméon est le premier qui reçoit ce qui a été
annoncé aux bergers par les anges :
Gloire à Dieu au plus haut des cieux
et paix sur la terre aux hommes qu'il aime.
La paix, le shalom dont il est
question, est le bien messianique suprême : non pas la cessation de la
guerre, mais la plénitude de la vie donnée par Dieu aux hommes qu'il aime.
Syméon dit à Dieu : Tu me donnes
part à cette paix puisque « mes yeux voient ton salut », le
Sauveur que tu as promis, « que tu as préparé face à tous les
peuples ; lumière pour éclairer les nations et gloire d'Israël ; ton
peuple ».
Avec ce petit enfant qu'elle remet à
Dieu, à nouveau quelqu'un dit à Marie ce qu'elle est en train de vivre. De même
qu'Élisabeth a rendu grâce pour ce qui lui a été donné, de même Syméon rend
grâce et bénit Marie pour ce qu'elle accomplit et permet d'accomplir.
Son père et sa mère étaient dans
l'émerveillement de ce qui se disait de lui. Syméon les bénit et dit à Marie, sa
mère : « Vois, cet Enfant doit amener la chute et le relèvement d'un
grand nombre en Israël ; il sera un signe de contradiction. Toi-même un
glaive te transpercera l'âme afin que se révèlent les pensées intimes d'un
grand nombre ».
Ces paroles sont claires à nos yeux
et obscures pour Marie, je suppose. Quel sens peuvent-elles avoir à moins
d'être reçues dans le secret et la contemplation de la prière ? Non pas
menace qui la mettrait dans la peur, mais annonce d'un destin prophétique. Non
pas un malheur personnel, mais une part sacrificielle prise à l'œuvre du salut.
Comme si d'avance l'Enfant qu'elle n'a pas racheté
afin de le garder pour elle associait sa mère à l'œuvre de rédemption qu'il
accomplira et qui suscitera la contradiction. Elle aussi aura part à ce qu'il va
vivre en étant lui-même « signe de contradiction pour la chute et le
relèvement d'un grand nombre ».
Jésus
perdu et retrouvé au Temple (Luc 2, 41-50)
Lors de la fête de Pâque, chaque
année, comme c'était prescrit par la Loi, Marie et Joseph vont à Jérusalem en
pèlerinage pour avoir part à l'agneau égorgé au Temple et vivre en famille le
repas pascal. Jésus le fera le Jeudi saint avec ses disciples, avant d'être
lui-même cet Agneau immolé et de consentir à ce sacrifice spirituel évoqué par
le Psaume 40 et mis dans la bouche du Christ-Messie (cf. He 10, 5).
L'Enfant Jésus, perdu et retrouvé à
douze ans, est une anticipation symbolique du Christ Jésus enfoui dans la mort
et ressuscité. Mais Marie et Joseph ne le vivent pas ainsi. D'où ces paroles
surprenantes de la Vierge :
Mon enfant ; pourquoi nous as-tu
fait cela ? Vois ; ton père et moi nous te cherchions, tout
angoissés !
Et Jésus de leur répondre :
Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne
saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? (qu'il me faut être chez mon Père).
« Mais eux ne comprirent pas la
parole qu'il venait de leur dire » ; note l'évangéliste. Ce point est très
important. Il annonce ce qui arrivera quelque vingt ans plus tard. Jésus est en
Galilée, il enseigne la foule qui l'enserre de toutes parts :
Ils ne pouvaient même pas prendre
leur repas.
À cette nouvelle, les gens de sa parenté vinrent pour s'emparer de lui ; car ils disaient : il a perdu la tête.
À cette nouvelle, les gens de sa parenté vinrent pour s'emparer de lui ; car ils disaient : il a perdu la tête.
Mc 3, 20-21
Dans ces premiers épisodes de la vie
de Jésus, la prière de Marie, telle que les évangélistes nous la laissent
entrevoir, est bel et bien une prière avant l'accomplissement complet du salut
qui, cependant, grâce à Marie, est en train d'être offert aux hommes. Autrement
dit, la compréhension de l'œuvre salvifique ne sera donnée à Marie qu'au
Cénacle avec les apôtres, au jour de la Pentecôte par le don de l'Esprit — donc
après la Passion, l'ensevelissement et la Résurrection du Seigneur.
Jusque là, Marie ne comprend pas
tout. Elle ne cesse de prier comme une croyante qui pressent le dessein de
Dieu, mais ne peut le percevoir tant qu'il n'est pas accompli. L'unique mystère
de la Croix et de la Résurrection n'est pas encore dévoilé, même à Marie. La
grâce qu'elle a reçue ne suffit pas pour qu'elle comprenne. Elle accepte
pourtant cette réplique de Jésus quand, aux disciples qui lui avaient
dit :
Voilà que ta mère et tes frères sont
dehors, ils te cherchent.
Il répond :
Qui est ma mère et mes frères ?
Celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère.
Celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère.
Mc 3, 32-35
La Figure de l'Église
Après avoir retrouvé l'Enfant Jésus
au Temple, de retour à Nazareth, « Marie garde tous ces événements dans
son cœur » — les événements du commencement de l'histoire du salut.
Elle y consent, elle, la mère de Jésus. Elle est mère, non pas seulement en
raison de la maternité charnelle de son Fils, pour l'avoir enfanté dans son
sein, nourri de son lait. Mais elle est mère,
sœur, frère (pour reprendre l'énumération de Jésus), parce qu'elle
accomplit la volonté de Dieu. Elle n'a pas de privilège familial ! Et
cette parenté de Jésus nous la partageons spirituellement : nous, nous
sommes le frère, la sœur de Jésus.
Dès ce moment-là, Marie se met
volontairement à la suite de Jésus,
alors qu'elle ne le comprend pas et ne peut le comprendre. De même, les
apôtres, appelés à suivre le Christ qui leur annonce sa Passion, ne comprennent
pas du tout ; ils ne sont pas d'accord. Et une fois l'événement accompli,
tels les disciples d'Emmaüs, ils n'ont pas encore compris pourquoi il fallait
que cela arrive.
La marque la plus évidente de l'
œuvre de l'Esprit est de changer leur esprit et leur cœur de sorte qu'ils
comprennent « pourquoi il fallait que le Messie souffre avant d'entrer
dans sa gloire » et qu'ils reçoivent la force de témoigner de Jésus
dans toutes les nations (cf. Luc 24,13-35).
Nous non plus, nous ne pouvons pas
comprendre le mystère de la Croix si Jésus, par le don de son Esprit, ne nous fait
pas entrer de l'intérieur dans l'intelligence de ce qu'il accomplit.
À Marie, ce même chemin n'est pas
épargné. Car elle est de notre côté, du côté du peuple croyant. Elle est la
Mère de l'Église, la Figure de l'Église. Elle comprendra peut-être avant les
apôtres puisque, debout au pied de la croix, elle reçoit les deux paroles de
Jésus, celle dite au disciple : « Voici ta mère » ; et
celle qui lui est adressée à elle-même : « Voici ton fils ».
« Dès cette heure-là, note saint Jean, le disciple la prit chez
lui » (Jn 19, 26-27). Marie accepte ce rôle maternel aux dimensions de
l'Église naissante. Singulière avancée dans le mystère de la Passion, épreuve
de la foi, en même temps que remise de sa vie entre les mains de Dieu avec le
Christ.
Avec Marie et les apôtres
Comme les apôtres, comme Marie, par
le don de l'Esprit, nous sommes appelés désormais à entrer dans la prière de
Jésus, sans nous contenter de supplier pour nos misères et nos besoins, mais en
partageant cette prière contemplative dont Marie nous donne le témoignage
depuis l'Annonciation jusqu'à sa participation au mystère de la Rédemption avec
Jésus, cloué sur la croix, ressuscité pour notre vie.
La vocation de Marie est la vocation
de l'Église, de tous les membres de l'Église dont elle est l'anticipation et la
prophétie. Chacun de nous est invité à poursuivre le chemin qui fut celui de la
prière de Marie :
― recevoir la Parole de Dieu, la
contempler et engager notre liberté à l'égard du Seigneur ;
― supplier pour nos péchés, nos
faiblesses et la misère des autres, avec le cœur serré devant tant de
détresses ;
― mesurer le don que le Seigneur nous
fait dans l'Eucharistie en nous associant à l'offrande volontaire de sa vie et
à l'œuvre rédemptrice pour partager sa prière ;
― rendre grâce aussi pour tant de
bienfaits.
Alors, nous pouvons dire la prière
par excellence du peuple sacerdotal, c'est-à-dire la prière de l'unique Grand
Prêtre, Jésus :
Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite.
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite.
La liturgie de la messe nous fait
dire cette prière tous ensemble, avant de recevoir le Corps du Christ, pour que
d'avance nous priions avec Lui et comme Lui, au moment où nous recevons son
Corps et son Sang, notre nourriture et notre vie.
Jean-Marie, cardinal Lustiger, in
Comme Dieu vous aime
1. Conférence donnée à Lourdes le vendredi 2 juin 2000,
avant la prière du chapelet.